Attila et l’Occident

© Grigori TOMSKI

Empereur et Pape

Situation politique et militaire

Education soignée

Population hunnique

Personnalité d’Attila

5 juillet 452

 


Sommaire

Elevé avec les poèmes épiques qui glorifient les héros nobles, défenseurs de leurs peuples, Attila aimait son peuple et se comportait comme son défenseur, tout en étant très économe de la vie de ses guerriers. Un des grands chefs des peuples hunniques Bilghé Qaghan éprouvait plus tard les mêmes sentiments: «pour l’amour du peuple Turc, je passai les nuits sans dormir, les jours sans m’asseoir. De concert avec mon frère cadet Kül Tighine, avec deux chads je travaillai à mort jour et nuit.» (Talat Tekin, Les inscriptions de l’Orkhon, Istambul, Simurg, 1995, p. 47).

Les inscriptions runiques d’Orkhon exprime bien le sentiment de la menace permanente : « Nos ennemis étaient comme un foyer qui nous environnait ; (et) nous comme un chaudron de repas au milieu ... « (Ibid, p. 85).
Les empires sédentaires sont très dangereux : «Les chinois (nous) donnent sans aucun problème de l’or, de l’argent, de la soie (et) des tissus de soie. Les paroles du peuple chinois étaient mielleuses et leurs tissus de soie mous. En s’insinuant par leurs paroles mielleuse et leurs tissus de soie mous, ils firent approcher (d’eux) les peuples (vivant) au loin. (Ces peuples) après qu’ils s’établirent dans leur voisinage, (Les Chinois) se mirent à ourdir leurs intrigues. Le bon et sage homme, le bon et vaillant homme, ils les empêchèrent de progresser ... » (p. 57).

René Grousset note que «Les races de commandement, les nations impériales sont peu nombreuses. A coté des Romains, les Turco-Mongols ont été de celles-là.» (R.Grousset, L’empire des steppes, Payot, 1965, p.28). A l’époque d’Attila les peuples hunniques pour la première fois sont devenus maîtres de toutes les steppes d’Eurasie de la Mandchourie à la mer Noire et au delà jusqu’à la puszta hongroise. C’est pourquoi Attila a pu entretenir les relations d’égalité puis de supériorité avec les empereurs romains. Heureusement nous avons maintenant quelques livres d’auteurs européens qui ont bien compris la grandeur de sa personnalité, les raisons de ses actions et la portée de ses projets politiques et diplomatiques.

Ainsi Michelle Loi, spécialiste éminente de l’Orient, définit son oeuvre en termes suivants : «Attila mon ami n’est pas en soi un ouvrage de recherche, mais une chronique romancée. On pourrait presque dire, quant à la forme, un récit épique, tellement cette époque des deux Empires romains abonde en épisodes à la fois tragicomiques, pathétiques et burlesques. Mais précisément parce que le recours au théâtral était le seul moyen de répondre au souci de la vérité jusque-là niée en s’efforçant de peindre une atmosphère, de reconstituer le rythme d’une action sans lesquels de prétendus «faits» perdraient tout leur sens, Attila mon ami est bien une «thèse» au sens littéral du terme, la thèse d’un Attila tout différent du monstre de la légende.»

Elle admet que le projet politique d’Attila était la création, avec un Romain noble comme Aetius, d’un empire bicéphale de «deux empereurs frères qui ne se disputeront pas» : «Rome revue et corrigée, l’Empire des khans civilisé, et tous nos peuples heureux sur les terres fécondes qu’il ne serait plus jamais nécessaire de pacifier avec du sang.» (M. Loi, Attila mon ami, Berg International, p. 135).
Quelques traits du portrait d’Attila «raconté par Aetius» : Si Attila était «petit à pied» comme tous les Huns, à cause de leur habitude de cavaliers «cloués sur leur monture» depuis la prime enfance, «à cheval il était grand». Lorsqu’il s’arrêta près de moi, il ne ressemblait pas à une «bête à deux pattes» mais à quelque centaure divin descendu à ma rencontre d’au-delà les crêtes de l’Olympe, pour paraphraser Ovide. C’est vrai, je fus saisi par sa beauté ...
Malgré moi je frissonnai sous l’examen. J’appris plus tard que je n’étais pas le seul à subir cette étrange fascination qui émanait de sa personne. Valimère, le prince ostrogoth qui fut son ami et son conseiller, assure que son corps crépitait d’une sorte de scintillement qui attirait ou écartait les gens.» (M. Loi, p. 16-18).
«J’estimais son intelligence et son bon sens précoces, sa fermeté à soutenir les décision prises, sa puissance à concevoir d’ambitieux desseins, tout cette «virtù» qu’on ne trouve plus que bien rarement dans la jeunesse romaine.» (Ibid, p. 32).

Les scènes de la vie courante sont souvent très poétiques : «A cette époque Attila était «fiancé» à Enga «véritable poupée au visage lisse et brillant, rouge comme sa longue robe de soie dont les pans flottaient sur ses hautes bottes ... Je les ai vus souvent, balancés sur le dos d’un même cheval, leurs jeunes corps noués en un seul, dans un équilibre sans cesse rattrapé, crier leur bonheur à la face du ciel. Je ne pouvais m’empêcher de les admirer et de les envier.» (Ibid, p. 27).
«Chaque fois que j’ai vu chez les Huns ou dans ma chère Pannonie une fringante jeune femme caracolant sur sa monture, image où s’unissent les deux trésors les plus précieux du guerrier nomade : la femme et le cheval, j’ai été profondément ému ; «L’une est la vie, pensais-je, l’autre la survie, ou plutôt tous les deux sont l’une et l’autre à la fois.» (Ibid, p. 47).

Attila vit dans une résidence luxueuse : «J’avoue ne pas être allé examiner les sous-sols du «palais» d’où venait l’eau chaude du balnéarum et de la vaste piscine dallée de pierre, mais il est exact, comme Priscos le rapporte, que le palais était équipé de ce système perfectionné qui fait encore cruellement défaut à nos résidences de montagne ...» (Ibid, p. 26).

Le moine Jordanès décrit l’impression qu’il laissait aux chefs gothiques : «Si quelque chose venait à l’irriter, son visage se crispait, ses yeux lançaient des flammes ; les plus résolus n’osaient affronter les éclats de sa colère. Ses paroles et ses actes mêmes étaient empreints d’une sorte d’emphase calculée pour l’effet ... A côté de cela, il se montrait doux pour ceux qui savait se soumettre, exorable aux prières, généreux envers ses serviteurs, et juge intègre vis-à-vis de ses sujets. Ses vêtement étaient simples, mais d’une grande propreté ; sa nourriture se composait de viandes sans assaisonnement qu’on lui servait dans des plats de bois ; en tout sa tenue modeste et frugale contrastait avec le luxe qu’il aimait à voir déployer autour de lui.»

Priscos confirme ses observations : «La table était mise dans une longue salle décorée de poutres sculptées. Sur une estrade, Attila, assis sur un banc couvert de fourrures et de tapis multicolores ... avant le repas, Attila salua chaque convive notable suivant l’ordre des préséances et but à sa santé une coupe ; l’hôte honoré répondait en buvant à son tour. On servit d’énormes plats chargés de viandes et de venaisons. La vaisselle était d’argent et d’or mais, sur la table d’Attila, il n’avait qu’une assiette de bois pleine de viande et une coupe de bois pleine de vin. Chaque convive se servit à son gré dans le plat qu’il avait devant lui, l’usage interdisant de toucher aux mets éloignes de lui. Je ne pus de ce fait goûter à des ragoûts curieux qui éveillaient mes désirs ... Le repas fini, deux aèdes vinrent chanter les exploits des Huns d’autrefois et les victoires d’Attila.»

Attila définit lui-même son empire de base qui est susceptible de toutes extensions que pourront provoquer les conquêtes futures, d’après Maurice Bouvier-Ajam, de la façon suivante : «C’est bien simple : tout ce qui s’étend des monts Ourals et de la Caspienne au Danube constitue son empire».

En fait, Attila a réalisé pratiquement l’Union de l’Europe pararomaine. En 451 Attila traverse la Germanie, il «multipliait annonces et proclamations pour informer les habitants qu’ils n’avaient rien à craindre des Huns qui venaient en libérateurs pour les aider à restaurer leurs chefs traditionnels et leurs libertés.» (M. Loi, Attila mon ami, Berg International, p. 155).

Amédée Thierry, dans son Histoire d’Attila (édition 1884) écrit : «Jamais, depuis Xerxès, l’Europe n’avait vu un tel rassemblement de nations connues ou inconnues ; on n’y comptait pas moins de cinq cents mille guerriers. L’Asie y figurait par ses plus hideux et plus féroces représentants ... La Germanie avait fourni ses nations les plus reculées vers l’ouest et le nord : le Ruge des bords de l’Oder et de la Vistule, le Scyre et le Tuclinge, voisin de Niémen et de Düna ... ; ils marchaient armés du bouclier rond et de la courte épée des Scandinaves. On voyait aussi l’Hérule, rapide à la course, invincible au combat, mais cruel et la terreur des autres Germains, qui finirent par l’exterminer. Ni Ostrogoth ni le Gépide ne manquait à l’appel ... Telle était cette armée, qui semblait avoir épuisé le monde barbare.»

Notons que Napoléon pensait que la plus grande partie des citations sur les grandes armées de l’Antiquité étaient fausses et ridicules, mais il croyait aux armées turco-mongols «quelque nombreuses qu’on les ait prétendues, parce qu’elles traînaient à leur suite des peuples nomades entiers qui se grossissaient encore d’autres peuples dans leur route ; et il ne serait pas impossible, disait l’Empereur, que l’Europe finît un jour de cette manière. La révolution opérée par les Huns, ... , peut se renouveler.» (!) (Le Mémorial de Sainte-Hélène, Tom I, Ed. Jean de Bonnot, 1969, p.143).

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