New York

Assez joué. Je vais écrire un peu. Ce que j’aime à New York, c’est passer des heures dans les librairies. J’ai acheté un magnifique sac à roulettes gris ardoise pour rapporter tous les livres que j’ai trouvés chez Borders (au coin de Park avenue et de la 57ème rue), chez Barnes & Noble (Broadway et 66ème) et Shakespeare & Co (Broadway vers la 8ème rue).
Ils ont un rayon spécial plein de livres qui expliquent comment écrire. Ah, j’aimerais bien apprendre. L’embêtant, c’est que je trouve pas le temps. Je suis trop occupé, avec tous ces livres que j’écris.
J’ai acheté “Conseils d’un éditeur aux écrivains”, de Betsy Lerner, “Des écrivains parlent de l’écriture” (une anthologie de textes parus dans le New York Times), “Comment écrire une prose méchamment efficace”, de Constance Hale, “Sur l’écriture”, de Stephen King et les trois gros livres rassemblant les leçons de littérature de Nabokov: sur Don Quichotte; sur Dickens, Flaubert, Proust, etc.; sur les romanciers russes.
Stephen King dit qu’on reconnaît un mauvais écrivain à ce qu’il abuse incroyablement des adverbes. Après l’avoir lu, j’ai rayé tous les adverbes de mon prochain manuscrit. Pour les livres déjà parus, c’est trop tard. Zut. J’aurais dû lire ces bons conseils avant de me lancer dans ma carrière d’écrivain. Pour me consoler, je pense à Schubert. Il rêvait d’apprendre à composer. Alors qu’il avait déjà écrit tous ses chefs d’œuvre, il s’est enfin décidé. Il est allé chez un célèbre professeur de Vienne. Il a eu le temps de prendre une leçon. Dix jours après, il est mort, à l’âge de trente et un ans.
C’est à New York que j’achète mes livres de blagues juives. Je glisse volontiers des blagues dans mes romans pour détendre un peu l’atmosphère. Je suis obligé d’aller les chercher dans des livres parce que mes parents n’en racontaient jamais. Chez nous, il n’y avait ni blagues juives, ni coutumes juives, ni fêtes juives. Mes parents pensaient que le judaïsme était une vieille chose qu’on pouvait oublier. À New York, les juifs sont nombreux, donc les librairies ont de grands rayons de livres consacrés au judaïsme.
J’ai trouvé une blague qui me plaît:
Une mère juive lit une lettre en riant. La voisine qui passe par là lui demande ce qui la fait rire.
– C’est une lettre de mon fils Nathan.
– Celui qui habite à Los Angeles? Comment va-t-il?
– Oy, ça va mal. Il y a eu un court-circuit dans son magasin et tout a brûlé. Justement il n’avait pas encore renouvelé son contrat d’assurance. Il a tout perdu. L’argent qui était à la banque, son associé est parti avec. Non seulement ça, mais sa femme s’est enfuie avec l’associé et elle a emmené les enfants…
– Que de malheurs! Mais alors, comment se fait-il que je vous aie trouvée en train de rire en lisant la lettre?
– C’est que mon Nathan écrit si bien… Lire ses lettres est toujours un plaisir!
Cette blague résume parfaitement les trois volumes de leçons de littérature de Nabokov.