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Anne-Laure Bondoux
Sur ma table de nuit
Je suis en train de relire Un long dimanche de fiançailles,
de Japrisot. Je nai pas vu ladaptation cinématographique,
je men méfie. Javais lu ce livre et il mavait
plu, mais je ne men souvenais plus, alors quand le film est sorti,
jai eu envie de le relire.
Il y a les uvres complètes de Nicolas Bouvier, que mes parents
mont offert à Noël. Je nai lu pour linstant
que lintroduction, mais lintroduction ma beaucoup parlé.
Il y a un livre qui sappelle Au pays de Dieu, de Douglas
Kennedy, un récit de voyage aussi, de cet auteur qui est américain
mais qui vit en Angleterre, qui raconte sa plongée dans lAmérique
religieuse, la ceinture biblique. Cest assez
effrayant.
Il y a des bouquins que je nai pas lus, que je lirai : Sang impur,
je crois quil vient davoir le Femina, dun Irlandais
[Hugo Hamilton]. Jadore les Irlandais. Dès que je vois
un 0quelque chose, un MacMachin, je prends !
Et un livre de photos de Depardon sur la corne de lAfrique quon
ma prêté, parce que je suis allée à Djibouti
lannée dernière.
Un livre qui nest plus sur la table de nuit : La nostalgie de
lange, dAlice Sebold. Celui-là, je ne le lirai
pas. Je lai entamé, il ma mise mal à laise.
Je lai emprunté à la bibliothèque. Jaime
bien voir quand on parle dun livre, dun best-seller.
Un livre que je recommande
Le hussard sur le toit, de Giono. Javais lu des bouquins
de Giono plus jeune, mais là, ça ma éblouie.
La langue ma laissée pantoise. Et lhumour ! Je ne mattendais
pas à trouver tant dhumour.
Blaise Cendrars. Sa poésie. Ces marrants, ces Suisses : ils sont
sans océan, ils ont besoin de partir. Blaise Cendrars, jai
lintention de faire quelque chose avec ce personnage. Il a raconté
sa vie en samusant, comme un roman, mais en laissant plein de zones
dombre. Lor, que jai relu récemment, avec
cette qualité incroyable de concision. Moi qui ai tendance un peu
à métaler
Dans le même ordre didées, dans les relectures (je
relisais très peu jusquà présent, je me suis
mise à relire), jai lu Candide. Je lai étudié
au lycée, évidemment. Là, cest aussi un choc.
Lhumour incroyable, que je navais pas saisi dans toute sa
dimension, et aussi cette concision : il arrive à faire traverser
des continents à ses personnages en deux phrases.
Je peux glisser un petit Irlandais ? Cest mon joker. Cest
un jeune, un contemporain : Michael Collins. Je le recommande chaudement
à tout le monde. Il a écrit trois romans qui sont en poche
chez Points Seuil : La filière Émeraude, Les gardiens
de la vérité et Les Profanateurs. Cest
magnifique.
Un souvenir denfance
Ouh là, jen ai plein plein plein. Oh là là
là. Parce que moi, je me souviens de beaucoup de choses. Que raconter
? Puisque nous sommes dans le journal de la Charte, je vais raconter mon
premier texte. Je devais avoir huit ans, jétais en CM1, javais
un grand cahier à gros carreaux, à spirale, et jai
décidé que jallais écrire une histoire dans
tout ce grand cahier à grands carreaux. Donc jai pris un
crayon à papier et jai commencé à raconter
une histoire. Je men souviens très bien : cétait
le roi et la reine Cuillère. Il y avait des gardes qui étaient
des fourchettes, des soucoupes, toute la vaisselle. Je me souviens surtout
de lapplication de mon écriture. Je prenais un temps infini
à tracer, il fallait que ce soit très très beau.
Jai écrit une page recto-verso, encore un petit bout, et
avec ça jétais tellement fière que je me suis
arrêtée et je lai montrée à mes parents.
Cétait ma première uvre. Elle a été
très bien accueillie !
Jai perdu ce cahier, malheureusement.
Un film
Un de mes films les plus chers de ces dernières années,
cest Tout sur ma mère de Pedro Almodovar. Je trouve
quil réussit un équilibre étonnant entre le
rire et les larmes, qui me touche beaucoup. Cest un film que jai
vu et revu.
Et puis un autre film que jadore, All that Jazz, de Bob Fosse,
dans un autre genre. Jaime beaucoup les comédies musicales
classiques, Chantons sous la pluie, West Side Story. Dans All
that Jazz, le rapport de ce créateur de comédies musiclaes
à sa création, et comment il se détruit, ça
ma beaucoup parlé.
Un choc de classique, que je navais pas vu, que le DVD ma
permis de découvrir, cest Le parrain. Là, il
y a tout. Dans les classiques classiques, il y a un film que jai
vu énormément, cest Les enfants du paradis.
Ça, cest un vrai classique.
Une musique
Ça, cest plus difficile. Je vis avec un compositeur et, bizarrement,
nous écoutons peu de musique. Lui naime pas en écouter
en musique de fond. Moi, jen écoute dans le train. Là,
jadore ça. Dans mon hit-parade, je mettrais des choses très
différentes. Suzanne Vega, Noir Désir, aussi bien que Bach
les sonates pour violon seul. Les motets de Bruckner, cest
François qui me les a fait découvrir, ça me tire
des larmes à chaque fois.
Il y a des périodes où jécoute un truc en boucle
très longtemps, là cest un disque de chant de Vivaldi.
Et aussi The Wall, de Pink Floyd, que jécoute très
souvent. Je nai jamais écouté de musique en écrivant,
ça mempêche.
Jai essayé de décrire une musique, cest difficile.
Un morceau de Bach que lenfant découvre dans Les larmes
de lassassin, avec de lorgue et des violons. Jai
beaucoup aimé ça. Je me suis dit : Tiens, quest-ce
quil va écouter ? Jai essayé plusieurs
morceaux.
Sur lécriture
Je voudrais parler de mon expérience actuelle. Jéprouve
beaucoup de difficultés sur ce livre. Je lécris depuis
cinq mois. Il sort par à-coups, avec des grands moments où
je suis totalement bloquée. Jusquà maintenant, je
navais pas du tout fonctionné sur ce rythme. Dhabitude,
jai tendance à avoir un flux continu. Quand je suis vraiment
dans le livre, je sais que je vais passer ma journée à écrire.
Alors que cette fois-ci, jai eu un mal de chien à démarrer,
après cest parti, et ça na pas arrêté
de sarrêter.
Jusquà présent, dans les classes, quand on me demandait
: ÂEst-ce un plaisir pour vous décrire? javais
tendance à répondre oui. Avez-vous peur de la plage
blanche? Je répondais non. Avec cette expérience,
je vais nuancer mes propos la prochaine fois. Cest beaucoup plus
à larraché. Du coup, ça me pose plein de questions.
Jaimerais savoir si cest le livre lui-même qui est difficile
à sortir, si cest inhérent à ce livre, ou si
désormais je vais écrire comme ça, voire pire. Jai
tendance à penser que je passe une sorte de phase inquiétante.
Je ne sais pas si le résultat sen ressentira.
Si chaque fois que je commence un livre, il me faut six mois pour aboutir
Jai besoin de gagner des sous. Jusque là, cétait
moins long. Jen conclus que dans lécriture, on nest
jamais sur des choses solides.
Une bonne question posée par un élève
Une question qui ma fait rire. Un élève qui était
resté silencieux, qui écoutait mes réponses successives
aux questions des autres. Je sentais quil réfléchissait,
que quelque chose le tarabustait. Il finit par lever la main et il me
dit : Mais alors, vous travaillez en pyjama?
En fait, non ! Jai horreur de travailler en pyjama. Si je ne suis
pas lavée et habillée, je ne peux pas me mettre au travail.
Dans ma petite mallette
Je nai pas de mallette. Je viens les mains dans les poches. Au début,
javais tendance à prendre tout un matériel que je
voulais pédagogque : des manuscrits, des épreuves. Maintenant,
les seules choses que je prends, cest les livres qui ont un rapport
avec mon livre, pour en lire des extraits. Ça me faisait mal au
dos.
Je pense autrement le rôle de lécrivain dans la classe.
Je ne prends pas forcément en charge le rôle pédagogique.
Si je me dévoile beaucoup face à eux, cest sans risque,
parce que je ne reviens pas le lendemain, donc je viens déballer
ce que jai à déballer en tant quadulte, écrivain
mais citoyenne, en espérant susciter des questions, voire une émotion,
qui peuvent se situer autre part que sur le terrain de lécriture.
Cest un échange entre personnes.
Ma bibliothèque
Voilà, elle nexiste pas encore. Ça fait des années
que nous en rêvons. Il faudrait que ce soit une bibliothèque
conçue essentiellement pour le livre de poche, et je ne trouve
pas de modèle standard chez Ikea, Habitat, etc. Cest toujours
trop profond, trop haut, cest des bibliothèques pour des
bandes dessinées. Cest un problème. Il faudrait du
sur mesure. Jai commandé le catalogue de la Maison des Bibliothèques,
jai été très déçue. Le seul truc
que jai trouvé pas mal, cest chez Ikea, mais cest
pour CD. Il y a une déperdition : trop de tablettes qui ne servent
à rien.
Une ville
Houilles. Je voudrais parler de Houilles. Cest mon cadre de vie.
Jaime ce nom parce quil attire le sourire, soit condescendant,
soit rigolard, donc jaime bien habiter à Houilles.
Cest une ville de banlieue. Jai toujours vécu dans
des villes de banlieue, depuis ma naissance : Marly le Roi, Poissy, Le
Vésinet. Toujours dans le même périmètre. Je
me sens bien ici parce quon peut être anonyme tout en vivant
quand même avec un marché et des commerçants, une
sorte de vie un peu provinciale et reposante, je pense, par rapport à
Paris intra-muros, calme, et en même temps il y a lanonymat
des grandes villes. Sans parler du fait que limmobilier est quand
même beaucoup plus abordable quà Paris. Sinon, il y
a des villes qui méritent plus quon en parle, mais on ne
parle jamais de Houilles !
Une blague
Ce que je peux dire sur les blagues, cest que je raconte toujours
la fin avant le début. Je dis : Est-ce que tu connais la
blague du
et je raconte la fin avant le début. Là,
je vais la raconter dans le bon ordre. Ce sera une grande victoire. Il
faut que je me la dise dans ma tête, sinon je vais te raconter la
fin avant
Cest une blague Carambar.
Cest un type qui arrive avec sa canne à pêche, qui
fait un trou dans la glace et qui attend que ça morde. Soudain,
il entend une voix : Il ny a pas de poisson ici. Il
cherche. Personne. Il continue de pêcher. De nouveau, la voix :
Il ny a pas de poisson ici. À la fin, il simpatiente
: Mais qui parle ? Cest le directeur de la patinoire
!
Dhabitude, je dis : Tu connais la blague de la patinoire ?
Comment je mhabille
Pff
Toujours confortable. Cest mon seul critère. Confortable
et passe-partout. Malheureusement, ça ne fait pas quelque chose
de très féminin. Si je dois séduire, ce nest
pas par ma tenue vestimentaire.
Je me souviens, quand javais quatre ans, davoir pleuré
parce que ma mère ma fait porter une robe, elle était
violette, pour aller à un anniversaire. Après, je nai
plus jamais porté de robe.
Un baume sur la douleur dêtre
Dabord, jéprouve assez rarement la douleur dêtre.
Je suis plus souvent dans le bonheur dêtre. Jai de la
chance, beaucoup de chance. Je nai pas vécu de choses dramatiques,
je nai pas subi de désillusions jusquà présent.
Il marrive des ennuis, des moments de tristesse
Jai
une faculté à me regarder souffrir, dans ces cas-là,
comme une bête curieuse, parce que cest inhabituel chez moi.
Souvent, ce regard zoologique suffit à faire cesser le processus
de douleur. Après, je me demande : Tiens, comment je vais
écrire ça ? Tout se transforme en écriture.
Tiens, je devrais pouvoir en faire quelque chose.
Mon compagnon, François, est plus angoissé. Il se soigne
à coups de La vie est belle, de Capra. Moi, je narrive
pas à identifier de méthode de ce genre. Rien na été
dramatique dans ma vie, et jai une faculté à ne pas
mattarder quand ça ne va pas ce qui est très
énervant, dailleurs, pour mon entourage. Mais peut-être
que tout ça, cest un gros mensonge.
Elle est trop difficile, ta question, de toute façon.
Pour en savoir plus sur Anne-Laure: http://www.bondoux.net
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