Mare Nostrum Corsica 

Nouvelle donne sur les lignes maritimes de l'île d'Elbe 

L'absorption de l'ex-compagnie publique régionale Toremar par la Moby Lines ouvre la voie à un quasi-monopole de la compagnie à la baleine bleue... 

Le ferry Oglasa de la Toremar à quai à Piombino, en août 2009 ; photo : Janericloebe, visible sur le site Wikipedia
Les petits ferries de la Toremar relient toute l'année les îles de l'archipel Toscan (Ile d'Elbe, mais aussi Capraïa, Gorgona, Pianosa et Giglio)
aux ports continentaux italiens (Livorno, Porto Santo Stefano et, surtout, Piombino). Ici, l'Oglasa, avant son changement de livrée et de logo intervenu en mars 2012.


Nées de la filialisation des liaisons courtes généralement assurées en propre jusqu'au milieu des années 1970 par la compagnie publique Tirrenia, les compagnies Caremar - actuelle LazioMar (desserte principalement des îles d'Ischia et de Capri depuis les ports de Campanie), Siremar (desserte des archipels de petites îles - Éoliennes et Égates, notamment - au départ de la Sicile et, secondairement, de la Campanie) et Toremar (desserte des îles de l'archipel Toscan depuis les ports Toscans ) ainsi que, plus tardivement à compter de 1987, la Saremar (desserte des archipels des Sulcis et de la Maddalena au départ de la Sardaigne et desserte de la Corse (Bonifacio) depuis Santa Teresa di Gallura, au Nord de la Sardaigne1) avaient jusque récemment poursuivi leur mission de service public dans l'ombre du puissant groupe Fintecna, chapeautant la Tirrenia.

En accompagnement du processus de privatisation de la Tirrenia, ces filiales ont été rétrocédées à leurs régions respectives (Calabre, Sicile, Toscane et Sardaigne) à compter de 2009 et ont, généralement, fait à leur tour l'objet d'un processus de privatisation, en fonction des décisions prises par les autorités locales. C'est ainsi que, courant 2011, ont été publiés par la région Toscane des bans en vue de la privatisation de la compagnie régionale Toremar, seule à desservir les îles de Capraïa, Gorgona, Pianosa et Giglio depuis Livorno, Piombino ou Porto Santo Stefano et qui occupe surtout une place de choix dans les liaisons - bien plus nombreuses - entre le continent Italien et l'ïle d'Elbe (en 2011, la compagnie effectuait jusqu'à 17 départs par jour depuis Piombino vers le port elban de Portoferraïo, mais aussi jusqu'à 8 traversées vers Rio Marina et 4 en aliscaphe vers Cavo). Jusqu'à 11 compagnies (dont la Corsica Ferries et le groupe latino-américain Buquebus, spécialisé dans les liaisons en navires rapides, d'abord au Vénézuela puis ensuite dans les Baléares) ont, un temps, manifesté leur intérêt pour le rachat de la Toremar mais les spécifications de l'appel d'offres ont finalement réduit à deux le nombre de prétendants : le groupe Lauro, fort de son expérience dans la desserte de petits ferries et navires rapides dans le Golfe de Naples (vers Ischia et Capri, notamment), et la Moby Lines, déjà leader sur les liaisons vers l'île d'Elbe et la Sardaigne - et présente également sur la Corse depuis les années 1970.

Le groupe Lauro - par le biais de sa filiale Toscana di Navigazione srl - paraissait dans un premier temps devoir l'emporter : il avait obtenu la meilleure notation sur la plupart des critères de l'appel d'offres et présentait également l'avantage, par rapport à son concurrent à la baleine bleue, de préserver une plus forte concurrence sur les lignes de l'île d'Elbe. Pourtant, suite à des actions judiciaires à compter du printemps 2011, c'est finalement la Moby, qui, présentant semble-t-il de meilleures garanties de solidité financière, l'a emporté. Elle s'est ainsi vu adjuger 100% des parts de la Toremar pour un peu plus de 10 millions d'euros. La subvention annuelle de 160 millions d'euros au total sur douze ans dont continue de bénéficier la compagnie toscane (soit 13,3 millions par an en moyenne) est assortie d'obligations de desserte et de renouvellement de la flotte, garantes du maintien de l'emploi d'un nouvelle Toremar qui conserve son nom et son existence propre mais qui a changé de logo (voir photo ci-dessous). À noter également que si la région Toscane demeure garante du service pendant toute la durée du contrat de douze ans, celui-ci prévoit également une plus grande flexibilité des tarifs avec notamment des réductions pouvant aller jusqu'à 50% pour les résidents et les travailleurs journaliers. 


L'arrivée du Liburna à Livorno, en août 2012 ; photo : Romain Roussel
Témoin du renouveau de la Toremar, son nouveau logo, de couleur rose, rappelle à la fois une forme de coquillage, évoquant la mer, et une fleur de lis - qui se dit giglio en italien, comme l'île de l'archipel toscan également desservie par la compagnie - symbolisant la Toscane ; il est visible ici sur le flanc du ferry Liburna qui dessert notamment Capraï au départ de Livorno.


Bien qu'ayant depuis 2010 un nouveau petit concurrent, Blu Navy, le groupe Moby-Toremar occupe de fait une position de quasi monopole sur les liaisons entre l'île d'Elbe et le continent italien, avec plus de 90% des parts de marché sur la liaison principale entre Piombino et Portoferraïo et 100% du marché sur les autres lignes vers Rio Marina et Cavo ! Dans l'optique du maintien d'un minimum de concurrence sur ces lignes, la Commission européenne, saisie du dossier, a décidé que des créneaux de départs du ports de Piombino vers l'Ile d'Elbe devaient être rétrocédés par le groupe Moby-Toremar à ses concurrents de telle sorte que sur les cinq prochaines années, le nombre de créneaux attribués à ce groupe ne dépasse pas les deux-tiers du total. D'après la presse italienne, cela représenterait jusqu'à 6 créneaux quotidiens, soit - compte tenu de la durée moyenne de la traversée pour un ferry classique entre Piombino et Portoferraïo (1 heure) - l'équivalent d'un navire en moins. Toutefois, la Moby n'a réduit que de 16 à 12 le nombre de départs quotidiens sur Piombino-Portoferraïo pendant la saison 2012 par rapport à la saison précédente tandis que la Toremar a accru ses fréquences sur cette même ligne de 4 traversées en aliscaphe par jour ! La programmation 2013, quoique légèrement différente (voir plus bas), est d'un niveau équivalent.

Le Moby Love à Livorno, en 2008 ; photo : Lucarelli, visible sur le site Wikipedia
La Moby Lines s'est hissée à la première place des liaisons avec l'île d'Elbe grâce à sa flotte fournie de navires de taille moyenne, tous assez anciens. En 2013, sous ses propres couleurs, la compagnie relie jusqu'à 12 fois par jour Piombino à Portoferraïo en une heure et, depuis 2009, Piombino à Cavo, 5 fois par jour, en une demi-heure.

Suite à l'incorporation au groupe Moby, on a rapidement assisté à de premières évolutions de la flotte Toremar (en particulier, le Lora d'Abundo de la Medmar - qui opèrait jusqu'alors dans le golfe de Napoli - a ainsi rejoint l'île d'Elbe depuis avril 20122). Pour mémoire, avant le rachat de la Toremar par la Moby, les dessertes étaient les suivantes :





... tandis que Blu Navy et, désormais aussi, la Corsica Ferries cherchent à s'implanter entre Piombino et Portoferraïo 

Le Corsica Express Seconda avec, en toile de fond, l'île d'Elbe, en août 2010
 
Pour desservir l'Ile d'Elbe, la Corsica Ferries a fait le pari risqué de remobiliser un NGV, en misant sur le raccourcissement de moitié du temps de trajet.

Depuis juin 2010, Blu Navy a pris pied sur la ligne Piombino-Portoferraïo en employant dans un premier temps un navire d'assez grande capacité, le Primrose (350 voitures et 950 passagers), précédemment affecté à la desserte Ostende-Ramsgate mais plutôt ancien (construit en 1975) et qui était peu adapté à ce type de desserte. En outre, la compagnie ne disposait alors que de quatre créneaux quotidiens au départ de Piombino, ce qui est très peu et ce d'autant moins que ceux-ci ne l'étaient pas à des horaires commercialement très favorables (le premier départ de la journée devait ainsi s'effectuer à 5h15 du matin !). En mars 2011, Blu Navy a mis en service à la place du Primrose un navire plus récent - construit en 2006 et naviguant jusqu'ici en Grèce entre Igoumenitsa et Kerkira - de plus petite taille, l'Achaeos (170 voitures et 1000 passagers, mais seulement 14,7 noeuds, contre plus de 20 pour son prédécesseur). Pour la saison 2012, la compagnie bénéficie d'un nombre de créneaux de départs plus important - 5 au lieu de 4 - à même de mieux garantir son développement, jusqu'ici difficile face à ses grands concurrents. Elle a également prévu de nouveaux changements de navires : à titre provisoire, l'Ostfold (construit en Norvège en 1979 et pouvant embarquer 190 voitures et 700 passagers a été affrété jusqu'à la fin juin 2012 et c'est depuis un autre bateau, l'Acciarello (construit aux Pays-Bas en 1997 et pouvant embarquer 220 véhicules et 600 passagers selon la compagnie à une vitesse moyenne d'environ 16 noeuds), qui a pris le relai pour la saison estivale et qui est confirmé pour 2013, avec le même nombre de traversées quotidiennes en saison.

Par ailleurs, la Corsica Ferries
avait envisagé dès 2009 d'inaugurer des liaisons en NGV entre Piombino et Portoferraïo mais s'était heurtée à des difficultés avec les autorités portuaires du port de Piombino, fief de la Moby Lines, pour l'assignation de créneaux horaires de départs commercialement satisfaisants. Prétextant une saturation du port - contestée par la compagnie aux bateaux jaunes, le nombre d'escales de navires au départ du port de Piombino étant significativement inférieur en 2009 à ce qu'il était quelques années auparavant - les autorités portuaires de Piombino ne lui avaient alors pas accordé les autorisations nécessaires à cette desserte. La situation a connu un début de déblocage en 2011, la compagnie ayant obtenu, à force de persévérance, 3 créneaux de départs quotidiens, ce qui s'est toutefois avéré commercialement insuffisant pour que la Corsica Ferries se lance dans la desserte de l'île d'Elbe3. Pour la saison 2012 toutefois, un quatrième créneau lui a été assigné dès novembre 2011 et deux autres ont suivi ensuite suite à la décision de la Commission européenne qui a également bénéficié à Blu Navy.

Pour desservir l'ïle d'Elbe, la 
Corsica Ferries réemploye un de ses NGV4 jusqu'ici désaffecté, le Corsica Express Seconda qui avait effectué des rotations Bastia-Piombino pendant les étés 2008, 2009 et 2010. La traversée Piombino-Portoferraïo s'en trouve ainsi raccourcie de moitié : au lieu de 1 heure en ferry classique comme l'effectuent ses concurrents Moby, Toremar et Blu Navy, le NGV de la compagnie aux bateaux jaunes n'a besoin que d'une demi-heure (à une vitesse d'environ 30 noeuds) pour relier ces ports. Cette plus grande vitesse constitue non seulement un argument de vente mais donne également plus de souplesse dans l'utilisation du navire en termes d'horaires des traversées ; la contrepartie étant un plus grand risque sur le plan économique dans un contexte toujours marqué par des cours élevé du baril de pétrole. En effet, ces navires rapides présentent des dépenses de combustibles relativement élevées, les NGV consommant un carburant plus coûteux que les navires classiques (même si cet inconvénient est sans doute moins marqué sur des liaisons courtes qu'il n'a pu l'être sur les lignes Nice-Corse, Savona-Corse ou encore Civitavecchia-Golfo Aranci sur lesquelles les NGV étaient employés il y a quelques années encore). La brièveté de la distance à parcourir ainsi que le caractère relativement protégé du bras de mer entre l'île d'Elbe et la côte jouent aussi en faveur de l'exploitation de ce type de navires (la réglementation en vigueur ne permettant pas de faire naviguer ce type de NGV lorsque la mer présente des creux supérieurs à 3,5 mètres). En dépit de quelques difficultés liées aux vagues provoquées par le passage du navire qui ont conduit la Corsica Ferries a retoucher la trajectoire du NGV, il semble que le pari ait été tenu, puisque la compagnie aux bateaux jaunes déclare avoir transporté sur cet axe 150 000 passagers et  53 000 véhicules pendant la première saison d'exploitation du navire.




À noter que pour la saison 2013, le nombre de traversées maximales sur l'axe Piombino-Portoferraïo assurées de la mi-juin à la fin septembre par le Corsica Express Seconda passe de 6 à 7 les jours de pointe (il est en revanche réduit à 5 en milieu de semaine). Autre nouveauté, jusqu'à 4 fois par semaine en pleine saison, le navire prolonge ses traversées jusqu'à Bastia, ce qui permet à la Corsica Ferries de rouvrir un lien saisonnier entre Piombino et Bastia qui n'avait plus été desservi pendant les étés 2011 et 2012. Mais le groupement Moby-Toremar n'est pas en reste côté nouveautés : après avoir rénové plusieurs navires de l'ex-compagnie régionale et en avoir renouvelé d'autres, le groupement renforce sa politique d'intégration des deux compagnies. Cela passe à la fois par un alignement - vers le centre - des tarifs des deux compagnies (jusqu'à présent la Moby pratiquait des prix plus élevés que ceux de la Toremar, qui ont été relevés avec l'accord de la région Toscane pour cause de hausse du coût du carburant) et par la commercialisation commune des traversées sur l'île d'Elbe - symbolisée par le slogan choc Il ponte per l'Elba, "le pont pour l'ile d'Elbe, jusqu'à 100 traversées par jour". En fait, le groupement propose une cinquantaine de traversées allers-retours par jour en saison, soit un nombre tout à fait similaire à celui des années passées. Toutefois, cette quote-part du marché demeure supérieure aux 66% prévus initialement lors du processus de privatisation de la Toremar : ses concurrents n'assurant au maximum que 12 allers-retours par jour en saison, la part du groupement Moby-Toremar atteint 80% du nombre de rotations en saison et 100% hors saison, la présence des autres compagnies n'étant que saisonnière. Ce point n'a semble-t-il pas été relevé à ce jour par les autorités en charge de faire respecter la concurrence.




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Notes :

[1] Pendant l'été 2011, à l'initiative de la région Sardaigne, la Saremar a également desservi des lignes avec l'Italie continentale (Porto Torres - Savona Vado, depuis le terminal de la Corsica Ferries, et Golfo Aranci-Civitavecchia) venant ainsi concurrencer son ex-maison mère Tirrenia ainsi que les principaux opérateurs privés des lignes sardes (Moby Lines, GNV, Sardinia Ferries et SNAV) soupçonné par l'autorité antitrust d'avoir noué une entente en vue d'augmenter significativement leurs tarifs.

[2] Il est à noter que la Toremar compte par ailleurs deux autres navires, les Liburna (desserte de Capraïa, Pianosa et de Gorgona au départ de Livorno) et Giuseppe Rum (desserte de l'île de Giglio au départ de Porto Santo Stefano). Signalons enfin que ces appelations des nouveaux navires de la Toremar, héritées de la compagnie d'origine, étaient provisoires : le Lora d'Abundo a été rebaptisé Rio Marina Bella et le Maria Sole Lauro a été remplacé par le navire rapide monocoque de transport de passagers Agostino Lauro Jet.

[3] Pour être tout à fait complets, rappelons qu'il ne s'agit pas de la première expérience de la compagnie aux bateaux jaunes sur l'ïle d'Elbe. À compter de 1993, sa filiale Elba Ferries avait fait naviguer un premier navire classique, l'Elba Nova (100 voitures et 600 passagers) entre Piombino et Portoferraïo en saison. À compter de 1995, celui-ci avait été remplacé par un catamaran rapide de petite capacité, l'Elba Express (40 voitures et 350 passagers environ), ce qui a constitué la première expérience de la compagnie en termes de navigation rapide. La compagnie s'était toutefois retirée de la desserte de l'ïle d'Elbe à l'issue de la saison 1998, préférant se concentrer sur la Corse et la Sardaigne dont les lignes alors en plein boom nécessitaient des investissements importants en termes de navires. Aussi l'Elba Nova et l'Elba Express ont-ils été vendus en 1998 et 1999, respectivement aux compagnies Iscomar et Emeraude Lines.

[4] La Corsica Ferries possèdait deux autres NGV jumeaux, les Sardinia Express et Corsica Express Three, non employés depuis quelques années déjà sur ses lignes corses et sardes en raison des cours élevés du carburant. Le Sardinia Express a été vendu début septembre 2012 et navigue désormais en Corée du Sud au départ de Yeosu Korea sous le nom de Tamnara.

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