Encore New York

Je suis allé deux fois à New York. En mai pour prendre des vacances. En juillet pour effectuer une enquête sur les attentats du 11 septembre 2001. Je tente d’écrire un livre. Rendez-vous dans un an si tout va bien.
En attendant, voici un extrait de mon livre Le roi de l’autostop (publication: janvier 2003). Ça se passe en 1961. J’ai seize ans. Je découvre New York
.

Les rues de New York sont plus bruyantes et plus sales qu’au cinéma, les gratte-ciels plus hauts. Les passants sont pressés. Les mots “promeneur”, “flâneur”et “badaud” n’existent même pas en anglais. Ils me jettent des regards furieux quand je m’arrête pour lever la tête. Et alors? Vous voulez que je marche la tête levée, au risque de tomber sur le nez? Ici, on ne peut pas marcher et regarder les immeubles en même temps, comme à Paris.
Je cours les musées du matin au soir. Je déniche même un Musée des Indiens où des braves en cire pagaient dans leur canoë sans bouger pendant que des squaws tout aussi immobiles préparent le pemmican pour leur papoose devant le wigwam.
Un truc idiot, c’est que j’ignorais qu’il ferait chaud. Pas lu les bons livres. Si on m’avait dit: “C’est comme un bain de vapeur”, j’aurais compris, même sans avoir jamais pris de bain de vapeur. Je n’aurais pas emporté mon costume en laine bleu marine. J’habite à un bon kilomètre du métro. Ah, je n’y tiens plus… En revenant du musée, j’enlève ma veste et je marche dans la rue en bras de chemise. Shocking, isn’t it?
Je remets ma veste dans l’entrée de l’immeuble. Elle ne pèse pas son poids. Je tâte ma poitrine. Oh my God! Mon portefeuille s’est évadé de ma poche intérieure! Mon passeport, mon argent… Quand je tenais la veste sur mon bras. Deux cents dollars. Mon pauvre père. Gagnés à la sueur de son front. Que faire? La police? Le consulat? Et s’ils me renvoient en France? “Jeune homme, quand on ne sait pas voyager, on reste chez soi. Seize ans? Vos parents sont bien imprudents…”
Je repars en direction du métro. Je parcours le jardinet qui occupe le terre-plein central de Broadway. Tout à l’heure, je croyais avoir chaud. Maintenant je brûle, j’étouffe. Comment peuvent-elles sauter à la corde par cette chaleur? Mes oreilles bourdonnent, mon cœur palpite. Ce genre de mésaventure ne m’arrive jamais. C’est le changement d’heure qui me déboussole. Un brave New-Yorkais trouve mon portefeuille… Où l’envoyer? Dans mon passeport, mon adresse de Paris. Ils ont sûrement un service des objets trouvés. Me renseigner au commissariat. Un télégramme à ma mère : send + more = money.
Là ! Au milieu de l’allée. Miracle sur Broadway! Je n’enlèverai plus jamais mon veston, même si je dois fondre au soleil comme une motte de beurre. Bien rattrappé le coup, quand même. Moi Œil d’Aigle, grand guerrier nez rouge ! Bah, la piste encore chaude, brûlante. Au fait, j’aurais pu changer d’identité. “Perdu mon passeport, Saturnin Loiseau.” Il faut venir avec une autre personne qui vous identifie, sinon ce serait trop facile.

Send+more=money est une devinette célèbre en ce temps-là. Il faut remplacer chaque lettre par un chiffre de manière à ce que l’addition soit juste. Vous avez trouvé?