Xavier-Laurent Petit

Sur ma table de nuit
D’abord, c’est par terre. C’est généralement un empilement de bouquins, que je range quand vraiment je suis obligé de marcher dessus pour me lever. Il y a des bouquins que je suis en train de lire, parce que j’en lis toujours deux ou trois en même temps, et puis il y a aussi des bouquins que j’ai abandonnés parce qu’ils me cassent lespieds. Et des journaux. En ce moment, il y a dans les journaux une revue que j’aime beaucoup, Courrier International, qui a fait un numéro spécial sur “Les façons d’habiter”.
En ce moment, étant donné que je viens de faire tout un travail sur Jules Verne, dont ce sera la centenaire de la mort en 2005, j’ai plein de bouquins sur Jules Verne, entre autres les livres écrits par Jean-Paul Dekiss, qui est le grand chef du centre Jules Verne à Amiens, qui vient de coécrire un livre très très passionnant sur Jules Verne et la science, un très beau livre, magnifiquement illustré. J’ai également, dans le même ordre d’idées, le bouquin que Michel Serres lui a consacré.
Sinon, jusqu’à hier soir où je l’ai terminé, il y avait un livre d’un écrivain japonais qui a un peu disparu de la circulation bien qu’il ait eu le prix Nobel, c’est Kenzaburo Oe – Une existence tranquille. C’est un bouquin très étrange. Une jeune fille qui se retrouve pendant plusieurs mois avec son frère handicapé, parce que son père écrivain est parti en résidence aux États-Unis. Tout le poids des responsabilités qu’elle doit assumer, et en même temps le regard que les gens portent sur son frère.
Il y a souvent, dans les bouquins qui sont au pied de mon lit, un bouquin de poésie. En ce moment, c’est Philippe Jacottet. Plus que souvent : toujours.
Un livre que je recommande
Il y a un bouquin qui m’a beaucoup marqué, que j’ai dû lire il y a deux ans. Curieusement, quand je rencontre des classes, c’est un livre dont je lis les premières pages, parce que la personne qui parle est morte – on pense qu’elle est morte. C’est Le destin miraculeux d’Edgar Mint, de Brady Udall. Je retrouve dans le livre tout ce que j’aime. C’est à la fois très dramatique et bourré d’un humour extraordinaire. En quelques lignes, on peut rire et pleurer, il y a des changements de climat très frappants. C’est un type assez jeune, qui a écrit auparavant un recueil de nouvelles très intéressant, Ce que pensent les saumons.
Je lis très peu de livres classiques, et finalement peu de littérature française. Je suis très axé sur la littérature nord-américaine. Ce sont vraiment des gens en qui je me retrouve.
Il y a un auteur français qui est vraiment un auteur de référence pour moi, qui est en même temps un sacré modèle d’écriture, c’est Michel Tournier. C’est vraiment une sorte de compagnon. Le roi des aulnes, j’ai dû le lire une vingtaine de fois. Il a une façon très excentrée d’écrire. Il est toujours en dehors de ce qu’il nous présente. Cela va à l’encontre de tout un mouvement contemporain qu’on trouve en France, une littérature très intimiste, très nombriliste, qui ne me touche absolument pas. Avec Tournier, on rejoint la grande littérature dans ce qu’elle a de démonstratif, dans la volonté de montrer ce que le monde peut être.
Un souvenir d’enfance
Curieusement, j’ai très peu de souvenirs d’enfance. Il y a certainement des tas de raisons qui permettraient d’expliquer ça. J’ai plus de souvenirs d’ambiances que de souvenirs précis. Une des images que j’ai de moi enfant, c’est dans le jardin que mes parents avaient à l’époque. Il y avait deux très gros marroniers dans le fond du jardin, des arbres avec un tronc sans branches accessibles – et il y a eu la journée où j’ai trouvé le truc pour grimper sur l’un des deux. L’autre, je n’ai jamais réussi. C’est devenu un peu mon repaire. J’avais trouvé le seul chemin qui me permettait de grimper là-dessus. J’y montais des bouquins, des plaquettes de chocolat. Je suis resté des gros paquets d’heures perché dans cet arbre.
Il y a une chose qui me frappe, c’est le très petit nombre de souvenirs que j’ai quand je compare aux souvenirs de ma femme, qui en a des quantités astronomiques. Je n’ai pas encore trouvé d’explication à cette sorte de vide.
Un film
Un film qui m’a beaucoup marqué, que je viens de racheter en DVD, c’est M le maudit, de Fritz Lang. C’est un film qui est extrêmement inquiétant d’emblée. Tout a été fait pour converger vers cette inquiétude : la musique de Peer Gynt, les regards de Peter Lorre, la période à laquelle ce fim est sorti, et tout le parallèle qu’on peut faire avec la montée du nazisme. J’ai appris récemment que des séquences ont été carrément censurées au moment de sa sortie. Je l’ai racheté parce que je tenais absolument à ce que mes enfants le voient et le connaissent. Très souvent, nous nous repassons des Hitchcock, des Charlie Chaplin. Ils ont beaucoup de plaisir à voir des vieux films.
J’ai la chance d’avoir des enfants qui sont très cinéma, surtout mon second, Raphaël. Il commence à devenir vraiment cinéphile. Il s’y connaît, il a un regard critique sur ce qu’il voit. Il a fait du théâtre, il a le goût de la scène et du spectacle.
Une musique
J’ai des goûts musicaux très éclectiques. Ça va de Mozart à Messiaen en passant par Led Zeppelin. Ça peut être autant rock que jazz que classique. Je fontionne par coups de cœur sur une période donnée. Quand je tombe sur un enregistrement qui me séduit, je le passe quasiment en boucle pendant des jours. Ce que je passe en boucle pour l’instant, c’est les sonates pour violoncelle de Vivaldi, avec Yo Yo Ma.
Il y a deux ou trois semaines, j’étais plutôt dans le blues avec Etta James, une magnifique chanteuse avec tout ce qu’on aime dans le blues : des accents rocailleux, un accompagnement simplissime, juste la voix qui ressort, des moments d’émotion.
Une chose que je ne fais plus : à une époque, je travaillais en écoutant de la musique. J’ai complètement arrêté. Je n’écoutais pas la musique, c’était juste un fond sirupeux. Maintenant, je prends du temps pour écouter.
Sur l’écriture
L’écriture, pour moi, c’est d’abord la réécriture. Je suis à peu près incapable de faire un premier jet et de revenir dessus ensuite. Ça s’élabore très lentement, phrase par phrase. Ce que j’écris le lundi, je reviens dessus le mardi, et encore le mercredi. Je retourne en arrière des dizaines de fois, ce qui explique que je mette très longtemps.
Il y a une autre chose qui pour moi est complètement primordiale, c’est de faire ce qu’on appelle des essais. Je suis capable de démarrer un bouquin au présent à la première personne, de le mettre de côté, et de voir ce que ça donne au passé à la troisième personne, en changeant éventuellement le sexe des personnages. Ces essais permettent peu à peu d’affiner ce qu’on cherche. Ça m’est arrivé, vers la fin d’un bouquin, d’inverser les chapitres. Je coupe et je taille beaucoup. Il y a une sorte de travail en puzzle, qui correspond à ce que j’écris. C’est ce qui fait que je ne prends plus d’ateliers d’écriture : c’est évidemment ce qu’on n’a pas le temps de faire dans un atelier d’écriture, le plaisir de revenir et de fouiller.
Le plaisir d’écrire est là : d’établir des listes de mots, de choisir celui qui convient… Oui, je fais des listes. Je travaille avec des dictionnaires, j’ai souvent le nez fourré dans un dictionnaire.
Une bonne question posée par un élève
Est-ce que vous sentez que vous progressez ?
J’ai trouvé intéressant que cette idée ne soit pas réservée aux bulletins scolaires : “Vous êtes en net progrès.” Il y a cette idée d’avancer vers quelque chose qu’on n’a pas encore fait. La réponse est très difficile à donner à une question pareille. Ça suppose d’avoir un coup d’œil extérieur à ce que l’on fait. Je ne sais pas si je suis le mieux placé.
On tourne toujours autour des mêmes idées, des mêmes interrogations. Cette idée d’avancer vers quelque chose de neuf est un peu inquiétante. Très attirante et un peu inquiétante.
Dans ma petite mallette
J’ai toujours un manuscrit, le plus corrigé et le plus raturé possible. J’ai souvent un jeu d’épreuves. J’ai également deux ou trois traductions, histoire de montrer, entre autres, hormis le passage d’une langue à une autre, qu’un même bouquin peut avoir des habits différents, une couverture différente, mais que le texte restera le même.
J’ai toujours un ou deux bouquins qui ne sont pas de moi, mais que j’aime à ce moment-là. Quand j’ai le temps, j’en lis un passage, en général le début.
Ma bibliothèque
Elle est partout. Il y en a de la cave au grenier. Il y en a dans des caisses parce qu’il n’y a plus de place dans la maison. Récemment, nous venons de récupérer la maison des parents de ma femme en Bourgogne. J’espère faire une vraie bibliothèque, je rêve d’une pièce consacrée à ça. Surtout, je tiens à ce que ce soit un lieu touche à tout, c’est-à-dire que Michel Serres soit à côté de Léo Malet. Un lieu comme j’ai pu connaître quand j’étais enfant, un lieu où mes propres enfants puissent aller piocher.
Il y a quand même l’éternel problème des livres qu’on achète, qu’on empile, et qu’on n’arrive pas à lire au rythme où on les achète. On a un livre qu’on lira peut-être dans un an ou deux, on a au moins le plaisir de l’avoir chez soi. Le moment que l’on passe dans une librairie à choisir un livre, c’est un grand moment de plaisir.
Une ville
J’ai le droit d’en mettre deux ? Il y a une ville que j’adore, c’est Paris. Avec ma femme, nous passons des grandes journées à nous promener dans Paris. C’est ce que nous allons faire cet après-midi. Il y a le plaisir de flâner à pied, de s’arrêter… Il y a des lieux privilégiés. Les passages dans le 9ème, dans le 10ème, sont des coins extraordinaires. Les jardins aussi. Une promenade que j’adore, c’est partir du Museum d’histoire naturelle et aller jusqu’au Luxembourg. Mon arrière-grand-père était directeur du Museum, donc c’est un lieu qui a pour moi une résonance particulière. Il s’appelait Edmond Perrier. C’est un homme qui a disparu dans les profondeurs de l’oubli, mais il a toujours son allée au jardin des Plantes.
L’autre ville, c’est Prague, que j’ai découvert assez récemment, et en hiver. C’est une ville que j’ai aimée tout de suite. Il m’est arrivé une chose assez incroyable. Nous avons voulu, évidemment, faire une balade dans l’ancien cimetière juif, qui est un des hauts lieux de Prague. Ils ont un système de bulletins qui permet de visiter les différents coins du quartier juif. Nous n’avons pas bien compris le système et nous nous sommes présentés directement devant les portes du cimetière juif avant l’horaire d’ouverture. Nous avons tendu nos billets au gardien qui, je ne sais pas pourquoi, nous a laissé passer. Il a dû nous prendre pour des VIP ou je ne sais quoi. Nous avons donc passé une demi-heure seuls dans ce lieu extraordinaire. C’était un grand moment. Sinon, il y a un monde fou, une file d’attente incroyable.
Une blague
Je ne suis pas très blagues. Il y a une blague que j’aime beaucoup, parce que c’est ma mère qui la racontait, et que je raconte d’ailleurs à mes enfants maintenant. C’est un tueur à gages qui un soir s’apprête à partir au travail. Il range bien son arme dans son petit étui à violon, comme ça se faisait à l’époque. Au moment où il va partir de chez lui, sa femme le rappelle et lui dit : “Tant que tu y es, tu descendras aussi la poubelle.”
Comment je m’habille
C’est toujours la même chose : un jean, un T-shirt, un pull, voilà. Ça varie très rarement. Dans les grandes occasions, je remplace le T-shirt par une chemise.
Un baume sur la douleur d’être
Je dirais la montagne. Partir, marcher en montagne. C’est quelque chose que je fais le plus souvent possible. Il faut que ce soit physiquement un peu dur. Je crois que c’est vraiment un moment où on s’oublie. On devient une espèce de mécanique axée sur l’effort de la montée, sur le fonctionnement des jambes et des bras. Et puis il y a l’incroyable plaisir d’arriver au sommet.
Je pars depuis une dizaine d’années avec le même groupe de copains, dont l’un est guide de haute montagne, ce qui donne un coup de main. Souvent à l’étranger : au Maroc, au Yémen, au Népal. Nous aimons bien les expéditions un peu musclées et un peu lointaines.
Au Népal, nous avons grimpé sur le Naya Kanpa Peak, qui est tout de même à 5 800 mètres. Quand tu arrives à 5 800 mètres au Népal, tu as l’impression d’être sur une petite colline. Nous avons fait une photo du sommet où nous sommes tous, comme on fait des photos de sommet, un peu ridicule parce que derrière il y a des montagnes à sept ou huit mille, mais le plaisir était là.