Le Morvan vu par Henri Bachelin


Le serviteur - 1918

Janvier ou février ramenait le « repas du cochon ». C'est une vieille coutume de nos villages, et de nos petites villes pour ceux qui, dans les faubourgs, y mènent un peu la vie des paysans. On tue le cochon, qui crie. On le grille, et les gamins dansent tout autour. On le hisse la tête la première pour l'ouvrir et le dépecer. En lui tout est bon, jusqu'aux sabots.

Tout étonné des richesses qu'on a devant soi, on se dit que jamais on n'arrivera à les épuiser. Et l'on invite les autres au festin. Chaque année nous étions les invités des Girard. Ce jour aussi était une date pour moi et, dans un autre sens, pour toi qui jamais ne sortais le soir. Mais, si tu avais refusé, les Girard se seraient fâchés. Il faisait chaud dans leur petite maison à plafond bas. Comme nous y étions une douzaine à nous sentir les coudes, on oubliait bien vite que sur la route gelée février soufflait à perdre haleine. On oubliait qu'il y eût des pauvres avec qui l'on avait soi-même plus de traits de ressemblance qu'avec les riches. Mais on estimait aussi que, pas une seule fois dans l'année, les bourgeois ne faisaient un repas qui valut celui du « cochon » : c'était la revanche annuelle des paysans des villages et des ouvriers-paysans de la petite ville.

Le cochon en faisait tous les frais : bouillon, boudin, pieds aux choux, rôti, tout venait de lui. Ceux qui l'avaient engraissé oubliaient qu'ils l'eussent connu vivant : sa destinée avait toujours été de finir sur cette table, victime et héros de ce repas triomphal auquel il méritait bien de donner son nom.

Tu buvais et mangeais peu. De t'être couché tard et d'avoir changé ton ordinaire, invariablement le lendemain matin tu avais mal à la tête. Une année, enfin, si tu ne tuas pas le cochon, tu te décidas à en acheter la moitié d'un. On nous l'apporta tout dépecé, tout préparé. Comme les gamins qui dansent autour de lui quand on le grille, j'aurais volontiers sauté de joie devant le saloir. Que nous ne fussions de vrais paysans, il ne s'en fallait que d'une moitié de cochon. Et nous allions avoir des provisions qui longtemps nous permettraient de narguer la faim.

Le Morvan

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