Mare Nostrum Corsica
Tendre au plus vite vers un transport maritime décarboné dès 2023 :
le grand défi mondial des armateurs
Depuis la prise de cette photo à Bastia, en juillet 2019, les choses ont déjà évolué : la Corsica Ferries a remplacé le Sardinia Regina par un navire moins polluant et équipé pour la connexion électrique à quai, le Mega Regina, tandis que les ferries - y compris les Moby, comme le Moby Kiss
- naviguent depuis le 1er janvier 2020 avec un carburant moins
soufré, conformément à la nouvelle réglementation, ce qui
limite les panaches de fumée (photo Romain Roussel).
Le 1er
janvier 2020, sont entrées en vigueur en
Méditerranée de nouvelles normes relatives aux
émissions de dioxyde de soufre des navires : le taux en vigueur y
est désormais de 0,5% maximum, contre 3,5% auparavant. Cela a
conduit la totalité des armateurs présents sur les lignes
de Corse à prendre des mesures bénéfiques pour
l'environnement, qu'il s'agisse d'équipements spécifiques
de certains navires (scrubbers en boucle ouverte pour la plupart des navires de la Corsica Linea, épurateurs de fumée expérimentaux plus performants pour La Méridionale)
leur permettant de continuer à employer un fioul plus lourd ou,
le plus souvent, de passer à un fioul plus léger
(navires de la Corsica Ferries et de la Moby Lines). Les compagnies sont aussi parfois allées au-delà de la réglementation à ce titre : la Corsica Ferries
a par exemple signé en 2020 un accord avec les ports de Nice
et de Toulon pour l'utilisation d'un carburant encore moins
soufré (à 0,1%) en approche de ces ports et milite pour
une extension à toute la Méditerranée de la zone SECA (acronyme anglais de Sulfur Emission Control Areas),
à basses émissions de soufre, comme c'est
déjà le cas par exemple en mer Baltique et en Manche
(voir cet article thématique). Par ailleurs, ses navires
pourront bientôt bénéficier du courant à
quai, prochainement disponible au port de Toulon. Le courant à
quai est déjà disponible depuis 2017 ou 2019 selon les
postes au port de Marseille et profite d'ores et
déjà aux cargos mixtes de la Corsica Linea et de La Méridionale,
qui ne peuvent malheureusement en bénéficier en Corse, faute
d'équipements portuaires et de capacité de production
électrique propre sur l'île...
Même s'il s'agit là de premiers changements notables qui
permettent déjà d'améliorer sensiblement la
qualité de l'air, ces mesures ne sont qu'un début et
l'essentiel du défi climatique reste à venir. La
capacité des armateurs à surmonter cet obstacle constitue sans nul doute leur principal défi
des prochaines années. Tant sur les plans technique,
qu'économique, l'enjeu est majeur et nécessitera des
adaptations massives, qui devront s'effectuer à un rythme
soutenu pour atteindre les nouvelles cibles de réduction des d'émissions
de gaz à effet de serre dès 2023 et tendre ainsi vers un transport
maritime décarboné, apportant son écot aux
objectifs climatiques issus de l'accord de Paris de 2015.
Un défi immense et imminent à la hauteur des enjeux de l'urgence climatique
Selon un rapport, dit EMTER, [1] publié le 1er septembre 2021 conjointement par l'Agence européenne pour l'environnement (EEA) et par l'Agence européenne pour la sécurité maritime (EMSA), les
émissions de gaz à effet de serre du transport maritime
sont non seulement nuisibles à l'environnement (acidification
des mers, dégradation de la qualité de l'air...), mais
affecteraient aussi la santé humaine de 40% des habitants des
zones situées à moins de 50 km des côtes.
Bonne nouvelle toutefois, selon ce rapport, les émissions totales de dioxyde de carbone des navires ont
diminué de 26% au
sein de l'Union européenne
entre 1990 et 2019. Elle
s'élèvent en 2019 à 16 millions de tonnes, soit
18% des émissions du transport maritime mondial, selon ce
rapport. La diminution enregistrée sur les trente
dernières années s'expliquerait à la fois par le
renouvellement de la flotte et par l'augmentation de
l'efficacité énergétique des navires. S'agissant
d'un autre polluant gazeux acidifiant issu du transport maritime, le
dioxyde de soufre, les émissions représentent, en 2019,
1,63 million de tonnes, soit 16% des émissions mondiales du
transport maritime, selon ce même rapport. Leur niveau est
relativement stable sur les cinq dernières
années sur lesquelles porte la mesure, entre 2014 et 2019 (avec
une amélioration en Manche, mer du Nord et
en Baltique et une dégradation en Méditerranée et
en mer Noire, mais c'était avant l'application des
nouvelles normes en 2020 évoquées plus haut, un
rattrapage a donc déjà dû avoir lieu depuis...).
Au sein des émissions du secteur maritime, la
contribution des ferries et cargos mixtes de type ro-pax
est relativement modérée (13,9%
des émissions
totales provenant du transport maritime en Europe, sachant que 437
millions de personnes font escale dans un port européen en 2018,
ferries, vedettes côtières à passagers et bateaux
de croisière confondus, dont un tiers en Italie et en
Grèce). L'essentiel des émission provient en fait du
transport maritime à longue distance, la mer étant le
vecteur dominant des échanges mondiaux. Le transport
maritime
représente ainsi à lui seul désormais 77% du
commerce
extérieur
des pays membres de l'Union européenne en
2019 (contre 71% en 2007), soit 4 milliards de tonnes de marchandises
chaque année.
En termes de pollution émise, le mode maritime apparaît
pourtant beaucoup moins polluant que d'autres modes de transport (routier et
aérien notamment) puisqu'il ne représente que 13,5% des
émissions liées au transport du continent, selon cette
même source officielle et, plus généralement,
seulement 2,8% des émissions mondiales de gaz à effet de
serre (très loin derrière la production
d'électricité, le transport routier, l'industrie et la
construction et plusieurs autres secteurs de l'économie).
Nota Bene : ces deux graphiques sont repris du rapport EMTER de
2021 (n°4.3 et 4.4, en anglais). Le transport maritime et fluvial
représente, en 2018, 13,5% des émissions totales de gaz
à effet de serre de l'Union européenne
imputables au transport (graphique de gauche). Or, cette même
année, les navires de type ro-pax (car-ferries et cargos mixtes)
ont émis dans l'atmosphère 13,9 millions de tonnes de
C02, soit 10,2% des 136,2 millions de tonnes émises
en 2018 par le transport maritime, l'essentiel provenant des
porte-conteneurs, des vraquiers et des pétroliers. Aussi,
on peut estimer que les navires de type ro-pax émettent en tout
environ 1,4% du total des gaz à effet de serre de l'Union européenne
dues au transport. Cela représente dix fois moins que l'avion
(14,4%) et à peine environ 0,3% des émissions totales des
gaz à effet de serre de l'Union européenne (le transport, tous vecteurs confondus, représentant environ 22% des émissions totales de l'UE en 2018, selon l'EEA).
Pour autant, beaucoup reste à faire pour atteindre l'objectif
européen de neutralité carbone en 2050, auquel le
transport maritime se doit d'apporter une contribution à la
hauteur des enjeux de l'urgence climatique. Le rapport EMTER
prévoit en effet qu'au sein de l'Union
européenne, les émissions de dioxyde de carbone
provenant du transport maritime devraient s'accroître de 18%
d'ici 2030 par rapport à 2015, et de 39% d'ici 2050, ce qui ne
serait plus en ligne avec les objectifs de neutralité carbone.
Ces prévisions sont plus pessimistes que celles du
quatrième rapport de l'Organisation maritime internationale (OMI, plus connue sous son acronyme anglais IMO) [2]
sur les gaz à effet de serre, qui a élaboré trois
scénarios tendanciels d'évolution des émissions,
sous différentes hypothèses de croissance du secteur.
Dans ces différents scénarios, sans mesure corrective,
les émissions de dioxyde de carbone du transport maritime
projetées passeraient de 1 000 Mt en 2018 à une
fourchette comprise entre 1 000 Mt et 1 500 Mt à l'horizon 2050,
soit une augmentation comprise entre 0% et 50% ! L'OMI
estime toutefois que les gains d'efficience énergétique
des navires permettraient de rester en ligne avec la quote-part maritime de l'objectif visant à contenir la hausse des
températures mondiales à moins de 2 degrés d'ici la fin du siècle...
Une course entre l'OMI et l'Union européenne pour imposer aux armateurs des mesures fortes et rapides, mais quid des moyens d'y parvenir ?
Une fois encore, les armateurs de la Baltique sont bien en avance sur ceux de la Méditerranée. Avec le projet Stena Elektra, que le leader européen du ferry Stena Line
entend commander en 2025 pour une mise en service d'ici 2030, un pas de
géant serait franchi. Conçu pour la ligne courte de 50
miles nautiques Frederikshavn-Göteborg (Danemark-Suède), ce
ferry serait 100% électrique et totalement
décarboné. Image : copyright Stena Line.
Pour réduire drastiquement l'empreinte environnementale du mode maritime, des initiatives ont récemment
été prise à la fois au niveau de l'OMI et de la Commission européenne, qui sont les deux institutions dont le rôle sont
les plus déterminants pour réguler le secteur du
transport maritime, en Europe et au-delà.
Les règles de l'OMI s'appliquent
en effet à l'ensemble des pays membres de cette organisation
internationale (174 États membres, dont l'ensemble de ceux de l'Union européenne).
Elles concernent tous les types de navires de commerce
(porte-conteneurs, pétroliers, vraquiers, mais aussi les navires
à passagers et ceux de type ro-pax, comme les ferries et les cargos mixtes). Un accent particulier est mis
sur le transport de marchandises, puisque près de 90% du commerce
mondial transite par la mer. L'OMI
s'est ainsi donnée des objectifs très ambitieux, en
tablant sur la réduction globale de l'intensité
carbone des navires de 40 % en 2030, ce qui signifie en pratique une
diminution de 40% des émissions rapportées à la
tonne de marchandises transportée sur une distance de un
mille nautique (1,852 km) par rapport aux émissions
constatées en 2008. Il s'agit là d'un objectif
intermédiaire, l'objectif final étant d'arriver à
une réduction de 50% des émissions de la flotte mondiale
à l'horizon 2050.
Pour être atteint, cet objectif
nécessitera un effort considérable. Sauf à
recourir massivement à des options révolutionnaires,
telle celle en cours de développement par leader suédois Stena Line d'un
navire tout électrique, pas forcément
généralisable sur les lignes les plus longues, une
réduction de
moitié des émissions de
gaz à effets de serre représente une vraie gageure.
Cela suppose une
amélioration considérable de l'efficacité
énergétique des navires et, au-delà de cela, la
mise en oeuvre de solutions susceptibles
d'emprunter plusieurs canaux, non mutuellement exclusifs, comme :
- l'augmentation de la taille des navires en service, qui permet de réduire les
émissions par passager ou par tonne de marchandise
transportée, comme l'illustre par exemple le cas des
nouveaux navires de la Moby de 237 mètres conçus
pour les lignes sardes, mais qui ne peut s'appliquer en l'état
aux lignes de Corse, leurs infrastructures portuaires, en
déficit chronique d'investissements depuis de nombreuses
années, ne permettant pas d'accueillir des navires de cette
taille dans la plupart des cas (en particulier à Bastia et
à Ile Rousse) ;
- des innovations techniques en matière de
propulsion,
ce qui suppose de concevoir des moteurs plus sobres en carburant
(les évolutions en la matière sont
généralement assez graduelles à technologie
donnée) ou utilisant des technologies très innovantes,
telles que les batteries ou l'hydrogène liquide, encore à
mettre au point pour des ferries de grande taille devant naviguer sur
de longues distances. À cet égard, le projet Nice Green Ferries mérite
d'être considéré avec attention, même si l'on
ignore encore à ce stade s'il verra effectivement la mise en
oeuvre de ferries propulsés à l'hydrogène au
départ du port de Nice dès l'automne 2023, comme espéré par ses promoteurs, et sous quelles
couleurs ces navires pourraient opérer, le modèle
économique pressenti étant de les affréter à des compagnies
méditerranéennes déjà existantes ;
- le recours à des carburants alternatifs,
comme le gaz naturel liquéfié (GNL), l'ammoniac ou le
méthanol, moins polluants que le fioul léger,
lui-même moins nocif pour l'environnement que le fioul lourd ;
une partie croissante des ferries en commande sont ainsi conçus
pour y recourir ; c'est le cas notamment du nouveau cargo mixte de la Corsica Linea qui sera mis en service sur Marseille-Corse début 2023 ;
- une réduction de la vitesse
des navires, lorsque c'est possible, ce qui permet d'économiser du carburant à distance parcourue donnée [3].
Cette piste atteint toutefois ses limites et est plus
problématique pour
les car-ferries, soumis à des contraintes logistiques et aux
exigences de vitesse des passagers, que pour les navires transportant
des marchandises, même si elle a déjà partiellement
été mise en oeuvre (en dehors des périodes de
pointe, les Mega Express de la Corsica Ferries naviguent en effet moins vite qu'il y a quelques années) ;
- le fait de privilégier des routes
maritimes plus courtes,
ce qui pourrait en théorie s'entendre pour les ferries,
à condition que les ports "bien situés" jouent le jeu, ce
qui n'est pas forcément le cas comme on le voit à Nice
- ce port français continental le plus proche de la
Corse souhaite voir disparaître, ou tout du moins fortement
réduire, son trafic de ferries pour la Corse - et à
condition également que les clients suivent, ce qui n'est pas
acquis, le marché du transport de passagers en ferry sur la
Corse semblant ces dernières années se tourner
structurellement davantage vers des traversées de nuit sur des
lignes plus longues (comme celles de Toulon ou Marseille), au
détriment des lignes les plus courtes (comme celles de Nice
ou Livorno) ;
- une réduction du nombre de navires en
circulation est aussi, en
théorie, possible. En effet, les objectifs des réduction des
émissions que s'est donné l'OMI ne
s'entendent pas navire par navire ou ligne à ligne mais bien au
global, au niveau de la flotte mondiale et compte tenu de
l'intensité de
l'usage qui en est fait. L'atteinte de ces objectifs suppose donc,
par navire, des efforts plus
importants encore que 50% à l'horizon 2050 si la flotte
mondiale croît d'ici là, ce qui est très
probable compte
tenu de l'accroissement continu des échanges... Toutefois, sur
les lignes de Corse, des marges de réduction semblent possibles
à condition de revoir le système de desserte de service
public sur Marseille notamment, en privilégiant par exemple des
traversées avec escale depuis les ports principaux de Bastia ou
d'Ajaccio pour desservir les ports secondaires d'Ile Rousse, de
Propriano ou de Porto Vecchio par exemple, comme le fait
déjà la Corsica Ferries hors saison au départ de Toulon.
Avec les jumeaux Moby Fantasy et Moby Legacy, en service en 2023 sur Livorno-Olbia (Sardaigne), la Moby
joue sur tous les tableaux pour conjuguer écologie et
rentabilité : propulsion GNL-compatible, réduction de
vitesse (23 noeuds contre 27 pour la génération
précédente), massification du transport (3 800
mètres linéaires de fret, contre 2 000) et diminution
du nombre de navires (les 2 en remplaceront 4 sur la ligne). Image :
Copyright Moby Lines.
Comment l'OMI entend-elle que
les armateurs arrivent techniquement à atteindre de tels
objectifs et avec quels instruments mesurera-t-elle leurs
avancées en la matière ? Il existait déjà,
depuis janvier 2013, un indice EEDI (Energy Efficiency Design Index)
d'efficacité énergétique [4] qui s'imposait pour tous
les navires neufs (plus précisément, à ceux de plus de
400 UMS de jauge brute), avec des objectifs de plus en plus ambitieux
au fil des années en matière de consommation et donc de
réduction des gaz à effet de serre. Mais jouer sur le
flux entrant des nouveaux navires s'avère insuffisant lorsque
les objectifs climatiques sont aussi ambitieux et à aussi
brève échéance. C'est pourquoi, l'OMI a adopté - à une faible majorité - le 15 juin 2021 lors de son comité de la protection du milieu marin (MEPC)
[5] de premières mesures de réduction des émissions
devant s'appliquer aux navires déjà
en flotte. Ces mesures entreront en vigueur dès le 1er
janvier 2023, pour tous les navires d'une certaine taille.
Plus précisément, seront mis en place à cette date
:
- Un nouvel indice
d’efficacité énergétique des navires
existants, l'EEXI (Energy Efficiency Existing Ship Index), qui mesure les exigences techniques en matière
d’efficacité énergétique, à savoir comment le
navire est équipé et modernisé. Cet indice, créé spécialement par l'OMI
en 2020,
s'applique aux navires de plus de 400 UMS de jauge brute (ce seuil,
très bas, englobe notamment la plupart des ferries de moins de
100 mètres de longueur). Les navires devront
mettre en place dès 2023 de
nouveaux équipements pour réduire immédiatement
leur intensité carbone. Ces nouveaux équipements
peuvent être des limiteurs de puissance, des systèmes
améliorant l’hydrodynamisme et la consommation
électrique, ou encore des dispositifs d’assistance de
propulsion
à voile ou utilisant des biocombustibles.
- Un nouvel indicateur
d’intensité de carbone, le CII (Carbon Intensity Indicator), qui mesure les exigences
opérationnelles en matière d’efficacité
énergétique, c'est-à-dire celles en lien avec le fonctionnement du navire, et qui vise à réduire l'empreinte
carbone des navires déjà existants. Pour ce faire, dès 2023, une
classification annuelle des
navires sera établie en fonction
de leurs performances réelles. Elle s'appliquera à tous les navires de plus de 5 000 UMS de jauge brute (ce qui
est très bas, donc schématiquement tous les navires de
commerce d'une centaine de mètres ou plus, qu'il s'agisse de cargos rouliers, de porte-conteneurs, de
ferries ou de pétroliers seront concernés). Cela consistera en une notation
individuelle de l’intensité carbone réelle des navires (via un score allant de A à E, A étant la meilleure
catégorie et E la moins bonne), réévaluée chaque
année avec des seuils de plus en plus bas pour une catégorie donnée. Les navires notés A ou B pourront bénéficier de
primes de la part des pouvoirs publics ou des autorités portuaires. À l'inverse, pour les navires classés D pendant trois
années consécutives et pour ceux notés E, les compagnies devront obligatoirement soumettre un plan de
mesures correctives, afin d’atteindre le classement requis de C ou
supérieur, si l'État du pavillon l'exige.
Les navires les moins performants pourraient de ce fait se voir imposer
des limitations de puissance de plus
en plus fortes, pour satisfaire ces conditions, si aucune autre
solution technique n'est proposée, voire assez rapidement de ne
plus pouvoir naviguer, dans les cas extrêmes, puisque ces indices
seront chaque année plus contraignants (de 2023 à 2026,
les seuils de chaque catégorie seront abaissés de 2%
chacun, les rendant plus difficiles à atteindre). En 2026, le
système des indices sera réexaminé et pourrait
être de nouveau durci à l'horizon 2030. Certaines
organisations
environnementales, quelques pays européens, ainsi que les
Etats-Unis et le Royaume-Uni notamment auraient souhaité des
mesures allant encore plus loin, avec des mesures coercitives prises
indépendamment de l'État du pavillon du navire, mais il s'agit
toutefois déjà d'une avancée très
significative, qui met sous pression les armateurs quant aux
performances énergétiques de leurs navires.
Au niveau européen, la Commission européenne a,
quant à elle, adopté le 9 décembre 2020 sa feuille
de route
stratégique pour les transports. En cohérence avec
l'objectif européen de neutralité carbone à
l'horizon 2050, celle-ci se donne un objectif intermédiaire de
réduction des émissions de gaz à effet de serre de
55% dès 2030 par rapport à celles de l'année 1990,
en tablant sur la disponibilité à
cette date de "navires à zéro émission", ce qui
reste à prouver tant cet horizon est proche...
De quels outils institutionnels les armateurs disposent-ils pour atteindre ces objectifs si ambitieux et sur quels financements pourraient-ils compter ? Là aussi, l'OMI et la Commission européenne
ont des visions différentes sur la manière de permettre
cette transition énergétique massive dans ces
délais sans précédent. L'OMI a relayé une proposition d'associations d'armateurs d'introduire une
taxe de 2 dollars par tonne de carburant, en vue de
récolter 5 milliards de dollars à l'horizon 2023 pour
financer la recherche sur des solutions innovantes. Toutefois, le
principe d'une nouvelle taxe de cette nature nécessiterait, au niveau européen, un vote
à l'unanimité des États membres de l'Union.
Aussi,
à ce stade, c'est la solution d'intégration du transport
maritime au sein du mécanisme déjà existant
d'échange des émissions de carbone, portée par la Commission européenne, qui semble prospérer. Désormais intégré au "paquet climatique" de la Commission européenne (dit "Fit for 55", en cohérence avec l'objectif de réduction de 55% des émissions évoqué plus haut...) le 14 juillet 2021, ce système, dit ETS (pour Emissions Trading System) [6],
ne nécessite pour être mis en oeuvre qu'un vote
à la majorité qualifiée au sein des autres
institutions de l'Union européenne (Parlement européen et Conseil européen).
Une part croissante des émissions de gaz à effet de serre
du transport maritime devrait donc être intégrée,
dès 2023, à ce système d'échanges de quotas
d'émissions. Plus précisément, la Commission
prévoit que ce système s'applique aux compagnies
exploitant des navires d'une jauge brute supérieure à 5 000 UMS
(comme ceux retenus pour l'indice CII donc)
et que le système ETS
couvre 20% de leurs émissions de
gaz à effet de serre dès 2023, puis 45% en 2024, 70% en
2025 et
100% dès 2026. Concrètement, cela signifie qu'une
compagnie de ferry faiblement émettrice de gaz à effet de
serre car technologiquement avancée, naviguant par exemple en
Baltique, pourra revendre chaque année une partie de ses quotas
d'émissions à une autre compagnie moins avancée,
naviguant par exemple en Méditerranée, pour permettre
à cette dernière de continuer à faire naviguer ses ferries les moins avancés. Un distinguo sera toutefois fait selon que les
navires navigueront intégralement au sein de l'Union européenne
ou non, de
manière à ne pas pénaliser les armateurs
européens pour rapport à ceux du reste du monde avec
lesquels ils sont susceptibles d'être en concurrence sur
certaines lignes internationales. Ainsi,
pour les navires opérant entre un port de l'Union
européenne et un port extérieur à l'Union (par
exemple, pour les ferries de Corsica Linea opérant
entre Marseille, l'Algérie et la Tunisie), seules 50% de leurs
émissions de gaz à effet de serre de ces navires seront retenues pour ce mécanisme d'échange.
La question du financement de la transition énergétique du shipping reste toutefois sans réponse à ce stade, la Commission européenne
ayant refusé de créer un fonds dédié
à l'innovation en faveur de la décarbonation du
transport maritime, pourtant proposé par plusieurs armateurs et
soutenu par le Parlement européen.
L'association des armateurs européens (ECSA, pour European Community Shipowners' Associations), tout en
soulignant l'importance du défi climatique et en saluant l'ambition
européenne en la matière, a de ce fait appelé de
ses voeux la création d'un fonds visant à stabiliser le
prix du carbone et regretté qu'une solution internationale ne
soit pas trouvée pour le secteur du transport maritime. Plus
encore, l'ECSA regrette, qu'en l'état, le projet de la
Commission européenne prévoie une pénalité
financière pour les navires n'utilisant pas le courant à
quai lors des escales. En effet, selon l'ECSA,
il serait plus logique
et plus juste que les navires puissent être exemptés de
cette obligation lorsque l'infrastructure portuaire n'est pas
disponible ou qu'elle n'est pas compatible avec les équipements
du navire. Pour mémoire, sur la côte
Méditerranéenne française, seul le port de
Marseille et, bientôt, celui de Toulon sont
équipés, mais ni celui de Nice ni ceux de Corse. Au
demeurant, équiper les ports corses du courant quai pour les
ferries n'aurait de sens sur le plan environnemental que si les
capacités de production électrique de
l'île permettaient de passer sans difficulté les pics
saisonniers de demande et si la production de cette
électricité était elle-même
décarbonée, ce qui n'est pas le cas en l'état (la
centrale thermique de Lucciana, dans la région bastiaise,
fonctionne encore au fioul, en attendant d'être convertie au gaz
une fois cet approvisionnement disponible ; celle du Ricanto, dans
la région ajacienne, prévue pour pouvoir fonctionner au
gaz naturel en remplacement de la centrale vétuste du Vazzio, ne
sera quant à elle pas opérationnelle avant 2026 au
mieux...). Cela supposerait aussi des investissements relativement
lourds de la Collectivité de Corse
dans les infrastructures portuaires, qu'elle pourrait en théorie
effectuer grâce au reliquat des subventions de la
continuité territoriale, mais cela n'a jusqu'à
présent pas été le choix des élus...
Aucune des
solutions techniques actuelles, qui posent toutes diverses
difficultés, ne s'impose vraiment
à
ce stade
Le nouveau cargo mixte de la Corsica Linea
sera, début 2023, le premier navire propulsé au GNL sur les lignes de
Corse. Si le GNL permet de réduire sensiblement les émissions de
gaz à effet de serre, cette énergie, qui reste d'origine fossile, a aussi ses
détracteurs ; sa disponibilité et son coût posent aussi question à
court et à moyen terme. Photo : Corsica Linea / chantiers Visentini.
Sur
le plan technique, quelles sont les solutions disponibles à ce
jour pour permettre aux ferries existants d'atteindre les niveaux de
performance environnementale requis par ces instances internationales ?
Il n'en existe pas une, mais plusieurs, à ceci près que
toutes présentent des avantages et des inconvénients,
susceptibles de se révéler pour certains dans la
durée, si bien que les armateurs peuvent donner l'impression
d'avoir du mal à se décider, car il s'agit
d'investissements lourds et qu'aucune solution technique ne semble
s'imposer vraiment de manière évidente !
Longtemps présentés comme une solution idoine pour lutter
contre les
émissions de dioxyde de soufre et revenant à près
de 10 M€ par ferry équipé, les épurateurs de
fumée (scrubbers) à
boucle ouverte sont de plus en plus contestés et leurs rejets en mer
sont désormais interdits dans un nombre croissant de pays. Ainsi,
transposant la directive européenne 2016/802, la France a pris à son tour des
mesures en ce sens en 2021. Par arrêté en date du 22
septembre 2021, la France interdit le rejet en mer des eaux de lavage
issus des scrubbers à compter du 1er janvier 2022. Mais cette mesure ne
s'applique que dans
une
bande cotière de 3 milles et une dérogation est
prévue pour les navires
effectuant des liaisons régulières, comme les ferries. Il
s'agit
toutefois d'un premier pas et il est prévu que cette
dérogation ne
puisse être accordée que si l'armateur apporte la preuve
qu'il n'existe pas d'autre solution technique possible et, en tout
état de cause, elle
ne pourra s'appliquer que jusqu'au 1er janvier 2026. Rappelons que ces
eaux de lavage des scrubbers à boucle ouverte équipent déjà de nombreux
car-ferries (sur la Corse, la plupart des navires de la Corsica Linea en
particulier) et sont issues du traitement des gaz d'échappement
des
navires fonctionnant au fioul. Plusieurs associations écologistes
soulignent les dangers que représentent ces rejets en mer, ces
eaux de
lavage comprenant des éléments chimiques issus de ces gaz
d'échappement, comme le dioxyde de soufre ou l'oxyde d'azote,
voire des
traces de métaux lourds ou de résidus d'hydrocarbures
qui, même à
faible dose, peuvent représenter un danger pour la faune et la
flore
marine dans certains milieux fragiles. C'est pourquoi cette limitation
est désormais prévue en France, même si d'autres
pays - européens et
asiatiques notamment - vont déjà plus loin et interdisent
totalement
les rejets en mer de ces eaux d'épurateurs de fumée et
préconisent
plutôt l'usage de scrubbers à boucle fermée,
qui permettent le
recyclage à terre de ces effluents. Dès lors, l'avantage
économique des
scrubbers, qui permettaient aux navires de continuer à consommer
du
fuel à 3,5% de soufre (moins coûteux que ceux à
0,1% ou 0,5% utilisés en Méditerranée depuis le
1er janvier 2020 par les navires non équipés), semble de
moins en moins évident et de nombreux
armateurs s'en détournent désormais...
Un système plus prometteur semble être celui développé par Solvay pour La Méridionale et baptisé Solvair marine. Installé à titre expérimental depuis octobre 2019 sur l'un des quatre moteurs de son navire amiral, le Piana,
ce filtre permet de traiter les gaz d'échappement du navire
à sec, sans utiliser d'eau de lavage (contrairement aux scrubbers),
en utilisant du bicarbonate de soude. La phase de test s'est
désormais achevée avec succès (le système a
obtenu le certificat IAPP - pour International Air Pollution Prevention -
attestant que l'ensemble des exigences légales sont remplies) et
le système est en voie d'installation sur les autres moteurs du Piana lors de son arrêt technique de novembre 2021 réalisé à Santander, en Espagne. Solvay a ainsi indiqué au journal Le Marin en septembre 2021 que : "ce nouveau système permettra à La Méridionale de se conformer à la réglementation 2020 de l'OMI pour
la réduction d'oxydes de soufre (SOx) et facilitera
l'élimination de 99,9% des particules fines". Si le coût
de ce disposisitf n'a pas été communiqué, il
pourrait se révéler assez économique à
l'usage, puisque le système d'injection de sorbant de
sodium à sec ne nécessiterait "qu'un dixième de la
consommation électrique d'un laveur humide en circuit
fermé, type scrubber",
révèle cette même source. Tout ceci laisse entendre
qu'il pourrait être étendu dans un
proche avenir aux autres navires de la
compagnie - voire d'autres armateurs, par la suite - sous réserve toutefois de leur
adaptabilité.
Détail du Piana de La Méridionale
quittant Bastia, en juillet 2019 (photo : Romain Roussel). On y voit
notamment, en gris, le dispositif expérimental
d'épurement des fumées installé à
proximité de la cheminée tribord et, en bas sur la coque,
la mention "je préserve notre planète !" avec un dessin
symbolisant la Terre entourée d'une prise électrique, pour
signifier le raccordement du navire au courant à quai au port de
Marseille.
S'agissant de l'usage des carburants alternatifs, alors que le gaz naturel liquéfié (GNL) avait
pris de l'avance sur les autres et commence à
preprésenter une part non négligeable de la flotte
mondiale (plus de 500 navires déjà en service, hors
méthaniers), avec notamment l'arrivée prochaine sur les
lignes de Corse du premier navire de Corsica Linea
propulsé au GNL, une controverse semble poindre concernant son
usage et son coût. Même s'il reste encore issu d'une
ressource fossile et que son usage nécessite d'importantes
précautions pour éviter les fuites de méthane (qui est un gaz
à très fort effet de serre), le GNL a pourtant des
avantages : par rapport aux carburants conventionnels, il permettrait
de réduire de 20 à 25% les émissions de dioxyde de
carbone, de 85% celles d'oxydes de soufre, de 98% celles de particules
fines et de 99% celles d'oxyde d'azote. Son coût serait toutefois
plus élevé que prévu : il y a quelques
années, il était annoncé comme nettement plus
économique que le fioul, mais l'un des pionniers du secteur des ferries en la matière, le finlandais Viking Line,
a annoncé début novembre 2021 que son navire Viking
Grace, spécialement conçu pour le GNL et alimenté
par ce carburant depuis son lancement en janvier 2013, allait
"temporairement" naviguer désormais au fioul, en raison de la
hausse des cours du GNL ! De fait, alors qu'une filière GNL
semble à peine poindre au niveau international (la question de
l'avitaillement des navires par ces nouveaux carburants n'étant
pas la moindre à résoudre...), plusieurs armateurs
et non des moindres (Maersk, Total...) ainsi que la Banque Mondiale
se montreraient de plus en plus enclins à le considérer
comme un simple carburant de transition, en attendant un
déploiement plus large de navires à l'ammoniac "vert" et
à l'hydrogène. Cependant, pour être écologique,
l'ammoniac, composé toxique et corrosif, nécessite comme les autres
carburants de synthèse (méthanol ou gaz) une production
de masse complexe et plus coûteuse, par électrolyse
d'hydrogène, inexistante à ce jour. Et pour que la
production de ces carburants alternatifs soit totalement décarbonée, celle de
l'hydrogène utilisée dans ce processus doit aussi
l'être ! Cela suppose donc des investissements massifs dans la
filière de l'électrolyse, mais aussi que les problèmes de stockage et
de transport de l'hydrogène par voie maritime soient résolus,
pour qu'il puisse jouer un rôle important à l'avenir [7].
Là encore, les armateurs d'Europe du Nord sont plus
avancés que ceux de Méditerranée. Alors que des
navires propulsés au GNL naviguent déjà en
Baltique depuis près d'une dizaine années (comme le Stavangerfjord de Fjord Line et le Viking Grace de Viking Line, tous deux mis en service en 2013 et présentés dans cet ancien article thématique), le premier navire utilisant ce carburant n'arrivera sur les
lignes de Corse qu'en 2023. Et en Baltique, navigue déjà
depuis 2015 entre Göteborg et Kiel (ligne Suède-Allemagne)
le Stena Germanica de Stena Line,
dont les moteurs ont été convertis au méthanol
carburant. Mieux encore, depuis juin 2021, ce navire s'avitaille
grâce à du méthanol de synthèse, produit
à partir d'hydrogène et de dioxyde de
carbone recyclés, issus de l'industrie sidérurgique
(société SSAB
de Luleå). Pour l'armateur, cela signifie l'usage
d'un carburant neutre en carbone, n'émettant pas de gaz à
effet de serre ni de particules fines, et pour l'industriel, une nette
diminution de ses rejets de dioxyde de carbone dans
l'atmosphère. Ce qui prouve bien qu'une industrialisation d'un
tel processus vertueux est possible... De fait, Le Marin recensait déjà, à mi-année, 7 navires "ammoniac ready"
commandés dans les chantiers navals en 2021 et
Frédéric Auvray y précisait que : "le
méthanol et l'ammoniac, étant utilisables sous forme
liquide, sont considérés comme les mieux
adaptés aux besoins des grands navires, alors que
l'hydrogène fournissant de l'électricité via une
pile à combustible bute toujours sur les limites de sa
puissance". Le méthanol pourrait toutefois arriver aussi en
Méditerranée dans les années à venir, la Corsica Ferries
ayant par exemple déclaré dès février 2020
que cela faisait partie des pistes qu'elle étudiait en vue de la conversion de 3 à 4 de ses navires
à des carburants alternatifs à l'horizon 2024.
Quoiqu'il en soit et quel que soit le carburant qui finira par
s'imposer, il faudra dans le meilleur des cas compter un quart de siècle au minimum pour renouveler la flotte mondiale afin de répondre à cet objectif de décarbonation... Citant Martin Stopford, le président d'honneur du courtier britannique Clarksons, le journal Le Marin
rapporte en avril 2021 qu'il faudrait "3 400 milliards de dollars pour
renouveler la flotte actuelle, dont la valeur se situe
déjà à un niveau record de 1 000 milliards de
dollars", ce qui, outre son coût, pose la question de la
capacité des chantiers à mener à bien cette
tâche, leurs capacités actuelles étant
tombée à environ 80 millions de tonnes de jauge brute par
an, selon cette même source. Rien qu'en Europe et pour le seul
secteur des ferries, plus de 1 400 navires seraient concernés
par les nouvelles exigences de décarbonation dès 2023
(selon Le Marin, 970 par l'indice EEXI, pour les navires de moins de
100 mètres, et 470 pour le CII, pour les plus de 100
mètres), ce qui représentera plusieurs milliards d'euros
de dépenses des armateurs pour soit adapter, soit
renouveler leur flotte. Les coûts seront d'autant plus
élevés que les flottes sont anciennes, donc synonymes
d'une moindre performance énergétique. Cela veut dire
concrètement que c'est en Méditerranée, et
notamment sur les lignes de Corse, que les coûts seront les plus
importants, donc les plus à même d'induire une
inflation des tarifs de transport, à moins de nouvelles aides
publiques massives de la part des pouvoirs publics...
L'arrivée à Bastia du Pascal Lota de la Corsica Ferries, en juillet 2019 (photo : Romain Roussel). Avec trois autres de ses Mega Express,
la compagnie envisagerait la conversion de ce navire à un
mode de propulsion plus écologique (par exemple au
méthanol), à l'horizon 2024.
Notes -------------------------------------------------------------------------------------------------------
[1] Rapport (disponible uniquement en anglais), intitulé European Maritime Transport Environmental Report (EMTER), septembre 2021.
[2] En tant qu'institution spécialisée des Nations Unies,
l'Organisation maritime internationale (OMI) a pour mission : "de faire en
sorte, par le biais de la coopération, que le secteur des
transports maritimes soit sûr, sans danger, respectueux de
l'environnement, efficace et durable. Pour accomplir cette mission,
l'OMI
adopte les normes les plus élevées possible en
matière de sécurité et sûreté
maritimes, d'efficacité de la navigation et de prévention
et maîtrise de la pollution par les navires et examine les
aspects juridiques connexes et la mise en œuvre efficace de ses
instruments aux fins de leur application universelle et uniforme". Le
quatrième rapport consacré à l'impact du
transport maritime sur les gaz à effet de serre a
été publié en 2020. Le rapport complet, ses
annexes et son résumé sont disponibles en anglais sur cette page du site de l'OMI.
[3]
Il existe un lien, établi mathématiquement, entre la
vitesse d'un navire et la puissance des machines nécessaire pour
le propulser : la puissance des machines est proportionnelle au
cube de la vitesse du navire. Dès lors, de légères
variations à la hausse ou à la baisse de la vitesse de
croisière des navires ont des impacts substantiels sur leur
consommation et sur leurs émissions de dioxyde de carbone.
Plusieurs études citées par l'EMSA dans son rapport EMTER (Corbett et al., 2009; Eide et al., 2009;
Longva et al., 2009) ont estimé que réduire de 10% la vitesse d'un navire réduirait ses émissions de CO2 d'au moins 10 à 15%, voire jusqu'à 20%. De fait, l'EMSA a observé une réduction de la vitesse moyenne des navires faisant escale dans les ports de l'Union européenne de 18% sur la période 2008-2019.
[4]
L'indice EEDI reflète l'efficacité théorique du
design d'un navire et donne une estimation de ses émissions de CO2 au
mile parcouru, en fonction de sa capacité. Son calcul se
fonde sur un ratio entre sa consommation et la puissance
installée de ses machines. Pour les navires neufs, il s'agit
donc d'une mesure de l'efficacité énergétique qui
reflète la manière dont le navire a été
conçu, mais qui ne rend pas compte de son utilisation
opérationnelle. Ainsi, deux sisterships de
même indice EEDI peuvent avoir des émissions de niveaux
différents en fonction par exemple de leur niveau de charge, des
conditions météo ou de navigation dans lesquelles ils
opèrent.
[5] Le Comité de la protection du milieu marin (MEPC) traite des
questions environnementales relevant du mandat de l'OMI. Cela concerne
notamment les questions visées par la Convention internationale
pour la prévention de la pollution par les navires (MARPOL) en
lien avec le contrôle et la prévention de la pollution
causée par les navires – comme la pollution par les
hydrocarbures, les produits chimiques transportés en vrac, les
eaux usées ou les ordures – et les émissions
provenant des navires – comme les polluants atmosphériques
et les émissions de gaz à effet de serre.
[6] Le système d'échange des quotas d'émission (SEQE, ou ETS
en anglais) a été créé en 2005 afin d’imposer un plafond d’émissions de
dioxyde de carbone aux secteurs très émetteurs au sein de l’Union européenne. Sous
un plafond, révisé à la baisse chaque année, les installations
polluantes reçoivent ou achètent des quotas d’émission qu’elles peuvent échanger
les unes avec les autres. Ces installations doivent restituer chaque
année autant de quotas (1 quota = 1 tonne de CO2)
que leurs émissions vérifiées de
l’année précédente. Depuis 2013, le
périmètre de l’ETS
s'étend à de nouveaux secteurs et couvrira donc aussi le transport
maritime dès 2023. Les quotas sont échangeables : un opérateur qui émet
plus que son
allocation peut acheter des quotas sur le marché ; inversement, un
opérateur qui réduit
ses émissions peut revendre ses quotas non utilisés.
Les échanges entre offreurs et demandeurs de quotas se font soit de
gré à gré, c’est-à-dire par des contrats entre industriels, soit
sur des places de marché, portails électroniques qui rendent publics
les prix
et les quantités échangées. Pour une présentation plus détaillée de ce
mécanisme et son articulation avec la taxe carbone, voir les Chiffres clés du climat du Ministère de la transition écologique.
[7] Interrogé par le journal Le Marin en juillet 2021, Mikka Mered, secrétaire général de la chaire Outre-mer de Sciences Po Paris
et spécialiste de la géopolitique de l'hydrogène
déclare à ce propos : "Si l'hydrogène est
appelé à être une ressource
énergétique pivot à l'avenir, la question de son
transport par voie maritime est cruciale. L'hydrogène
liquéfié permet déjà de diviser par cinq le
volume par rapport à la forme gazeuse comprimée. Le
transporter sous forme d'ammoniac liquide sans recourir à un
dispositif cryogénique complexe et coûteux est encore plus
avantageux. Sauf que le coût de conversion est encore très
onéreux aujourd'hui". L'ammoniac semble à cet
égard poser moins de contraintes, puisque Mikka Mered indique
à ce propos que : "L'ammoniac a l'avantage d'être liquide
et facilement transportable à température ambiante".
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pas libres de droits
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