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Chronique "Welcome to the
modern dancehall" (Les Inrockuptibles,
17 novembre 1999) |
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Texte |
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C'est devenu une belle habitude belge depuis dEUS
: coller la tête de la pop sur le corps du rock. Avec leur
premier album Welcome to the modern dance hall, les
Bruxellois de Venus vont encore plus loin dans le concassage
des structures. Pop et anti-pop.
La Belgique, nouveau pays des merveilles
du rock moderne ? L'idée fait son chemin depuis trois ans,
lorsque derrière le tonneau d'Arno, ce Diogène d'Ostende,
une génération spontanée a indiqué un sens à la chose rock.
En transportant ses rêves au pays de la déglinguerie américaine,
les Belges ont oxygéné leur musique : depuis quelques
étés, Zita Swoon a trouvé le plus court chemin vers les sphères
psychédéliques de Captain Beefheart, Soulwax a adopté les
tenues de plagiste créées par Beck pour revisiter l'art du
piratage et Deus a approché l'idéal d'une pop familiarisée
avec les terres arides de Palace, les recherches de Sonic
Youth et la perfection mélodique d'XTC. Chez chacun d'entre
eux, une même identité belge indéfinissable autrement que
par une communauté d'esprit, un amour partagé pour une configuration
instrumentale baroque, jonglant avec les dissonances et les
matières pour reconstruire les harmonies de la pop dans des
univers imaginaires où jazz, musique contemporaine, folk et
rock enchevêtrent leurs nervures sans scrupules. Des valeurs
rénovatrices que l'on sait désormais partagées par un quatrième
électron libre de Bruxelles, au passeport tatoué lui aussi
du visa pour la liberté musicale : Venus.
Venus ? Comme Venus in furs, la déesse du Velvet Underground
habillée de fourrure. "Le Velvet Underground me paraît
être une référence juste. Chacun des membres du groupe te
citera le Velvet dans ses groupes préférés. Mais, collectivement,
nous ne revendiquerons pas le Velvet comme une influence majeure
de notre musique." On choisira de ne pas croire Marc Huyghens,
le chanteur de Venus. Pour plusieurs raisons. Parce que les
chansons de son premier album, Welcome to the modern dance
hall, suintent de tous leurs pores les vertus de la musique
jouée et non composée. Jouissive, elle se consume presque
en même temps qu'elle se construit, se vit en temps réel,
monte comme une émulsion chromatique, explose et retombe en
ne laissant pour trace de son passage qu'un souvenir de sons
atonaux qui privent la mémoire de thèmes dominants : une anti-pop
dotée d'une énergie soufrée, un orage de chaleur organique
où chaque instrument jongle à loisir entre des comportements
de musiques répétitives et de courtes escapades harmoniques.
Des instruments en liberté totale mais refusant le désordre,
loin des conventions du rock une contrebasse, un violon,
un xylophone, des percussions et une guitare , qui s'unissent
(comme chez le Velvet) pour de rares instants de villégiature
mélodique et retrouvent une grille plus traditionnelle
le temps de quelques chansons plus faciles d'accès. Sur scène,
elles feront à deux reprises office de points de repère dans
le concept musical de Venus. Une première fois, Pop song
et Dizzy ramènent le groupe dans le périmètre plus
conventionnel de la pop à cordes, imposant des orchestrations
savantes où Venus foule à grandes enjambées les chasses gardées
d'Elvis Costello, sans tomber dans le piège de la démonstration
en grande pompe. Plus tard, She's so disco et Royalsucker
remettront un peu de lisibilité dans le happening musical
qui habite leurs prestations scéniques. Lyrique, cette paire
de chansons sort le répertoire de Venus de ses grands mouvements
électrostatiques, dominés par les séquences monocordes de
violons fiévreux, et transforme le petit théâtre psychique
du groupe en un grand espace ouvert aux exaltations celtiques.
"Les deux premiers albums des Waterboys m'ont profondément
marqué. Même si aujourd'hui Mike Scott n'est plus rien musicalement,
il a signé un des plus beaux moments d'exaltation pop, avec
A Girl called Johnny, un morceau où il a touché un
point d'équilibre entre la force poétique celte et une forme
d'expression pop. Je suis particulièrement sensible aux musiques
capables de revigorer des racines, de leur redonner un nouveau
souffle en explorant de nouvelles directions."
Vécue à l'époque (1983), la référence de Marc Huyghens aux
Waterboys situe mieux le parcours de Venus et explique, de
fait, une partie de la mystérieuse alchimie mise au point
par le groupe bruxellois. La trentaine bien pesée, il goûte
aujourd'hui Venus comme l'accomplissement de quinze années
de hasards, d'échecs et d'allers-retours entre le monde du
rock et sa formation de comédien. "Venus est un aboutissement
pour nous tous. C'est la croisée des chemins, notre ultime
point de chute, une formation naturelle entre plusieurs individus
qui savaient ce qu'ils ne voulaient plus faire. Nous avons
bâti notre complémentarité sur nos désirs. Moi, je ne voulais
plus revivre les expériences rock du passé Marc
Huyghens joua au début des années 80 au sein des ordinaires
So et je cherchais une formule de groupe très libre,
loin des structures de groupe traditionnelles, sans limites
de style. Notre contrebassiste a failli arrêter définitivement
la pratique de son instrument parce qu'il ne voyait aucune
porte de sortie satisfaisante, et notre batteur considérait
la batterie comme un élément sonore à part entière et voulait
sortir l'instrument de son rôle habituel." Autrement dit,
un jeu de quitte ou double à quatre éléments (Marc Huyghens,
Christian Schreurs, Walter Janssens et Thomas van Cottom)
duquel ne pouvait naître qu'un groupe parfaitement démocratique,
installé sur une liberté d'expression préalable.
Branchée sur un ensemble de personnalités en pleine reconquête
d'elles-mêmes, la musique de Venus avance au pouls de son
collectif et se nourrit de ses individualités. Un exercice
de haute voltige qui tient de la formule magique et ne supporte
aucune intervention extérieure. Venus l'a bien compris et
tient dans un de ses fondateurs le gardien de sa fragile intégrité.
Sans Patric Carpentier, la survie de ce bel échafaudage spontané
tiendrait de l'arbitraire. Scénographe et parolier, Patric
est le Monsieur Plus de Venus, son protecteur, celui qui lui
conçoit une sphère à ses performances scéniques. Avec trois
fois rien le plus souvent, l'homme étant avare en effets spéciaux.
Minimaliste, il contrôle l'équilibre sonore et construit les
bulles d'aise de Venus comme un théâtre de l'intimité, dans
une scène à la fois dépouillée et capitonnée comme un salon
de détente où les discussions musicales se tissent dans un
entrelacs de nervures de bois et de lumières. "Nous n'avons
jamais été contents des éclairages traditionnels des salles
de concerts, et à nos débuts, on jouait dans de telles conditions
que nous avons vite décidé, pour des raisons esthétiques mais
aussi pour notre propre confort, de nous passer de toute intervention
extérieure dans l'univers que nous voulions créer pour notre
musique. Faire de la musique, c'est être bien avec elle. C'est
notre cas aujourd'hui : nous ne dépendons que de nous."
Déclinant le principe de survie, si important dans les milieux
du rock, Patric Carpentier fixe aussi indirectement les objectifs
de son groupe : préserver l'éclairage de cette loupiote (et
son abat-jour hors d'âge) posée près du micro de chant, petite
flamme de survie à l'épreuve des pires déflagrations soniques
mais terriblement sensible aux problèmes d'ego.
Marc Besse
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Notes |
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Retrouvez l'article original sur le site des Inrockuptibles.
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