VENUS Le Vertige et le Vide (Compact n°32, mars 2003)
     
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Article

Un premier album mêlant rock, pop et valses datant de 1999, une série de concerts où Venus s'assure le concours d'un orchestre symphonique. Quelques bouleversements dans le line-up du groupe et un nouvel opus au son encore plus vertigineux. Un bel itinéraire que décode Marc Huyghens, guitariste, chanteur et tête chercheuse du groupe...

PAR RAPPORT A WELCOME TO THE MODERN DANCEHALL ET SES INCLINAISONS VERS LE "CABARET", VOUS SEMBLEZ VOUS ÊTRE ORIENTÉS VERS DES ARRANGEMENTS PLUS PROCHES DE LA MUSIQUE CLASSIQUE.
On a effectivement voulu un peu occulter le côté "cabaret" ce qui correspond à une évolution naturelle et non pas à quelque chose de réfléchi. Je comprends qu'on puisse y faire un rapprochement avec le concert qu'on avait fait avec un orchestre classique.

ÇA SE SERAIT FAIT SUBLIMINALEMENT DONC...
Oui. D'ailleurs si l'on souhaitait analyser le nombre de morceaux où figurent des violons par rapport au premier album, on s'apercevrait qu'il y en a beaucoup moins.

COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS CE PARADOXE ?
C'est ce côté quatuor, archet, etc. L'instrumentation classique plus flagrante contribue à accentuer cette atmosphère. Il y a donc un aspect peut-être plus posé, plus éthéré, aussi.

QU'EN EST-IL DE CE QUE VOUS AVEZ VOULU ÉVOQUER EN APPELANT L'ALBUM VERTIGONE ?
C'est un jeu de mots assez évident avec "vertige" et "gone".

DE FAÇON SUBLIMINALE À MON TOUR, J'AI PENSÉ A "ANTIGONE"...
Oui, une fois ce titre trouvé on se demandait si l'on ne pouvait pas aller plus loin dans sa signification... "Vertigone" a une tonalité mythologique, ce pourrait être la déesse du vertige par exemple...

SANS COMPTER LE NOM DE "VENUS"...
C'est tout l'intérêt de donner, par un mot sans véritable sens, la possibilité de refléter différents possibles contenus dans une oeuvre. Bizarrement ce mot qui ne veut rien dire représente assez bien le contenu de l'album.

QU'EN EST-IL, THÉMATIQUEMENT OU MUSICALEMENT, DE CE CONTENU ?
Il n'y a rien eu de préconçu. Quand on a démarré l'enregistrement, on avait pris six mois de pause. On était chacun dans son coin car on s'était suffisamment vu pendant pas mal de temps. Lors de nos retrouvailles la première question a été : « Avez-vous utilisé des machines ? » Personne ne savait ce que chacun avait ou n'avait pas préparé et on a démarré spontanément à partir du travail de chacun.

VOUS AVIEZ DES COMPOSITIONS OU DES EBAUCHES ?
Des canevas, la moitié de l'album. L'autre moitié à été faite pendant. Je ne pense pas qu'il n'y ait d'ailleurs qu'un seul thème au long de l'album.

IL COMMENCE SUR "HAPPINESS", PUIS SUR "BEAUTIFUL DAYS" AVEC SON "I WISH I WAS" RÉCURRENT : EST-CE UN VOEU PIEUX ?
S'il y a un tantinet d'ironie, chose que nous ne manions pas beaucoup dans ce deuxième album, c'est dans "Beautiful Days". Il s'agit en effet d'un fantasme, assez horrible en fait : tout sauf de l'humanité, du contact, etc ! Un lieu circonscrit par des murs blancs, ce qui est tout sauf merveilleux.

POURQUOI CE THEME, ET POURQUOI EST-IL TRAITE DE FAÇON SI "POP" ?
Cela fait partie de chansons que je qualifierais de fantasmes. Ce morceau, ça n'est même pas une métaphore, mais plus un assemblage de choses inventées car ressenties, et qui débouchent
ensuite sur un thème... "Happiness" n'est pas un voeu pieux, non. Il était judicieux qu'il ouvre l'album mais je ne pense pas qu'on ait focalisé sur les paroles parce que c'était justement le premier morceau. Après la tempête, on redémarre à zéro : c'est un moment de vide qui laisse place à l'ouverture et que l'on va commencer à remplir. Le bonheur c'est peut-être, non pas ce vide, mais cette absence de problèmes constants. Sans vouloir dire une connerie, c'est cette approche un peu bouddhiste qui te fait percevoir que tu fais partie d'un ensemble harmonieux. Quand les gens font de la méditation, on recherche justement le vide et le bonheur dans le vide.

C'EST DONC UNE DECLARATION D'INTENTION ?
On n'a pas reflechi à cette noton quand on a décidé d'ouvrir ainsi l'album. On ne s'est pas demandé s'il n'aurait pas mieux valu de le terminer ainsi. C'est juste une bonne porte d'entrée musicale.

VOUS AVIEZ DES CRITERES POUR LE "SEQUENCING" ?
Ça a sans doute été la partie la plus difficile. On avait des points de vue assez différents et on en a beaucoup parlé car on fait tout pour que ce groupe reste une démocratie. On espérait arriver au voyage le plus beau possible et on s'est déterminé par rapport à cette idée de cheminement.

UN VOYAGE DE QUELLE NATURE?
Onirique surtout.

COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS QUE CE QUI S'APARRENTAIT AU CABARET SUR VOTRE PREMIER ALBUM N'APPARAISSE PLUS QU'EN FILIGRANE ICI ?
Tu prends toujours un peu de recul, tu te demandes : « Qu'est-ce que j'ai aimé ? Qu'est-ce que je souhaiterais ne plus refaire ? » Tu essaies de te recentrer sur qui tu es comme si, parfois, tu triches, tu vas dans une certaine direction qu'ensuite tu ne sens plus. Ça n'est plus exactement ce que tu aimes ou ce que tu es toi-même mais tu continues à évoluer. C'est un peu comme si demain Vénus faisait du jazz mais a priori, aujourd'hui, je dis : « C'est trop tôt. »

AVEZ-VOUS RESSENTI UNE QUELCONQUE PRESSION PAR RAPPORT À CETTE ÉVOLUTION?
Pas du tout ! Je ne sais pas si un jour ça viendra... Peut-être pour le troisième...

Y COMPRIS PAR RAPPORT AU LAPS DE TEMPS ?
Le line-up du groupe a pas mal changé entretemps. Et puis le label italien sur lequel on était signé a fait faillite ; ça a entraîné des probèmes qui n'avaient rien à voir avec la musique. On a vrai-ment été bloqués contractuellement. Notre créativité était là mais elle ne pouvait pas s'exprimer.

CELA TRANSPARAIT-IL SUR VERTIGONE ?
Le temps perdu nous a procuré un avantage, on a pu retravailler beaucoup de choses, en particulier les percussions puisque Jean-Marc (Butty) est notre nouveau batteur. En les retravaillant on a été amenés a retravailler d'autres choses et, par exemple, j'ai eté super content d'avoir refait certaines voix. Cela nous a permis d'aller encore plus dans le sens où nous souhaitions nous diriger.

TOUT À L'HEURE TU PARLAIS DE VOYAGE ONIRIQUE : "SAND DOLLAR" SEMBLE JOUER SUR DIVERSES HUMEURS QUI S'Y CHEVAUCHENT...
C'est le nom vulgaire d'un coquillage qu'on trouve en Amérique. Il est très beau et il donne
l'impression que des petits motifs y ont été dessinés à la main. Ils ont la taille d'un dollar et on dirait qu'on y a sculpté une fleur en leur centre. C'est extrêmement beau et extrêmement fragile. J'ai passé plusieurs mois en Californie et cette chanson en est comme un résumé sous forme de flashs, la façon dont j'ai ressenti ce voyage quelques mois après en être revenu.

EST-CE TOUJOURS AINSI QUE LES TEXTES SONT COMPOSÉS ?
Je n'écris pas en forme d'histoire linéaire ; ça peut être décousu, surréaliste et il n'y a pas toujours un sens. Sur cette chanson en particulier il y a, selon moi, un texte qui a une grande valeur, mais tu ne peux pas l'expliquer en terme de signification. C'est de l'impressionnisme...

ET LE TITRE "VERTIGONE" ?
C'est une des facettes les plus extrêmes de ce que l'on a fait dans l'album. Pour le mettre en exergue, on y a mis un côté répétitif, lancinant, très harmonieux et doux aussi... C'est, pour moi, une des chansons les plus audacieuses car aller vers cette douceur n'est pas précisément d'actualité en ce moment, en particulier dans le monde du rock.

IL Y A POURTANT TOUIOURS UNE TENSION, MÊME DANS VOS MORCEAUX LES PLUS ÉTHÉRÉS, PAR EXEMPLE LA SCIE MUSICALE DANS "MILLION MILES AWAY"...
On avait envoyé deux morceaux au chanteur d'un groupe de San Diego. Il avait accepté de les écouter et c'est lui qui a trouvé cette idée. Il y a, dans ce procédé, un côté presque voix humaine. Il est bien qu'il y ait toujours un élément inquiétant, une tension sous-jacente. Tu essaies et tu te dis « Voilà, il se passe quelque chose ! » Il m'est difficile d'expliquer le pourquoi. Mais il est vrai que l'on cherche toujours des éléments qui vont contribuer à créer une tension.

TU PARLAIS TOUT À L'HEURE DE L'AMÉRIQUE, ON N'A PAS L'IMPRESSION QUE CELLE-CI AIT INFLUENCÉ TA MUSIQUE...
Oui, à moins d'y aller quand on a quinze ans, je crois que tu peux juste t'inspirer des choses que tu vois sans transformer ta musique pout autant. Pour moi l'album est imprégné du voyage que j'ai fait mais ça reste du Venus, groupe belge européen. C'est en filigrane que les choses s'y trouvent

"WANDA WULTZ" RAPPELLE LE PREMIER ALBUM : COMMENT AVEZ-VOUS VÉCU CETTE RÉMINISCENCE PAR RAPPORT A D'AUTRES TITRES PLUS EN RUPTURE ?
C'est le premier texte qui a été écrit et ça a été un des morceaux les plus difficiles à terminer au niveau des arrangements...

C'EST ASSEZ PARADOXAL CAR ELLE EST ASSEZ STEREOTYPEE...
Oui, elle a un côté assez facile, mais donner l'impression que c'est facile est parfois la chose qui nous a le plus cassé la tête. Je croyais que ça serait facile car c'est une des chansons pour laquelle j'avais aligné le plus d'éléments avec, comme souvent, juste un canevas à la guitare acoustique. Le mellotron existait déjà, etc. Tu crois que ça va être facile et pourtant...

OU S'EST SITUÉE LA DIFFICULTÉ ?
Ça a eté avant tout technique : si un morceau repose sur le piano, qui est hyper présent dans les fréquences médiums, ça bouffe beaucoup. Tu as envie de garder cette idée parce que c'est l'idée de base mais tu as du mal à t'arranger pour que chaque élément puisse ressortir. Les idées étaient là, mais la mise en place a été laborieuse, c'est pour cela que je dis "technique". On était partis sur quelque chose d'hyper rapide au piano et Jean-Marc a pigé qu'il fallait contrebalancer cette cadence. Là, c'est la technique qui est venue au secours de l'inspiration.

LES TEXTES VIENNENT-ILS AUSSI AU SECOURS DE LA TONALITÉ MUSICALE ?
Dans la plupart des cas, les textes viennent après. J'ai un canevas mélodique et rythmique sur lequel j'écris des paroles. Il est très rare que je trouve un texte qui influe ensuite sur une mélodie.

DE QUOI TRAITE "DAYSTAR" ?
C'est le dernier morceau composé. Sa tonalité acoustique lui donne un côté inabouti. Ça parle juste d'amour, un sujet indémodable (Rires).

ABORDER TES TEXTES TE SEMBLE PLUS DIFFICILE QUE DE PARLER DE LA MUSIQUE ?
C'est un sujet sur lequel on nous questionne rarement. Je suis sensible au fait qu'on puisse s'y intéresser. En général, même oniriques, ils sont pour moi un moyen d'exprimer une tranche de vie... Comme tu vois, j'ai du mal à en parler... je crois que c'est une des chansons les plus positives alors que Dieu sait s'il y a des textes qui sont beaucoup plus dans le questionnement. Ce serait ici le vertige, mais le beau vertige...

"RUNNING AT FULL SPEED" AVEC SON QUATUOR À CORDES M'A FAIT PENSER À UN MENUET...
On avait un morceau qui existait depuis longtemps et qu'on n'avait jamais ressorti de son tiroir. Il était intéressant harmoniquement, mais on se demandait comment on pourrait le dépoussiérer. Christian (Scheurs, violoniste) a eu l'idée de travailler sur un arrangement pour quatuor. En fait il n'y a pas de basse et Jean-Marc a été un peu dans le sens du morceau en essayant diverses choses car au départ on ne voulait pas de batterie. Il y a des claquettes et un petit côté casino et fanfare.

ET QUANT AU TEXTE ?
À l'origine il avait été écrit en Français par Patric (Carpentier, scénographe) qui a depuis quitté le groupe. C'était la retranscription d'un rêve qu'il avait fait. Il a été adapté en Anglais et ça a donné un truc assez bizarre. Il est poursuivi par des sorcières et ça finit dans un bain de sang. Le mode menuet me fait penser à un côté chanson traditionnelle anglaise.

PUISQUE PATRIC EST PARTI, LE CÔTÉ VISUEL EN "LIVE" RESTE-T-IL AUSSI IMPORTANT ?
Tout à fait ! Ce qui a changé c'est l'optique car Patric faisait partie du groupe. Celui-ci est désormais composé de quatre personnes et ce sont les quatre musiciens. Plutôt que d'intégrer quelqu'un dans la cellule de base du groupe, on a fait appel à une personne que l'on fait venir essentiellement pour le théâtre. On a gardé cet aspect atmosphère plutôt que celui, plus linéaire ou macho, d'un groupe de rock. Ça reste à la fois assez simple, mais on a conçu une scénographie très forte à l'aide de la couleur blanche. Ce sont des éléments qui tendent aussi à se faire oublier sur scène et qui, ainsi, aident à renforcer la musique. Cela permet aussi d'éviter à faire dire aux gens : « Oh la belle bleue, etc ! »

DIRIEZ-VOUS QUE VOUS FONCTIONNEZ COMME S'IL S'AGISSAIT D'UN RÉCITAL, AVEC UNE ASSISE PRESQUE FORMELLE ?
Oui car c'est toujours assez appliqué. Il y a toujours une idée conceptuelle, donc on s'insère dans un certain format. Mais je pense qu'on peut le faire évoluer et l'on souhaiterait justement se rapprocher de ce côté récital comme en musique classique. On voudrait s'ouvrir un peu plus également, avoir un côté interactif et peut-être plus spontané... Ce seraient plus des nuances dans l'interprétation et dans le récital on voudrait éviter de tomber dans le piège du : « Tout le monde doit jouer sa partie juste. » On voudrait pouvoir laisser des parties plus floues, de manière à pouvoir les aménager, à faire qu'il se passe quelque chose. On va devoir réarranger tous les morceaux car on a fait l'album sans les jouer et ça nous laisse une sacrée marge pour le "live". On ne va pas reprendre chaque élément tel qu'il figure sur le disque, on va réinventer les orchestrations, les faire bouger, la scie musicale par exemple...

ET QUE CHANGE LE FAIT DE DIRE QUE VENUS CE SONT DÉSORMAIS QUATRE MUSICIENS ?
Nous avons toujours été quatre, car Patric n'était pas un musicien. Mais ce qui change désormais c'est le souci de se concentrer sur la musique. Je crois que Patric dirait aussi qu'il était très diffice de gérer le fait qu'une seule personne s'occupe du visuel, qu'elle s'adresse à quatre personnes et se soumette au regard des quatre personnes qui donnent leur avis. Inversement, quand on lui demandait son avis, il s'agissait de nous quatre nous adressant à lui. Je ne dis pas que ça n'était pas intéressant, au contraire, mais ça n'était pas confortable.

PUISQUE VOS TEXTES ET VOTRE MUSIQUE FONCTIONNENT SUR LE CRITERE DE L'IMPRESSIONISME, VOUS ETES-VOUS DEMANDES SI LE FAIT D'AVOIR UNE SCENOGRAPHIE TRES PREGNANTE SUR SCENE N'ALLAIT PAS A L'ENCONTRE DE CE QUE VOUS RECHERCHIEZ ?
Nous y avons réfléchi et ça n'est pas par hasard que nous nous sommes adressé à quelqu'un qui venait du théâtre. On sait que, pour telle ou telle scène, il faut telle ou telle lumière. Il faut que l'atmosphère scénographique restitue le climat de telle ou telle plage. Ça n'est pas juste un mot mais une osmose, arriver a booster ce que nous on fait avec notre musique. On cherchait quelqu'un qui avait cette capacité technique mais aussi une personne qui puisse nous suivre, qui sente que si les arrangements bougent, la scène doit bouger.

LE FAIT QU'IL NE SOIT PAS MUSICIEN ETAIT-IL UN ADJUVANT ?
L'important était qu'il soit touché par ce qu'on fait. Ceci dit il a joué du piano et il en joue encore...

Propos recueillis par : Claude Freilich

 
  Notes  
 
Retrouvez quelques photos (dont Venus en couverture du magazine) sur la gallery # 6.
 
You won't tell me, I know it's hard
To keep your dream alive
Royalsucker
 
 
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