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Anna Gavalda
Anna Gavalda a écrit deux romans pour Je Bouquine, dont lun,
35 kilos despoir, a été publié en livre
(Bayard Éditions) et traduit en plusieurs langues. Elle est aussi
lecteur jeunesse. Elle reçoit toute notre production et rédige
occasionnellement une rubrique dans le magazine Elle, Les enfants dabord.
Sur ma table de chevet
Déjà, je nai pas de table de chevet. Cest une
pile de livres par terre. En ce moment (en janvier), il y a beaucoup de
catalogues de graines et de plantes. Le catalogue de la maison Bureau
et fils et celui de la vénérable maison Baumaux, qui a de
très bonnes graines potagères.
Il y a beaucoup de livres de Karen Blixen, parce que jai lu la nouvelle
traduction de La Ferme Africaine (Gallimard) par Alain Gnaedig
et que cela a été un choc incroyable. Cela faisait très
longtemps que je navais pas lu un livre avec tant démotion,
surtout sur le plan du style, de lécriture.
Maintenant, quand je lis, je suis comme une couturière qui défait
les robes pour comprendre le patron mais pas trop quand même.
Quand un livre est très bon, on oublie, on est dabord ému.
Je pense que je lis les livres avec la même naïveté
quà seize ans. Cest ce quon appelle un lecteur,
dailleurs.
Et puis Lhonorable juge Katz (de Dominick Dunne, Les Quatre
Chemins éd.) je ne lai pas lu, cest américain,
il paraît que cest formidable.
Jai en permanence luvre complète de Marcel Aymé
et de Maupassant sous mon matelas. Jaime bien lire une petite nouvelle
avant de mendormir. Cest ma camomille. Ou mon excitant, cest
selon.
Un livre que je recommande
Je recommande luvre de Henri Calet. Cest mon maître
en écriture avec un M majuscule, mon modèle délégance.
Sil fallait en choisir un de lui, ce serait Le Tout sur le Tout,
où il raconte sa vie, cest chez Gallimard Limaginaire.
Il y en a un très joli, Poussières de la Route (Le
Dilettante) que jaime beaucoup. Cest un type formidable, lélégance
faite style. Vous voyez, je ne dis pas cest un auteur formidable,
je dis cest un type formidable.
Un souvenir denfance
Je nai pas envie de donner un souvenir denfance. Je suis trop
pudique. Et puis je naime pas parler de moi, cest impossible.
Un souvenir incluerait mes frères et mes surs et je ne peux
pas parler deux sans eux. Nous formions une bande et sous
prétexte que cest moi qui ai la parole aujourdhui
je risquerais de nous trahir.
Un souvenir denfance, cest davoir vu LArgent
de poche de François Truffaut à dix ans et de mêtre
dit : Ce quil y a de mieux dans la vie, ce sont les histoires
Emouvoir les gens, les faire rire, sourire ou pleurer en leur racontant
de longues histoires ou de petites anecdotes
.
Pour mes enfants, cest très pittoresque, mon enfance. Cétait
à la campagne. Nous navions pas la télé. Nous
étions dehors depuis la sortie de lécole jusquau
dîner. Nos vélos, nous les appelions des biclous,
nous étions très égratignés et nous braconnions
les braconniers, Ah
Jen chevrote !
Un film
Je dirais Les Yeux Noirs, de Nikita Mikhalkov, daprès
une nouvelle de Tchekhov. Pour Mastroianni, pour Tchekhov, pour Mikhalkov.
Jaime beaucoup tous les films de Mikhalkov (Urga, Soleil Trompeur,
Le barbier de Sibérie
). Parce que cest lhistoire
dun don juan qui tombe amoureux, cest toujours une situation
émouvante, et enfin parce que jidéalise probablement,
je lai vu une fois il y a dix ans. Laffiche est dans mon bureau.
Une musique
La musique sacrée. Haendel, Bach, toutes les grandes messes. Les
Dies Irae me mortifient et les Gloria menvoient au Paradis. La foi
de la charbonnière.
Les opéras aussi, parce quils racontent des histoires. Mais,
pour dire la vérité, jécoute peu de musique,
presque jamais. Jaime le silence.
Sur lécriture
Il ny a pas décriture, il ny a que des lectures.
Je me sens lectrice avant tout. Pour comprendre ce que cest que
lécriture, il faut lire des livres. Le reste est indicible.
En plus, jai une conception très pragmatique de mon métier.
Écrire, cest ce que jaime le plus faire et cest
une façon de gagner ma vie. Ça nourrit mes enfants. Je nai
rien dautre que lécriture. Jétais professeur
de français pendant sept ans, mais à mi-temps.
Cest comme pour les souvenirs denfance. Ça mobligerait
à parler de moi et je ne sais pas faire ça.
Une bonne question posée par un élève
Jétais allée à Lavelanet (dans lAriège)
qui est aussi le village de Fabien Barthez. Toutes les questions tournaient
autour de lui. Cétait lenfant prodigue du village.
Il avait acheté le tabac Barthez pour son père, lépicerie
Barthez pour son frère, le garage Barthez pour son cousin. Les
enfants avaient conscience que je nétais pas vraiment une
star par rapport à leur grand homme. Beaucoup de questions tournaient
dailleurs autour du star system. Donc ils mont demandé
si je gagnais plus ou moins dargent que Barthez, pour voir à
quel niveau jétais sur leur échelle de valeur. Mais
cétait dit avec beaucoup dhumour. On se serait cru
dans un film de Truffaut, justement !
Dans ma petite mallette
Jemmène les étapes de fabrication du livre. Le manuscrit
de 35 kilos despoir. Souvent, jai mon ordinateur portable
avec moi, donc je présente le clavier. Leur montrer que cest
bête comme chou, cette affaire, il suffit de cliquer sur Word
et puis raconter
. Des pages qui sortent de limprimerie. Des
traductions étrangères, parce que ça les amuse beaucoup.
Par exemple, il y a une version anglaise et une version américaine,
cest intéressant de comparer. Les mots dargot sont
différents. Je transbahute tout ça, je suis une bonne fille
! Et puis la version en braille. Ça, ils aiment beaucoup. Cest
émouvant, le livre quils viennent de lire, de poser les doigts
dessus.
Ma bibliothèque
Ma bibliothèque est très minimaliste, parce que les livres
que jaime, je les donne. Je les regrette parfois après, mais
bon, cest donné. Il marrive den chercher un partout
et de réaliser quil nest plus là. Abattement
terrible. Jespère quil a été lu
Jai donc surtout des livres que je nai pas encore lus. Il
y a beaucoup de bandes dessinées, luvre complète
de Goscinny, des traités de jardinage, beaucoup de beaux livres
sur le dessin.
Beaucoup de dictionnaires. Jaime beaucoup les dictionnaires.Les
mots de la couleur, Les mots du costume, formidable
collection chez Belin. Chez Zulma, ils ont réédité
le Furetière en plusieurs thèmes. Celui des mots obsolètes
est délicieux. Jai aussi des dictionnaires sur le jargon
de telle ou telle corporation. Par exemple, le jargon des imprimeurs,
cest très beau.
Ce que je lis et relis beaucoup, ce sont les journaux et les correspondances.
Évidemment le journal de Jules Renard, celui de Léautaud,
la correspondance de Flaubert.
Il y a plein plein denfants qui passent chez moi. Jélève
des enfants qui ne sont pas à moi, je leur donne les livres pour
enfants que je reçois, cest un self-service. Jen garde
très peu, les plus beaux, mais je finis toujours par les donner.
Je trouve quil faut voyager léger, dans la vie. On se laisse
vite submerger par les choses.
Il y en a que je ne veux donner à personne tellement je les trouve
mauvais. Je ne vois même pas lintérêt de les
publier
Une ville
Je préfère la campagne.
Jai beaucoup voyagé pour mes derniers livres, mais cest
quand même Paris la plus belle. Je le dis dautant plus honnêtement
que je naime pas la ville. Mais Paris, cest une ville où
la culture est dans la vie, la culture est partout. Des cinémas,
des musées. Dans beaucoup de villes il y a une partie commerciale,
une partie résidentielle et une partie culturelle. À Paris,
il y a de la culture partout. Mais bon, je ny vivrais pas.
Je parlerai dune région, la Touraine, plutôt que dune
ville. Jaime beaucoup la France. Je ne sais pas choisir, je suis
admirative, jaime toutes les régions. La Touraine
jaime la lumière, le vin de Loire, les jardins, Balzac, la
douceur angevine. Rabelais.
Une blague
Il y a un mot de Billy Wilder que jadore. Il a dit : Les optimistes
ont fini à Auschwitz et les pessimistes à Hollywood.
Cest un peu pour vous que je lai choisi.
(Note de J. J Greif : la moitié de mes livres se passe à
Auschwitz, lautre moitié à Hollywood.)
Comment je mhabille
Mal. Et je men veux, parce que jai une maman très élégante,
et cest un plaisir pour moi dévoquer ne serait-ce que
son image et jai bien peur que mes enfants ne se souviennent que
dune maman en jeans, ce qui est un peu triste. Je fais des efforts,
mais cela ne mintéresse pas. Jaime le cachemire, quand
même.
Par contre, je suis très amatrice de haute couture. Je suis de
près les collections. Je suis très sensible aux travaux
de Karl Lagerfeld chez Chanel. Je lis les journaux de création
de Jean-Paul Gaultier, de Christian Lacroix, je sais tout de la vie de
Cristóbal Balenciaga. Je considère la haute couture comme
un art à part entière.
Un baume sur la douleur dêtre
La lecture. Je pensais que cétait Montaigne qui avait dit
: Il nest pas de chagrin quun livre ne puisse consoler,
mais il parait que cest Montesquieu. Vous qui êtes un grand
lecteur comme moi, vous savez que ce quon aime, cest se sortir
de soi. Donc il ny a pas un livre particulier qui nous aide. Cest
la chose écrite qui nous sauve. Ou si : Gaston Lagaffe, quand même.
Montaigne et Gaston Lagaffe. Voilà.
Je rajouterais probablement la solitude, quand elle est choisie. Je fais
partie de ces gens, quand ils ne vont pas bien, qui ont besoin de solitude.
Quand jétais enfant et que javais un drame, ma mère
me faisait des pâtes alphabet, cest pour cela que je suis
devenue écrivain. Encore maintenant, quand ça ne va pas,
quand jai un chagrin damour, je me fais des pâtes alphabet.
Jen fais à mes enfants, jespère que ça
va marcher. Non, ma fille, elle est plutôt nouilles en étoiles.
Elle veut devenir une star. Cest toute la différence entre
nous.
Ce fameux Henri Calet dont je vous ai parlé a dit une chose très
belle et un peu accablante aussi : Jécris dans la mesure
où je ne vis pas. Je le reçois cinq sur cinq.
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