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Elvire Murail
Sur ma table de nuit
Je ne suis pas une lectrice, en fait. Ce quil y a à lheure
actuelle : le livre de Francis Rocard [le fils de Michel Rocard],
cest un copain à moi, sur la planète Mars. Et aussi
une sorte de guide bleu de la lune, extraordinaire, avec des itinéraires,
une très belle iconographie, cest vraiment rigolo, ils texpliquent
comment faire pipi, je ne me souviens plus de lauteur. Il y en a
vingt-cinq, des bouquins, la plupart je ne les ai pas ouverts. Un livre
sur la Chine, le taoisme et tout ça, un livre assez élégant.
Il y a un roman dans le lot, qui mennuie un peu, je crois que cest
Olivier Courcelle son nom, Le Théorème de Travolta,
sur un congrès de mathématiciens à Genève,
cest assez comique. Javais lu une critique qui disait que
cétait à se tordre de rire, je ne me tords pas de
rire. Le dernier livre qui ma fait rire, cest Le Tao de
Pooh, cest vraiment drôle.
Je lis les contes dAndersen. On a des surprises parfois, en particulier
une nouvelle appelée LOmbre. Je navais jamais
lu La Reine des Neiges, des trucs comme ça. Il y a des histoires
que jai lues, par exemple Le Petit Soldat de Plomb, qui mavaient
impressionnée, que jai gardées en mémoire.
Il finit par fondre dans les flammes
De temps en temps, il faut
relire des choses que lon croit connaître, les vieux classiques.
Les contes de Perrault par exemple lhistoire de La Belle
au Bois Dormant, ce nest pas lhistoire de la Belle au
Bois Dormant, cest lhistoire de ses deux enfants
À part ça, le dernier livre que jai acheté,
cest Tintin et lAlphart.
Un livre que je recommande
La Mal-mesure de lHomme, de Stephen Jay Gould. Cest
sur le quotient intellectuel, comment on a mesuré lintelligence
de lhomme nimporte comment, comment on a justifié toutes
les formes de racisme. Cest toujours très ludique, comme
les autres livres de Stephen Jay Gould. Il te fait avaler des trucs indigestes
sans que tu ten rendes compte. Cest comme Yvar Ekeland pour
les mathématiques.
Un souvenir denfance
Cest difficile de faire un choix, mais il y a un truc qui mest
resté : mon père me faisant mes tresses
Nous étions
en vacances. Ma mère est partie parce que ma grand-mère
était en train de mourir. Nous bouffions des trucs bizarres, des
soupes à loseille, et mon père me faisait mes tresses.
Cétait étrange. Il y arrivait dailleurs, il
se débrouillait. Je ne comprenais pas réellement ce qui
se passait, on ne me lavait pas dit. Ma mère a disparu du
jour au lendemain, on ne ma pas dit pourquoi, cétait
dautant plus étrange comme situation.
Un film
Celui qui me vient à lesprit immédiatement, cest
Dodeskaden, de Kurosawa, je pense en grande partie parce que je
suis allée le voir avec mon grand frère Lorris. Cela arrivait,
il me sortait, cétait rare, souvent pour voir des films japonais.
Je me souviens aussi de Kwaïdan.
Je me demande si ce nétait pas au cinéma La Pagode.
Les images qui me restent, ce sont des espèces de baraques dans
lesquels un père et un fils habitent. Ils sont verts, en train
de mourir, et derrière il y a une toile peinte très colorée,
presque abstraite. Cest à la fois réaliste, le bidonville,
et onirique. Les femmes séchangent leurs maris parce quils
sont ivres-morts. Cest réellement dépaysant. On est
emporté dans un autre univers.
Une musique
Jen reviens à mes chocs denfance. Il y en a trois.
Cest tout bêtement les disques que mon frère aîné
avait [Tristan Murail, qui est compositeur de musique]. Il a onze
ans de plus que moi. Il y avait LEnfant et les Sortilèges,
de Ravel, que je chantais entièrement par cur, La Mer
de Debussy, et Les Nuits dans les Jardins dEspagne, de De
Falla. A cela jajoute une chose que jouait mon frère, cest
Golligogs Cakewalk [le dernier morceau de Childrens
Corner, de Debussy]. Je lui demandais de le jouer pour moi. Quand
je me suis mise au piano, très tardivement, il y a sept ou huit
ans, la première chose que jai demandée à ma
prof, cest : Je veux jouer Golliwogs Cakewalk.
Elle a dit : Vous y arriverez. Je ny arrive pas très
bien, mais jy arrive.
Sur lécriture
Jécris quasiment toujours sans savoir ce que je vais faire.
Ça ne mamuse pas de prévoir. Si je sais déjà,
je nai plus envie de le faire, puisque jai limpression
que cest déjà fait même si ce nest
que dans ma tête. Donc jaime la surprise, donc jai lhabitude
de commencer nimporte quoi et le nimporte quoi se transforme
toujours en quelque chose.
Je me complique la vie. Je fais exprès de mimposer des obstacles
très difficiles. Je me mets dans la position des personnages et
je dois moi-même trouver la solution, trouver comment je men
sors. Je vais même plus loin que ça : quand il y a une solution
qui sapproche, je fais exprès que ce ne soit pas la bonne,
je rentre dans le mur, et je suis obligée de trouver autre chose.
On croit sapprocher de la vérité et ce nest
pas ça. Cest très rigolo de faire ça. Cest
une prise de risque. Jaime la corde raide. Cest pourquoi je
ne suis pas dune nature inquiète par rapport à mon
travail.
En ce qui concerne lécriture, moi, je suis une raconteuse
dhistoires. Je ne fais pas de la littérature. Par contre,
jai la prétention de savoir les raconter. Donc jécris
pour le plaisir le mien dabord, et puis celui des lecteurs.
Je pense que je raconte des histoires comme je jouais quand jétais
enfant. Je me mets en scène. Ce nest pas moi, je ne parle
pas de moi, mais je me mets dans laction, je me raconte lhistoire.
Je dis le dialogue à voix haute pour voir si ça sonne juste.
Jimagine faire la lecture aux enfants, parce que je le fais assez
souvent. Sil y a un mot qui ne passe pas, tu butes dessus, il y
a un problème.
Une bonne question posée par un élève
Un petit, peut-être sept ans, ma demandé : Est-ce
que vous voulez être ma maman ? et il a ajouté, ça
cest le plus dur, ça ne soublie pas : Parce que
la mienne arrêterait de me battre. Je ne sais pas si cest
une bonne question, mais cest une question qui mest restée.
Dans ma petite mallette
Oh là là cest une horreur. Jai beaucoup de livres,
parce que je les donne, et malheureusement je dois les porter. Mes contrats
et mes relevés de droits dauteur, quand ils demandent : Quest-ce
que vous gagnez ? Jai tous les papiers de la Charte, des dépliants
pour les expos, parce que je suis souvent dans les médiathèques,
je suis un peu représentant de commerce.
Jai des morceaux de manuscrits inédits je fais de
la lecture, de préférence des choses qui ne sont pas encore
publiées. Jai plein de photocopies de mes dessins, cela fait
partie de ce que je fais pour moi, les enfants aiment beaucoup. Et puis
jai des sachets de thé [Elle éclate de rire].
Ma bibliothèque
Ce serait plutôt mes bibliothèques. Jai
ma bibliothèque de bandes dessinées, mes livres dart,
mes livres en anglais, mes livres pour la jeunesse. Ma bibliothèque
de dictionnaires et dencyclopédies. Et jai ma bibliothèque
douvrages sur le dessin et la peinture, qui me servent quand je
dessine, qui prennent beaucoup de place. Et puis jai une grosse
bibliothèque de livres scientifiques. Il y a quelques années,
jai décidé de devenir intelligente. Jai vu quil
y avait du boulot, donc je me suis avalé un nombre de choses assez
considérable. Une encyclopédie sur lastronomie en
dix volumes, une autre sur larchéologie en douze volumes,
que jai lues en deux ans environ. Mon désespoir est de ne
pas avoir une meilleure mémoire.
Il y a un grand rayon de livres de voyage, datlas, de cartes routières.
Jai passé ma jeunesse avec des classeurs sur lAustralie.
Beaucoup de choses sur les roches, les plantes, les oiseaux. Jachète
beaucoup de livres pour la documentation dont jai besoin.
Jai quand même aussi la bibliothèque Murail : dans
ma chambre, que des livres écrits par des Murail mon père,
Marie-Aude, Lorris et moi.
Ce qui fait que si tu regardes ma bibliothèque, tu vas te rendre
compte que ma culture est totalement parallèle. Tu ne vas pas trouver
Bovary, Proust, la culture française, ce que je suis
supposée avoir lu puisque je suis écrivain. Je ne supporte
pas quon me dise : Tu dois avoir lu ci, tu dois avoir lu ça.
À lécole, je ne lisais jamais ce qui était
au programme. Il faut que ça vienne de moi, ça ne peut pas
être autrement.
Une ville
Rome, bizarrement, moi qui suis très peu latine. Parce que Tristan
a été prix de Rome. Cest une ville que je connais
bien, jy suis allée plusieurs fois. Jai des choses
très violentes, des chocs. De nouveau lenfance. Quand Tristan
était prix de Rome, javais douze ans, jai dormi dans
la villa Médicis, dans un énorme atelier de peintre. Jai
été réveillée par un petit singe qui appartenait
à un pensionnaire. Jai des souvenirs très forts des
chapelles des Capucins, avec tous ces crânes empilée qui
servent de déco.
Une ville qui ma filé des cauchemars pendant plusieurs semaines,
cest Assise. Il y a la momie de Sainte Claire. La chasse est ouverte.
Elle sest momifiée naturellement, la peau est assez noire
Javais onze ans. Il y a des ciels très étranges. Cest
très pluvieux. Le soleil perce soudain et tu crois que tu vas voir
Dieu, comme dans les tableaux. Une lumière extraordinaire, cest
presque flippant.
En fait, il y a beaucoup de villes où jai eu de très
fortes émotions. Stockholm, par exemple. Cest lié
exactement au même contexte : des morts exposés. Dans le
musée de Stockholm, tu as une exposition des squelettes de la bataille
de Visby. Des femmes, des enfants, des infirmes, avec des haches dans
le crâne, les os fracassés, les membres coupés.
Une blague
Je les oublie au fur et à mesure, surtout quand on men demande.
Un truc qui me faisait rire quand jétais enfant, il paraît
que cest une histoire vraie
Ça se passe dans un avion.
Le commandant de bord fait son annonce : Nous allons voler à
telle altitude, machin et puis il oublie de fermer son micro.
Il sadresse au co-pilote : Je vais aller pisser et ensuite
je vais menvoyer lhôtesse. Dans la cabine, évidemment,
lhôtesse se précipite pour prévenir que le micro
est ouvert. Un passager larrête : Ce nest pas
la peine de vous dépêcher, il a dit quil allait pisser
dabord.
Je racontais ça quand javais dix ans. Les adultes étaient
un peu étonnés. Ils étaient plus prudes à
lépoque.
Comment je mhabille
Exotique. Dans tous les sens du mot. Je ne recule devant rien. Je suis
capable de sortir avec des cuissardes et une minijupe. Je suis déjà
sortie avec une perruque rose, en Yves Saint-Laurent avec des trucs à
cinq euros. Je ne suis pas la mode, je me déguise. Mes placards
sont assez intéressants.
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