Nouvelle donne sur les lignes maritimes vers l'Ile d'Elbe
Mare Nostrum Corsica
Nouvelle donne sur les lignes maritimes de l'île d'Elbe
L'absorption de l'ex-compagnie publique régionale Toremar par la Moby Lines ouvre la voie à un quasi-monopole de la compagnie à la baleine bleue...
Les petits ferries de la Toremar
relient toute l'année les îles de l'archipel Toscan (Ile
d'Elbe, mais aussi Capraïa, Gorgona, Pianosa et Giglio)
aux ports continentaux italiens (Livorno, Porto Santo Stefano et, surtout, Piombino). Ici, l'Oglasa, avant son changement de livrée et de logo intervenu en mars 2012.
Nées de la filialisation des
liaisons courtes généralement assurées en propre
jusqu'au milieu des années 1970 par la compagnie publique
Tirrenia, les compagnies
Caremar - actuelle
LazioMar (desserte principalement des îles d'Ischia et de Capri depuis les ports de Campanie),
Siremar
(desserte des archipels de petites îles - Éoliennes et
Égates, notamment - au départ de la Sicile et,
secondairement, de la Campanie) et
Toremar
(desserte des îles de l'archipel Toscan depuis les ports
Toscans ) ainsi que, plus tardivement à compter de
1987, la
Saremar
(desserte des archipels des Sulcis et de la Maddalena au départ de la Sardaigne et
desserte de la Corse (Bonifacio) depuis Santa Teresa di
Gallura, au Nord de la Sardaigne
1) avaient jusque récemment poursuivi leur
mission de service public dans l'ombre du puissant groupe
Fintecna, chapeautant la
Tirrenia.
En accompagnement du processus de privatisation de la
Tirrenia,
ces filiales ont été rétrocédées
à leurs régions respectives (Calabre, Sicile, Toscane et
Sardaigne) à compter de 2009 et ont, généralement,
fait
à leur tour l'objet d'un processus de privatisation, en fonction
des décisions prises par les autorités locales. C'est
ainsi que,
courant 2011, ont été publiés par la
région Toscane des bans en vue de la privatisation de la
compagnie régionale
Toremar, seule à desservir les
îles de Capraïa, Gorgona, Pianosa et
Giglio depuis Livorno, Piombino ou Porto Santo Stefano et qui occupe
surtout une place de choix dans les liaisons - bien plus
nombreuses - entre le continent Italien et l'ïle d'Elbe
(en 2011, la compagnie effectuait jusqu'à 17 départs par jour depuis Piombino vers le
port elban de Portoferraïo, mais aussi jusqu'à 8 traversées vers Rio Marina et 4 en aliscaphe vers Cavo).
Jusqu'à 11 compagnies (dont la
Corsica Ferries et le groupe latino-américain
Buquebus,
spécialisé dans les liaisons en navires rapides, d'abord
au Vénézuela puis ensuite dans les Baléares) ont,
un temps, manifesté leur intérêt pour le rachat de
la
Toremar mais les
spécifications de l'appel d'offres ont finalement réduit
à deux le nombre de prétendants : le groupe
Lauro,
fort de son expérience dans la desserte de petits ferries et
navires rapides dans le Golfe de Naples (vers Ischia et Capri,
notamment), et la
Moby Lines,
déjà leader sur les liaisons vers l'île d'Elbe et
la Sardaigne - et présente également sur la Corse depuis
les années 1970.
Le groupe Lauro
- par le biais de sa filiale Toscana di Navigazione srl - paraissait dans un premier temps devoir l'emporter : il avait obtenu la
meilleure notation sur la plupart des critères de l'appel
d'offres et présentait également l'avantage, par rapport
à son concurrent à la baleine bleue, de préserver
une plus forte concurrence sur les lignes de l'île d'Elbe.
Pourtant, suite à des actions judiciaires à compter du printemps 2011, c'est finalement la Moby,
qui, présentant semble-t-il de meilleures garanties de
solidité financière, l'a emporté. Elle s'est ainsi vu adjuger 100% des parts de la Toremar pour
un peu
plus de 10 millions d'euros. La
subvention annuelle de 160 millions d'euros au total sur douze ans
dont continue de bénéficier la compagnie toscane (soit
13,3 millions par an en moyenne) est assortie d'obligations de
desserte et de renouvellement de la flotte, garantes du maintien
de l'emploi d'un nouvelle Toremar qui conserve
son nom et son existence propre mais qui a changé de logo (voir photo ci-dessous). À noter
également que si la région Toscane demeure garante du
service pendant toute la durée du contrat de douze ans, celui-ci
prévoit également une plus grande flexibilité des
tarifs avec notamment des réductions pouvant aller
jusqu'à 50% pour les résidents et les travailleurs
journaliers.
Témoin du renouveau de la Toremar, son
nouveau logo, de couleur rose, rappelle à la fois une forme de
coquillage, évoquant la mer, et une fleur de lis - qui se dit
giglio en italien, comme l'île de l'archipel toscan également desservie par la compagnie - symbolisant
la Toscane ; il est visible ici sur le flanc du ferry Liburna qui dessert notamment Capraï au départ de Livorno.
Bien qu'ayant depuis 2010 un nouveau petit concurrent, Blu Navy, le groupe Moby-Toremar occupe
de fait une position de quasi monopole sur les liaisons entre
l'île d'Elbe et le continent italien, avec plus de 90% des parts
de marché sur la liaison principale entre Piombino et
Portoferraïo et 100% du marché sur les autres lignes vers Rio Marina et Cavo ! Dans l'optique du maintien d'un minimum de concurrence sur ces lignes, la Commission européenne,
saisie du dossier, a décidé que des créneaux de
départs du ports de Piombino vers l'Ile d'Elbe devaient
être rétrocédés par le groupe Moby-Toremar
à ses concurrents de telle sorte que sur les cinq prochaines
années, le nombre de créneaux attribués à
ce groupe ne dépasse pas les deux-tiers du total.
D'après la presse italienne, cela représenterait
jusqu'à 6 créneaux quotidiens, soit - compte tenu de la
durée moyenne de la traversée pour
un ferry classique entre Piombino et Portoferraïo (1 heure) -
l'équivalent d'un navire en moins. Toutefois, la Moby n'a
réduit que de 16 à 12 le nombre de
départs quotidiens sur Piombino-Portoferraïo pendant la saison
2012 par rapport à la saison précédente tandis que la Toremar
a
accru ses fréquences sur cette même ligne de 4
traversées en aliscaphe par jour ! La programmation 2013,
quoique légèrement différente (voir plus bas), est
d'un niveau équivalent.
La Moby Lines
s'est hissée à la première place des liaisons
avec l'île d'Elbe grâce à sa flotte
fournie de navires de taille moyenne, tous assez anciens. En 2013, sous ses
propres couleurs, la compagnie relie jusqu'à 12 fois par jour
Piombino à Portoferraïo en une heure et, depuis 2009,
Piombino à Cavo, 5 fois par jour, en une demi-heure.
Suite à
l'incorporation au groupe Moby, on a rapidement assisté à de
premières évolutions de la
flotte Toremar (en particulier, le Lora d'Abundo de la Medmar
- qui opèrait jusqu'alors dans le golfe de Napoli - a ainsi rejoint
l'île d'Elbe depuis avril 20122). Pour mémoire,
avant
le
rachat de la Toremar par la Moby, les dessertes étaient les suivantes :
... tandis que Blu Navy et, désormais aussi, la Corsica Ferries cherchent à s'implanter entre Piombino et Portoferraïo
Pour desservir l'Ile d'Elbe, la Corsica Ferries
a fait le pari risqué de remobiliser un NGV,
en misant sur le raccourcissement de moitié du temps de trajet.
Depuis juin 2010, Blu Navy
a pris pied sur la ligne Piombino-Portoferraïo en employant dans
un premier temps un navire d'assez grande capacité, le Primrose
(350 voitures et 950 passagers), précédemment
affecté à la desserte Ostende-Ramsgate mais plutôt
ancien (construit en 1975) et qui était peu adapté
à ce type de desserte. En outre, la compagnie ne disposait alors
que de quatre créneaux quotidiens au départ de Piombino,
ce qui est très peu et ce d'autant moins que ceux-ci ne
l'étaient pas à des horaires commercialement
très favorables (le premier départ de la journée devait ainsi s'effectuer à 5h15 du matin !). En mars 2011, Blu Navy a mis en service à la place du Primrose
un navire plus récent - construit en 2006 et naviguant jusqu'ici
en Grèce entre Igoumenitsa et Kerkira - de plus petite taille, l'Achaeos
(170 voitures et 1000 passagers, mais seulement 14,7 noeuds, contre
plus de 20 pour son prédécesseur). Pour la saison 2012,
la compagnie bénéficie d'un nombre de créneaux
de départs plus important - 5 au lieu de 4 - à même de mieux
garantir son développement, jusqu'ici difficile face à
ses grands concurrents. Elle a également prévu de nouveaux changements de navires : à titre provisoire, l'Ostfold
(construit en Norvège en 1979 et pouvant embarquer 190 voitures
et 700 passagers a été affrété jusqu'à la fin juin
2012 et c'est depuis un autre bateau, l'Acciarello
(construit aux Pays-Bas en 1997 et pouvant embarquer 220
véhicules et 600 passagers selon la compagnie à une vitesse moyenne
d'environ 16 noeuds), qui a pris le relai pour
la saison estivale et qui est confirmé pour 2013, avec le même nombre de traversées quotidiennes en saison.
Par ailleurs, la Corsica Ferries avait envisagé
dès 2009 d'inaugurer
des liaisons en NGV entre Piombino et Portoferraïo mais s'était heurtée à des difficultés avec les
autorités
portuaires du port de Piombino, fief de la Moby Lines,
pour l'assignation de créneaux horaires de départs
commercialement satisfaisants. Prétextant une saturation du port
- contestée par la compagnie aux bateaux jaunes, le nombre d'escales de
navires au départ du port de Piombino étant
significativement inférieur en 2009 à ce qu'il
était quelques années auparavant - les autorités
portuaires de Piombino ne lui avaient alors pas accordé les
autorisations nécessaires à cette desserte. La situation
a connu un début de déblocage en 2011, la compagnie ayant
obtenu, à force de persévérance, 3 créneaux de
départs quotidiens, ce qui s'est toutefois avéré
commercialement insuffisant pour que la Corsica Ferries se lance dans la desserte de l'île d'Elbe3.
Pour la saison 2012 toutefois, un quatrième créneau lui a
été assigné dès novembre 2011 et deux autres ont suivi
ensuite suite à la décision de la Commission européenne qui a également bénéficié à Blu Navy.
Pour desservir l'ïle d'Elbe, la Corsica Ferries réemploye un de ses NGV4 jusqu'ici désaffecté, le Corsica Express Seconda
qui avait effectué des rotations Bastia-Piombino
pendant les étés 2008, 2009 et 2010. La traversée
Piombino-Portoferraïo s'en trouve ainsi raccourcie de
moitié : au lieu de 1 heure en ferry classique comme
l'effectuent ses concurrents Moby, Toremar et Blu Navy,
le NGV de la compagnie aux bateaux jaunes n'a besoin que d'une
demi-heure (à une vitesse d'environ 30 noeuds) pour relier ces
ports. Cette plus
grande vitesse constitue non seulement un argument de vente mais donne
également plus de souplesse dans l'utilisation du navire en
termes d'horaires des traversées ; la contrepartie étant
un plus grand risque sur le plan économique dans un contexte
toujours marqué par des cours élevé du baril de
pétrole. En effet, ces navires rapides présentent des
dépenses de combustibles relativement
élevées, les NGV consommant un carburant plus
coûteux que les navires classiques (même si cet
inconvénient est sans doute moins marqué sur des
liaisons courtes qu'il n'a pu l'être sur les lignes Nice-Corse,
Savona-Corse ou encore Civitavecchia-Golfo Aranci sur lesquelles les
NGV étaient employés il y a quelques années
encore). La brièveté de la distance à parcourir
ainsi que le caractère relativement protégé du
bras de mer entre l'île d'Elbe et la côte jouent aussi en
faveur de l'exploitation de ce type de navires (la
réglementation en vigueur ne
permettant pas de faire naviguer ce type de NGV lorsque la mer
présente des creux supérieurs à 3,5
mètres). En dépit de quelques difficultés
liées aux vagues provoquées par le passage du navire
qui ont conduit la Corsica Ferries
a retoucher la trajectoire du NGV, il semble que le pari ait
été tenu, puisque la compagnie aux bateaux jaunes
déclare avoir transporté sur cet axe 150 000 passagers et
53 000 véhicules pendant la première saison
d'exploitation du navire.
À
noter que pour la saison 2013, le nombre de traversées maximales
sur l'axe Piombino-Portoferraïo assurées de la mi-juin
à la fin septembre par le Corsica Express Seconda
passe de 6 à 7 les jours de pointe (il est en revanche
réduit à 5 en milieu de semaine). Autre nouveauté,
jusqu'à 4 fois par semaine en pleine saison, le navire
prolonge ses traversées jusqu'à Bastia, ce qui permet
à la Corsica Ferries
de rouvrir un lien saisonnier entre Piombino et Bastia qui n'avait plus
été desservi pendant les étés 2011 et 2012.
Mais le groupement Moby-Toremar
n'est pas en reste côté nouveautés : après
avoir rénové plusieurs navires de l'ex-compagnie
régionale et en avoir renouvelé d'autres, le groupement
renforce sa politique d'intégration des deux compagnies. Cela
passe à la fois par un alignement - vers le centre - des tarifs
des deux compagnies (jusqu'à présent la Moby pratiquait des prix plus élevés que ceux de la Toremar,
qui ont été relevés avec l'accord de la
région Toscane pour cause de hausse du coût du carburant)
et par la commercialisation commune des traversées sur
l'île d'Elbe - symbolisée par le slogan choc Il ponte per l'Elba, "le pont pour l'ile d'Elbe, jusqu'à 100 traversées par jour". En
fait, le groupement propose une cinquantaine de
traversées allers-retours par jour en saison, soit un
nombre tout à fait similaire à celui des années
passées. Toutefois, cette quote-part du marché demeure
supérieure aux 66% prévus initialement lors du processus
de privatisation de la Toremar : ses concurrents n'assurant au maximum
que 12 allers-retours par jour en saison, la part du groupement Moby-Toremar
atteint 80% du nombre de rotations en saison et 100% hors saison, la
présence des autres compagnies n'étant que
saisonnière. Ce point n'a semble-t-il pas été
relevé à ce jour par les autorités en charge
de faire respecter la concurrence.
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Notes :
[1] Pendant l'été 2011, à l'initiative de la région Sardaigne, la Saremar a également desservi des lignes avec l'Italie continentale (Porto Torres - Savona Vado, depuis le terminal de la Corsica Ferries, et Golfo Aranci-Civitavecchia) venant ainsi concurrencer son ex-maison mère Tirrenia ainsi que les principaux opérateurs privés des lignes sardes (Moby Lines, GNV, Sardinia Ferries et SNAV)
soupçonné par l'autorité antitrust d'avoir
noué une entente en vue d'augmenter significativement leurs
tarifs.
[2] Il est à noter que la Toremar compte par ailleurs deux autres navires, les Liburna
(desserte de Capraïa, Pianosa et de Gorgona au départ de Livorno) et
Giuseppe Rum (desserte de l'île de Giglio au départ de Porto
Santo Stefano). Signalons enfin que ces appelations des nouveaux navires de la Toremar, héritées de la compagnie d'origine, étaient provisoires : le Lora d'Abundo a été rebaptisé Rio Marina Bella et le Maria Sole Lauro a été remplacé par le navire rapide monocoque de transport de passagers Agostino Lauro Jet.
[3]
Pour être tout à fait complets, rappelons qu'il ne s'agit
pas de la première expérience de la compagnie aux bateaux
jaunes sur l'ïle d'Elbe. À compter de 1993, sa filiale Elba Ferries avait fait naviguer un premier navire classique, l'Elba Nova
(100 voitures et 600 passagers) entre Piombino et Portoferraïo en
saison. À compter de 1995, celui-ci avait été
remplacé par un catamaran rapide de petite capacité, l'Elba Express
(40 voitures et 350 passagers environ), ce qui a constitué la
première expérience de la compagnie en termes de
navigation rapide. La compagnie s'était toutefois retirée
de la desserte de l'ïle d'Elbe à l'issue de la saison 1998,
préférant se concentrer sur la Corse et la Sardaigne dont
les lignes alors en plein boom nécessitaient des investissements
importants en termes de navires. Aussi l'Elba Nova et l'Elba Express ont-ils été vendus en 1998 et 1999, respectivement aux compagnies Iscomar et Emeraude Lines.
[4] La Corsica Ferries possèdait deux autres NGV jumeaux, les Sardinia Express et Corsica Express Three,
non employés depuis quelques années déjà
sur ses lignes corses et sardes en raison des cours
élevés du carburant. Le Sardinia Express
a été vendu début septembre 2012 et navigue
désormais en Corée du Sud au départ de Yeosu Korea
sous le nom de Tamnara.
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