Narratologie : "Astal Body Church" : Jésus versus Apollon, Pleix,
« Le non des personnes », Gregory Chatonsky, 28 sept 2008
« La misère en chair et en os », p. 93]. Critique E. Soutrenon
 
Il s’était demandé pendant de longs moments, quel avait été le premier et qui déclenchait l’autre. Il s’était aussi dit que pour prononcer cette différence entre les deux, il utilisait des mots et qu’il s’enfermait ainsi d’avance dans ce problème irrésolu. Il avait essayé une autre méthode et encore une autre. Moins il y avait de corps dans la rue, plus les noms étaient audibles. On ne savait même plus qui les prononçait, c’était comme des voix sans support qui affleuraient dans les allées urbaines. La ville était désertée. Les rues n’étaient plus de passage, la maigre vie qui continuait, se cachait dans les immeubles détruits, dans les sous-sols, dans les trous. Il y avait les prénoms bien sûr, mais aussi simplement les désignations relationnelles, comme par exemple: père, mère, fils, fille, mari, femme, ami, amie, amant, amante, amour, amour. En les prononçant, ils disparaissaient aussi, effaçant dans le langage ce qui pourtant lui avait résisté.
 
Souffrait-il de cette situation? Son insensibilité ne lui permettait pas de trancher la question. Il restait impartial et il savait simplement qu’il suffisait à une chose d’être prononcée, pour ne plus être. Peut-être restait-elle dans le monde, cette chose nommée, mais en tout cas elle devenait inaccessible, constituant sans doute au fil des années, des résidus formant à force d’entassement des plaques géologiques. Il s’interrogeait: vais-je disparaître aux yeux des autres et continuer à être conscient de ma présence, ou simplement vais-je être absorbé par le mot et ne plus être, ni pour les autres, ni pour moi? Pour l’instant, il était, en tout cas il aimait à penser que ce qu’il percevait du monde était encore la garantie de son existence partagée entre lui-même et ces gens connus et inconnus qu’il croisait. Personne n’avait-il donc prononcé son nom? Personne ne pensait-il à lui? Il restait présent parce qu’il était absent du langage.”
 
« Le non des personnes », Gregory Chatonsky, 28 sept 2008,
Pleix, "Astal Body Church" : Jésus versus Apollon






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« Ils avaient disparu avec leurs noms. Chaque fois qu’ils avaient été prononcé, il ne restait plus que leurs noms. Le corps, la présence, les gestes, toutes ces choses qui font un être humain avec son tissu de singularités, avaient disparus. Il suffisait de prononcer un nom pour que son porteur devienne invisible. Il s’était longtemps demandé les raisons de cet effacement et avait échafaudé des théories plus ou moins complexes sur la relation entre le mot et son référent.
 
 
« La misère en chair et en os» p. 93]. Critique
 
“C’est donc comme des êtres à demi noyés dans ce grand bain organique qu’apparaissent les « naufragés » rencontrés par l’auteur. Et c’est avant tout comme des corps que ceux-ci nous sont donnés à voir : corps dont les atteintes sont régulièrement décrites avec la froide précision du vocabulaire médical ; corps infirmes, meurtris ou putréfiés qu’exposent, avec force gros plans et contreplongées,
les photographies et croquis joints au texte ; corps dont toute la gamme des comportements insanes nous est déclinée par une écriture accumulative n’hésitant pas, au besoin, à gonfler ses descriptions aux hormones de la concaténation
 
Que dire de ces descriptions, par-delà les sentiments qu’elles peuvent inspirer ? Depuis Mauss au moins, on sait bien toute la fécondité heuristique d’une posture anthropologique attentive à la dimension corporelle du social. Il est clair, par ailleurs, que la question du corps est centrale pour qui s’intéresse en anthropologue aux populations étudiées dans Les Naufragés. Tout d’abord, comme Dominique Memmi l’a noté, parce que « les SDF » sont socialement définis « comme une population à la fois réduite au corps propre et dans l’impossibilité de satisfaire [par elle-même] ses besoins élémentaires » : cette représentation communément partagée doit donc être interrogée en tant qu’elle fait partie de l’objet. Mais la question du corps importe également parce que, aussi préconstruite qu’elle soit par le sens commun.”
 
Emmanuel Soutrenon : Offrons-leur l’asile ! Critique d’une représentation des clochards en « naufragés »  [1] 2001
 
« Le non des personnes », Gregory Chatonsky, 28 sept 2008