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La vie extraordinairement ordinaire d'Elisabeth-Gertrude Larmagauche, infirmière (2)
Résumé de l'épisode précédent : Oui.
Épisode deux : l'enfance.
Élisabeth-Gertrude était vraiment un très beau bébé. Ses parents étaient très fiers. Et à juste titre ! Ses petites mains aux six longs doigts (trois à droite, deux à gauche), son bras droit fin et gracieux, son bras gauche petit et potelé, ses jambes de biche (pas aussi fines, mais aussi poilues), son oeil droit d'un bleu profond, son oeil gauche d'un rouge euhh... rouge, sa joue gauche recouverte d'une tache de vin représentant le centre ville de Juvisy avec les sens interdits et à l'heure de pointe, bref, elle était le ravissement de tout le personnel de la maternité de Juvisy sur Orge (Essonne).
Avec une bouche de plus à nourrir, la vie de Rosalie-Sabine et Léon-Olivier Larmagauche devint plus difficile. Léon-Olivier marchant allègrement sur les traces de son père, passait le plus clair de notaire, pardon, de son temps à l'estaminet « chez Germaine », où il était passé maître dans l'art du 421 et de la belote de comptoir. Rosalie-Sabine, quand à elle, refusant énergiquement d'exercer le dur métier de sa belle mère, passait ses journées à faire le ménage chez les riches. De plus, l'état général de l'ancien lupanar transformé en immeuble de (faible) rapport se dégradant inexorablement, les locataires s'y faisaient rares et de plus en plus indigents.
On ne mangeait pas de la viande tous les jours, chez les Larmagauche. Et Élisabeth-Gertrude, malgré un appétit féroce, devait parfois se contenter d'une ou deux rondelles de saucisson à l'ail, mais notre héroïne grandissait à vue d'oeil, dans cet immeuble d'apparence cossue, mais à la façade décrépie, au 42 Avenue Vincent Marchal (1) à Juvisy sur Orge (Essonne).
Certains locataires l'avaient prise en affection, et aujourd'hui encore, elle se souvient avec nostalgie de Lucien Lemestre, l'éternel râleur, et du gentil petit Louis-Ernest Koala, grand rêveur devant l'Eternel.
En 1961, la chance sourit enfin à Léon-Olivier. C'est
en effet le soir du 43 février de cette année que le père
de notre héroïne rentra de chez Germaine, un peu éméché,
certes, mais au volant d'une magnifique Renault Dauphine. Léon-Olivier
bredouilla qu'il l'avait gagnée a la belote de comptoir (2), puis
il s'écroula sur le canapé en cuir d'acrylique sauvage, ivre
mort (Léon-Olivier, pas le canapé. Prenez des notes, si vous
n'y arrivez pas !).
Tout le monde connaît la Renault dauphine. Celle-ci était
pourtant exceptionnelle. C'était une berline qu'un amateur éclairé
(non, pas Chapron, un autre) avait transformé en cabriolet à
grands coups de chalumeau oxy-acétylénique. Qu'elle avait
fière allure, cette automobile, avec sa couleur deux tons jaune
canari/oxyde de fer, son volant recouvert d'une magnifique moumoute, son
rétroviseur ou était accrochée une queue de tigre
du plus bel effet, et ses sièges recouverts de housses en imitation
peau de zèbre. Ah, ils n'étaient pas peu fiers, les Larmagauche,
quand ils partaient en week-end dans leur cabriolet ! Il est vrai qu'en
cas d'orage, ils faisaient moins les malins, l'ancien propriétaire
n'ayant pas prévu de capote.
L'immeuble familial des Larmagauche ne comportant pas de garage (bien
qu'à une époque, il était plein de garages à
bit... VLAN ! AÏEUUU !), le cabriolet tomba rapidement en ruines,
et en 1967, alors qu'Élisabeth-Gertrude atteignait sans encombres
l'âge de 15 ans, il n'en restait qu'une épave informe, que
les chiens et chats du quartier avaient transformée en toilettes
publiques (le cabriolet, pas Elisabeth !). C'est à cette époque
qu'Élisabeth-Gertrude, ayant brillamment raté son certificat
d'études primaires, entra comme fille de salle à l'hôpital
Marcel Petiot (3) de Juvisy sur Orge (Essonne).
(à suivre, si vous le voulez bien...)
(1) Et alors, si ça me fait plaisir ?
(2) Je tiens à la disposition des amateurs de bridge les règles
de la belote de comptoir.
(3) Note à l'attention des francophones non français,
et des Français incultes: Le docteur Marcel Petiot fut un grand
criminel français, guillotiné en 1946 pour avoir commis 24
assassinats. En France le nom du docteur Petiot résonne comme celui
de Jack l'éventreur en Angleterre, ou celui de G.W.Bush l'exécuteur
aux USA.