Attila et l’Occident

© Grigori TOMSKI

Empereur et Pape

Situation politique et militaire

Education soignée

Population hunnique

Personnalité d’Attila

5 juillet 452

 


Sommaire

Revenons à la rencontre de l’après-midi du 5 juillet. Le Pape ne pouvait pas beaucoup douter qu’Attila deviendrait au plus tard dans une ou deux années maître de l’Italie et réaliserait son rêve de la création de l’Empire romano-hunnique. Quel serait dans ce cas très probable l’avenir de l’Eglise et de la population chrétienne ? Attila et Léon devaient, en tête à tête, discuter cette question très franchement.

Notre thèse : Attila a promis au pape romain son soutien à l’Eglise chrétienne, l’évangélisation progressive de tout le futur Empire romano-hunnique !

Quelle perspectives pour la chrétienté encore dans une situation très fragile et dans des circonstances dramatiques !

Rappelons à cette occasion le sort tragique du khalife de Baghdâde al-Mousta’çim (1242-1258), chef spirituel de l’Islam sunnite et chef d’un Etat qui «croyait pouvoir ruser avec le péril mongol comme ses prédécesseurs l’avaient si longtemps fait avec les hégémonie successives qui s’étaient succédé en Iran : Bouyides, Seldjouqides, Khwarezmiens et Mongols même jusque-là. Quand les maîtres du moment s’étaient révélés trop forts, le khalifat avait cédé, acceptant à côté de lui l’émir el-omarâ bouyide au Xème siècle, le sultan seldjouqide au XIème ... L’instant venu, le khalife se redressait ... » (R.Grousset, L’empire des steppes, Payot, 1965, p.428).

Les Papes romains des Ostrogoths à Napoléon avaient la même ligne de comportement avec la puissance dominante.
«Mais l’empire de la terre dont les Gengiskhanides se disaient investis par le Tängris, par le Ciel Eternel, n’admettait pas de dérogations. Le dialogue épistolaire entre Hulägu et le khalife, tel que le restitue Rachîd ed-Din, est un des plus grandioses de l’histoire.» (Ibid).

Le culte du Tängri (Tengri) qui est une religion monothéiste assez vague, reposant sur l’adoration du Ciel divinisé et de la Nature, est connue chez les peuples hunniques depuis l’aube de leur histoire. Attila, lui aussi, se disaient investi par le Tängri :
«Désormais, Attila était seul roi incontesté des Huns et son empire, qui couvrait toute l’Europe du Nord jusqu’à l’Asie Centrale, était plus étendu que l’empire romain. Et, à nouveau, fort opportunément, un prodige vint fonder la légitimité surnaturelle de son règne.

Par hasard un pasteur avait retrouvé et apporté à Attila l’épée antique mythique, la divine épée d’Astür que l’ancêtre des Huns avait jetée jadis on ne sait où, en réservant à l’élu qui s’en saisirait les plus hautes destinées. La rumeur de cette extraordinaire consécration se répandit aussitôt du Danube aux frontières chinoises, de la Baltique à la mer Caspienne. Des feux de joie furent allumés dans toutes les tribus où on se répétait les prophéties antiques qui promettaient le royaume du monde au roi sous le règne duquel on retrouverait l’épée.» (Ph. Guilhaume, Attila, le fléau de Dieu, France-Empire, 1994, p. 71).

Attila, comme plus tard les rois des Turcs de la Mongolie et de la Sibérie du Sud (VI-VIIIèmes siècles) qui «constituait l’une des importantes branches tribales des Anciens Huns», avait sans doute le même sentiment d’être «semblable à Tengri et issu de Tengri» (Talat Tekin, Les inscriptions de l’Orkhon, Istambul, Simurg, 1995, p. 35, 57), l’autre formule utilisée est «semblable à Tengri, monté sur le trône par Tengri» (Ibid, p. 63, 79)

Revenons à la tragédie de la «papauté» musulmane de Baghdâd. Le khalife ne se comporta pas comme le «plus sage homme du monde», il opposait à l’empire universel mongol la souveraineté spirituelle et écrivait : «O jeune homme à peine entré dans la carrière, qui dans l’ivresse de prospérité de dix jours, vous croyez supérieur au monde entier, ignorez-vous que, depuis l’Orient jusqu’au Maghreb, tous les adorateurs d’Allâh, depuis les rois jusqu’aux mendiants, sont tous esclaves de cette cour et que je peux leur donner l’ordre de se réunir ?» (R.Grousset, L’empire des steppes, Payot, 1965, p.428-429).

Les papes romains du Vème siècle ne pouvait pas déclarer que les rois catholiques encore très peu nombreux étaient «esclaves de leur cour».

Vu l’inutilité des négociations, les Mongols ont pris d’assaut Baghdâd. Quant au khalife, après l’avoir forcé à livrer ses trésors, pour «éviter de verser son sang par égard pour sa dignité», les Mongols l’ont cousu dans un sac où on le fit fouler aux pieds des chevaux (vers le 20 février 1258).

Mais pourquoi, le Pape ne se sentait pas personnellement trop menacé par Attila qui, lui aussi, était souvent brutal avec les Romains ? Rappelons, par exemple, comment fut «discutée» la paix de Margum», aux conditions lourdes pour les Romains : «Lorsque Plintha, Epigène et leur escorte se dirigèrent vers le groupe impérial, celui-ci les regarda venir, hautain et figé. Attila et les siens ne descendirent pas de cheval, contraignant ainsi les autres à rester en selle. A partir de quoi la pièce était jouée. Les échanges avaient lieu en plein vent. Si le Goth, assez bon cavalier, arrivait tant bien que mal à débiter son texte, il n’en était pas de même pour le rhéteur, que le souci de ne pas tomber de sa monture sous les yeux railleurs des Huns réduisait quasiment au silence.» (M. Loi, Attila mon ami, Berg International, p. 68).

Quand Attila décida d’en finir avec les deux empires romains : «Sans avoir encore choisi sur quel front il allait d’abord attaquer, il adressa le même jour deux messagers à Théodose et Valentinien porteurs du même bref message :
- Mon maître, qui est aussi le vôtre, vous fait dire de préparer son palais car il va venir.»
(Ph. Guilhaume, Attila, le fléau de Dieu, France-Empire, 1994, p. 113).

Attila pouvait théoriquement, comme les autres souverains puissants des peuples hunniques, contraindre le Pape à lui servir d’échanson, «rincer des coupes dans les banquets» et finalement l’exécuter (le sort de deux empereurs chinois un siècle avant) ; il pouvait aussi le faire coudre dans un sac et jeter sous les sabots de sa cavalerie (le sort du «pape» musulman), ou bien se comporter comme César avec Vercingétorix. Mais justement il n’était pas comme les autres chefs turco-mongols par sa mentalité et par son éducation, il n’avait heureusement pas l’esprit esclavagiste des Romains.

Il avait certainement des sentiments mitigés pour les Romains. Pas question, à notre avis, qu’il éprouve la supériorité de la population sédentaire sur la population hunnique, c’est-à-dire, la supériorité des agriculteurs sur les éleveurs. En effet, les agriculteurs et les chasseurs des forêts européennes avec leurs sacrifices humains (comme les Francs «catholiques» apportant les vies des femmes et des enfants goths à l’esprit du fleuve Pô plusieurs années après lui) ne pouvait pas susciter son admiration.

Les sentiments d’Attila pour les Romains, esclavagistes terribles et guerriers féroces, sont bien exprimés par Michelle Loi : «J’ai pu croire Aetius le Pannonien différent des autres Romains, peuple arrogant et lâche, corrompu et hypocrite, violeur de la foi jurée et de ses propre lois. Je me trompais. Il vient de donner la preuve qu’il n’est qu’un égoïste qui veut tout pour lui, un ambitieux qui ne recule devant rien. Il bafoue la confiance que j’avais mise en lui, et celle de Roas qui l’aimait comme un fils, il oublie tout ce que nous avons fait pour l’aider : nos armées courant au service de son ami Jean, nos gardes assurant son retour à Ravenne lorsqu’il était proscrit, nos escadrons d’élite qui lui valurent tant de victoires en Gaule ... » (M. Loi, Attila mon ami, Berg International, p. 137).

D’ailleurs, les Romains, d’après André Santini et Camille Jullian, préféraient le pâturage à toute autre culture, comme donnant le revenu le plus assuré : car «les foins procèdent presque directement du bénéfice de la nature». Les Gaulois pensaient de même.

Attila ne pouvait pas être insensible à l’art de Rome, aux oeuvres des ingénieurs et esclaves romains. Mais les peuples hunniques savaient construire à cette époque leurs forteresses de pierre (on trouve ainsi les vestiges de 16 châteaux sur les rives de Baïkal et de Lena), seulement leur mode de vie dynamique les empêchait de laisser plus de monuments. D’autre part, les villes turco-mongoles étaient souvent sans murs compte tenu de la culture stratégique hunnique.

Notons aussi l’extrême rareté de la pratique de l’esclavage chez eux : «Certains ont même pensé qu’il n’existait pas : le conquis serait asservi, d’un type plus ou moins colonial, mais pas un esclave... Ce sont surtout - si on en croit Priscos et Jordanès - des savants, des lettrés, des médecins, des architectes, de bons artisans qui sont recherchés. Mais ils sont davantage mis au service public qu’attachés à la fortune d’un particulier et sont, les chroniqueurs le constatent, fort bien traités mais tenus à autorisation pour tout déplacement.» (M.Bouvier-Ajam, Attila. Le Fléau de Dieu, Tallandier, 1982, p. 431).

Chaque Hun était polyvalent : guerrier, éleveur, chasseur et souvent artisan et forgeron. Attila savait qu’il ne pouvait pas gouverner l’espace romain de la même façon que son Union de l’Europe pararomaine. Il s’intéressait vivement à toutes les possibilités favorables à la création d’une future fédération européenne. Ce n’est certainement pas par hasard qu’il fait toute pour garder l’amitié d’Aetius. Son bras droit, était, un Grec, Onégèse. Oreste, un noble Romain dégoûté par la décadence de la Cour, a été séduit par la personnalité et les projets d’Attila : «Il sera son conseiller intime, si apprécié et sûr de lui qu’il n’hésitera jamais à contester les intentions de son maître lorsqu’il n’en est pas d’accord, et il sera plus d’une fois écouté et suivi. Il sera chargé des négociations les plus difficiles : on sait qu’il ne sera jamais désavoué... Il n’aura qu’un vrai différend avec Attila - mais quel différend ! Il sera, comme Onègèse, partisan de la prise de Rome, alors qu’Attila cédera à la requête du pape Léon.» (Ibid, p. 83).

Mais pourquoi, en effet, être si gentil avec le Pape, pourquoi n’a-t’il pas écouté encore une fois Oreste et Onégèse ? Une seule réponse est possible : Attila a compris que l’Eglise pouvait cimenter et assurer la stabilité d’un futur Empire romano-hunnique. Déjà en Gaule, il était attentif aux évêques Anianus (Orléans) et Loup (Troyes) qui lui demandaient d’épargner la vie des habitants de leurs villes. Il fut ému par les prières, inspirées par la foi de Geneviève, et leva le siège de Paris.

La population hunnique pouvait embrasser rapidement le christianisme pour des raisons politiques comme les Goths et les Francs, mais aussi par suite de la compatibilité de leurs croyances traditionnelles avec les grandes religions monothéistes. La religion tangraïste avait ses prêtres connus sous le nom de chamans blancs. Elle était répandue jusqu’au Moyen-Age, du Pacifique aux Balkans. Parmi les ruines de Choumen, la première capitale de la Bulgarie, on voit les fondations des temples de Tengri (Tangra). Chaque peuple tangraïste percevait Tangra de façon différente. Pour la majorité de ces peuples, Tangra était un Esprit suprême dont l’image ne contredit pas l’idée du Dieu unique et tout puissant des religion monothéistes. C’est pourquoi, le christianisme nestorien a pu pénétrer (à partir du VIIème siècle) si loin dans les steppes et coexister pacifiquement avec des croyances tangraïstes. Par suite, l’église orthodoxe a décidé, dans la traduction de la littérature chrétienne en sakha, d’identifier Tangra avec le Dieu chrétien.

Ainsi donc, Attila ayant déjà montré son respect de l’Eglise chrétienne, Léon n’avait pas de raisons de douter à l’évangélisation rapide de tout le futur immense espace romano-hunnique. Déçu par Aetius, Attila pouvait même proposer de renforcer cette fantastique souveraineté spirituelle du Pape par le partage du pouvoir temporel !

Tous cela semble confirmer une thèse à la gloire du génie d’Attila : «il aurait entrepris la campagne des Gaules puis la campagne d’Italie uniquement pour montrer sa force et laisser là d’impérissables souvenirs ; il aurait renoncé à reprendre la bataille des Champs Catalauniques, puis s’emparer de Rome et à poursuivre la conquête de l’Italie parce qu’il était persuadé que, la démonstration de sa force étant faite, plus tard et l’Italie et la Gaule se donneraient à lui ; il aurait ainsi épargné Rome et cédé au Pape dans l’intention de passer pour magnanime et d’avoir plus tard l’appui de l’Eglise.» (M.Bouvier-Ajam, Attila. Le Fléau de Dieu, Tallandier, 1982, p. 389).

René Grousset écrivait que le Turco-Mongol : «Fait, comme le Romain du poète antique, pour régir les peuples, il a gouverné ces vieux peuples civilisés au profit de leurs traditions et de leur ambitions millénaires...» (R.Grousset, L’empire des steppes, Payot, 1965, p.28). Léon I comprit bien qu’Attila a été créé par Dieu pour réaliser les ambitions de l’Eglise chrétienne et Attila a été tout à fait d’accord avec cette mission et il était sincère en se déclarant honoré d’avoir reçu la visite «du plus sage homme du monde» !
Pour soulager les musulmans, notons que Dieu a créé plus tard Tamerlan, qui après la création et le renforcement de son empire annonça l’intention d’aller conquérir la Chine pour convertir ce pays à l’islamisme et commença à réunir dans ce but une immense armée : «Ce fut sans doute là un des plus graves périls qu’ait jamais couru la civilisation chinoise, car cette fois il ne s’agissait plus de l’invasion d’un Khoubilaï, respectueux du bouddhisme et du confucéisme et désireux de devenir un véritable Fils du Ciel, mais de l’irruption d’un musulman fanatique, qui, en islamisant le pays, eût vraiment détruit la civilisation chinoise et dénationalisé la société chinoise.» (R. Grousset, p. 534).

Attila a vécu 14 ans de moins que Tamerlan. Personne n’attendait sa mort huit mois après son dîner historique avec le Pape. Si Dieu lui avait donné encore 14 ans de vie, il pouvait après avoir créé et consolidé l’Empire romano-hunnique, établir son contrôle sur toute la population hunnique jusqu’à la Mandchourie. Alors rien ne pouvait plus lui résister.

L’Eglise chrétienne, plus sage et plus tolérante par suite de l’adaptation à la mentalité de la population hunnique très dynamique et enrichie par la spiritualité des vieux peuples civilisés d’Orient pouvait devenir, grâce à Attila et Léon, une Eglise universelle !

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