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Jean-Claude Mourlevat
Sur ma table de nuit
La biographie de Philip K. Dick par Emmanuel Carrère. Je nai
jamais rien de lu de Philip K. Dick, mais jaime bien Emmanuel Carrère.
Jai lu La Classe de neige, Ladversaire.
Jai, mais installés définitivement, les trois romans
de Kafka. LAmérique, Le Château, Le Procès.
Cest le grand frère, sauf que je suis déjà
plus âgé que lui quand il est mort, ça fait un drôle
deffet. Quelquun qui ma accompagné toute ma vie,
depuis mes études jai fait ma maîtrise sur ces
trois romans-là. Il est mort à 41 ans, jen ai dix
de plus. La fascination que jai pour lui, cest, entre autres
choses, un thème qui revient souvent dans ses romans, les personnes
qui imaginent quelque chose et se conduisent en conséquence et
ça savère complètement différent de
ce quils pensent. Lopinion quils se faisaient de quelquun
est fausse alors, culpabilité par rapport à ça,
évidemment.
Il y a Anne-Laure Bondoux, Les larmes de lassassin (Bayard).
Je trouve que cest vraiment une femme qui sait raconter une histoire,
ce nest pas si courant, et faire tourner les pages. Comme lecteur,
que demander de plus ? Je suis ravi. Quelquun qui apporte un univers
dès les premières pages. Jaime beaucoup. Une écriture
sobre.
Voilà, cest tout ce quil y a sur ma table de nuit.
Un livre que je recommande
Océan mer, dAlessandro Baricco (Folio) cest
celui qui a écrit Soie. Cest à la fois un roman
à suspense, un livre daventure et une méditation philosophique.
Il est assez complexe, il y a beaucoup de personnages qui sentrecroisent.
On peut se munir dun stylo pour prendre des notes : la lecture en
est bonifiée, on est récompensé de ses efforts.
Un souvenir denfance
Jai écrit un livre de souvenirs de mon année de sixième
à linternat. Il faudrait que je cherche autre chose, quand
même.
Je pense que je devais avoir six ou sept ans. Le jour de ma fête,
je me suis imaginé quon allait me fêter, alors que
ça ne se faisait pas du tout à la maison, mais je me suis
mis ça dans ma tête. Jappartenais à une famille
nombreuse. Plus autour de moi les gens se comportaient de façon
quotidienne, plus ça me confortait dans lidée quon
me cachait quelque chose. Encore Kafka
Javais repéré un petit bateau dans la vitrine dun
magasin dans le village, je métais mis dans la tête
quon allait me loffrir. La journée finissait, jai
craqué : Et mon cadeau ? Là, jai pris
conscience quen fait, il nen était pas question. Jai
fait un caprice si violent que ma mère a fini par me fourrer dans
les mains un billet de je ne sais pas combien, pour que jaille lacheter.
Jai toujours détesté ce bateau ensuite. Je nai
jamais joué avec.
Un film
La Strada, Federico Fellini. Film de ma vie, qui me tire les larmes
à chaque fois. Je peux le revoir quinze fois, vingt fois. Ce que
jaime passionnément dans ce film, cest que cest
un film linéaire, très simple. Peu de personnages. Ils sont
trois, pratiquement. Et le jeu de Giulietta Masina qui est exceptionnel,
un modèle dinterprétation. Il mest arrivé
de me repasser trois ou quatre fois la scène où Gelsomina
est en train de manger sa soupe et elle prend conscience que Zampano monte
avec une autre femme à létage. Le jeu de mimique quelle
a à ce moment-là est exceptionnel. Elle est transparente.
On la voit penser, on suit le fil exact de sa pensée sur son visage.
Le voleur de bicyclette nest pas très loin derrière
pour la fin, qui est bouleversante.
Une musique
Les suites pour violoncelle seul de Bach, qui ont accompagné pour
moi lécriture de Lenfant océan. Je suis
allé récemment à Leipzig, jai écouté
des cantates de Bach dans la Thomaskirche
Jadore la musique indienne, les chanteuses de lInde du nord,
les ragas et tout ça.
Sur lécriture
Un jour, jai lu une interview de Paul Auster dans un livre. Il y
a une page qui parle de lécriture, elle ma tellement
plu que je lai déchirée et je la garde dans mon portefeuille.
Attends, voilà : Quand jécris, cest toujours
lhistoire qui domine dans mon esprit et je sens bien quil
faut tout lui sacrifier
Toutes les formules élégantes,
tous les détails curieux, toute la prétendue belle écriture,
sils ne sont pas strictement dans le sujet de ce que jessaie
de dire, il faut quils sen aillent. Tout est dans la voix.
Sinon, un truc plus personnel. Je nai rien dans mes tiroirs. Je
nai pas de textes qui attendent. Jécris un roman et
quand il est fini, je cherche quel sera le suivant. Cest le désir
décrire qui me stimule plus que telle ou telle histoire à
raconter. En ce moment, je suis fébrile à lidée
que je vais commencer à écrire un roman, mais je ne sais
pas ce que je vais écrire, je ne connais pas la première
ligne. Jai rendez-vous avec une histoire, mais je ne sais pas laquelle.
Jai le trac, en fait. Cest comme un rendez-vous damour.
Une bonne question posée par un élève
Et vos livres, vous les avez lus ? Surréaliste, non
?
On a droit à une seconde ?
Est-ce quil est plus difficile de commencer le roman ou de
le finir ?
Dans ma petite mallette
Un exemplaire de chacun de mes romans, pour pouvoir puiser dedans. Quelquefois,
une lecture de dix lignes vaut bien des explications.
Mon dernier manuscrit. Cest assez banal.
Ce que jappelle un de mes cahiers de train. Je leur montre, ils
sont toujours sidérés de voir que cest gribouillé,
raturé, etc.
Je prends souvent un cahier au hasard. Mettons La rivière à
lenvers. Je louvre, je lis et on compare ce qui est en
resté dans le livre définitif.
Ma bibliothèque
Cest un grand désordre, un très grand désordre.
Je my retrouve bien. Il y a dabord tous les bouquins de ma
période germaniste, donc beaucoup de textes allemands. Je nai
pas de livres qui me viennent de mon enfance ou de ma jeunesse, parce
que je navais pas de bibliothèque. Donc cest une bibliothèque
que jai construite adulte, qui est très hétéroclite.
Je pense avoir tous les grands classiques de la littérature jeunesse,
de Pinocchio au Magicien dOz.
Les grands classiques tout court. Don Quichotte, qui est pour moi
un livre de référence. Robinson Crusoe, qui est mon
livre dinternat.
Depuis que jécris moi-même, depuis six ans, ma bibliothèque
sagrandit très vite avec les livres des collègues
auteurs que je rencontre. Si je fais la connaissance de quelquun,
jai beaucoup de mal à résister à la curiosité
de lire ce quil a écrit.
Une ville
Une vraie ville, il ny en a pas. Je viens de la campagne, voilà.
Mon enfance, cest la nuit noire, la neige abondante. Il ny
a pas de ville inscrite dans ma mémoire. Jaurais une ville
imaginaire, cest la ville de Topka, une ville que jévoque
deux fois. Une fois dans Hannah (Pocket), une deuxième fois
dans Lhomme qui ne possédait rien (Thierry Magnier).
Dans les deux cas, on demande à quelquun : Veux-tu
venir à Topka ? Dans les deux cas, ce quelquun répond
non et on lui dit : Mais est-ce que tu aimerais savoir ce qui se
passerait si tu venais à Topka ? Tu pourrais revenir ici quand
tu voudrais, dans une demi-heure ou dans vingt ans
Et la personne
répond oui et elle y va. Donc cest une ville virtuelle, qui
dans les deux cas surgit du désert. Cest le lieu de lexploration
des possibles, auxquels on na pas le droit dans la vraie vie. Cest
un thème qui me fascine, parce que je ne pourrai jamais le savoir.
Une blague
Un petit vendeur de pommes sur le marché. Ses pommes sont toutes
petites, donc personne ne les achète. Alors il demande conseil
à un ami. Lami lui dit : Ce que tu dois faire, cest
mettre une pancarte, et dessus tu écriras Petites Pommes.
Et cest tout. Elle ne fait pas rire, mais je ladore.
Comment je mhabille
Ça ne me préoccupe pas tellement, en fait. Je sais que cétait
terrible pour moi quand, à Noël, mon cadeau était un
pullover.
Jia longtemps été très embarrassé dans
les magasins de vêtements au moment de me regarder dans la glace.
Jusquau jour où jai compris quil ne fallait pas
que je me regarde dans les yeux, que je devais regarder le vêtement.
Je me regardais dans les yeux, je disais : Oui, oui, ça va
On me disait : Mais tourne-toi
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