« La misère en chair et en os» p. 93]. Critique
“C’est donc comme des êtres à demi noyés dans ce grand bain organique qu’apparaissent les « naufragés » rencontrés par l’auteur. Et c’est avant tout comme des corps que ceux-ci nous sont donnés à voir : corps dont les atteintes sont régulièrement décrites avec la froide précision du vocabulaire médical ; corps infirmes, meurtris ou putréfiés qu’exposent, avec force gros plans et contreplongées,
les photographies et croquis joints au texte ; corps dont toute la gamme des comportements insanes nous est déclinée par une écriture accumulative n’hésitant pas, au besoin, à gonfler ses descriptions aux hormones de la concaténation
Que dire de ces descriptions, par-delà les sentiments qu’elles peuvent inspirer ? Depuis Mauss au moins, on sait bien toute la fécondité heuristique d’une posture anthropologique attentive à la dimension corporelle du social. Il est clair, par ailleurs, que la question du corps est centrale pour qui s’intéresse en anthropologue aux populations étudiées dans Les Naufragés. Tout d’abord, comme Dominique Memmi l’a noté, parce que « les SDF » sont socialement définis « comme une population à la fois réduite au corps propre et dans l’impossibilité de satisfaire [par elle-même] ses besoins élémentaires » : cette représentation communément partagée doit donc être interrogée en tant qu’elle fait partie de l’objet. Mais la question du corps importe également parce que, aussi préconstruite qu’elle soit par le sens commun.”