Nous
avons rencontré pour vous deux des membres du groupe belge
le plus pop du moment: Patric Carpentier, le scénographe,
âme invisible du groupe et Pierre Jacqmin, le nouveau contrebassiste.
Ils nous parlent de la tournée, de leurs influences, et
de tout ce qui leur passe par la tête: une discussion à
bâtons rompus…
Alors, une première question stupide, elle s’est passée
comment cette tournée ?
Patric Carpentier : Super bien. Accueil chaleureux. Parfois,
un peu moins de monde, parfois un peu plus mais dans l'ensemble,
bien. Oui, très bien. Après La Cigale, on va faire un petit
break, puis on va reprendre la tournée au mois d’avril en
Europe, en Hollande, en Belgique encore puis sans doute
en Allemagne car l’album va bientôt être distribué là-bas
fin mai. Toujours fin mai, début juin, nous allons revenir
en France, en banlieue parisienne.
Pierre Jacqmin : Oui, oui, en banlieue et en province. On
va retourner un peu partout.
Il me faut également poser une question, inévitable,
celle-là, à Pierre. C’est toi qui remplace actuellement
Walter Janssens, le contrebassiste, un des membres fondateurs
du groupe, qu’est-ce qui s’est passé exactement, un sentiment
de ras-le-bol, un conflit de personnalités, un peu comme
lorsque Steph Kamil Carlens a quitté Deus pour fonder Zita
Swoon?
Patric Carpentier (répondant à la place de Pierre Jacqmin):
Disons que c’est plutôt un choix de vie. Je crois que ce
sont des raisons d’ordre vraiment privé mais moi, personnellement,
je n’ai pas trop envie de m’étendre là-dessus. En tous cas,
une chose est sûre, ce n’est pas parce qu’on voulait le
forcer à jouer du banjo ou quelque chose du genre… Je pense
que tout ça n’est vraiment pas facile mais ce sont des choses
qui arrivent dans la vie d’un groupe. Il y a des gens qui
partent et d’autres qui arrivent et c’est normal, ça fait
partie d’une évolution… Mais il aurait pu être aussi normal
que tout ça n’arrive pas… Mais musicalement, d’un point
de vue scénique, cela doit forcément modifier beaucoup de
choses.
Pierre Jacqmin : Oui, cela change des choses et c’était
très clair dès le départ avec les autres membres du groupe.
Il ne s’agissait pas de prendre n’importe quel bassiste
pour remplacer Walter dans le simple cadre de la tournée.
C’est une vision à long terme avec un réel investissement
de ma part. Je rejoue en gros les lignes de basse de Walter
parce qu’il y a des arrangements qui ont été fait et mis
en place mais je n’essaye pas de repiquer son jeu ou un
son qui lui était propre. Je peux garder toute ma personnalité
même si je me livre à une interprétation de son travail.
Au tout début, c’était un peu difficile parce que je jouais
quelque chose qui n’était pas à moi mais maintenant, j’ai
réussi à me l’approprier.
Patric Carpentier : L’idée n’était pas de remplacer Walter
car c’est impossible, Walter est irremplaçable. On a rencontré
Pierre que Thomas connaissait déjà et ça a collé très vite,
en deux ou trois heures de temps, on était décidé.
Est-ce que cela modifie Venus, est-ce que cela lui donne
une autre personnalité, une autre couleur ?
Patric Carpentier : Evidemment, car je pense qu’avant tout
Venus, c’est le rassemblement de cinq personnes. Tu changes
une personnalité et tout s’en trouve modifié. Bien sûr,
il reste quatre des personnalités initiales et je ne sais
pas à quoi je pourrais comparer ça mais disons que des petits
changements, même infimes, peuvent amener de grands changements.
C’est un peu bateau de dire ça mais je crois que c’est une
réalité. Il n’y a pas eu de réel bouleversement mais une
sorte d’effet " boule de neige ". C’est normal car nous
ne travaillons pas dans le schéma classique d’un chanteur
qui travaille seul avec des musiciens de studio et qui amène
toutes les compositions, mais d'un véritable travail de
groupe. Le groupe a changé et la musique changera à son
tour, petit à petit.
Donc, Pierre, tu collaboreras au prochain album ?
Pierre Jacqmin : C’est en effet dans cette optique là que
j’ai accepté de travailler à long terme avec Venus.
Et vous pensez déjà au prochain album ? Avez-vous déjà
commencé à travailler sur de nouveaux titres ?
Pierre Jacqmin : C’est difficile. Lorsqu’on est en tournée
comme en ce moment, ça prend énormément de temps et d’énergie.
Il nous arrive parfois d’avoir une heure de répit et ce
n’est pas dans un laps de temps aussi court que l’on pourrait
se dire, vite, vite, on va composer, car on ne fonctionne
pas du tout comme ça ! On se focalise sur la tournée et
l’album viendra après quand on pourra vraiment se concentrer,
peut-être grâce aussi à des idées qui auront été amenées
pendant la tournée.
Patric Carpentier : C’est assez amusant de se rendre compte,
depuis que l’on recommence quelques petites interviews et
au travers des gens de notre entourage, de la maison de
disques EMI, de l’obsession à propos de ce nouvel album.
Il est sorti en France en novembre [1999], il me semble,
oui c’est ça, et depuis cinq mois, on entend que ça " nouvel
album, nouvel album, nouvel album ", mais c’est trop court,
ça va très vite, non ?
Mais, c’est normal ! La sortie de Welcome to the modern
dance hall a eu un impact très fort, du moins en France.
Nous avons tous entendu ce nouveau son et l’on veut en savoir
plus sur cette nouvelle sensation venue de Belgique. D’ailleurs,
quels autres groupes belges appréciez-vous ?
Patric Carpentier : Moi j’aime beaucoup Zita Swoon. Parmi
les groupes belges, c’est sans aucun doute celui que je
préfère. Est-ce là aussi le point de vue du scénographe
?
J’ai vu Zita Swoon en concert et Steph Kamil a lui aussi
sur scène une façon presque " théâtrale " de se produire,
de s’habiller, d’incarner une sorte de personnage…
Patric Carpentier : Oui, car je pense que ce qui caractérise
cette " vague belge " comme on pourrait l’appeler, c’est
cet amour de la scène. Les groupes sont d’ailleurs obligés
de l’aimer ! En Belgique, si tu ne sors pas de ton pays,
tu ne peux pas vivre de ton métier, le marché est trop petit.
Par conséquent, chez nous, si tu veux sortir un album, il
faut d’abord faire encore et encore de la scène. Pour Venus,
on a eu de la chance ! Nous n’avons fait que deux ans de
scène et pour Deus, dont Steph Kamil faisait d’abord partie,
je crois qu’ils ont joué quatre ou cinq ans avant de pouvoir
enregistrer leur premier album ! J’ai lu une fois une interview
de Tom Barman qui disait qu’effectivement l’enregistrement
de leur album s’était fait très rapidement car cela faisait
des années qu’ils jouaient les mêmes morceaux. Toute cette
mouvance adore la scène et aime envoyer quelque chose de
très fort au public, du genre " tiens, prenez ça dans la
tronche !" .
Pierre Jacqmin : Oui, et je crois que tous ces groupes ont,
à un moment ou à un autre, travaillé en collaboration avec
le théâtre, ce qui donne une conscience de la présence que
l’on peut avoir sur scène et du rapport que l’on peut instaurer
avec le public. Au contraire, il y a tellement d’autres
groupes qui se contentent de balancer leur musique, qui
jouent entre eux et qui sont capables de tourner le dos
au public sans s’en rendre compte. On a l’impression de
voir des gens répéter dans leur garage, même s’ils font
de la bonne musique, c’est quand même d’un intérêt limité
!
Ou alors, il y a les énormes shows à l’américaine, lasers,
explosions en tous genres…
Patric Carpentier : Oui, mais ni Deus, Venus, ni Zita
Swoon n’utilisent de véritable mise en scène, les musiciens
ne sont en aucun cas des comédiens. Ca me fait penser que
je discutais avec des amis parisiens, acteurs et metteur
en scène avec lesquels j’ai travaillé, il y a de cela deux
ans, et l’on parlait de cette différence entre l’attitude
" Rock " et l’attitude " Théâtre ". Ma conclusion, sans
vouloir avoir l’air prétentieux, c’est qu’un musicien va
entrer en scène, monter sur scène, alors qu’un acteur va
" prendre l’espace " sans pour autant avoir une attitude
fondamentalement différente du point de vue extérieur, esthétique
et visuel mais c’est à l’intérieur qu’une infime petite
chose se passe. Pour l’acteur, il y a cette prise de conscience
de monter en hauteur, sur un espace sacré, sous le regard
des gens, ce qui est extrêmement important. Souvent, cette
conscience n’existe pas chez les musiciens et il y a même
cette attitude inverse qui consiste à vouloir à tout prix
" faire Rock’n Roll " : " Il ne faut surtout pas que les
gens pensent une seconde que je suis sur scène ", ce qui
est assez agaçant ! Je pense que cette petite nuance chez
Venus fait toute la différence et que cela peut se faire
naturellement, instinctivement car le théâtre existe depuis
l’antiquité, il est ancré dans notre société.
Pierre Jacqmin : La représentation est un élément fondamental,
même les enfants aiment se déguiser et incarner quelque
chose ou quelqu’un…
Toi aussi, tu t’intéresses au théâtre ?
Pierre Jacqmin : Mais oui, j’ai carrément une expérience
en tant que comédien. J’ai joué dans plusieurs pièces, j’ai
aussi écrit une pièce qui est produite actuellement à Bruxelles
et je suis secrétaire d’une compagnie de théâtre, ce n’est
pas du tout un univers qui m’est étranger, ma collaboration
avec le groupe n’est pas le fruit du hasard.
Et musicalement, est-ce que tu as fait des choses proches
de Venus ?
Pierre Jacqmin : Oh, non, au contraire, très éloignées.
Je ne suis pas à la base un instrumentiste classique mais
un pur autodidacte, j’ai du prendre deux cours de contrebasse
dans ma vie, alors… J’ai fait beaucoup de jazz, de musique
improvisée mais ça devenait parfois un peu trop intellectuel
pour moi, alors, j’ai décroché. Je me suis donc remis à
faire des choses beaucoup plus basiques et spontanées, il
y a encore trois mois, je faisais partie d’un groupe de
musique tzigane. J’ai collaboré également avec un mec génial,
Mathieu Ha, dont le groupe s’appelle 111. Ce qu’il fait
est formidable, il chante dans un langage imaginaire, avec
lui, on est loin du quota des 40 % de langue française.
Vraiment, il faudrait que le public français puisse le découvrir.
Son premier album First Cast est un petit bijou. Sinon,
j’ai été influencé par le jazz, Billie Holiday. Pour ce
qui est du pop-rock, je n’en ai pas écouté pendant des années,
je ne me suis remis à écouter la radio que très récemment
et je suis tombé des nues. Je ne connaissais même pas Beck,
c’est pour dire ! Sinon, j’ai découvert 16 Horsepower et
là, oui, je suis super, super fan ! Tom Waits est aussi
l’une de mes influences principales avec un album comme
Raindogs mais pour le reste, je commence à peine à m’ouvrir
à d’autres univers musicaux. Pour jouer de la pop, j’ai
une certaine virginité, c’est le moins qu’on puisse dire.
Thomas, le batteur, et Marc me font sans cesse découvrir
de nouvelles musiques et de nouveaux artistes, c’est passionnant
car nous avons tous des goûts très différents.
D’ailleurs, j’ai lu quelque part qu’un journaliste vous
faisait le reproche du " manque de repères ", ce que je
considère personnellement comme un compliment, mais il est
vrai que certaines personnes éprouvent des difficultés à
pénétrer dans l’univers de Venus. La scénographie est-elle
là pour renforcer ce côté déstabilisant ou au contraire
l’adoucir ?
Patric Carpentier : Je ne sais pas, je ne m’en rends pas
compte mais je crois que le plus important c’est que tout
soit " ouvert " en concert. Par exemple, sur un morceau
comme Perfect Lover, qui est plutôt rock, un peu moins pop,
qui en concert est plutôt dur ou qui en tous cas " frappe
fort ", je pense que pour d’autres groupes, ce serait le
moment ou tout le monde se mettrait à sauter en l’air et
j’ai remarqué qu’en général, le public reste comme collé
au sol, comme s’il en était physiquement empêché. J’assimile
ça au côté très terrien de Venus finalement, malgré le côté
aérien et fragile de certaines mélodies. Parfois, entre
les morceaux, il y a un silence terrible, c’est angoissant
mais en fait, je crois que c’est surtout le signe qu’il
se passe quelque chose de très fort, de différent, à cause
justement de cette ouverture qui donne la possibilité à
tous de ressentir les émotions intimes qu’ils désirent,
chacun à sa manière. Je vais m’arrêter là, sinon, je vais
me lancer dans deux heures de théorie et on va nous prendre
pour des intellectuels.
Oui, on a dit aussi que vous étiez un groupe " élitiste
", peut-être en raison des textes qui sont assez recherchés.
Ces textes sont entièrement écrits par Marc Huygens, le
chanteur ?
Patric Carpentier : Non, la plupart des textes sont effectivement
écrits par Marc mais d’autres chansons sont écrites à plusieurs.
She’s so disco par exemple a été écrit à trois, Marc, Walter,
l’ancien contrebassiste et moi. C’était plus pour s’amuser,
une sorte de " brainstorming " avec des mots " disco ",
des mots un peu clichés. Il y a aussi deux autres chansons,
Ballroom et White Star Line dont j’ai écrit les textes en
français, que Marc a traduites et adaptées.
White Star Line, voilà une chanson étonnante, très théâtrale,
est-ce un remake de Titanic (le film) ?
Patric Carpentier : Non, pas vraiment, mais le naufrage
du Titanic est un sujet qui m’intéresse depuis qu’il y a
dix ans, j’ai travaillé sur un texte sensationnel, Le naufrage
du Titanic, une comédie. Dans ce texte, il y a un parallèle
entre le mur de Berlin, Cuba et notre société, le tout sous
la forme d’une métaphore. Grosso modo, il y a une petite
phrase dans le texte où un homme se promène à Cuba, tout
va bien, il regarde la mer et il se dit " Tout va bien,
il n’y a pas d’iceberg en vue ", ce qui signifie que le
monde peut continuer. Dans La haine, Mathieu Kassovitz a
repris une phrase qui est pour moi similaire, un homme tombe
du cinquantième étage et à chaque fois qu’il passe un étage,
il se dit " Jusque là, tout va bien ", oui, c’est un peu
ça notre société. Le naufrage du Titanic est une très belle
métaphore de notre société et je me suis intéressé à ce
drame, à toutes ces morts absurdes. Je me suis inspiré de
ce texte, qui n’est pas un texte de théâtre, qui est composé
de chants et de poèmes, et qui était très pertinent à une
certaine époque d’un point de vue sociologique, peut-être
encore aujourd’hui d’ailleurs.
D’où le S.O.S, Save Our Souls ?
Patric Carpentier : Oui, c’était la première fois que l’on
employait ce nouveau code. " Sauvez nos âmes ", c’est quand
même beau, c’est très en accord avec Venus…
Propos recueillis par Caroline Bodin