Les Chemins de Porquerolles

Les Cartes anciennes de l'île




Carte de Porquerolles par CASSINI 1778


La Carte


          Porquerolles apparaît sur la feuille N° 135 (Toulon) du relevé général de la France effectué avant la Révolution Cette carte a été relevée en 1778 sous la direction de César-François Cassini de Thury; elle à été gravée une première fois en 1779 dans une édition sur toile, difficilement lisible. L'ensemble des cartes à été réédité en 1815 et l'on peut les retrouver, tant au service historique de l'IGN , que commercialisé sous forme d'enregistrement de deux CD pour les 181 feuilles qui couvrent la France. Le site Gallica permet de les visualiser et de les parcourir et le site de LOCUM-FRANCE permet de les visualiser entièrement.
           Louis XV à commandé la première carte du Royaume de France à César François Cassini de Thury dit Cassini III, chargé de réaliser ce travail à l'échelle "d'une ligne pour cent toises", soit 1/86400 La carte s'appuie sur le réseau géodésique réalise de 1683 à 1744 par Jean-Dominique Cassini et son fils Jacques (père de Cassini de Thury). Les levées commenceront en 1760 avec César François Cassini de Thury (décédé en 1784) et se termineront en 1789 avec son fils, Jacques Dominique Cassini. La publication sera retardée par les événements de la Révolution pour n'être achevée qu'en 1815.


Visualisation de la carte des Iles d'Hyères à haute définition

          L'Ile, qui fait, sur la carte, une dizaine de centimètres de long , est représentée plus large qu'en réalité, avec des hypertrophies pour les lieux habités, mais cela n'est pas gênant pour son interprétation. Elle est riche d' une cinquantaine de noms de lieux, le réseau hydrographique est indiqué, ce qui est très précieux pour les repérages sur place. Mais c'est surtout le réseau de chemins. qui va nous intéresser avec environ une quinzaine de kilomètres de voies à découvrir et à parcourir.

L'actualité

          La France en 1778 se trouve en guerre contre l'Angleterre, il s'agit, cette fois, de la guerre de l'Indépendance Américaine qui se terminera en 1783. L'Arsenal de Toulon fonctionne à plein régime avec ceux de Brest et Rochefort. La flotte anglaise est toujours menaçante et fait toujours des incursions vers les îles et les abords de Toulon, mais l'Espagne est notre alliée et l'Angleterre n'a pas la suprématie en Méditerranée. Même Gibraltar sera assiégé !
          Un petit texte extrait des Lettres de M. Bérenger paru en 1787 nous donne l'ambiance qui régnait à Toulon, lors des départs et arrivée des flottes.
          Les propriétaires de Porquerolles sont : Le Marquis d'Hendicourt et de Lenoncourt et Gaspard de la Croix de Castrie Ils étaient devenus coseigneurs du Marquisat de Porquerolles en prêtant serment de fidélité à Louis XVI en 1782 et ils resteront propriétaires de l'île jusqu'à la révolution
          Une petite garnison est présente dans l'île, elle doit assurer un service minimum dans les forts et une petite activité de guet. Il y a quelques invalides de guerre dont le sort ne paraît pas enviable. Passant à Hyères en 1885, un voyageur, Jacques Antoine-Hippolyte Guibert, nous précise: ''De Toulon, passé aux îles d'Hières ; ces Iles si vantées, ne sont que des terres désertes, et nos pauvres invalides y meurent de faim et de misère.''

Le tour de l'île


          Nous allons, comme l'ont certainement fait les cartographes de Cassini, effectuer le tour de Porquerolles pour tenter d'expliquer la toponymie des lieux rencontrés. Nous allons partir du Langoustier pour faire le tour dans le sens des aiguilles d'une montre. Mais cette navigation va plutôt être un louvoyage entre les dictionnaires Occitan-Français car les noms de lieu sont, pour la plupart, d'origine provençale. J'ai navigué dans les ouvrages suivants :
Lexique Roman, Raynouard, 1836
Dictionnaire Languedoc Français, Maximin d'Hombre et Gratien Charvet, 1884
Dictionnaire Analogique et Étymologique des idiomes méridionaux, L Boucoiran, 1898
Lou tresor dou félibrige, Frédéric Mistral, 1932
Dictionnaire Niçois Français, Georges Castelana, 1952
Lou pichot trésor ; Aubanel, 1975

          Fort du Gd Langoustier, Fort et Isle du Pt Langoustier : La langouste a donné son nom à la presqu'île et à son environnement, dans un écrit de 1712 on trouve Fort du Lingoustier encore plus proche de la ''lingusta'' provençale.
          Rocher de Jaunegarde : Ce récif, actuellement recouvert par la tourelle de la Jaune-Garde est un écueil dangereux, responsable de plusieurs naufrages; à l'époque, il n'était point signalé et il fallait prendre garde a la ''jaume'' ( Tas de foin, à donné chaume en français, on traduira par matte)
          Cap Rousset : Ici nous trouvons notre premier poisson, qui a servi à baptiser un cap , le ''Roussèu'' est le ''pagel à dents aiguës; c'est un beau poisson brun rouge à grands yeux et dents en scie, dont la chair est délicate.''
          Plage de l'Aiguade : Point d'eau, probablement assez ancien.
          Cap du Bon Renaud, Plage du Bon Renaud : ''renaud'' a le sens de bonne réputation, renommé , cela s'applique parfaitement à ce mouillage.
          Pointe Prime : l'adjectif provençal ''prim'' signifie: mince, ténu, fin, allongé ; il qualifie fort bien cette pointe qui est une presqu'île, une miniature de la presqu'île de Giens, avec un tombolo sableux très étroit
          Cap du Man : man, signifie main en provençal mais a également le sens de commandement, ordre, message. On peut supposer que ce cap faisait office de ''quai d'accueil'' lors de l'entrée d'un navire dans la baie. Ce cap s'appelait : pointe Maubousquet, ce nom lui a été attribué à nouveau.
          Plage du château : A l'époque, la grande demeure de la famille De Lénoncourt dominait cette plage
          Grande Plage : C'est actuellement, la plage de la Courtade, par suite d'un ''glissement'' cartographique
          Plage de la Courtade : Il faut y voir la troisième Courtade actuelle, devenue plage du Lequin. Courtade signifie court, insuffisant ; probablement pour signaler la faiblesse de ce mouillage.
          Cap du Quin : Charles Quint aurait'il laissé son nom ici ? Certainement pas ,car les Provençaux n'aimaient pas du tout ''Jean Gipon'', qui fut leur ennemi. J'ai une explication toute simple pour ce cap numéro cinq : le premier c'est la pointe Prime, le second le Man ou Maubousquet, le troisième la pointe Bearlieu, le quatrième la pointe de la Tuffière et la cinquième... : le Quin. Maintenant on numérote les plages, pourquoi n'aurait on pas, jadis, numéroté les caps ?
          Fort de l'Alicastre : C'est sur la carte de Tassin en 1634 que l'on voit apparaître pour la première fois le nom de Licastre. Il s'agit probablement d'une déformation de "le castre" (le château) qui était alors en construction. Un historien avait imaginé qu'il s'agissait du « château d'Ali » qui aurait préexisté sur cette pointe, mais cette origine est fort improbable.
          Plage N.D. : Les Porquerollais sont persuadés que la Plaine de Notre Dame a jadis abrité un monastère, aucun texte ne vient confirmer une telle implantation à Porquerolles. Il y eut un monastère dans les îles, au Levant, au 12eme et 13eme siècle, il en reste des ruines au Castelas. Ce monastère fut vraisemblablement attaqué par les pirates et les moines emmenés en esclavage. L'île du Levant est désignée sur les cartes anciennes par ''Ille des bons hommes'', ce terme rappelle cette implantation monastique.
          Port des petits bateaux : Nom charmant qui ne s'est malheureusement pas conservé; dans la partie est de la baie de Notre Dame les hauts fonds n'autorisent que le mouillage de bateaux de faible tirant d'eau.
          Rocher des Meudes, Cap des Meudes, Montagne des Meudes : Meudes est orthographié Mèdes sur les cartes antérieures et postérieures. Il ne faut pas y voir un souvenir du peuple de la Médée, ni d'un hypothétique poisson, mais un terme de navigation quelque peu oublié : muder,ou mudare en italien et modar en espagnol signifie ''changer de coté la vergue d'un mat'' autrement dit, faire un virement de bord avec une voile latine. C'était une manœuvre plus délicate que sur les gréements modernes car il fallait amener l'antenne à la verticale, passer la partie basse de l'autre coté du mat puis ensuite rétablir la voile de l'autre bord. Cette manoeuvre était indispensable pour les voiliers qui voulaient tourner le cap. On trouve sur la carte de Tassin : ''cap de la mede'' , encore plus explicite ; la traduction moderne pourrait être : le Cap du virement de bord.
          Le Raton, Calanque du Raton : On peut y voir un rat ou un petit rat, mais je pense plutôt à une origine piscicole ; En provençal ''rato'' était le nom de la raie pastenague, une raie dont la queue est armée d'un long dard défensif (et venimeux). C'est l'occasion de rappeler le nom provençal de la chauve souris (en passe de devenir l'animal fétiche de Porquerolles !) : rato-pénade ou ratapignata, qu' il ne faut pas confondre avec les ''ratalinades'' que l'on déguste dans les restaurants de l'île.
          Gros Beau : De ''bau'' escarpement, falaise; parfaitement traduit dans les cartes actuelles par le gros mur
          Plage du Galéasson, Le Galéasson : Le nom Galéasse a primitivement été utilisé pour désigner les îles du Sarranier, avec un peu d'imagination on peut y voir une grosse galère, une galéasse. Avec Cassini ce nom a glissé vers le rivage avoisinant. Il sera donné par la suite au Fort et, sous sa forme francisée, à la plage de la Galère.
          Ancienne Mandrague : il s'agit de l'emplacement d'une madrague, encore active au 18eme siècle. Elle a peut entre été visité par L. P. Bérenger, qui nous a laissé, parmi ses lettres, un poème intitulé: ''Plaisir des Bords de de la mer aux îles d'Hières'' ou il décrit la pêche à la madrague puis la bouillabaisse offerte par les pécheurs sur la plage ; cette coutume continuera jusqu'au début du 20eme siècle.
          La Jaune : Probablement un haut fond ou une matte
          Cap de Sevaignet,le Gros Sevaignet,le Pt Sevaignet : Les historiens sont d'accord pour trouver l'origine de Sarranier dans le poisson dénommé saran. L'orthographe de l'époque rappelle plutôt un autre poisson, le sévenol qui, à l'époque s'appelait severeù en provençal. Il s'agit d'un poisson de la taille d'une sardine mais pourvu de plusieurs rangs d'arêtes, mais nous en resterons à saran, quel est ce poisson ? Jahandiez dans sa nomenclature nous donne trois possibilités : le sarran (serranus scriba), le serran (serranus hépatus) et enfin le grand serran (Mérou brun), ce n'est pas le choix qui manque !
          Gros Mourre : Gros rocher en forme de tête
          les Salins : Le mot a été mal orthographié par le graveur ; à l'époque les monts Sarranier s'appelaient les Salis, ce nom c'est conservé après la Révolution, on le voit apparaître sur le "cadastre de Napoléon " et dans la correspondance militaire de l'époque quelquefois sous la forme Solis par exemple dans la description des chemins de 1751. Nous avons donc pour arriver aux Salins de la carte de Cassini, un glissement sémantique de les Salis ou les Solis vers les Salins qui désignaient alors les monts Sarranier Puis à la fin du 19eme, un nouveau glissement, géographique celui la, déplace les Salins vers leur position actuelle. De tels glissements son fréquents en cartographie et ne peuvent être détectés qu'après une étude minutieuse des cartes et des textes d'époque. Reste à trouver l'origine de Salis (ou Solis)
          L'Oustau de Diou : cette région était un vrai paradis pour les pêcheurs qui pouvaient y séjourner durablement, avec beaucoup de poissons, des abris, de l'eau douce, un accès dans l'ile...Mais la carte, la plus ancienne que je connaisse qui cite l'oustaou de Diou semble localiser ce nom à l'ouest de la calanque des salins, vers la pointe des salins, y avait'il par là un abri providentiel ?
          la Beaumelle : du provençal ''baumo'' qui se traduit par grotte, caverne, cavité naturelle, il existe une petite grotte dans les parages, au fond d'une calanque..
          Pont de la Gde Calle : Probablement le port et non le pont, la ''calle'' est un abri
          Bonneau : On s'attend à trouver une source, c'est en réalité une résurgence sous-marine d'eau douce, signalée sur la carte Napoléon devant la pointe à l'est de la grande cale.
          Cap Roux : C'est un nom très répandu pour un cap, on peut y voir une couleur ou peut etre le mot provençal ''rous'' qui signifie : cassure, rupture, car ce cap marque une rupture dans l'orientation de la cote.
          Rocher du Gabian : En l'honneur des goélands qui fréquentaient ce rocher. Il est devenu plus tard, le Rocher de la Croix.
          Cap d'Arme, Plage d'Arme : lieu principal de guet et de surveillance de la garnison.
          Cap de Briganconnet Le petit Briganson ; Briganson, maintenant Brégançon, comme Briançon, vient du ligure : lieu élevé et fortifié. L'analogie de cette presqu'ile avec celle de Brégançon lui a valu le nom de petit Brégançon.
          Port Foy : Il ne faut pas y voir un hommage à un sieur Foy ou Fay, cette anse s'est appelée au cours des temps anse du parfait, port frais ...pas d'explication à proposer.

L'intérieur de l'île


          Nous l'étudierons en décrivant les chemins de cette époque