Situation politique et militaire Personnalité dAttila |
Elevé avec les poèmes épiques qui glorifient les héros nobles, défenseurs de leurs peuples, Attila aimait son peuple et se comportait comme son défenseur, tout en étant très économe de la vie de ses guerriers. Un des grands chefs des peuples hunniques Bilghé Qaghan éprouvait plus tard les mêmes sentiments: «pour lamour du peuple Turc, je passai les nuits sans dormir, les jours sans masseoir. De concert avec mon frère cadet Kül Tighine, avec deux chads je travaillai à mort jour et nuit.» (Talat Tekin, Les inscriptions de lOrkhon, Istambul, Simurg, 1995, p. 47). Les
inscriptions runiques dOrkhon exprime bien le sentiment
de la menace permanente : « Nos ennemis étaient
comme un foyer qui nous environnait ; (et) nous comme un chaudron
de repas au milieu ... « (Ibid, p. 85). René Grousset note que «Les races de commandement, les nations impériales sont peu nombreuses. A coté des Romains, les Turco-Mongols ont été de celles-là.» (R.Grousset, Lempire des steppes, Payot, 1965, p.28). A lépoque dAttila les peuples hunniques pour la première fois sont devenus maîtres de toutes les steppes dEurasie de la Mandchourie à la mer Noire et au delà jusquà la puszta hongroise. Cest pourquoi Attila a pu entretenir les relations dégalité puis de supériorité avec les empereurs romains. Heureusement nous avons maintenant quelques livres dauteurs européens qui ont bien compris la grandeur de sa personnalité, les raisons de ses actions et la portée de ses projets politiques et diplomatiques. Ainsi Michelle Loi, spécialiste éminente de lOrient, définit son oeuvre en termes suivants : «Attila mon ami nest pas en soi un ouvrage de recherche, mais une chronique romancée. On pourrait presque dire, quant à la forme, un récit épique, tellement cette époque des deux Empires romains abonde en épisodes à la fois tragicomiques, pathétiques et burlesques. Mais précisément parce que le recours au théâtral était le seul moyen de répondre au souci de la vérité jusque-là niée en sefforçant de peindre une atmosphère, de reconstituer le rythme dune action sans lesquels de prétendus «faits» perdraient tout leur sens, Attila mon ami est bien une «thèse» au sens littéral du terme, la thèse dun Attila tout différent du monstre de la légende.» Elle admet que le projet politique
dAttila était la création, avec un Romain
noble comme Aetius, dun empire bicéphale de «deux
empereurs frères qui ne se disputeront pas» : «Rome
revue et corrigée, lEmpire des khans civilisé,
et tous nos peuples heureux sur les terres fécondes quil
ne serait plus jamais nécessaire de pacifier avec du sang.»
(M. Loi, Attila mon ami, Berg International, p. 135). Les scènes de la vie
courante sont souvent très poétiques : «A
cette époque Attila était «fiancé»
à Enga «véritable poupée au visage
lisse et brillant, rouge comme sa longue robe de soie dont les
pans flottaient sur ses hautes bottes ... Je les ai vus souvent,
balancés sur le dos dun même cheval, leurs
jeunes corps noués en un seul, dans un équilibre
sans cesse rattrapé, crier leur bonheur à la face
du ciel. Je ne pouvais mempêcher de les admirer et
de les envier.» (Ibid, p. 27). Attila vit dans une résidence luxueuse : «Javoue ne pas être allé examiner les sous-sols du «palais» doù venait leau chaude du balnéarum et de la vaste piscine dallée de pierre, mais il est exact, comme Priscos le rapporte, que le palais était équipé de ce système perfectionné qui fait encore cruellement défaut à nos résidences de montagne ...» (Ibid, p. 26). Le moine Jordanès décrit limpression quil laissait aux chefs gothiques : «Si quelque chose venait à lirriter, son visage se crispait, ses yeux lançaient des flammes ; les plus résolus nosaient affronter les éclats de sa colère. Ses paroles et ses actes mêmes étaient empreints dune sorte demphase calculée pour leffet ... A côté de cela, il se montrait doux pour ceux qui savait se soumettre, exorable aux prières, généreux envers ses serviteurs, et juge intègre vis-à-vis de ses sujets. Ses vêtement étaient simples, mais dune grande propreté ; sa nourriture se composait de viandes sans assaisonnement quon lui servait dans des plats de bois ; en tout sa tenue modeste et frugale contrastait avec le luxe quil aimait à voir déployer autour de lui.» Priscos confirme ses observations : «La table était mise dans une longue salle décorée de poutres sculptées. Sur une estrade, Attila, assis sur un banc couvert de fourrures et de tapis multicolores ... avant le repas, Attila salua chaque convive notable suivant lordre des préséances et but à sa santé une coupe ; lhôte honoré répondait en buvant à son tour. On servit dénormes plats chargés de viandes et de venaisons. La vaisselle était dargent et dor mais, sur la table dAttila, il navait quune assiette de bois pleine de viande et une coupe de bois pleine de vin. Chaque convive se servit à son gré dans le plat quil avait devant lui, lusage interdisant de toucher aux mets éloignes de lui. Je ne pus de ce fait goûter à des ragoûts curieux qui éveillaient mes désirs ... Le repas fini, deux aèdes vinrent chanter les exploits des Huns dautrefois et les victoires dAttila.» Attila définit lui-même son empire de base qui est susceptible de toutes extensions que pourront provoquer les conquêtes futures, daprès Maurice Bouvier-Ajam, de la façon suivante : «Cest bien simple : tout ce qui sétend des monts Ourals et de la Caspienne au Danube constitue son empire». En fait, Attila a réalisé pratiquement lUnion de lEurope pararomaine. En 451 Attila traverse la Germanie, il «multipliait annonces et proclamations pour informer les habitants quils navaient rien à craindre des Huns qui venaient en libérateurs pour les aider à restaurer leurs chefs traditionnels et leurs libertés.» (M. Loi, Attila mon ami, Berg International, p. 155). Amédée Thierry, dans son Histoire dAttila (édition 1884) écrit : «Jamais, depuis Xerxès, lEurope navait vu un tel rassemblement de nations connues ou inconnues ; on ny comptait pas moins de cinq cents mille guerriers. LAsie y figurait par ses plus hideux et plus féroces représentants ... La Germanie avait fourni ses nations les plus reculées vers louest et le nord : le Ruge des bords de lOder et de la Vistule, le Scyre et le Tuclinge, voisin de Niémen et de Düna ... ; ils marchaient armés du bouclier rond et de la courte épée des Scandinaves. On voyait aussi lHérule, rapide à la course, invincible au combat, mais cruel et la terreur des autres Germains, qui finirent par lexterminer. Ni Ostrogoth ni le Gépide ne manquait à lappel ... Telle était cette armée, qui semblait avoir épuisé le monde barbare.» Notons que Napoléon pensait que la plus grande partie des citations sur les grandes armées de lAntiquité étaient fausses et ridicules, mais il croyait aux armées turco-mongols «quelque nombreuses quon les ait prétendues, parce quelles traînaient à leur suite des peuples nomades entiers qui se grossissaient encore dautres peuples dans leur route ; et il ne serait pas impossible, disait lEmpereur, que lEurope finît un jour de cette manière. La révolution opérée par les Huns, ... , peut se renouveler.» (!) (Le Mémorial de Sainte-Hélène, Tom I, Ed. Jean de Bonnot, 1969, p.143). |