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Vendredi o3/o9/2oo4

 

Sur le chemin de la poste, je passe devant l'école maternelle qui jouxte mon immeuble. Depuis quelques jours, c'est ça qui me réveille. Comme mon double vitrage doit dater de l'an 40 au moins, j'entends tous les matins les parents déposer leur gosse à côté. Et dans l'après-midi, j'entends la cour de récré qui s'agite à l'arrière. Parfois, à midi, lorsque j'ouvre les rideaux, on peut aussi voir des mères sur le trottoir d'en face essayant de trouver leur fils ou leur fille derrière les vitres et de les envoyer des baisers par delà la rue. C'est un truc à voir.
Sur le chemin de la poste, j'ai cet air dans la tête. Une chanson de Sheryl Crow dont j'ai oublié le nom. Ca dit quelque chose comme :
"Lie to me, I promess, I believe..."
C'est sur l'album Tuesday Night Music Club, je crois.
 
J'ai de la chance, il fait plutôt beau. J'ai beaucoup moins de chance, Greg est revenu de vacances et n'a pas oublié de me relancer. Il faut que je bosse avec son claviste, qu'il a dit. Il habite pas très loin de chez moi, qu'il a dit. Et est-ce que je suis libre samedi, qu'il a demandé. Pour la dernière question j'aurais répondu oui s'il avait été une fille. Mais bon, c'est loin d'être le cas. Il est aussi prévisible qu'un mauvais poème. Greg n'a pas besoin de moi. C'est juste son ego qui a besoin de moi. Greg a besoin d'une bonne masturbation. Et on n'a pas besoin d'être à plusieurs pour lustrer ses poils pubiens dans le bon sens.
Est-ce que Greg est un artiste? La dernière fois j'ai été un peu brusque avec Carine lorsqu'elle a dit qu'il ne se rendait pas compte, que c'était un artiste. Si Greg est un artiste, j'espère ne jamais en devenir un. Je ne pense pas que le fait de toucher ou de pratiquer un art fasse systématiquement un artiste de quelqu'un. Et ça ne lui donne pas non plus le droit de traiter ses connaissances comme des matières premières. J'ai pas trop le temps de m'expliquer là-dessus, mais prenons un exemple. Considérons que Sisley soit un artiste. Tout le monde est d'accord sur ce fait. Maintenant, prenons Mémé Orthensia qui peint Mistigri toute le journée, en aquarelle, à l'huile, à l'acrylique... Elle touche le même domaine que Sisley: la peinture. Et même si elle expose à l'amicale des artistes du 14ème, est-ce que cela fait d'elle une artiste? Je ne sais pas. Tous les peintres, tous les écrivains, tous les musiciens, chanteurs, ne sont pas des artistes. Je crois que j'ai trouvé. Greg, c'est juste le prolongement acharné du type qui jouait de la guitare pendant les pauses au lycée. Trop occupé à faire croire qu'il est sensible pour prendre du plaisir à ce qu'il fait. Personnellement, je pense qu'un artiste est avant tout quelqu'un qui fait passer le culte du vrai, de la vérité, de l'authentique avant le culte de la personnalité. On va me dire : "Et Warhol alors ? Hein ?". Oui, c'est vrai, Warhol a fait l'inverse. Mais j'aime pas ce que fait Andy. Au moins c'est clair. Ceci dit, je ne pense pas qu'il faille forcément être un "artiste" pour que votre travail soit reconnu et/ou respecté. C'est ça que certains ne comprennent pas.
Suffit-il de se déclarer artiste pour en être un, d'en être convaincu? Et surtout dans quelles circonstances. Prenons ce qu'a écrit H. Miller au début de Tropique du Cancer. Il dit :
"Je suis le plus heureux des hommes au monde. Il y a un an, six mois, je pensais que j'étais un artiste. Je n'y pense plus, je suis!..."
Et pourquoi dit-il cela ? Il continue :
"Tout ce qui est littérature s'est détaché de moi. Plus de livres à écrire, Dieu Merci! Et celui-ci alors ? Ce n'est pas un livre. C'est un libelle, c'est de la diffamation, de la calomnie. Ce n'est pas un livre au sens ordinaire du mot. Non! C'est une insulte démesurée, un crachat à la face de l'Art, un coup de pied dans le cul à Dieu, à l'Homme, au Destin, au Temps, à la Beauté, à l'Amour... à ce que vous voudrez. Je m'en vais chanter pour vous (...) je chanterai pendant que vous crèverez, je danserai sur votre ignoble cadavre..."
Greg est incapable de se détacher de ce qu'il fait, et non, ce n'est pas un artiste. Moi non plus, je n'en suis pas un, mais je fais pas chier mon monde. Du moins, j'évite de le faire. Voilà pourquoi j'ai choisi l'écriture, je crois. Au moins, c'est un travail solitaire, vous n'avez besoin de personne - matériellement parlant, j'entends - et vous montrez vos oeuvres à qui vous voulez...
Passons. Je ne suis pas libre samedi de toute façon.
 
Cette après-midi, je passe voir Alex aux Lilas. Il m'a dit : " faut que tu viennes voir le rétroprojecteur !" On va faire ça et peut-être que je resterai un peu plus tard pour voir le match de foot. C'est pas plus difficile que ça d'avoir des amis. Ce n'est pas nécessaire d'avoir les mêmes goûts ou les mêmes passions, je pense. Ca aide, mais ce n'est pas nécessaire. C'est se compliquer la vie que de chercher son double exact. Dans ce cas, il vaut mieux rester chez soi, se regarder dans un miroir et espérer qu'on évoluera un jour. Il n'y a que les papillons qui se développent dans un cocon. Mais regardez, la plupart d'entre eux ne vivent pas plus d'une journée. C'est triste... L'amitié, c'est peut-être ça le secret de l'immortalité.
Enfin, je colle mon timbre en sifflant du Sheryl Crow. La journée aurait pu commencer plus difficilement...

 

© lmer 2004



Dimanche o5/o9/2oo4

Récemment - je ne sais pas pourquoi ça me revient à l'esprit -, dans une librairie, je suis tombé sur la pièce de théâtre de Vincent Delerme (le vrai, pas celui qu'on a relâché dans Paris). Ca s'appelle : Le Fait d'Habiter Bagnolet. La chose est pas plus épaisse qu'une disserte d'étudiant. Il y a un narrateur, un type et une bonne femme. En gros, ça donne ça :
Le Narrateur :
Nous sommes à ..., les magasins sont sur le point de fermer leur porte, la circulation se fait plus dense, un homme et une femme vont entrer dans un restaurant.....
Elle :
Je crois que je vais commander des moules....
Lui:
Je crois que je vais prendre une salade.....
En gros, je dis. J'ai pas eu le temps de tout mémoriser. C'est censé être très introspectif, je pense, ni le type, ni la nénette ne s'adresse la parole directement. Et le narrateur à la longue ressemble plus à un voyeur qu'à autre chose. Cette pièce se joue, ou a été jouée, à Paris ces derniers mois. Je ne sais pas quoi choisir entre TF1 et ça. Franchement. Voilà le dilemme aujourd'hui : j'ai le choix entre passer pour un gros beauf en prenant tout à la légère en me cachant derrière le fait que la télé-réalité c'est distrayant, ou soit passer pour un chieur d'intello en allant voir des trucs totalement insipides et que beaucoup se sentent obligés d'applaudir, parce que, ne l'oublions pas, c'est de "l'art"!
Oh attention! Ne dites jamais que vous lisez Camus et que vous adorez les dessins animés japonais. On ne vous comprendrez pas. On va vous regarder avec de gros yeux et vous pouvez être sûr que ceux qui vous écoutent ne se contenteront de ne retenir qu'un seul aspect de votre personnalité. Une semaine plus tard, certains croiront que vous n'avez pas d'autres sujets de conversation que Candy, Goldorak etc.... et d'autres essaieront de vous lancer sur un commentaire composé du Mythe de Sisyphe. N'avouez pas non plus que vous connaissez la composition de l'équipe de France pour le prochain match après avoir eu une discussion passionnée sur les films de Cronenberg. Aussi, les blagues à toto, l'autodérision, ça se vent très mal en soirée aujourd'hui. Mais des trucs comme Jackass ! Ca c'est tordant ! Ca c'est du génie ! Le genre de conneries qu'on faisait quand on était au collège pour voir lequel réussira à avoir le plus beau plâtre pour que les nénettes de la 4ème C marquent leurs coordonnées sur votre avant-bras. On vous dira autour d'un verre : "Oh, José ! Ta blague elle est nulle !". Vous pouvez être sûr que la buse qui vous a sorti ça va allumer MTV en rentrant chez elle. Merde, mais c'est que je suis mauvais, là !
Pour en revenir à V.D - voilà ce qui me préoccupait - je trouve que son titre sonne exactement comme : "L'Avantage qu'on a à Porter des Slips". Et quand vous lisez, vous avez la même sensation. Vous avez envie de passer un doigt songeur sous l'élastique, de tirer un peu vers l'extérieur et faire "SHLACK !". Ca marche tout aussi bien avec un caleçon ou une bretelle de soutien-gorge. Mais le titre en pâtit du coup...
 
Je n'ai aucun respect pour rien en ce moment. Il est 14h3o et je viens de passer une dizaine d'annonces en revue. Je songe à aller bosser quelque part où il ferait bon travailler, mais ça mon grand, ça n'existe pas. Je songe à un endroit où il ferait bon vivre, mais pour ça mon grand, faut bosser quelque part. Bosser toute une vie, bosser quarante ans pour une retraire d'une dizaine d'années. Un peu plus pour les chanceux. Et ceux qui ont encore plus de chance éprouvent l'enfer sur Terre. Je voudrais pas finir comme Jeanne Calmant. Aveugle, sourd et incapable de tenir debout. A peu de chose près, c'est là un des sept enfers qui existent dans le bouddhisme. Errer sans fin en se cognant contre les murs...
 
... Je me souviens d'une fois où j'étais à Caen. Les alentours du canal étaient déserts, le marché avait levé les voiles, et sur le sol, sous les feuilles de laitues et les tomates écrasées, l'odeur de poisson, il y avait écrit en grosses lettres jaunes : NO PARKING ON SUNDAY.
... On ne peut pas réellement changer ce qu'on est. Parce qu'on est bien plus souvent quelque chose que quelqu'un. Ce qui nous entoure a trop d'influence sur nous, mais tout ce qui nous entoure est statique comme un poisson mort sur un parking.
... Pas moyen de se garer quelque part aujourd'hui. Trop de parkings vides, trop d'automobilistes sans véhicule, et trop de véhicules sans conducteurs dans des rails de sécurité. Pas moyen de se garer aujourd'hui...

 

© lmer 2004

 

 

Lundi o6/o9/2oo4

 

Je sors de chez moi. J'ai mal choisi mon heure. Voilà que je tombe sur la sortie des étudiants de l'école d'art à côté. Y a un couple devant moi :
- Je vais voir s'ils ont des X-acto (ça se prononce Exacto), elle dit.
- C'est quoi un "egzacto"? il demande. Ah, c'est un scalpel !
En effet, un X-acto, c'est une sorte de scalpel. C'est une lame biseautée au bout d'un manche en acier. Et ça coupe comme pas permis. On peut faire un tas de trucs avec un x-acto, comme se couper la peau sous les doigts pour faire disparaître ses empreintes digitales. Je ne sais plus dans quel film j'ai vu faire ça. Quoi qu'il en soit, pour un étudiant en art, ça craint un peu de ne pas savoir ce que c'est.
 
Aujourd'hui, c'est le grand jour des courses. Je ne fais jamais de liste. D'une part ça m'énerve et d'autre part on ne peut pas dire que j'ai un régime alimentaire très varié. Ce n'est pas que j'ai la flemme de faire à manger ou que je ne sais pas faire la cuisine, mais vivez seul plus d'un mois et vous verrez si l'envie vous prend de faire un boeuf bourguignon uniquement pour votre poire. Et puis, comme d'habitude, je marche à l'envie. L'avantage de ne pas faire de liste aussi et de pouvoir prêter plus d'attention à ce qu'il y a entre les rayons...
J'aime voyager quand je fais mes courses. Mes olives sont grecques, mon beurre est breton, le lait vient sûrement de la Normandie, le pain de mie est british - mais so british, y a l'Union Jack dessus! -, mes pâtes sont italiennes si on se fie à ce qui est écrit sur la boîte, le riz vient de quelque part en orient et j'aurais pu prendre des fruits tout aussi exotiques, mais les fruits, c'est pas trop mon truc...
Je me perds dans les rayons. La radio du Maloprix passe du titre "On Ira" de Goldman, à "My Baby don't Care" de Nina Simone. Entre les deux, il y a les conseils de Mademoiselle Agnès au sujet du Vintage. A un certain moment dans l'espace-temps, je me retrouve au rayon bouffe pour animaux avec une boîte de Friskies dans les mains. Je fais demi-tour. Je cherche les saucissons parce que vu mon état, je dois sûrement être en manque de protéine. Il parait qu'une seule petite rondelle de saucisson est plus calorifique qu'une tranche de jambon. C'est bon, c'est ce qu'il me faut. Il me faut aussi de la glace à la fraise avec des morceaux dedans. Et la vie pourra continuer son cours.
A la caisse, on m'annonce un total de 20€ et 20 cents tout rond. Oh, si prêt du but ! Rageant...
Je me dépatouille comme je peux avec ces sachets qui finiront par voler comme des foulards de soie au-dessus d'une décharge ou brûlés dans un incinérateur. Je m'arrête un instant avec ceci au fond de l'occiput : "on s'arrêtera pas dans les ports... nanana... ensuite on perdra tous les nooords !" Merde Jean-Jacques, c'est bon, sors de ma tête !
Mais il ne me lâche pas. Je rentre chez moi en essayant de penser à autre chose. En ce moment, j'ai la tête comme une éponge et le moindre petit air qui s'y infiltre prend deux jours à en sortir. Ou moisit complètement à l'intérieur.
Dehors, il fait chaud, les gens sont encore bronzés. Il y a quelques couples sur les pelouses qui somnolent un peu, des gosses qui jouent au ballon, des lycéennes avec des culs pas trop ravagés par les bancs de l'école. Je me traîne comme je peux jusqu'à chez moi. Tout est beau et inoffensif comme un numéro double d'Ok Podium.
Je passe devant le restaurant italien en bas de chez moi. Derrière la vitre, trois types en costume ont sorti des feuilles pleines de chiffres et de colonnes en attendant le café. Ils se retournent simultanément vers moi et mes deux sachets Maloprix. Je me rapproche un peu de la vitre, et je leur fais ma plus belle grimace...

© lmer 2004

 
Mardi o7/o9/2oo4

 

Brasserie j' me traîne
vide comme un soleil
l'existence sur ses
lèvres brisées
te rompt
à toute une expérience
ascétique au loin
étoiles et phosphènes
l'existence ainsi que
ses lèvres dorées
meurent lentement
à l'ahan premier
du dernier sybarite.

© lmer 2004

 

Mercredi o8/o9/2oo4

 

Chose marrante dans les bus : tout le monde attend toujours le dernier moment pour signaler son arrêt au chauffeur. Il y en a même qui regarde autour d’eux pour voir si personne ne va presser le bouton qui fait rougir le petit insigne lumineux "arrêt demandé". Et à dix mètres d’un abri bus, le moins paresseux de tous se lève, appuie et se rassoit immédiatement car le chauffeur se met à piler comme un dingue. Ce dernier étouffe un juron dans sa moustache et actionne nerveusement le mécanisme déclenchant l’ouverture des portes. Phénomène incroyable de la multiplication des feignasses manchotes, la moitié du bus saute sur le trottoir et se dirige vers leur turbin comme si de rien n’était...
.........
 
Je crois que j'ai un passage à vide, à moins que ce soit le journal. J'ai un million de choses à reprocher à un million de personnes. Putain, qu'on m'achève, ce sera plus rapide...
 
Ah oui, j'oubliais, tant qu'à faire, j'emmerde les types en costume, les types avec du gel dans les cheveux, la musique moderne, le rap, la pop et le rock, tout ce que ce beau monde souhaite derrière leur petites contestations c'est de finir leur carrière habillés par Gucci, l'influence du porno-chic dans notre société, les écrivains qu'on dit qu'ils sont dans la veine de Houellebecq - merde ! pas bien compliqué ! Prenez un peu de Spengler, de Nietzsche, une bonne dose de cul et vous êtes un écrivain "houellebecquien"  ! -, le rédacteur en chef du magazine Lire, les types qui parlent de leur maison secondaire, les types qui ont tout vu et que plus rien ne surprend, les chaînes du câble, la nécessité économique, les faux idéalistes, les magazines économiques, l'officiel du spectacle, le rayon sciences humaines et philosophie des librairies, la rentrée littéraire, les types qui crèvent d'envie d'avoir le Goncourt et qui crache dessus l'année d'après, les types trop bien habillés chemise non froissée que l'on voit dans les pubs, les types qui courent le 100 mètres en moins de 10, les chanteuses de 13 ans, les acteurs de ciné, les acteurs de théâtre, les comédies musicales, les adaptations en tout genre, nos adaptations en tout genre, notre adaptation à la vie.
Merde.
Merde, qui l'ignore encore? La vie est une bête immonde, une chienne puant la bave et l'herbe haute, qui se roule par terre, se roule, se roule, se roule... Et on vit tous dans la panse bileuse de cette bête immonde, la gueule pleine d'asticots. Il n'y a jamais eu de contestataires, de révolutionnaires. Juste des poils qui poussent de travers dans le cuir de la bête immonde, immonde et horrible comme une mauvaise baise à l'arrière d'une voiture. Et que fait-elle, la bête? Elle se gratte. Rien de plus. Qui l'ignorait encore?...
 
... S'il faut vivre seul ? Hé bien, ce sera pas la première fois...
Qu'on m'achève, ce sera plus rapide...

 

© lmer 2004

Jeudi o9/o9/2oo4

 

en hiver je marche sur le plafond
mes yeux gros comme des réverbères
j'ai quatre pattes comme une souris mais
je lave moi-même mon linge - pas rasé et la
gueule de bois et un braquemart et pas
d'avocat. je ressemble à une serpillière.
je chante des chansons d'amour
et ça pèse une tonne.
 
plutôt mourir que pleurer. je ne peux pas
supporter la meute humaine mais en même
temps je ne peux pas vivre sans.
j'appuie ma tête contre le frigo
blanc et j'essaie de pousser un cri comme si
ça allait être le dernier mais en fait
je vivrai plus longtemps que les montagnes.
 
Charles Bukowski

 

© lmer 2004

 

 

Vendredi 1o/o9/2oo4

 

Je sais maintenant qu'il est possible de gagner trois fois de suite au Solitaire, en mode Vegas et en tirant trois cartes. Si c'est possible, et j'ai même dépassé les 5oo$. C'est comme pour tout, faut pas trop penser à ce qu'on fait.
 
Il y a quelque chose qui me traverse l'esprit. Je pense à Victor Hugo qui disait : "je serai le nouveau Chateaubriand, sinon rien". C'était quelque chose. Quand je pense à ce à quoi s'identifient certains types qui passent à la télé aujourd'hui, ça me fait peur.
 
Demain, ce sera les trois ans du 11/o9. Ca fait bizarre, le monde n'a pas explosé entre temps. J'écoute Le Cygne de Saint-Saëns joué par un violoncelliste japonais et je me surprends à croire comme tout le monde qu'on peut survivre à tout ça. On y pense rarement, mais dès la première minute où on arrive sur Terre, on commence à vieillir, dès la première minute, on commence à mourir. C'est une chute. Et certains atterrissent moins brutalement que d'autres.
 
Je pense à Sara qui a dit qu'elle rappellerait le 15. Mais Sara ne rappellera pas le 15 parce qu'elle doit partir vivre à Lille en Octobre et on sait tous comment ce genre d'histoire finit. Je ne sais plus où j'ai mis son numéro de téléphone et chose étrange, ça ne me travaille pas plus que ça.
 
J'ai songé un instant à partir loin, j'étais là, marchant la tête basse dans le rue de la Glacière avec mon manuscrit refusé sous le bras. Et je me trouvais pitoyable. Je me suis acheté un sandwich et je me suis rendu compte que j'avais juste un peu faim et que j'étais un peu fatigué. Pas de quoi acheter un billet.
 
Je pense à tout ce qu'il m'arrive et... il ne m'est encore rien arrivé...

 

© lmer 2004

Lundi 13/o9/2oo4

 

On sort du cinéma, E. et moi, et le monde dehors n'a pas vraiment de sens.
C'était hier, à Bastille.
Salvador Allende s'est tiré une balle dans le crâne le 11/o9/73. Quelques heures avant, il avait chargé Pinochet des relations entre l'armée et les ouvriers, pensant éviter le coup d'Etat. Et puis, boum, l'armée et les ricains ont mis à sac sa maison et lâché une bombe sur sa tête. C'était dans le film.
E. aime ce genre de sujet. Il veut que je le rejoigne dans une association comme ATTAC, parce que tout part de travers, on va perdre notre sécu, nos artistes et nos vieux. E. voyage souvent, conchie la mondialisation et le pouvoir. Il me dit :
" Tu te rends compte ! Voilà un système qui aurait pu marcher, sans asservissement, sans propagande, sans pression... Les ricains ont organisé cela, non pas parce que quelqu'un avait raison ou tort, non, même pas ! Ils l'ont fait juste parce qu' Allende avait des idées différentes des leurs, qu'ils pensaient différemment. Et ils n'ont réussi qu'à plonger le Chili dans la dictature, les ricains, ceux qui soit disant défendent la démocratie..."
Question politique, je ne me suis jamais demandé de quelle couleur j'étais. Je ne suis pas anarchiste, ni quoi que ce soit. La politique ne m'a jamais semblé être une solution. Je ne me suis inscrit que récemment pour pouvoir voter en 2oo5. Mais je ne sais même pas pour qui je pourrai bien voter. On me l'a souvent reproché : "Oh, des milliers de personnes tueraient pour avoir ton droit de vote !... Ne laisse personne décider pour toi !... T'es pas un bon citoyen !... T'es qu'un enfant pourri de la démocratie !... etc..."
Vous voulez vraiment savoir ce que je pense? Quand on me rabat les oreilles avec ce genre d'argument, je me convaincs chaque fois un peu plus que le vote, dans cette optique, est un acte purement égoïste. La plupart des personnes qui m'ont dit cela sont plus ou  moins proches. Du moins, je partage certaines de leurs opinions. Peut-être, conscients de cela,  s'attendent-ils que je vais voter dans le même sens qu'eux, et c'est pour cela qu'ils me poussent de la sorte? Regardons les dernières élections présidentielles où l'extrême droite est arrivée au second tour. On a toujours cru que la jeunesse était idéaliste, clairvoyante, porteuse d'espoir... Et bien, peut-être que ça va contrarier certaines personnes, mais il est plus qu'évident qu'une partie de notre jeunesse ait voté Le Pen, au premier comme au second tour, que le vote ait été de sanction ou pas. Je suis persuadé qu'un bon nombre incite les jeunes à aller voter dans l'espoir qu'ils soient de leur côté. Ca a toujours été comme ça. C'est pour ça que je dis que le vote est égoïste. Je suis assez pessimiste, je l'avoue, la politique, c'est une soirée d'espoir et toute une existence d'expectative. Je ne critique pas le système, je pense juste qu'aucun Homme n'a les épaules assez larges pour porter et unir à lui seul tout un peuple et ses espoirs. Personne, pas même Dieu. Ceux qui ont réussi à y parvenir dans le passé ont utilisé la force et n'ont pas duré longtemps. On a tout simplement choisi une voie qui ne le permet pas.
Ce qui pousse nos sociétés occidentales à toujours aller de l'avant, c'est le fait de croire que la récession est une crise (d'ailleurs même le Robert se trompe dans sa définition) et que la stagnation est dysgénique. En gros, c'est marche ou crève. Si on suit pas la cadence, on vous laisse sur le bord de la route. Et ça avance, et il y a de plus en plus de laissés pour compte, et on avance tellement vite que personne n'a le temps de trouver une solution, appeler une ambulance, ou tirer sur le frein de sécurité. Je pense à deux choses.
Je pense à ces sociétés recluses dont on dit qu'elles ont "refusé l'Histoire". C'est ainsi qu'on décrit ce phénomène en sociologie, je crois. Prenez ces tribus dans les déserts ou les steppes, les forêts, qui n'ont pas bougés depuis des siècles. Tout est en place. Rien ne dégage un besoin de métamorphose quelconque. Ces tribus vivront heureuses jusqu'à la fin des temps, non pas parce qu'elles n'ont besoin de rien de notre point de vue, non pas parce qu'elles ne sont pas conscientes du monde dans lequel elles vivent, mais tout simplement parce qu'elles ont trouvé un état où elles sont simultanément en accord avec elles-mêmes et le reste de la nature. Les individus de ces sociétés sont les premiers à avoir compris que l'herbe n'était pas forcément plus verte ailleurs. Ils n'ont plus rien à chercher. Ils sont posés sur le bord de la route et nous regardent courir vers notre propre mort. Les individus qui ont constitué notre société, eux, ont fuit les incommodités du désert, l'humidité des steppes et l'obscurité des forêts. Ils ont rencontré leurs semblables et ont confronté leurs idées. Mais ils étaient tellement préoccupés par leur cul qu'ils se sont fait la guerre, se sont séparés et ont créé des frontières. Maintenant que l'espèce humaine ne peut plus se déplacer librement sur la surface du globe - mais une multinationale peut venir s'installer librement à 5 Km de chez vous -, elle est obligée de construire en hauteur, courir toujours vers l'avant, toujours à la recherche d'un endroit plus clément où l'on pourra vivre, toujours à la recherche d'un paradis, tant pis si les trois-quarts de la masse tombent de l'échelle.
Je pense aussi au fait qu'il ne peut exister de model dominant éternel. Tout simplement parce que tous ces models sont établis par les Hommes et, non seulement, comme tout le monde le sait, ces derniers ne sont par immortels. De plus, tous sont différents et il n'y a pas deux qui aspirent exactement à la même chose. Et c'est ça qui court-circuite tout : croire bêtement que ce que l'on souhaite est ce que tout le monde ou une majorité désire.
Toute société doit s'arrêter un jour. Toute société s'arrêtera un jour qu'elle le veuille ou non. Attention, je ne suis pas en train de prédire la fin du monde. La fin du monde nous est déjà tous tombée dessus : le jour où on nous a frappé sur les fesses et qu'on a vidé nos poumons pour la première fois. A mon avis, nous sommes arrivés aux derniers barreaux de l'échelle. Et le plus dur sera d'y rester, là-haut. Le truc, c'est que si on continue de croire qu'on peut toujours aller plus haut, on va tous s'écraser un milliard de kilomètres plus bas. Le plus dur, c'est de rester là haut. Pour prendre un exemple moins sérieux, mais tout aussi instructif, c'est ce que j'avais dit à mes anciens collègues avant la Coupe du Monde 2oo2. On m'avait presque reproché de ne pas être chauvin - peut-être même patriote ? - lorsque j'avais affirmé que notre belle équipe de foot ne passerait jamais le premier tour. Je leur avais dit :
" C'est rare qu'une équipe reste au sommet très longtemps. Pas impossible, mais rare. Quand on arrive au sommet, on a deux choix : soit on arrive à planter sa tente correctement contre tous les vents qui vous soufflent dessus, soit on redescend parce que ce n'est plus une place pour nous..."
Ils ne pouvaient tout simplement pas le concevoir. Mais on sait tous ce qui s'est passé. Après, on pourra toujours me dire qu'il manquait tel ou tel joueur, mais jusqu'à maintenant, aucun messie, aucun prophète de quelque religion ou croyance que ce soit, n'a jamais réussi à nous sauver plus d'une mi-temps.
Tout model, tout concept dominant est voué à disparaître. Même Dieu disparaîtra un jour. Le tout est de savoir si on aura encore la force d'en créer un autre ou de tirer des leçons de tout cela. Parce que l'on peut vivre sans model ni concept. Il faut juste arrêter de se tourner et se retourner devant notre miroir à la recherche du grain de beauté qu'on peut bien avoir sur les fesses alors que les piliers de la maison qui nous abrite sont bourrés de métastases.
Voilà pourquoi le vote ne m'a jamais réellement attiré. C'est aussi dû à cette journée où j'ai vu dans l'amphi d'une fac une bonne centaine de jeunes étudiants qui étaient convaincus que leur parti avait raison. Et ces étudiants criaient, applaudissaient alors qu'ils avaient peut-être mieux à faire, comme aller voir leur grand-mère qui allait sûrement disparaître dans une canicule six ans après, aider leur voisin, ou je ne sais quoi d'autre. Je venais d'avoir mon bac. Les types que je regardais n'étaient pas énormément plus âgés que moi. On avait tous le droit de voter. J'étais à la porte. Je regardais les bras se lever unanimement. Il y avait un type à lunette qui s'acharnait derrière son pupitre. Des banderoles partout. Je ne savais pas si c'était la guerre, la révolte ou la haine qu'on sentait dans l'air. Mais tout ça a le même goût. Là, dans l'amphi, assis sur leur strapontin étroit, c'était les mêmes qui détestaient les mouvements de masse, qui détestaient la pensée unique et le totalitarisme, sous toutes ses formes. C'était les mêmes qui souhaitaient ne pas commettre les erreurs du passé. Les mêmes qui pensaient que la liberté était pour eux, mais qui acceptaient volontiers qu'une tierce personne s'en empare au nom de tous. Les mêmes qui croyaient marcher sur la même route, mais qui souhaitaient individuellement arriver les premiers...

 

© lmer 2004

 

 

Jeudi 23/o9/2oo4

J'ai le talon de ma chaussure qui est en train de se faire la malle. Ce qui est normal. Ca fait plus de deux ans que je me les traîne, ces chaussures, j'ai marché pratiquement tous le jours avec, et je suis peut-être un type qui prend soin de ses affaires, j'use mes chaussures comme tout le monde. Là je joue avec le bout de plastique qui commence à se décoller, assis sur un tabouret. A ma gauche, y a Christophe, 30 ans, encore bronzé, piercing dans l'arcade. Christophe vient du Jura, se dit créatif, a donné dans la sculpture sur bois et la rénovation de tableau et d'oeuvres d'art. Il consacre un peu de son temps à la peinture mais il a du mal à expliquer le style qui le caractérise. A ma droite, Marianne, peut-être mon âge, typée oriento-asiatique, qui a fait Histoire de l'art et qui a perdu patience ou courage avec la peinture. Au milieu, moi, j'ai fait quelques jobs, mais je ne dis rien. On est perché sur les tabourets de la salle de repos, côté fumeur. Je fume pas, mais il faut bien que je communique avec mes nouveaux collègues.
Premier jour de boulot. Ai failli oublier mon sac dans un resto à midi. Ce matin, je me suis levé très tôt : la nuit, les pubs lumineuses, des types poilus qui préparent leurs étalages pour le marché. Et puis je suis arrivé sur les Champs. La poisse ! On m'a collé aux rayons "variétés françaises" - pour une raison obscure - et "rap/soul/funk" - certainement parce que mon CV indiquait que j'avais été pigiste pour des magazines spécialisés trois, quatre ans auparavant. J'ai une petite veste bleue avec un badge où figure mon nom dessus. La classe ! C'est une taille unique. Mon responsable m'a un peu fait flipper lorsqu'il a dit ça et que sur les filles, ça fait comme des chemises de nuit. Et comme je ne suis pas bien épais... Enfin, coup de bol, au final, ça tombait bien. Le truc c'est qu'il faut pas trop la saloper, cette veste, je pense, parce que si vous avez la possibilité de la donner à laver, vous n'êtes pas sûrs d'en retrouver une propre pour vous le lendemain.
La journée passe plutôt vite. Ai un peu parlé avec une petite brune d'origine polonaise. Agnieska, je crois qu'elle s'appelle. Elle s'occupe du rayon Musique du Monde, et elle aurait aimé tomber sur mes rayons à moi. Chacun sa croix.
Le magasin est en chantier......
 
Quand je pense qu'au début de la semaine, j'étais encore loin de tout ça. La semaine dernière j'étais à Lion-Sur-Mer avec Seb et Fred, à regarder le ciel, allongés sur la plage à discuter sur la marée et à se dire qu'on était la nouvelle élite. Fred a voulu m'enterrer vivant en me jetant du sable dessus et on a improvisé quelques parties de luttes sur la plage. Puis il a creusé des tranchées dans le sable avec son pied. Seb a dit : "oh non, le crétin, il va tout de même pas le faire !". Fred a dit à sont tour : "je vais le faire assez grand pour qu'on le voit du ciel !". Il s'est éloigné d'une dizaine de mètres. Et il avait écrit : "j'aime". Pas "je t'aime", non : "j'aime". "J'aime" quoi ?...
Heureusement qu'il faisait beau. On a traîné dans des restos, puis on a repris le bus vers Caen et c'était à peu près tout.
De retour sur Paris le lundi, j'ai appelé Annah qui était en vacances. On est allé à ce restaurant qui donne dans la cuisine du sud-ouest, juste à côté du square Saint-Lambert. Si les gens savaient qu'on se voit autant, sûr qu'ils se feraient des idées. Comme lorsqu'on était encore collègues et qu'on allait bouffer seuls le midi. Même le directeur s'était mis à plisser des yeux en nous voyant. Le truc c'est qu'il n'y a jamais rien eu. Les gens et les raccourcis...
Annah avait encore une dominante rose dans ses vêtements. Elle était partie récemment aux Etats-Unis. Elle a quelques problèmes de sous et quelques problèmes de coeur. Comme tout le monde. On parle un peu de tout. C'est assez simple avec Annah. Si les gens savaient de quoi on parle, sûr qu'ils arrêteraient de se faire des idées.
Justement, elle a parlé de ce qu'elle écoutait en ce moment : quelques titres de variété calibrés pour la radio. Autant être franc, tout de suite : je ne partage pas ses goûts. La discussion est tombée sur cette fillette américaine de 13 ans qui poussent la chansonnette en ce moment. Elle dit :
"C'est dingue, elle a des seins et tout, elle fait plus que son âge !"
Ca me rappelle une histoire que je m'empresse de lui raconter. Lorsque j'étais en quatrième, il y avait cette fille, Fabienne, dans ma classe qui n'arrêtait pas de râler parce qu'elle était la seule à ne pas encore avoir eu ses règles. Du moins dans ses connaissances. Et tous les jours elle me rabattait les oreilles :
"Merde, je pensais que c'était pour hier soir ! Ben non ! Pourtant, j'avais senti comme quelque chose..."
Ca a duré un trimestre. Et puis quand c'est arrivé pour Fabienne, eh bien, on aurait dit qu'elle regrettait presque finalement. Ca a bien fait rire Annah. Voilà le genre de conneries que je raconte. J'ai regardé le rouge à lèvre d'Annah tacher la serviette à plusieurs endroits et c'était à peu près tout.
Ai eu Sara aussi au téléphone qui était encore bloquée à Grenoble et qui est censée revenir sur Paris aujourd'hui. Je viens de l'apprendre : Sara a 19 ans. Bientôt 20 en fait. Bizarrement, ça l'a pas énormément surprise d'apprendre que j'en avais bien cinq de plus. C'est con, voilà une fille qui a vraiment le sens de l'humour, une fille ordinaire avec des yeux verts et voilà encore une fille avec qui ça ne marchera jamais. Eh oui vieux ! Qui voudrait d'un type qui marche avec les oeuvres de Walt Whitman dans son sac. Les autres, ils lisent des romans policiers, de la science fiction, de l'heroic fantasy... Toi il faut que tu te trimballes avec de la poésie ou des romans japonais. Oh, c'est étrange ça : à chaque fois que tu trouves un job, il faut que tu te remettes à la littérature japonaise ! Je tourne une page, et c'est à peu près tout...
En sortant de chez moi ce matin, je ne pensais à pratiquement rien de cela. Je me contentais d'avancer, tout simplement. J'avais le talon qui criait sur le bitume. Et c'était loin d'être le meilleur retour à la vie que j'eusse jamais connu. C'était à peu près tout, sauf ça...

 

© lmer 2004

 

 

Vendredi 24/o9/2oo4

 

Alors, voilà, les gens sont comme ça avec moi, j'ai tellement l'air inoffensif qu'ils ne peuvent pas s'empêcher de me raconter leur vie. Là il y a la fille qui s'occupe du rayon musique classique devant moi. Elle porte une chaîne argentée à laquelle est accrochée la lettre "V". C'est tout ce que je sais de son identité. Elle bosse ici depuis plus d'un an. Ca use, qu'elle dit. Faire les nocturnes, les horaires décalées et tout. Elle dit qu'à force elle est devenue insomniaque. Elle dit qu'il faut pas rester ici, comme si on se trouvait dans un film d'horreur pour ados et qu'on finirait tous par passer dans un hachoir à carottes. Elle est contente de finir plus tôt, aujourd'hui, parce qu'elle pourra faire les magasins, voir un peu la lumière du jour. Une de ses copines va venir la chercher à la sortie pour qu'elles aillent faire les connes. Et puis, demain, elle fera le ménage. C'est mon deuxième jour. Je me demande comment elle a pu avoir le courage de m'adresser la parole alors que j'étais plongé dans la lecture de l'Equipe.
Elle se tire.
Je prends ma petite fiche et descends au sous-sol, au stock. Dans l'ascenseur, je siffle "Sur le Fil" de Keren Ann. Au stock, une demi douzaine de types font leur job alors que quelque part dans Paris une personne meurt seule dans son appartement. Et ce n'est pas de leur faute, c'est juste la vie qui veut ça et personne ne peut réellement en vouloir à la vie. Je reprends l'ascenseur avec un coffret de Pascal Obispo sous le bras. Je commence à connaître le rayon variété française presque par coeur.
 
Un peu plus tôt, alors que je n'avais pas grand chose à faire, je traînais du côté des bandes originales de films. Deux jeunes personnes sont entrées dans le rayon, heureuses et riant aux éclats. Je faisais pas attention à elles, je les ai vaguement entendues dire qu'elles cherchaient quelque chose. Forcément. Elles n'étaient pas venues pour prendre un thé devant les promos. Une d'elles s'est approchée de moi :
"Euh, excusez moi !"
"Oui ?"
Elle marqua une pause en hochant la tête légèrement, analysant ma petite veste bleue. Elle parut étonnée. De quoi ?
"Oh, excusez moi, vous bossez ici ?"
"Oui"
"J..."
"Oui, mais c'est pas mon rayon. Peux pas vous renseigner"
Je l'ai dirigée vers un vendeur.
C'est dingue, on a trop l'habitude de mettre des gens dans des cases. Si je n'ai même pas la tête d'un vendeur de la f..., quelle tête je peux bien avoir? Parfois, j'ai l'impression que toutes les personnes qui m'entourent et vivent sur la même planète que moi ne sont que des couleurs primaires et que je suis le concept même de la synthèse soustractive des couleurs.
 
Mes deux responsables sont des personnages intéressants. L'un a la dégaine d'un joueur de rugby de petit gabarit (me demandez pas quel type de joueur, les postes, je ne connais rien au rugby, mais je sais bien les reconnaître), et l'autre a des faux airs de Jean-Marc Barre, mais un Jean-Marc sous hormones de croissance. Le genre de types à tomber les filles comme on tombe des quilles au bowling et lorsqu'à la fin, la feuille de score indique un nombre à trois chiffres. Au moins un strike par semaine. Le joueur de rugby (si c'en est un), c'est Romain, et l'autre, c'est S.. Romain semble désespéré parce que toutes les filles du service partent pour un autre magasin, et il ne lui reste que des mâles sur les bras. Sébastien envisage d'engager un autre type.
"'Tain, S. ! Pourquoi tu prends pas une fille ? Tu veux monter une équipe de rugby ou quoi ?"
L'intéressé ne répond pas. Dommage pour Romain, c'est fini les blagues avec la blonde "couette-couette", la brune coquine et la ronde rigolote. Va falloir faire avec un gars "piercé" du Jura, un autre tatoué dans le cou et un moricaud tout maigre. Y a de quoi demander une augmentation.
 
La journée se termine, et sur le chemin du retour je siffle :
"La vie est belle/un peu moins belle que vu du ciel/vue d'ici..."
 
Il n'y a plus grand chose dans mon frigo. Je passe à la boucherie du coin. Le rumsteck est à 17€ et quelques le kilo. Je salue au passage le type qui tient la sandwicherie devant l'école d'art. Je ne connais pas son nom, ni lui le mien, mais on se tutoie et il se tient au courant de mes recherches d'emploi. Parfois, il nous arrive de parler d'économie, du groupe Lagardère qui arrive à vendre du matériel militaire et des émissions de jeunesse en même temps. Je tiens un bout de viande dans ma main, dans un papier rose, comme si je tenais un pavé, mais je peux pas changer le monde même avec un jarret d'une tonne. Il y aura toujours un révolutionnaire forcé à ravaler son pavé.
 
Je n'ai pas de message. Demain, c'est le week-end, quelque chose qui ne signifiait rien pour moi il y a de ça trois jours. J'ai l'impression d'avoir foi en quelque chose, mais en quoi, ça je ne sais pas.
Dehors, le jour commence à diminuer et je ne me rends pas compte que je suis en train de m'assoupir sur du Nosaka. En fait, j'ai les yeux à demi-fermés, je commence à glisser dans le futon. Et le téléphone sonne :
"Allo, L. ? C'est Sara !"
"Oh !"
"J' te dérange ?"
"Nonnon..."
"Ben voilà, je suis revenue de vacances. Je sais, j'aurais dû te rappeler hier, mais là je suis un peu malade, et ce soir, ça va être dur aussi pour qu'on se voit.."
"Oh, y a pas de mal..."
"... mais demain, ou dimanche... C'est vrai, je dois préparer mon déménagement, mais je vais pas toucher mes valises avant mercredi. Je vais pas passer mes journées à faire ça. Alors..."
"Je vois. Ben, si demain t'es libre, y a un concert à... ça te dirait d'aller le voir ?"
"Oui, tant que je peux choper le dernier RER, ça marche pour moi."
"Je compte pas rester bien longtemps, j'y vais juste pour voir Tété et Keren Ann."
"Oh, j'aime biieeeen..."
Me voilà en train de lui fixer un rendez-vous pour 19h3o, le lendemain. Je me maudis en constatant que je n'ai pas trouvé d'idée plus originale que de se retrouver sur la Place ... . Je ne sais pas si je vais la reconnaître avec ma myopie. On ne s'est vu que deux fois à son ancien boulot. Je me vois encore marchant jusqu'à la rue du Commerce, un lundi après-midi, en me demandant quelle astuce j'allais encore trouver pour obtenir son numéro. Je ne me rappelle que de ses yeux. Et encore, maintenant je doute qu'ils soient bel et bien verts....
Je ne sais même pas si j'ai assez d'argent pour sortir demain. C'est la fin du mois, c'est la période où mon banquier m'aime le moins. Il m'est déjà arrivé de vendre un Rushdie et un Ravalec pour aller boire un verre. Pas de grosses pertes ceci dit, mais vu que ces merdes se vendent plutôt bien, j'ai pu en tirer suffisamment. Oh, je dois bien avoir un billet qui traîne quelque part.
Sara raccroche. Je me dirige vers la cuisine et jette ma viande dans une poêle. Dans l'appartement de l'autre côté de la rue, une vieille commence à fermer ses volets. Je fixe le viande qui grésille. Et je cherche à savoir à quoi je pouvais bien penser ce matin...
 

© lmer 2004

 

 

Dimanche 26/o9/2oo4

 

Hier, je suis retombé sur le type de la sandwicherie, et on a parlé de... de quoi? Oh, m'en fous un peu à vrai dire. Le fait est que ça n'a pas duré plus de deux minutes, il m'a dit de repasser quand je voulais dans son établissement et j'ai traîné un peu à Montparnasse pour faire passer l'après-midi plus vite. Et c'est tout ce que je voulais. Vers 19hoo, j'ai pris le métro.
 
19h3o. Il fait plutôt sombre, la pluie menace de tomber et sur la Place S..., nulle trace de Sara. J'ai l'impression de me trouver dans une putain de nouvelle à la Gavalda. J'ai horreur de cet endroit, y a des couples et des étudiants partout, y a du bruit et tout le monde à l'air d'attendre la mort. Au bout de la place, il y a une fille déguisée en vache qui n'est pas très loin de s'engager pour la vie avec un type qui ne sait pas que sa nana se balade sur la place S... déguisée en vache. Et puis quelques anglaises hystériques qui se sautent au cou et qui s'éclipsent vers le café le plus proche.
Je laisse un message à Sara. Peut-être que je l'ai loupée ou que je ne la reconnaît parmi la foule. Une minute plus tard:
"T'es où?"
"Je fais face au Rive Gauche"
"Oh, je le vois, mais pas toi"
"T'es habillée comment ?"
Je la vois au loin. Jeans, chaussures beiges, grande veste noire et une écharpe flottante qui dépasse.
"T'es là depuis longtemps?"
"Non, mon RER a eu du retard".
Je lui demande où elle souhaite aller. Elle ne connaît pas Paris. Elle a fait toute sa vie à Versailles jusqu'à maintenant. Jamais vécue par ici. Elle a un paquet de barquettes de Lu dans la main. Elle me le met sous le nez.
"T'en veux un?"
Non merci. On pousse vers une petite rue. On entend des bruits de vaisselles. Des types à l'entrée de restaurants grecs balancent de grandes assiettes blanches sur le sol. Ca la surprend ou l'amuse quelque peu apparemment. Je lui demande si elle a passé de bonnes vacances. Elle a passé quelques jours en Corse, puis les suivants chez son frangin à Grenoble. Elle a une petite nièce qu'elle n'avait jamais vu. Elle a trois frères aînés et le plus jeune d'entre eux a 11 ans de plus qu'elle.
On arrive au Shywawa. Pas beaucoup de monde. Tant mieux. Elle me demandera plus tard si je suis agoraphobe. Ce n'est pas que j'aime pas la foule, c'est qu'à la longue, elle me bouffe, la foule. Toute cette place sur Terre, et il faut qu'un jour où l'autre, il faut que toute l'humanité se regroupe à un seul et unique endroit!
Sara a la parole facile. La discussion coule logiquement, sans heurt. Le serveur a le temps de passer trois fois, et on n'a toujours pas fait notre choix. Sara a un visage très expressif, elle ne peut pas s'empêcher d'hausser un sourcil ou de faire des petites grimaces, parle un peu avec les mains. Le serveur passe, il prend notre commande. Sara a beaucoup voyagé, l'Italie, les Pays-Bas, Londres, l'Australie, elle est pleine d'anecdotes et d'histoires en tout genre, on dirait qu'elle a traîné son sac à dos sur toutes les routes du monde, qu'elle a eu mille vies et Jack Kerouac m'apparaît désormais comme un immonde pantouflard. Elle dit que cet été, elle a tenu une espèce de journal lorsqu'elle était en Corse.
Elle écrit ?
Oui, mais pas souvent, le plus souvent à vrai dire lorsqu'elle ne se sent pas bien.
Oh, j'ai déjà entendu ça quelque part.
Je suis en train de me rendre compte que c'est elle qui fait la conversation depuis le début. J'y pense : je crois que c'est bien la première fois que je me retrouve dans ce cas. Je suis en train d'écouter, de regarder ses lèvres, d'écouter, regarder ses lèvres et... et ses yeux son bien verts.
"C'est vrai que c'est sympa par ici" elle dit.
Elle est légèrement maquillée. Je viens de m'en apercevoir. J'observe ses mains autour de son verre, de petites mains, avec des ongles courts, pas de bagues. Elle se met à parler de films, de bouquins. J'apprendrai un peu plus tard qu'elle a lu "L'Attrape Cœur" de Salinger à 11 ans. En fait, pas en entier. C'est son frère qui lui avait refilé le bouquin et elle n'avait pas accroché. Pas encore prête, qu'elle avait dit. Tu m'étonnes!
Elle semble aimer ça, les bouquins. Elle a une carte de bibliothèque, elle y traîne depuis qu'elle est toute petite, elle se souvient des après-midi qu'elle passait assise en tailleur sur la vieille moquette à écouter une bonne femme lire des histoires aux mômes. Elle s'imagine la mine extasiée qu'elle devait avoir et la mime aussitôt.
Je ris.
C'est énorme la culture qu'elle a. Apparemment elle est plus branchée littérature française. Elle me cite deux trois noms obscures, et je crains le pire lorsque que j'entends "Nothomb" sortir du néant.
"T'aimes?" elle demande.
"On ne peut pas vraiment dire ça"
"J'comprends. Je suis en train de lire Métaphysique des Tubes et j'avoue que pour l'instant, bof, ça me laisse plutôt perplexe"
Oh, soulagement !
"J'attends de me faire vraiment une idée sur un autre"
On dirait qu'elle a lu toute sa vie. Tout y passe. Même les BD. Et Dieu sait qu'il me faut une sacrée dose pour m'impressionner. Elle finit par avouer qu'elle a lu tous les Fred Vargas (yerk!), mais c'était pour se vider le crâne pendant les vacances (ouf!). Elle trouve ça divertissant. C'est le mot. On glisse vers ses goûts musicaux. Elle parle du concert de ce soir.
"J'ai vu qu'il y avait Benabar (suis plus sûr de l'orthographe)"
"J'ai vu ça aussi"
"Faudrait pas qu'on le loupe"
On se lève. On pousse jusqu'à l'Hôtel de Ville. Il y a une chanteuse canadienne sur scène.
"Ah, l'horreur!" elle fait.
J'aime bien sa façon d'être directe.
"Bon, j'espère qu'on n'a pas loupé Benabar. T'aimes bien au fait?"
"Ca va. Y a pire"
"C'est vrai... T'en penses quoi de Vincent Delerme?"
"Euh..."
"Bon, c'est sympa, mais à la longue, il est pénible je trouve..."
Oh mon Dieu! Je suis en train de rêver ou quoi?
"... en plus, Kensington Square, c'est pratiquement la même chose que son premier album"
Deux choses: soit elle lit dans mes pensées, soit... soit... non, pas possible !
Il y a une foule devant la scène. Elle se faufile entre les gens pour se mettre en face. Je la suis. Elle se retourne de temps en temps pour voir, sourit à chaque fois. J'ai une espèce d'invitation pour voir le concert sous un autre angle. Je bosse pour la boîte qui organise le concert. On fait le tour du bâtiment, et on se retrouve dans la "fosse" juste devant la scène.
"Oh, c'est la première fois qu'il m'arrive un truc comme ça!" elle dit.
Elle paraît contente. Ca me va. On se fixe dans la médiane de la scène.
Elle a un super sens de l'humour. L'ai-je déjà dit? J'ai du mal à croire qu'elle soit si jeune. C'est si vif là-dedans. La première fois que je l'ai vu, je croyais qu'elle avait juste deux ans de moins que moi. Elle a le courage de dire ce qu'elle pense, et sans ménagement. Ca me tue. Mais de temps à autre, entre ces instants, je la surprends un peu plus réservée, baissant un peu la tête pour jouer avec la frange de son écharpe et disant doucement :
"Et toi?"
ou
"Pourquoi tu rigoles?"
ou encore
"T'as vu, le ciel, il est vert"
Je lève les yeux, c'est vrai, il l'est.
"Peut-être à cause du contraste avec les lumières sur scène"
Elle rebaisse légèrement la tête. Je sens son épaule dans le creux de la mienne. Et dire que ce petit bout, avec ses cheveux blonds, va avoir vingt ans dans un peu plus d'un mois...
Un type derrière nous nous informe que Benabar est déjà passé. Il est même passé en premier le con. Elle semble un peu déçue, mais bon, ça lui passe.
Il commence à bruiner légèrement. Elle me dit ce qu'elle aime et ce qu'elle n'aime pas. Keren Ann passe sur scène avec une violoniste. Elle passe pour deux chansons. Elle aime. Il y a un type un peu trop grand devant elle qui l'empêche de voir la scène complètement. Qu'est-ce que je suis en train de faire? Merde, je suis en train de regarder le profil de Sara! Encore en train de prendre des notes mentales.
Je vanne un peu un "artiste" qui passe sur scène et ça a le mérite de la faire rire. Elle pose une main sur mon épaule. J'aimerai poser la mienne sur sa taille mais je ne sais pas ce qui m'en empêche. D'autres artistes passent, puis vient le tour de Tété. Elle souhaite qu'il joue "Emma Stanton" mais il ne passe qu'une fois pour "A La Faveur de l'Automne". Sans violons, juste avec sa guitare qu'il gratte un peu plus fort tous les quatre accords. On n'entend pas un bruit dans la foule et la pluie revient faire un petit tour. La poésie existe donc réellement...
Encore d'autres artistes. Sans grande importance...
Le concert se termine. Tout se le monde se disperse. Elle éternue discrètement. Ca fait trois jours qu'elle est malade. Je m'en veux un peu de l'avoir traîné jusque là, sous la pluie. Je lui demande si elle ne m'a pas pris pour un sombre crétin quand je l'avais vouvoyée à son boulot - un labo de photo - pour l'inviter à prendre un verre. Elle n'a pas fait attention, elle dit. Elle ne se souvient plus des autres fois où j'étais passé non plus. Sauf une, la première, quand je lui remémore ce que j'étais venu cherché dans son magasin. Elle était assise près du comptoir à lire quelque chose et elle s'était levée en demandant:
"Je peux vous aider?"
Elle n'avait pas pu m'aider ce jour, là. Je m'étais renseigné sur d'autres produits pour la forme et la regarder passer devant les rayons. Elle pourra dire ce qu'elle veut, je suis sûr qu'elle l'avait remarqué ce jour là. Puis, je suis repasser quelques jours plus tard et elle était là, avec une collègue cette fois-ci. J'avais rien à acheter. J'ai laissé passer les clients pour tomber sur elle et non sur sa collègue. J'ai demandé si c'était possible chez eux de transformer un 10x15 en 6x8. Non, pas possible. Et j'ai dit au revoir sans avoir eu le courage de l'inviter. Le temps de remonter chez moi et de trouver du courage, j'y ai refait un saut un quart d'heure plus tard, mais elle était déjà partie. Sa collègue voulait que je lui laisse un message. J'en voyais pas l'utilité, elle n'allait pas se souvenir de moi. J'ai demandé à sa collègue si elle connaissait ses horaires, parce que j'allais repasser, plus motivé que jamais.
"Vous êtes sûr que vous ne voulez pas laisser un message?"
"Non, ce sera pas la peine"
Elle a dit qu'elle serait là à partir de tel jour, et les autres, elle bossait rue du Commerce. Je l'ai remercié et mis les bouts.
Sara m'apprend aussitôt que sa collègue l'avait appelée juste après que j'eus quitté le magasin. Ca l'a fait rire. Elle dit que sa collègue lui avait raconté que j'avais l'air désespéré.
Désespéré ?!!!!!
Je crevais d'envie de la revoir, c'était pas du désespoir, bien au contraire.
Puis je suis passé le lundi d'après, et, en me voyant, elle avait su que c'était moi.
La première fois qu'on s'est vu, elle avait un t-shirt bleu et les cheveux attachés. Le temps que je sorte ça, on se retrouve au Lutèce. Sur une petite table, loin des autres, avec un photophore rouge sur lequel ses mains jouent un instant. Je l'écoute encore. Je l'écoute parler de son père. Ce dernier lui écrivait des chansons quand elle était gamine. Elle trouvait ça normal, elle croyait que tous les pères du monde faisait ça pour leur fille. Son père jouait de la guitare. Un prof de physique/chimie à la retraire avec une grosse couche d'artiste dans le fond de l'âme. Il écrivait, composait, avait un journal, tapait plus que correctement à la machine. Elle semble vouer un culte sans borne à son paternel. Elle l'admire, ça se voit. Il a certainement eu une grande influence sur elle. Elle me rappelle qu'elle écrit, mais à la main. Elle arrive pas à écrire naturellement sur un clavier. Elle le retape après s'il le faut, mais elle commence toujours à la main. Qu'est-ce qu'elle écrit? Ses voyages, ses envies, sa façon de vouloir changer le monde, certainement. Puissé-je être Henry, et elle, Anaïs......
Il est ooh3o. Il faut qu'on s'en aille, sinon, elle va manquer son dernier train. En fait, elle a déjà manqué son dernier train. Elle peste un peu contre elle-même. Il faut qu'elle prenne un taxi. Je lui demande si elle ne veut pas que je lui file un peu de fric pour la course, mais elle refuse. Je ne sais pas comment la laisser là. Pour être franc, je n'ai pas envie de la laisser là. Elle dit:
"Faudrait qu'on se revoit avant que je parte mercredi"
"Oui. Tu comptes revenir quand?"
"En fait, je pars mercredi et ma rentrée c'est la semaine prochaine..."
"Donc, après, on pourra pas se revoir"
"Mais, je reviendrai tous les week-ends, voir mes parents et..."
"Je vois. Je ne bosse pas mardi, j'ai un entretien toute la journée. On peut déjeuner ensemble si tu veux ou sinon se voir en fin d'après-midi. Je t'appelle lundi"
"Ok, on s'appelle lundi"
Je ne sais pas comment je me démerde, mais j'ai toujours le chic pour tomber sur des relations à distance. J'en connais beaucoup qui supporterait pas, mais ce sont les mêmes qui se plaignent toujours d'avoir leur femme ou leur homme trop souvent sur leur dos. Je ne peux pas réellement dire si ça me dérange, ou quoi que ce soit, je ne me pose même pas la question si ça peut marcher ou pas, mais ce serait con de passer à côté, est-ce juste une question de confiance, une question de choix, de volonté et... et... j'ai mes lèvres sur les siennes. Je sens son nez tout près du mien. Je suis un peu maladroit je m'y reprends à deux fois ces moments là on ne sait jamais où poser la bouche plus rien n'a de détail le monde n'a pas besoin d'être changé je ne vois que par mes lèvres et le monde a un goût merveilleux, subtil et vrai...
"A lundi"
"A lundi..."
Je sens à peine sa main posée sur mon bras, et la mienne qui glisse sur son flanc. Elle part. Je manque de me tromper de direction. J'ai encore le temps de choper la correspondance à Montparnasse. On est déjà dimanche, je n'ai jamais autant souhaité que le week-end s'achève le plus rapidement possible. Je m'assois sur un de ces sièges crasseux du métro et... et... je rêve ou je suis en train de sourire bêtement ?!!...

 

© lmer 2004

Mercredi 29/o9/2oo4

 

Marvin Gaye tourne en boucle sur l'ordinateur de la remise. Y a personne à part moi pour l'instant vu que tout le monde court à droite et à gauche pour trouver un article et que je me suis pas trop mal débrouillé cette fois-ci. Plusieurs affiches de films sont collées sur les murs. Sur celui à droite du bureau, on peut voir celle du Seigneur des Anneaux. Un malin a superposé la tête de Johnny Depp sur celle de Lyv Tyler et l'actrice ressemble désormais à une vieille tante espagnole. Dans un autre coin de la pièce, on trouve une petite carte pour la sortie en DVD de Lost In Translation sur laquelle un autre a dessiné les moustaches de Dali sur les babines de Bill Murray. C'est agréable, je reviens à ma feuille et au décompte des ventes de mes rayons.
Aujourd'hui, je suis plutôt calme : l'espèce de connasse en sursis que je remplace a finalement mis les bouts pour un autre magasin et elle ne sera plus là pour me foutre une pression inutile. C'est qu'apparemment, elle flippait pour ses chiffres, le syndrome "premier de la classe", et devait sûrement penser que j'étais autiste ou je ne sais quoi. Fallait qu'elle aille rechercher six fois un produit que ni moi, ni les vendeurs n'avaient pu trouver. Mais lorsque j'en trouvais un sur lequel elle n'arrivait pas à mettre la main, elle la mettait en veilleuse. Fallait pas montrer au responsable qu'il y avait un type tout nonchalant qui était aussi efficace qu'elle, elle qui courait dans tous les sens comme si le magasin était en feu et qu'il en allait de sa propre vie. Et puis, s'il y avait un problème quelconque, qui pouvait ralentir son travail ou le rendre un peu plus compliqué - qui allait lui faire utiliser son cerveau autrement dit -, elle grimaçait, toute gênée, alors que personne n'y pouvait rien. Le syndrome "premier de la classe". Mais je m'en balance un peu : maintenant, c'est moi le roi du rayon.
 
Le monde est petit. Lundi, un vendeur que je n'avais pas encore vu s'approche de moi et dit:
"Salut, on se connaît non?"
"Je sais pas. Sûrement. C'est quoi ton nom?"
"Nicolas. T'es d'où?"
"Ile de la Réunion"
"Ah bah, ça se trouve, on s'est vu là-bas"
"T'étais à quel Lycée?"
"Leconte de Lisle"
"Ah bah non, j'étais pas à celui là"
"Ouais, mais j'ai fait le Collège S... et tout.... attends, me dis pas ton nom... Ce serait pas M.... par hasard?"
"Si"
"Ah, j'connais ton frère, voilà ! J'me disais bien aussi, y avait comme un air de famille!"
Mouais, y a que les potes de mon frère pour nous trouver une ressemblance.
"Je faisais de la musique avec lui!"
"Ah ouais?"
"Oui, le sien de groupe, c'était Stockyärd et le mien, c'était No Name"
Ah oui, m'en souviens maintenant. Mais comme à l'époque, je ne portais pas une grande admiration aux connaissances de mon frangin... Forcément, j'ai dû oublier quelques uns. Mais celui là avait l'air sympa. D'ailleurs, pour l'instant, il n'a pas refusé une seule fois de m'aider. C'est cool d'avoir un frère populaire.
Voilà, sinon, le rayon Variétés Françaises, c'est plutôt peinard, ils passent pas trop de vieilles croûtes pendant la journée. Seul évènement majeur aujourd'hui : ai passé trois plombes à trouver un vieux Goldman qui était logiquement classé à la lettre "G" y a pas trois jours, et qui maintenant a été déplacé sans avertissement à la lettre "T" - parce que ce truc remonte à l'époque où son groupe s'appelait "Taï Phong", un truc comme ça. Encore, ç'aurait pu s'arrêter là, mais sur la liste qu'on me sort, il est référencé sous le titre "Goldman, Les Années Warner". Ok, allez le trouver le CD après ça. Comprends maintenant pourquoi même les vendeurs ont parfois un peu de mal dans tout ça.
Mais bon, le rayon Variétés Françaises, c'est plutôt peinard. Pour l'instant...

 

© lmer 2004


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