C'est
au cirque royal de Bruxelles que Venus a donné rendez-vous
à son public pour un concert plutôt exceptionnel
: accompagnés par L'Ensemble Musiques Nouvelles, ces
étonnants Wallons se sont "amusé"
à déconstruire méthodiquement leur premier
album Welcome To The Modern Dance Hall. Du coup, leur
pop déjà tumultueuse se pare de couleurs rares,
héritées autant de Gershwin que du baroque.
Pour l'occasion, un disque live retrace cette soirée
unique. Nous y étions.
Il y a des jours où l'on s'imagine de drôles
de trucs, par exemple que le Festival Des Inrocks-Mobicarte
se tienne trois semaines durant dans notre Jardin Des Plantes
parisien... Un fantasme certes, mais qui, trois cents kilomètres
plus loin, se révèle soudain réalité:
à Bruxelles, au mois de septembre, un musée
floral reconverti en centre culturel accueille Les Nuits
Botaniques. Un festival qui, cette année encore,
offre une programmation assez exaltante, alignant entre
autres Tarwater, Bebel Gilberto, A Guy Called Gerald, Melon
Galia, Jean-Louis Murat, Giant Sand, Autour De Lucie et
même Enrico Macias. Mais la Belgique (Flamands et
francophones réunis) n'oublie pas qu'elle possède
depuis longtemps une des scènes pop parmi les plus
fertiles en Europe. L'année dernière aux Botaniques,
une soirée 100 % belge présentait ses nouveaux
fleurons tels Sharko, Dead Man Ray ou les Namurois de Flexa
Lyndo. On aurait pu aussi y ajouter Venus qui, en 1999,
venait à peine de se faire remarquer grâce
à un premier album baptisé Welcome To The
Modem Dancehall. Un titre en forme de fausse piste pour
un disque ni dance ni moderne. En fait, depuis les Tindersticks,
rarement un groupe aussi "jeune" n'avait présenté
des chansons aussi adultes : les mélodies matures
de Perfect Lover ou Ballroom, le sens de la
tension et du drame observé dans Royalsucker,
le refrain exalté de She's So Disco et la
bien nommée Pop Song... Ces nouveaux venus
avaient en plus oublié de dédier leur musique
à la fée électricité. Sur scène,
pas l'ombre d'un ampli auquel brancher une contrebasse,
un violon et une guitare très sèche. Dés
le début, Venus est un groupe terrien au style spartiate,
une habitude assez répandue chez les groupes d'outre-Quiévrain,
peu portés sur les paillettes et les effets faciles
: on n'imagine pas Arno autrement que dans son rôle
de rocker bourru (voire bourré) ou dEUS paradant
à un défilé de haute couture. Du coup,
Venus, avec ses manières de vieux garçon et
son artisanat acoustique, entretenait la tradition. Sans
doute pensait-on le retrouver plus tard en Arizona en train
d'enregistrer son prochain album, mais absolument pas dans
un lieu aussi guindé que le cirque royal de Bruxelles,
accompagné par un ensemble inter contemporain de
quatorze musiciens avec pupitre de rigueur. Et pourtant,
le spectacle intitulé The Man Who Was Already
Dead présenté par Venus est bien à
l'affiche ce 26 septembre, dans le cadre de ces nuits encore
plus botaniques que d'habitude.
Welcome to the Modern Contemporary Music
"Il était une fois, il y a bien longtemps,
un roi du nom d'Anatole. Il régnait sur un empire
si grand qu'on ne pouvait l'imaginer..." La voix de
Patric Carpentier, metteur en son de ce concert et cinquième
membre du groupe, retentit dans l'obscurité et déroule
un conte empreint de symbolisme. Dans l'arène, L'Ensemble
Musiques Nouvelles se présente en un cercle parfait,
les cordes, les bois et les cuivres placés selon
l'ordre des timbres et il faut un bon moment pour repérer
en son sein les membres disséminés de Venus.
Dans un recoin, le nouveau contrebassiste Pierre Jacqmin
(le remplaçant du démissionnaire Walter Janssens)
attend de lancer ses premières notes alors que Christian
Schreurs est sagement assis parmi ses collègues violonistes.
Thomas Van Cottom a apporté son habituel kit rudimentaire
de batterie et le très blond Marc Huyghens, leader
malgré lui, se tortille sur un haut tabouret, les
mains crispées sur son micro. Tout au long du prologue
où les instruments trouvent leur place, l'atmosphère
est quelque peu solennelle, les lumières tamisées
et la tension tout de même palpable. Pour tous, le
pari semble difficile : le groupe n'existe que depuis deux
ans et ne possède qu'une petite vingtaine de chansons
à son actif, il faudra donc que ce petit lot de mélodies
enflammées passe sans casse entre des arrangements
qui pourront peut-être parraître disproportionnés.
Au pire, on pense que Venus s'offre là un caprice
de nouveau riche, voire un fantasme de "grande musique",
idéal pour alourdir l'ego fragile de nos amis les
pop stars. Pourtant, dès les premiers titres, il
est clair que L'Ensemble Musiques Nouvelles (ce nom !) ne
se contentera pas de tartiner de chantilly symphonique les
titres de Welcome To The Modern Dancehall qu'on réintitulerait
bien pour l'occasion Welcome To The Modem Contemporary
Music. Bien entendu, ce groupe cache bien son jeu :
les jeunes gars sympa et pas frimeurs de Venus dissimulent
en fait des... forts en thème, des esthètes
cool issus de milieux, disons, aussi culturels qu'artistiques
: art contemporain, théâtre, cinéma,
spectacles vivants... "A la base, nous sommes plus
des artistes que des rockers, et je dis ces deux mots en
prenant de gros guillemets !", déclarera avec
humour Marc Huyghens au lendemain du concert. "On a
toujours voulu que Venus soit dans un processus créatif
dès le début, avec une volonté d'évolution
constante. On a tous appris un truc quand on travaille dans
différents spectacles, c'est la contrainte de ne
jamais se répéter. Alors, on l'a appliqué
à notre musique et à nos concerts. Cela peut
paraître surprenant de jouer avec un orchestre classique
mais pour nous, vraiment, cela nous semble logique".
Et casse-gueule aussi : sur la scène du cirque royal,
Marc Huyghens lutte pendant quelques titres (Lisa, White
Star Line) pour que sa voix trouve une place entre l'attaque
d'un violoncelle, le martèlement d'un tambour, le
frémissement d'une harpe. Parfois, un rythme binaire
vient nous rappeler qu'il s'agit bien du concert d'un groupe
pop mais la plupart du temps, c'est bien de musique "sérieuse"
dont il s'agit : on voit même passer les ombres de
Gershwin, Bàrtok, Kurt Weill, voire Purcell (ou plus
précisément sa doublure, Michael Nyman). Surtout,
les chansons de Venus sont devenues méconnaissables,
fantomatiques même, et il faudra que le groupe laisse
souffler l'orchestre pour enfin Ies voir réunis au
centre de l'arène, interprétant trois titres
acoustiques dont une reprise d'un vieux standard américain,
Falling In Love Again. Puis c'est déjà
la fin, le groupe présente alors toute l'équipe
du spectacle et surtout un certain Renaud Lhoest qui ne
restera que quelques secondes sous les projecteurs : une
attitude modeste pour un rôle crucial car c'est à
lui que l'on doit tous les arrangements de The Man Who
Was Already Dead, autant dire que cet illustre inconnu
- qui du coup ne l'est plus - est plutôt fortiche
dans sa catégorie.
Un conseil : ne qualifiez jamais (même si on en meurt
d'envie) un groupe belge du terme arty". Même
si vous avez visionné une vidéo intitulée
The Man Who Was Already Dead et réalisée
par Patric Carpentier. Drôle de court-métrage
expérimental censé montrer les coulisses des
répétitions dudit concert, en fait un prétexte
pour sonder l'inconscient cinéphile de Venus, sans
doute marqué par Jonas Mekas, Chris Marker, les Straub
et le Boys Meets Girl de Leos Carax. Alors, lorsque
le groupe vient le lendemain nous donner quelques éclaircissements,
une première question brûle les lèvres.
The Man Who Was Already Dead, la vidéo
comme le spectacle, ont-t-ils des prétentions arty
?
Marc Huygens (fronçant les sourcils): Le terme pour
nous est péjoratif car le groupe se base fondamentalement
plus sur l'instinct que sur une recherche prétentieuse
qui serait de faire de l'art pour l'art... Ce concert-là
était un risque pour nous. On ne s'est pas pris la
tête entre les mains en se disant : "Nous allons
montrer que nous ne sommes pas un groupe rock comme les
autres", non, simplement il y a eu cette opportunité
et on a foncé. Il y a des erreurs dans le spectacle,
certaines chansons ne collaient peut-être pas à
ce genre d'arrangements mais, en tout cas, on a essayé
d'éviter l'enrobage systématique, le bel emballage
qui sonne creux.
Carte Blanche
Qui a eu l'idée de monter ce concert ?
En fait, cette histoire est née d'une rencontre avec
Renaud Lhoest. Nous avions surtout envie de donner carte
blanche à cet arrangeur hors du commun. Son univers
musical est tellement différent du nôtre: il
a notamment travaillé avec John Zorn et s'intéresse
au concept de la Great Jewish Music, qu'on aime aussi beaucoup.
Alors, on lui a dit: "Utilise ta liberté le
plus possible, change ce que tu veux et surtout évite
de jouer la grandiloquence !" Et Renaud n'est pas parti
des bases harmoniques des chansons de Venus, il a juste
pris les paroles et est parti de là. Chaque instrument
a été choisi par lui sur chaque chanson. Il
a commencé à travailler vers le mois de juin
pour présenter ce concert trois mois plus tard. Il
a donc bossé comme un fou ! Quoi qu'il en soit, le
disque de ce concert ne sera à prendre que comme
un témoignage de cette soirée avec ses erreurs
et ses qualités, c'est tout. Pas comme une machine
bien rôdée où les musiques ont été
retravaillées en studio.
Les arrangements couvrent un large spectre musical qui
va du baroque aux climats les plus contemporains...
En fait, on a trouvé ces similitudes après.
Surtout, c'est l'univers de Renaud, il y a mis tout ce qu'il
a voulu. Mais comme on a travaillé dans l'urgence,
on ne s'est pas posé à chaque fois la question
de savoir si c'était bien ou pas... Peut-être
dans un mois, on se demandera si telle ou telle chose sonnait
juste. La première question était de savoir
si on allait réussir à mêler des sonorités
rock et classiques.
Quelles chansons vous ont-elles demandé le plus
de travail d'adaptation ?
Nous n'avons pas avancé une chanson par rapport à
une autre. On a travaillé le spectacle comme un tout.
Il y a des choses que l'on a appris sur le tas, notamment
avec le trombone, un instrument qui arrive toujours un peu
en retard sur le reste de l'orchestre, plein de choses comme
cela... Ce qu'il fallait, c'était oublier le groupe,
oublier Venus pour un soir ou plutôt fondre Venus
dans l'orchestre. En tout cas, c'était différent
de Venus, accepter pour une fois de perdre le contrôle
du groupe. C'est une étape et je ne sais pas encore
si cela aura une influence sur le prochain album. Surtout,
je crois que Venus osera certaines choses qui ne nous avaient
même pas effleuré l'esprit il y six mois.
Si c'était à refaire...
Cela va se refaire mais il y a toute une organisation à
gérer. La seule frustration que je peux avoir, c'est
justement que cette soirée soit unique. C'est comme
au théâtre: il y a la générale
puis les représentations. Là, c'était
la générale. Tout ce que nous souhaitons,
c'est d'évoluer au sein du spectacle, le faire bouger,
éviter certaines erreurs que j'ai pu faire... Alors,
on travaille dans le sens où on présenterait
le spectacle en tournée. C'est sûr, on se dit
qu'à la vingtième fois, le spectacle serait
partait.