Marie-Aude Murail

Sur ma table de nuit
Je suis en train de relire mes livres d’enfance : bibliothèque Verte, Rose, Rouge et or, Idéal-bibliothèque. Je lance un appel : la série "Jacques Rogy", de Pierre Lamblin, qui m’a marquée définitivement. S’il y a des auteurs qui ont ça, je suis prête à racheter ! Je vais sur les marchés, je rachète. Je les relis, c’est très bien fait. J’ai revu que la copine de Jacques Rogy s’appelle Constance, le prénom que j’ai donné à ma fille. C’est une série policière, à chaque fois dans un milieu différent : le paquebot France, les courses automobiles…
Et aussi : Histoire de la Folie, de Foucault.
Un livre que je recommande
Un que je viens de terminer, pur bonheur, il ne se passe rien, c’est L’Ami Fritz, d’Erckmann-Chatrian. Magnifique image d’un rabbin, très drôle, très chaleureux, qui essaie de marier Fritz. Il y arrive à la fin. Ils se font enrager l’un l’autre avec des piques sur la religion, on n’oserait plus. Je suis de l’est de la France aussi, descendante de l’aide d’un rabbin qui s’appelait Isaac, donc ça me touche.
Susie: si tu as deux minutes, lis L’Ami Fritz !
Un souvenir d’enfance
J’ai beaucoup attendu un miracle à la messe. (Encore la religion : ça me remonte, en ce moment.) J’allais à l’église Saint-Gervais. Sur un vitrail, il y a une colombe, j’ai beaucoup espéré qu’elle décolle.
Il y avait une Hindoue en sari, elle penchait la tête, ma mère disait : "Elle est très pieuse", alors j’ai penché la tête en espérant que quelqu’un derrière moi dirait : "Elle est très pieuse."
Un film
Victor, Victoria (de Blake Edwards, avec Julie Andrews), parce qu’en sortant, j’ai décidé que j’allais m’habiller comme un garçon.
Une musique
J’en mets une par roman, en boucle. Là, je viens d’écrire avec Souchon, Banal Song. Je suis beaucoup avec Julien Clerc. Je suis très midinette. Avant, j’écoutais des mélodies : Duparc, Fauré. J’ai besoin de la voix. Depuis la mort de ma mère, je ne supporte plus que les chansons. J’ai écrit un livre avec Henri Salvador. Carla Bruni m’a beaucoup servi.
Sur l’écriture
Je suis allée voir des CP plusieurs fois cette année. Je les ai accompagnés dans leur entrée dans la lecture. Je leur ai parlé de mon métier. Ils m’ont écoutée comme jamais on ne m’a écoutée. La maîtresse leur a demandé ce que c’est qu’un écrivain. Une petite fille a écrit: “C’est être amoureux de ses personnages.” Je me suis dit, alors elle m’a perçue comme aucun critique, comme aucun journaliste… “C’est avoir deux vies, une normale et une autre dans ses livres.” Ce sont des enfants de six-sept ans. “On voit la vie dans son crayon.” “C’est donner du bonheur aux autres.” C’est exactement ce que je cherche. Ce qui m’a le plus étonnée, c’est une phrase de petit garçon : “Ça nous fait tellement travailler qu’on ne se rend pas compte qu’on se fait soi-même dans l’histoire.” J’ai lu et relu: mais attends, c’est exactement ça !
Une bonne question posée par un élève
Vous préférez vos livres ou vos enfants ?
Dans ma petite mallette
Elle est à géométrie variable selon l’état de ma scoliose. J’ai beaucoup traîné cette valise à roulettes. J’en suis à ce sac à dos… J’ai eu une époque où j’avais tout le kit de fabrication du bouquin. L’École des Loisirs m’avait tout fourni : les épreuves, la maquette, les grandes feuilles non coupées sorties de l’imprimerie, l’ozalid, le carton pour la reliure, les illustrations sur rhodoïd… J’avoue que plus ça va, plus j’allège.
Je sais que ce sont des munitions pour le cas où je serais en perdition, mais la sagesse veut que je puisse me débrouiller sans.
J’emmène quand même mes brouillons, mes cahiers de petite fille, les photos de famille – qui remontent jusqu’au grand-père sculpteur – mes premiers écrits, mon journal intime, les relevés de vente, les contrats, des inédits que je teste…
Un héros de roman
Le héros fondateur, pour moi, c’est Eugene Wrayburn, l’avocat dans Notre Ami Commun (de Dickens). C’est un gars pour qui rien n’a de sens. Parce que tout est insensé, il prend tout comme ça vient, avec une sorte de désanchantement chronique. Jusqu’au moment où tout se retourne, où il devient effectivement héroïque.
J’aime un héros qui doit s’affronter à la vie et progresser, un héros de roman d’apprentissage. Au départ, il est plein de défauts…
J’aime les héros à la Oscar Wilde, assez auto-destructeurs, qui ont de la marge.
Ma bibliothèque
J’ai beaucoup de bandes dessinées. Mais ici, dans mon bureau, en première ligne, j’ai des pièces de théâtre. Je suis quelqu’un du dialogue. Je m’en nourris. Je lis très lentement, je fais toutes les voix, intérieurement, et toute la mise en scène. Voilà pourquoi j’ai Feydeau, Anouilh, Pagnol, George-Bernard Shaw, Giraudoux, Musset (je suis amoureuse de Lorenzaccio).
Depuis que je suis petite fille, je me fais des scènes dans ma tête, j’entends des voix. Oui, comme Jeanne d’Arc, c’était mon modèle quand j’étais petite – peut-être parce qu’elle s’habillait en garçon!
Une ville
Je vis dans une ville magnifique depuis que je suis petite. Par l’apparence, elle est slave, c’est une ville entre Moscou et Saint-Pétersbourg. C’est une ville que j’ai inventée. Elle a des clochers à bulbes et des isbas. Je viens de l’est…
Quand je suis arrivée à Moscou, quand on m’a invitée en tant qu’auteur, il y avait des auteurs, on m’a demandé de porter un toast avec la vodka, j’ai dit: “Je reviens chez moi.” Car après Dickens, c’est Dostoievski. Ce sont des frères, l’humour en moins chez Dostoievski.
Une blague
Je ne suis pas du tout le genre… Je les oublie…
À propos de cravate
C’est ma seule coquetterie. C’est la chose que je recherche quand je suis à l’étranger. Il y en a qui ramènent des bijoux, moi je ramène des cravates.
Mon ambition, c’est la ligne claire : costard – cravate [Elle dessine une ligne verticale en l’air] Que ça puisse être dessiné par un enfant. On m’a souvent dit que je ressemblais à un personnage de bande dessinée.

Pour en savoir plus sur Marie-Aude Murail: http://www.marieaudemurail.com