Hier adulé, le dollar est aujourd'hui boudé


·" LE MONDE " 31.05.02


"Vive l'euro", entend-on depuis quelques jours dans les salles de marché. "Merci le dollar", devrait-on plutôt proclamer. Depuis la fin de janvier, la monnaie unique a gagné du terrain face au dollar pour atteindre, jeudi 30 mai, son plus haut niveau depuis quinze mois, à 0,94 dollar. Vendredi matin, l'euro se négociait 0,9393 dollar. Cette hausse n'est toutefois qu'un trompe-l'il, masquant la fragilité du billet vert, qui s'est déprécié face à l'ensemble des grandes devises. Depuis le début de l'année, il a perdu 5,53 % face à l'euro, mais aussi 6,38 % contre le yen.

Victime d'un climat de pessimisme, le billet vert accuse le coup des incertitudes concernant l'amélioration de la conjoncture américaine. Même si les Etats-Unis ont affiché au premier trimestre des chiffres exceptionnellement vigoureux de reprise (5,6 % de croissance en rythme annuel du produit national brut, 8,6 % de hausse de la productivité), l'économie s'appuie encore sur le restockage et le dynamisme de la consommation des ménages sans redémarrage de l'investissement des entreprises, une composante essentielle. Cette situation déséquilibrée laisse planer des doutes dans l'esprit des investisseurs sur la pérennité et la durabilité de la croissance américaine.

Entraînant, envers les marchés financiers américains, une méfiance accentuée par la multiplication des affaires de " créativité comptable des entreprises", comme disent les experts, la situation économique fait porter un second poids sur le dollar. La rémunération du capital est moindre que par le passé mais, surtout, elle n'est plus assurée. Les marchés d'actions américains sont en perte depuis le début de l'année. La différence de rémunération des placements n'est plus autant à l'avantage des Etats-Unis : les bons du Trésor américains à 10 ans ne rapportent plus que 5,04 %, quand un investissement identique sur un emprunt d'Etat français rapporte 5,19 %, et alors qu'un placement sur le Nasdaq depuis le début de l'année aurait été perdant de plus de 16 %. Selon une enquête de la société Morningstar menée en mai auprès d'une soixantaine de gestionnaires européens et publiée jeudi, l'euro apparaît, pour 82 % des professionnels, comme la devise à "jouer" (contre 66 % il y a trois mois), tandis que le dollar est à peine mieux perçu que le yen (respectivement 10 % et 7 %).

Dans cet environnement, le comportement des investisseurs a fait surgir des inquiétudes sur l'éternelle faiblesse des Etats-Unis : le déficit des comptes extérieurs, dont on craint qu'il ne puisse toujours être financé par les capitaux étrangers.

LE FACTEUR "SENTIMENT"

Après un effondrement des investissements directs en 2001, dû à la chute du nombre de fusions-acquisitions aux Etats-Unis, ce sont les achats d'actions et d'obligations qui ont très sensiblement ralentis. Autre facteur, plus psychologique cette fois, pesant sur le dollar, l'inversion du "sentiment de marché", un peu à l'image de ce qui comprimait l'euro depuis plus de trois ans. Régulièrement, toute nouvelle économique positive dans la zone euro semblait être ignorée par le marché des changes, qui ne valorisait pas pour cela la monnaie unique, tandis qu'une nouvelle équivalente sur les Etats-Unis était accentuée et accueillie par une hausse du dollar. Actuellement, les indications sur la conjoncture américaine, aussi bonnes soient-elles, ne parviennent pas à soutenir le billet vert. Celui-ci avait ainsi cédé 0,43 % le 26 avril, à l'annonce de la première estimation de la croissance au premier trimestre. Depuis quelques mois aussi, les opérateurs ont l'impression que les Etats-Unis sont moins convaincus de l'intérêt de continuer à mener une politique de dollar fort, au moment même où l'économie peine à reprendre ses marques. Non que Washington ait renoncé à dire qu'"un dollar fort est dans l'intérêt des Etats-Unis", mais les autorités sont moins prolixes. Autre signe que les professionnels ont interprété comme un abandon de cette politique : les mesures protectionnistes sur l'acier imposées par Washington. Car "si on augmente de 30 % les prix à l'importation, c'est comme si on infligeait une baisse du même pourcentage du dollar. C'est une variation de change déguisée, même si cela ne bénéficie qu'à un produit", explique un intervenant.

Alors que, en début d'année, les économistes, échaudés par le comportement de la monnaie unique qui leur avait souvent donné tort, avaient avancé des pronostics très prudents du cours de l'euro pour la fin de l'année (qu'ils annonçaient à moins de 0,90 dollar), ils ont ressorti des tiroirs leur scénario optimiste. Les experts d'UBS Warburg s'attendent à ce que l'euro touche la barre de 1 dollar avant la fin de l'année, pour se diriger avant la fin de 2003 vers 1,05 dollar avec un dollar à 115 yens. Ceux d'HSBC CCF affichent pour leur part un objectif de 0,93 dollar pour la fin juin et à 0,95 à fin septembre.

Cécile Prudhomme

Le déficit commercial américain atteint un niveau sans précédent


· LE MONDE | 21.06.02 | 12h39

New York de notre correspondant

La solidité des ménages américains, leur appétit intact pour la consommation, ont permis l'an dernier aux Etats-Unis de connaître une des récessions les plus douces de l'histoire et une reprise spectaculaire au début de l'année. Cette frénésie a un revers : le déficit commercial s'est établi au mois d'avril au niveau sans précédent de 35,9 milliards de dollars. Selon les chiffres rendus publics jeudi 20 juin, les importations ont augmenté deux fois plus vite que les exportations. Les achats d'automobiles étrangères par les Américains ont atteint un sommet à 16,8 milliards de dollars, tout comme les acquisitions de biens de consommation (24,9 milliards) et de produits alimentaires (4,1 milliards).

Plus préoccupant encore, le déficit des paiements courants a battu aussi un record au premier trimestre à 112,5 milliards de dollars. La balance des paiements courants prend en compte à la fois les échanges de biens et de services (l'équilibre commercial) et les flux financiers. Ce déficit ne peut être financé que par les capitaux étrangers à condition qu'ils trouvent suffisamment attractifs l'économie américaine et le dollar. Sinon, pour les attirer, il faudra augmenter la rémunération des capitaux, c'est-à-dire les taux d'intérêt, et compromettre la reprise et la consommation.

"Je ne vois qu'une issue pour sortir de ce piège du déficit commercial, inciter nos partenaires à relancer leurs économies, ce qu'ils ne font pas, et les pousser aussi à limiter les barrières douanières imposées aux exportations américaines", explique Ken Mayland, le président de ClearView Economics. "Il ne sera pas facile d'accroître nos exportations si les autres pays sont furieux après la décision de notre gouvernement de taxer les importations d'acier et de donner des milliards de dollars de subventions aux agriculteurs", estime Carl Tannenbaum, économiste en chef de la banque LaSalle.

L'économie américaine cumule les paradoxes. La reprise semble solide et se confirme jour après jour, mais l'importance des déficits et la santé précaire des entreprises et des marchés financiers inquiètent. La croissance a atteint 5,6 % en rythme annuel au premier trimestre. Jeudi, deux statistiques favorables ont été à nouveau publiées. Le nombre de nouvelles demandes d'assurance-chômage s'est réduit la semaine dernière de 2 000 à 393 000 et le baromètre de l'activité du Conference Board est en hausse. Son principal indicateur a augmenté de 0,4 %, à 112,2, après avoir baissé de 0,3 % en avril.

Cela est loin d'être suffisant pour rassurer Wall Street. La Bourse de New York a encore baissé jeudi 20 juin et touché son plus bas niveau de l'année, et le dollar ne cesse de perdre du terrain face à l'euro et au yen. Les marchés doutent de la capacité des entreprises à redresser leur rentabilité et à investir ; ils doutent également de la qualité et de la sincérité de leurs comptes depuis la succession de scandales qui a suivi la faillite d'Enron.

L'économie des Etats-Unis n'a pas surmonté un problème de fond : une crise de surinvestissement liée à la bulle autour de la nouvelle économie. Elle est à la fois plus fragile et en voie de "banalisation", selon les termes de Patrick Artus, le directeur des études de CDC-Ixis. Les moteurs des années 1990, l'investissement et les nouvelles technologies, ont été remplacés par la consommation, l'immobilier, les aides publiques aux secteurs en difficulté et les dépenses de l'Etat. Le déficit budgétaire devrait dépasser cette année 100 milliards de dollars en lieu et place de près de 300 milliards d'excédents.

Cet environnement plus protectionniste favorise la demande (la consommation) mais beaucoup moins les entreprises (l'offre) et les marchés. Il se traduit déjà par un affaiblissement continu du dollar. Si ce déclin prend de l'ampleur, il affectera l'appétit des étrangers pour les titres américains. Cela est d'autant plus dangereux que les investissements étrangers ont pris un poids considérable dans le financement de l'économie américaine et de ses déficits.

Les actifs américains détenus aujourd'hui par les non-résidents représentent 95 % du PIB (produit intérieur brut). "La part de l'économie américaine détenue par les étrangers ne cesse d'augmenter. L'histoire nous apprend que cela ne peut pas durer indéfiniment sans problème", expliquait l'an dernier au Congrès Alan Greenspan, le président de la Réserve fédérale.

Eric Leser


extraits de l'éditorial du quotidien financier de Lausanne ; "L'AGEFI"
Mardi 24 février 2004
Le dollar: ascenseur ou yo-yo à venir?

Par Alain Fabarez

"(...) le dollar a-t-il fini sa cure d'amaigrissement?

Tout serait simple à décrypter si l'on devait s'en tenir aux données macroéconomiques et aux contingences planétaires de rapports de force entre les régions. On en est loin! Mais dans ce cas, on devrait globalement pencher pour un affaiblissement de la devise américaine. Il ne faut pas se le cacher, l'Amérique est en faillite du fait de ses déficits extérieurs abyssaux, des déficits chroniques de ses citoyens, du peu de productivité de son économie et, bien sûr, de la politique financière exubérante d'Alan Greenspan (ndlr : le directeur de la Federal Reserve system des États-Unis). L'Amérique ne produit plus que très peu de richesses et, malgré une reprise perçue comme vigoureuse, le nombre d'emplois créé est minime et surtout de qualité médiocre.
(...)
Prenons un risque et traçons un pronostic. Si l'on peut attendre, à court terme, que le dollar puisse reprendre des couleurs, il est plus que probable que l'on aille vers une période de yo-yo avant un véritable affaissement de la devise américaine qui devra bien, un jour ou l'autre, payer les errements de l'administration et la vie à crédit, dispendieuse, de ses concitoyens."



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