E-G.L. 7 FRH
Elisabeth-Gertrude Larmagauche : 8ème épisode
E-G.L. 9

La vie extraordinairement ordinaire d'Elisabeth-Gertrude Larmagauche, infirmière (8)

Résumé des épisodes précédents : Ben mon cochon ! Enfin, moi je trouve...

Chapitre 8 : la vengeance d'une brune, acte 2.

Depuis plusieurs semaines, Gédéon-Nestor Burnecreuse vivait une idylle passionnelle et affichée avec Olga-Gerda Monsaindou. Oh bien sur, le plan de vengeance d'Élisabeth-Gertrude prenait une direction que notre héroïne n'avait pas prévue. Pourtant, voir le détective s'afficher avec Olga-Gerda, entendre les invectives et les quolibets des gamins de la résidence au passage du couple, imaginer Gédéon-Nestor dormant à coté de ce tas de saindoux avarié procurait à Elisabeth-Gertrude un plaisir intense, une joie sadique qu'elle n'avait pas imaginés dans son plan de départ. Et dans un recoin de sa cervelle, germait un nouveau plan qui, s'il se déroulait sans accroc, porterait l'estocade au détective.

En attendant, les tourtereaux annonçaient leur mariage.

La cérémonie fut célébrée le 148 février 1975 en l'église Sainte Théodule-Albertine de Juvisy sur Orge (Essonne).

Comme ils n'avaient, ni l'un ni l'autre, aucune famille, ils décidèrent de convier tous leurs amis à leur mariage. Comme ils n'en avaient pas non plus, ils invitèrent les habitants de la résidence.
Tout le monde, Élisabeth-Gertrude en tête, répondit présent. Personne, en effet, ne voulait manquer un spectacle qui promettait d'être pittoresque.
Et pittoresque, il le fut, le mariage de Gédeon-Nestor Burnecreuse et d'Olga-Gerga Monsaindou.

*        *        *

 Curé de Sainte Théodule-Albertine depuis bientôt dix ans, le père Joachim-Christian Tabarnak en avait célébré, des mariages. De toutes sortes. Des riches, des pauvres, des jeunes, des vieux, des blancs, des noirs, rien ne lui faisait peur. De mauvaises langues racontaient qu'il avait même uni, en secret, des couples homosexuels. Ce qui, après tout, n'aurait rien de surprenant quant on connaît la tolérance dont l'ecclésiastique savait faire preuve.
Pourtant, ce samedi 148 février 1975, Joachim-Christian était inquiet. Le couple qu'il devait unir aujourd'hui lui faisait peur. Une peur sourde, irraisonnée, certes, mais qui l'empêchait de ressentir la joie qu'habituellement il éprouvait à marier ses semblables.
Ce n'était pas tant le détective qui l'inquiétait, malgré sa tête de poivrot et son air malsain, Gédéon-Nestor semblait inoffensif. Mais sa rombière lui flanquait une trouille bleue.
Debout devant la petite église, le curé était prêt. Il était presque 17 heures, et les premiers invités arrivaient. Une belle brochette d'ahuris, pensa-t-il oubliant toute charité chrétienne, ce qui n'était pourtant pas dans ses habitudes. Mais l'angoisse montait. Il redoutait le moment où il aurait cette montagne de graisse en face de lui.

C'est alors qu'il les vit arriver.

L'antique cabriolet 403 du détective, que l'on aurait dit sorti tout droit d'un épisode de Columbo (le cabriolet, pas le détective, hélas), était conduit par François-Norbert Maigrepine. Sur la banquette arrière, les deux tourtereaux, tout juste sortis de la mairie, étaient enlacés. Gédéon-Nestor portait un costume trois pièces à rayures, genre maquereau des années trente, avec des chaussures bicolores assorties.
La robe d'Olga-Gerda aurait pu être conçue par Fellini. Ou par Marc Dorcel.
C'était blanc, c'était transparent, c'était géant, c'était indécent, mais ce n'était pas élégant. Et encore moins polyvalent, mais qu'est-ce qu'on en aurait eu à foutre ?
Le décolleté plongeant ouvrait un point de vue vertigineux sur la titanesque poitrine de la jeune mariée. La partie opaque de la robe commençait juste au-dessus des tétons, descendait en moulant de près chacun des bourrelets, et s'arrêtait juste en-dessous du pubis. Tout le reste, et quel reste, n'était que voiles, en tulle très transparent, ne cachant rien de la peau jaunasse d'Olga-Gerda.
Elle descendit de la voiture en écartant les jambes, laissant voir au monde incrédule un tablier de sapeur qui n'aurait pas déparé le célèbre Yéti. Le père Joachim-Christian faillit en avaler son bréviaire. Il courut comme un damné se réfugier dans la sacristie, pour y attendre, en sécurité, que tout le monde soit en place.
Les jeunes mariés s'avancèrent, dans un silence de mort et dans l'allée principale de l'église. Les chanteurs de la chorale, subjugués, restaient coi devant le spectacle. Fier comme un pou, Gédéon-Nestor faisaient craquer ses chaussures neuves achetées d'occasion en 1935. La mariée avançait précautionneusement, soufflant comme un phoque, peinant sous le poids du tissu, pourtant léger, mais dont l'accumulation conférait à l'ensemble une masse non négligeable. Juché sur des talons aiguilles de 15 centimètres, l'édifice vacillait à chaque pas.
Le couple s'arrêta devant l'autel, alors que les invités s'installaient.

Tremblant de tous ses membres, le père Joachim-Christian sorti de la sacristie, et, la mine pâle(1), la voix hésitante, commença la cérémonie.
Tout se déroula sans problème jusqu'au moment de la question rituelle. Le curé s'avança alors vers les tourtereaux et, d'une voix faible presque geignarde, s'adressa à Gédéon-Nestor:
- Gédéon-Nestor, veux tu prendre pour ébouse Olga-Gerda ici présente ?"
Surpris par la voix du prêtre, le détective n'entendit pas le lapsus, ni les rires plus ou moins étouffés qui fusaient dans l'assistance.
- Oui", répondit-il d'une voix ferme.
Joachim-Christian se tourna alors vers Olga-Gerda. C'est à ce moment qu'il fut pris d'un vertige. Il se mit à imaginer qu'il tombait dans le décolleté de la mariée, et qu'il s'enfonçait inexorablement dans les bourrelets qui étouffaient ses appels au secours. D'énormes gouttes de sueur dégoulinaient sur son front qui du jaune pâle, passait au verdâtre.
Bouche bée, Olga-Gerda regardait le curé avec un étonnement proportionnel à sa propre taille.
Joachim-Christian fit alors un effort surhumain:
- Olga-Gerda, moulez-vous pendre pour époux Gédéon-Nestor ici présent ?"
- Groui" éructa-elle d'une vois de stentor qui résonna sous les voûtes de Sainte Théodule-Albertine
- Je vous déclare punis par les liens du mariage."
Puis, déclarant définitivement forfait, le curé s'évanouit.

Pendant quelques secondes, un silence morbide résonna (2) dans l'édifice, puis quelques rires fusèrent, se transformant rapidement en un fou rire général qui fit trembler les vitraux de la petite église.
Vexés jusqu'au trognon, Gédéon-Nestor et Olga-Gerda filèrent à l'anglaise sans demander leur reste. D'ailleurs, ils n'en avaient pas.
Et puis ils s'en foutaient, ils étaient mariés.

(à suivre si vous le voulez bien...)

(1) Le contrepet serait malvenu, s'agissant d'un curé.
(2) Bien sur qu'un silence peut résonner. Y'en a à qui ça ne plaît pas ?
 

© Vincent Marchal

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