"Vive l'euro", entend-on depuis quelques jours dans les salles
de marché. "Merci le dollar", devrait-on plutôt
proclamer. Depuis la fin de janvier, la monnaie unique a gagné du
terrain face au dollar pour atteindre, jeudi 30 mai, son plus haut
niveau depuis quinze mois, à 0,94 dollar. Vendredi matin, l'euro
se négociait 0,9393 dollar. Cette hausse n'est toutefois qu'un
trompe-l'il, masquant la fragilité du billet vert, qui s'est déprécié
face à l'ensemble des grandes devises. Depuis le début de
l'année, il a perdu 5,53 % face à l'euro, mais aussi
6,38 % contre le yen.
Victime d'un climat de pessimisme, le billet vert accuse le coup des incertitudes
concernant l'amélioration de la conjoncture américaine. Même
si les Etats-Unis ont affiché au premier trimestre des chiffres exceptionnellement
vigoureux de reprise (5,6 % de croissance en rythme annuel du produit
national brut, 8,6 % de hausse de la productivité), l'économie
s'appuie encore sur le restockage et le dynamisme de la consommation des
ménages sans redémarrage de l'investissement des entreprises,
une composante essentielle. Cette situation déséquilibrée
laisse planer des doutes dans l'esprit des investisseurs sur la pérennité
et la durabilité de la croissance américaine.
Entraînant, envers les marchés financiers américains,
une méfiance accentuée par la multiplication des affaires
de " créativité comptable des entreprises",
comme disent les experts, la situation économique fait porter un
second poids sur le dollar. La rémunération du capital est
moindre que par le passé mais, surtout, elle n'est plus assurée.
Les marchés d'actions américains sont en perte depuis le
début de l'année. La différence de rémunération
des placements n'est plus autant à l'avantage des Etats-Unis :
les bons du Trésor américains à 10 ans ne rapportent
plus que 5,04 %, quand un investissement identique sur un emprunt d'Etat
français rapporte 5,19 %, et alors qu'un placement sur le
Nasdaq depuis le début de l'année aurait été
perdant de plus de 16 %. Selon une enquête de la société
Morningstar menée en mai auprès d'une soixantaine de gestionnaires
européens et publiée jeudi, l'euro apparaît, pour 82 %
des professionnels, comme la devise à "jouer" (contre 66 %
il y a trois mois), tandis que le dollar est à peine mieux perçu
que le yen (respectivement 10 % et 7 %).
Dans cet environnement, le comportement des investisseurs a fait surgir
des inquiétudes sur l'éternelle faiblesse des Etats-Unis :
le déficit des comptes extérieurs, dont on craint qu'il ne
puisse toujours être financé par les capitaux étrangers.
LE FACTEUR "SENTIMENT"
Après un effondrement des investissements directs en 2001, dû
à la chute du nombre de fusions-acquisitions aux Etats-Unis, ce sont
les achats d'actions et d'obligations qui ont très sensiblement ralentis.
Autre facteur, plus psychologique cette fois, pesant sur le dollar, l'inversion
du "sentiment de marché", un peu à l'image
de ce qui comprimait l'euro depuis plus de trois ans. Régulièrement,
toute nouvelle économique positive dans la zone euro semblait être
ignorée par le marché des changes, qui ne valorisait pas pour
cela la monnaie unique, tandis qu'une nouvelle équivalente sur les
Etats-Unis était accentuée et accueillie par une hausse du
dollar. Actuellement, les indications sur la conjoncture américaine,
aussi bonnes soient-elles, ne parviennent pas à soutenir le billet
vert. Celui-ci avait ainsi cédé 0,43 % le 26 avril,
à l'annonce de la première estimation de la croissance au
premier trimestre. Depuis quelques mois aussi, les opérateurs
ont l'impression que les Etats-Unis sont moins convaincus de l'intérêt
de continuer à mener une politique de dollar fort, au moment même
où l'économie peine à reprendre ses marques. Non
que Washington ait renoncé à dire qu'"un dollar fort
est dans l'intérêt des Etats-Unis", mais les autorités
sont moins prolixes. Autre signe que les professionnels ont interprété
comme un abandon de cette politique : les mesures protectionnistes
sur l'acier imposées par Washington. Car "si on augmente
de 30 % les prix à l'importation, c'est comme si on infligeait
une baisse du même pourcentage du dollar. C'est une variation de change
déguisée, même si cela ne bénéficie qu'à
un produit", explique un intervenant.
Alors que, en début d'année, les économistes, échaudés
par le comportement de la monnaie unique qui leur avait souvent donné
tort, avaient avancé des pronostics très prudents du cours
de l'euro pour la fin de l'année (qu'ils annonçaient à
moins de 0,90 dollar), ils ont ressorti des tiroirs leur scénario
optimiste. Les experts d'UBS Warburg s'attendent à ce que l'euro
touche la barre de 1 dollar avant la fin de l'année, pour se
diriger avant la fin de 2003 vers 1,05 dollar avec un dollar à
115 yens. Ceux d'HSBC CCF affichent pour leur part un objectif de 0,93 dollar
pour la fin juin et à 0,95 à fin septembre.
Cécile Prudhomme
Le déficit commercial américain
atteint un niveau sans précédent
· LE MONDE | 21.06.02 | 12h39
New Yorkde notre correspondant
La solidité des ménages américains, leur appétit
intact pour la consommation, ont permis l'an dernier aux Etats-Unis de connaître
une des récessions les plus douces de l'histoire et une reprise spectaculaire
au début de l'année. Cette frénésie a un revers :
le déficit commercial s'est établi au mois d'avril au niveau
sans précédent de 35,9 milliards de dollars. Selon les
chiffres rendus publics jeudi 20 juin, les importations ont augmenté
deux fois plus vite que les exportations. Les achats d'automobiles étrangères
par les Américains ont atteint un sommet à 16,8 milliards
de dollars, tout comme les acquisitions de biens de consommation (24,9 milliards)
et de produits alimentaires (4,1 milliards).
Plus préoccupant encore, le déficit des paiements courants
a battu aussi un record au premier trimestre à 112,5 milliards
de dollars. La balance des paiements courants prend en compte à la
fois les échanges de biens et de services (l'équilibre commercial)
et les flux financiers. Ce déficit ne peut être financé
que par les capitaux étrangers à condition qu'ils trouvent
suffisamment attractifs l'économie américaine et le dollar.
Sinon, pour les attirer, il faudra augmenter la rémunération
des capitaux, c'est-à-dire les taux d'intérêt, et compromettre
la reprise et la consommation.
"Je ne vois qu'une issue pour sortir de ce piège du déficit
commercial, inciter nos partenaires à relancer leurs économies,
ce qu'ils ne font pas, et les pousser aussi à limiter les barrières
douanières imposées aux exportations américaines",
explique Ken Mayland, le président de ClearView Economics. "Il
ne sera pas facile d'accroître nos exportations si les autres pays
sont furieux après la décision de notre gouvernement de taxer
les importations d'acier et de donner des milliards de dollars de subventions
aux agriculteurs", estime Carl Tannenbaum, économiste en
chef de la banque LaSalle.
L'économie américaine cumule les paradoxes. La reprise semble
solide et se confirme jour après jour, mais l'importance des déficits
et la santé précaire des entreprises et des marchés
financiers inquiètent. La croissance a atteint 5,6 % en rythme
annuel au premier trimestre. Jeudi, deux statistiques favorables ont été
à nouveau publiées. Le nombre de nouvelles demandes d'assurance-chômage
s'est réduit la semaine dernière de 2 000 à
393 000 et le baromètre de l'activité du Conference Board
est en hausse. Son principal indicateur a augmenté de 0,4 %,
à 112,2, après avoir baissé de 0,3 % en avril.
Cela est loin d'être suffisant pour rassurer Wall Street. La Bourse
de New York a encore baissé jeudi 20 juin et touché son
plus bas niveau de l'année, et le dollar ne cesse de perdre du terrain
face à l'euro et au yen. Les marchés doutent de la capacité
des entreprises à redresser leur rentabilité et à investir ;
ils doutent également de la qualité et de la sincérité
de leurs comptes depuis la succession de scandales qui a suivi la faillite
d'Enron.
L'économie des Etats-Unis n'a pas surmonté un problème
de fond : une crise de surinvestissement liée à la bulle
autour de la nouvelle économie. Elle est à la fois plus fragile
et en voie de "banalisation", selon les termes de Patrick
Artus, le directeur des études de CDC-Ixis. Les moteurs des années
1990, l'investissement et les nouvelles technologies, ont été
remplacés par la consommation, l'immobilier, les aides publiques
aux secteurs en difficulté et les dépenses de l'Etat. Le déficit
budgétaire devrait dépasser cette année 100 milliards
de dollars en lieu et place de près de 300 milliards d'excédents.
Cet environnement plus protectionniste favorise la demande (la consommation)
mais beaucoup moins les entreprises (l'offre) et les marchés. Il
se traduit déjà par un affaiblissement continu du dollar.
Si ce déclin prend de l'ampleur, il affectera l'appétit des
étrangers pour les titres américains. Cela est d'autant plus
dangereux que les investissements étrangers ont pris un poids considérable
dans le financement de l'économie américaine et de ses déficits.
Les actifs américains détenus aujourd'hui par les non-résidents
représentent 95 % du PIB (produit intérieur brut). "La
part de l'économie américaine détenue par les étrangers
ne cesse d'augmenter. L'histoire nous apprend que cela ne peut pas durer
indéfiniment sans problème", expliquait l'an dernier
au Congrès Alan Greenspan, le président de la Réserve
fédérale.
Eric Leser
extraits de l'éditorial du quotidien financier de Lausanne ; "L'AGEFI"
Mardi 24 février 2004
Le dollar: ascenseur ou yo-yo à venir?
Par Alain Fabarez
"(...) le dollar a-t-il fini sa cure d'amaigrissement?
Tout serait simple à décrypter si l'on devait s'en tenir aux
données macroéconomiques et aux contingences planétaires
de rapports de force entre les régions. On en est loin! Mais dans
ce cas, on devrait globalement pencher pour un affaiblissement de la devise
américaine. Il ne faut pas se le cacher, l'Amérique est en
faillite du fait de ses déficits extérieurs abyssaux, des
déficits chroniques de ses citoyens, du peu de productivité
de son économie et, bien sûr, de la politique financière
exubérante d'Alan Greenspan (ndlr : le directeur de la Federal Reserve
system des États-Unis). L'Amérique ne produit plus que très
peu de richesses et, malgré une reprise perçue comme vigoureuse,
le nombre d'emplois créé est minime et surtout de qualité
médiocre.
(...)
Prenons un risque et traçons un pronostic. Si l'on peut attendre,
à court terme, que le dollar puisse reprendre des couleurs, il est
plus que probable que l'on aille vers une période de yo-yo avant
un véritable affaissement de la devise américaine qui devra
bien, un jour ou l'autre, payer les errements de l'administration et la
vie à crédit, dispendieuse, de ses concitoyens."