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GAME THEORY
   


 
   
Archéologie et invention du jeu vidéo
 
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VII. Pistes de reflexions sur l'invention du jeu video


Dans ce débat, tout en voulant tordre le cou à des idées reçues et légitimer ses inventions, R. Baer jette évidemment quelque peu le trouble sur la question de l'invention du jeu. Partie prenante dans cette histoire, il évoque lui-même quatre dates différentes concernant sa contribution : 1949 pour la naissance de l'idée, 1951 pour la première formulation du projet au sein d'une entreprise, 1966 la rédaction des diagrammes et le démarrage de sa mission chez Sanders et enfin 1972 pour la commercialisation effective de la console Odyssey. C'est la date de 1966 qui est habituellement retenue alors que le brevet sur la console de salon ne daterait que de 1968. L'étude des procès ayant opposé Sanders/Magnavox à Atari, Sega, Nintendo, Mattel, devraient permettre de mieux identifier les enjeux historico-économiques liés à cette question. Ces documents constituent de toute évidence une base documentaire indispensable pour approfondir la question de la propriété intellectuelle et le brevet de la console de jeu vidéo, pour mesurer les divers enjeux financiers, humains, historiques à travers ces débats dans les cours de justice des Etats Fédéraux américains et surtout pour comprendre l'évolution de l'industrie du jeu vidéo dans les années 70 et 80.
Il ne semble donc pas possible d'aller plus loin pour le moment dans ce débat sans s'acheminer vers une définition technique et juridique des principes de base du jeu vidéo, qui suppose alors une connaissance minimum des langages de programmation informatiques des années 60-70, de l'évolution des matériaux et de l'électronique dans l'audiovisuel. A ce titre on ne peut que souligner la rareté des travaux sur l'histoire de l'informatique en France sur lesquels un tel travail pourrait s'appuyer.
Une enquête prenant pour terrain les débats juridiques ayant eu lieu entre Sanders et les divers industriels du jeu depuis les années 70, doublée d'une ethnographie du champ informatique dans les années 60, et d'une étude de la réception et de la médiatisation de ces événements à travers la lecture de la presse et des stratégies marketing permettrait de mieux apréhender toutes les questions que nous avons soulevées dans cet article.
Mais pour l'heure il semble que deux histoires parallèles du jeu vidéo co-existent. Une première, plutôt superficielle, qui se satisfait d'énoncer quelques dates et retient tantôt Russell, tantôt Bushnell à travers Pong, tantôt Higinbotham, et une seconde plus approfondie cherchant à poser les termes du débat, axée autour du travail de Ralph Baer et de la légitimation de son invention. Dans la première histoire Bushnell, Russell et parfois Higinbotham sont davantage cités, sans doute parce que ces derniers ont fini par acquérir une notoriété à travers un jeu (Tennis Programming, Space Invaders, Pong) ce qui n'est pas le cas de Baer, qui est le père du console dont les nouvelles générations ont souvent oublié le nom et qui plus est n'est jamais réellement sortie des Etats-Unis. Le fait que la console Odyssey n'ait véritablement été commercialisée en Europe qu'à la fin des années soixante-dix, sous la licence Videopac (Philips) empêche donc le débat de dépasser les frontières des Etats-Unis. D'ailleurs d'autres inventions de Baer ont davantage marqué le public, à l'instar du jeu Simon commercialisé à partir de 1979.
Il apparaît certain que le travail effectué durant six années chez Sanders par R. Baer est un travail de recherche-développement qui a déterminé la naissance de la console personnelle et surtout son mode d'industrialisation, et pour faire une synthèse entre ces deux histoires parallèles nous pouvons dire pour l'heure, même si du point de vue d'une histoire des techniques, cela n'a pas grand intérêt, que Higinbotham et Russell sont les grand-pères du jeu vidéo, Ralph Baer l'inventeur officiel de la console de salon, et Nolan Bushnell le pionnier de l'industrie du jeu vidéo d'arcade, avec pour précurseurs les auteurs de Galaxie Game et le Periscope de Sega. Si ce dernier a incontestablement pillé les idées de Russell et de Baer, il n'en a pas moins pressenti les potentialités de cette industrie mais encore la nécessité de créer des jeux attractifs et simples capables de captiver un public.
Pour en finir avec les surnoms donnés à ces précurseurs, notons que Sam Hart écrit dans un texte intitulé : "Guns, Games, and Glory :The Birth of Home Video Games", que Ralph Baer fut appelé : "le Thomas Edison du jeu vidéo". Willy Higinbotham aussi détenteur de très nombreux brevets en électronique a réçu le même titre dès le début des années 80.
En se penchant à présent sur la question des mobiles des uns et des autres, on constate qu'Higinbotham n'a jamais été très actif dans cette course à l'histoire. L'implication du BNL et de Higinbotham dans ce qui deviendra plus tard l'industrie du jeu vidéo n'est pas très importante étant donné qu'il n'existe au BNL aucune revendication de brevet. L'implication du BNL sur ce sujet semble donc essentiellement liée à des motivations de type promotionnelles et patrimoniales. Elle a été aussi encouragée par les artciles de David Ahl et John Anderson ayant fonctionné comme un mini-lobby journalistique à partir de 1982.
est à la fois une revendication juridique et financière et une volonté de reconnaissance personnelle. Baer a mené avec pugnacité de nombreux procès pour Magnavox afin de faire renconnaître l'antériorité de son brevet, ce qui a permis à Magnavox d'assurer l'essentiel ses revenus durant les années 70 et 80.
Russell et surtout de Bushnell bénéficient quant à eux d'une notoriété spontanée, provenant cette fois-ci du succès que leu jeu a remporté auprès de certains publics. Le public des étudiants-informaticiens ou "Hackers" pour Spacewar !, qui constituait déjà une véritable communauté dans les années 60, et le grand public pour le jeu Pong qui restera à jamais le premier succès international dans le domaine du jeu électronique.
On se rend compte que ces inventions renvoient à diverses familles et milieux ayant simultanément dans les années 50 et 60 détourné l'ordinateur de ses fonctions d'origine. La famille de l'électronique (télévision), la famille de l'informatique de recherche (les hackers avec Spacewar! et Galaxy game), la famille de la recherche publique et militaire (Higinbotham), l'entrepreneur de génie (Bushnell), la famille du jeu d'arcade taditionnel (Sega, David Rosen). On pourrait ajouter, même si ces mlieux ne rentrent pas dans le débat juridique, la famille du "computer art" et de "l'art video" (installations, images de synthèse) avec les expériences de Nam June Paik, de Ben Laposky. Mais aussi celle du cinéma élargi, avec le procédé Kinoautomat présenté au Pavillon Tchèque de l'Exposition Universelle de 1967, qui faisait appel à un ordinateur pour le traîtement des réponses des spectateurs d'un film interactif. Ainsi, télévision, informatique, milieu militaire, ludique, industriel, artistique, autant de mondes, tantôt séparés, tantôt croisés ayant jeté les bases de ce que l'on appelera plus tard le jeu vidéo.

Une invention 100% américaine ? Sur un plan ethnographique, l'histoire des techniques nous enseigne que l'invention d'un dispositif technique médiatique est toujours marquée d'une part par une synchronicité de l'invention à travers le monde, et d'autre part par une évolution graduée, cyclée, des différents effets de norme aboutissant un jour à l'industrialisation d'un nouveau système de communication. Seulement le jeu vidéo est incontestablement une invention d'après-guerre, et ici la domination américaine au sortir de la seconde guerre mondiale a sans doute été décisive dans l'avance prise sur l'Europe en particulier. Mais en matière de jeu vidéo, dernier avatar du système audiovisuel, nous sommes pour le moment bien en peine de trouver des inventions françaises et même européennes capables de mêler au débat américano-américain que nous avons tenté d'exposer. Les querelles Baer-Bushnell ou Russell-Higinbotham sont pour le moment loin d'égaler le retentissement que pouvaient avoir les Lumière-Marey ou Edison-Lumière au 19e et début du 20e siècle.
Que faisaient donc les français entre 1958 et 1972, période pendant laquelle les bases technologiques et industrielles du jeu vidéo ont été posées ? Une première enquête auprès de Bull, première entreprise informatique européenne dès le milieu des années 60, de l'IRIA (l'ancêtre de l'INRIA, centre de recherche en informatique et atomique), et l'ORTF (et notamment le GIRATEV) ne révèle aucun projet assimilable au jeu vidéo, qui serait resté jusqu'ici ignoré. Mais l'enquête mérite d'être poussée si l'on s'en tient à l'histoire et aux enseignements tirés des inventions du 19e et du 20e siècles dans le secteur des médias.
Il résulte de cette absence de brevet européen, une désertion du débat en Europe. Si la recherche et la création se sont développés singulièrement en France en matière de cinéma et de photographie, sans doute n'est-ce pas étranger au fait que ces inventions pouvaient être revendiquées par nore culture, pour témoigner par exemple "du génie des lumières". La question de l'inventeur est un enjeu supranational d'importance.

Enjeux d'une archéologie et une histoires du jeu vidéo.
Ainsi deux terrains de réflexions peuvent s'ouvrir à partir de ces premiers éléments d'histoire. Le premier viserait à refaire une histoire des techniques du jeu vidéo à la manière de Bertrand Gille, en s'intéressant à la succession des cycles et la formation du système technique du jeu vidéo, en déterminant les strates de son invention et de son industrialisation. Et une seconde qui porterait davantage sur la mythologie historique.
La question de l'invention du jeu vidéo a plusieurs incidences potentielles sur les débats et les recherches à venir. Tout d'abord au niveau industriel, sur la question des brevets, afin de comprendre quels sont les déterminismes techniques et juridiques ayant régi les stratégies des grands groupes tels que Atari, Sega, Nintendo, depuis leur origine.
Pour les historiens actuels et futur des médias parce qu'il ne semble pas évident de comprendre les enjeux contemporains de ce loisir grand public sans se replonger dans les racines de cette invention et notamment dans la compréhension des croisements technoculturels étant à son origine.
Enfin parce que l'histoire du jeu vidéo, est peut-être un point d'entrée intéressant, notamment en Europe, pour développer une recherche universitaire ambitieuse et interdisciplinaire au sujet de la culture des médias électroniques, en ayant en point de mire une petite idée des incidences que ces pratiques pourraient avoir à terme sur la mise en place de formations professionnalisante et/ou universitaires, la mise en place de politiques culturelles spécifiques ayant pour prérogatives le soutien de la production de qualité et la politique du patrimoine, sur l'émergence enfin d'une histoire et d'une esthétique ayant notamment pour corrolaire l'élaboration d'une grammaire du jeu vidéo.
Nous pouvons nous attendre à ce que le secteur du jeu connaisse à terme une consécration culturelle, sinon équivalente à celle du cinéma, du moins aussi importante en ce qui concerne l'imbrication de la logique identitaire sous-jacente au processus de consécration culturelle et la manière dont ces pratiques révélent et façonnent les comportements politiques et culturels de notre temps.

v 1.0, 12 novembre 2002. Frank B.

Il s'agit d'une première version de l'archéologie du jeu vidéo 1958-1972. Vos remarques sont les bienvenues. Cette version sera retravaillée, complètée, annotée.




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