Les Jeux du Cirque (Magic! n°46, novembre/décembre 2000)
     
Texte  
 
C'est au cirque royal de Bruxelles que Venus a donné rendez-vous à son public pour un concert plutôt exceptionnel : accompagnés par L'Ensemble Musiques Nouvelles, ces étonnants Wallons se sont "amusé" à déconstruire méthodiquement leur premier album Welcome To The Modern Dance Hall. Du coup, leur pop déjà tumultueuse se pare de couleurs rares, héritées autant de Gershwin que du baroque. Pour l'occasion, un disque live retrace cette soirée unique. Nous y étions.

Il y a des jours où l'on s'imagine de drôles de trucs, par exemple que le Festival Des Inrocks-Mobicarte se tienne trois semaines durant dans notre Jardin Des Plantes parisien... Un fantasme certes, mais qui, trois cents kilomètres plus loin, se révèle soudain réalité: à Bruxelles, au mois de septembre, un musée floral reconverti en centre culturel accueille Les Nuits Botaniques. Un festival qui, cette année encore, offre une programmation assez exaltante, alignant entre autres Tarwater, Bebel Gilberto, A Guy Called Gerald, Melon Galia, Jean-Louis Murat, Giant Sand, Autour De Lucie et même Enrico Macias. Mais la Belgique (Flamands et francophones réunis) n'oublie pas qu'elle possède depuis longtemps une des scènes pop parmi les plus fertiles en Europe. L'année dernière aux Botaniques, une soirée 100 % belge présentait ses nouveaux fleurons tels Sharko, Dead Man Ray ou les Namurois de Flexa Lyndo. On aurait pu aussi y ajouter Venus qui, en 1999, venait à peine de se faire remarquer grâce à un premier album baptisé Welcome To The Modem Dancehall. Un titre en forme de fausse piste pour un disque ni dance ni moderne. En fait, depuis les Tindersticks, rarement un groupe aussi "jeune" n'avait présenté des chansons aussi adultes : les mélodies matures de Perfect Lover ou Ballroom, le sens de la tension et du drame observé dans Royalsucker, le refrain exalté de She's So Disco et la bien nommée Pop Song... Ces nouveaux venus avaient en plus oublié de dédier leur musique à la fée électricité. Sur scène, pas l'ombre d'un ampli auquel brancher une contrebasse, un violon et une guitare très sèche. Dés le début, Venus est un groupe terrien au style spartiate, une habitude assez répandue chez les groupes d'outre-Quiévrain, peu portés sur les paillettes et les effets faciles : on n'imagine pas Arno autrement que dans son rôle de rocker bourru (voire bourré) ou dEUS paradant à un défilé de haute couture. Du coup, Venus, avec ses manières de vieux garçon et son artisanat acoustique, entretenait la tradition. Sans doute pensait-on le retrouver plus tard en Arizona en train d'enregistrer son prochain album, mais absolument pas dans un lieu aussi guindé que le cirque royal de Bruxelles, accompagné par un ensemble inter contemporain de quatorze musiciens avec pupitre de rigueur. Et pourtant, le spectacle intitulé The Man Who Was Already Dead présenté par Venus est bien à l'affiche ce 26 septembre, dans le cadre de ces nuits encore plus botaniques que d'habitude.

Welcome to the Modern Contemporary Music

"Il était une fois, il y a bien longtemps, un roi du nom d'Anatole. Il régnait sur un empire si grand qu'on ne pouvait l'imaginer..." La voix de Patric Carpentier, metteur en son de ce concert et cinquième membre du groupe, retentit dans l'obscurité et déroule un conte empreint de symbolisme. Dans l'arène, L'Ensemble Musiques Nouvelles se présente en un cercle parfait, les cordes, les bois et les cuivres placés selon l'ordre des timbres et il faut un bon moment pour repérer en son sein les membres disséminés de Venus. Dans un recoin, le nouveau contrebassiste Pierre Jacqmin (le remplaçant du démissionnaire Walter Janssens) attend de lancer ses premières notes alors que Christian Schreurs est sagement assis parmi ses collègues violonistes. Thomas Van Cottom a apporté son habituel kit rudimentaire de batterie et le très blond Marc Huyghens, leader malgré lui, se tortille sur un haut tabouret, les mains crispées sur son micro. Tout au long du prologue où les instruments trouvent leur place, l'atmosphère est quelque peu solennelle, les lumières tamisées et la tension tout de même palpable. Pour tous, le pari semble difficile : le groupe n'existe que depuis deux ans et ne possède qu'une petite vingtaine de chansons à son actif, il faudra donc que ce petit lot de mélodies enflammées passe sans casse entre des arrangements qui pourront peut-être parraître disproportionnés. Au pire, on pense que Venus s'offre là un caprice de nouveau riche, voire un fantasme de "grande musique", idéal pour alourdir l'ego fragile de nos amis les pop stars. Pourtant, dès les premiers titres, il est clair que L'Ensemble Musiques Nouvelles (ce nom !) ne se contentera pas de tartiner de chantilly symphonique les titres de Welcome To The Modern Dancehall qu'on réintitulerait bien pour l'occasion Welcome To The Modem Contemporary Music. Bien entendu, ce groupe cache bien son jeu : les jeunes gars sympa et pas frimeurs de Venus dissimulent en fait des... forts en thème, des esthètes cool issus de milieux, disons, aussi culturels qu'artistiques : art contemporain, théâtre, cinéma, spectacles vivants... "A la base, nous sommes plus des artistes que des rockers, et je dis ces deux mots en prenant de gros guillemets !", déclarera avec humour Marc Huyghens au lendemain du concert. "On a toujours voulu que Venus soit dans un processus créatif dès le début, avec une volonté d'évolution constante. On a tous appris un truc quand on travaille dans différents spectacles, c'est la contrainte de ne jamais se répéter. Alors, on l'a appliqué à notre musique et à nos concerts. Cela peut paraître surprenant de jouer avec un orchestre classique mais pour nous, vraiment, cela nous semble logique". Et casse-gueule aussi : sur la scène du cirque royal, Marc Huyghens lutte pendant quelques titres (Lisa, White Star Line) pour que sa voix trouve une place entre l'attaque d'un violoncelle, le martèlement d'un tambour, le frémissement d'une harpe. Parfois, un rythme binaire vient nous rappeler qu'il s'agit bien du concert d'un groupe pop mais la plupart du temps, c'est bien de musique "sérieuse" dont il s'agit : on voit même passer les ombres de Gershwin, Bàrtok, Kurt Weill, voire Purcell (ou plus précisément sa doublure, Michael Nyman). Surtout, les chansons de Venus sont devenues méconnaissables, fantomatiques même, et il faudra que le groupe laisse souffler l'orchestre pour enfin Ies voir réunis au centre de l'arène, interprétant trois titres acoustiques dont une reprise d'un vieux standard américain, Falling In Love Again. Puis c'est déjà la fin, le groupe présente alors toute l'équipe du spectacle et surtout un certain Renaud Lhoest qui ne restera que quelques secondes sous les projecteurs : une attitude modeste pour un rôle crucial car c'est à lui que l'on doit tous les arrangements de The Man Who Was Already Dead, autant dire que cet illustre inconnu - qui du coup ne l'est plus - est plutôt fortiche dans sa catégorie.

Un conseil : ne qualifiez jamais (même si on en meurt d'envie) un groupe belge du terme arty". Même si vous avez visionné une vidéo intitulée The Man Who Was Already Dead et réalisée par Patric Carpentier. Drôle de court-métrage expérimental censé montrer les coulisses des répétitions dudit concert, en fait un prétexte pour sonder l'inconscient cinéphile de Venus, sans doute marqué par Jonas Mekas, Chris Marker, les Straub et le Boys Meets Girl de Leos Carax. Alors, lorsque le groupe vient le lendemain nous donner quelques éclaircissements, une première question brûle les lèvres.

The Man Who Was Already Dead, la vidéo comme le spectacle, ont-t-ils des prétentions arty ?
Marc Huygens (fronçant les sourcils): Le terme pour nous est péjoratif car le groupe se base fondamentalement plus sur l'instinct que sur une recherche prétentieuse qui serait de faire de l'art pour l'art... Ce concert-là était un risque pour nous. On ne s'est pas pris la tête entre les mains en se disant : "Nous allons montrer que nous ne sommes pas un groupe rock comme les autres", non, simplement il y a eu cette opportunité et on a foncé. Il y a des erreurs dans le spectacle, certaines chansons ne collaient peut-être pas à ce genre d'arrangements mais, en tout cas, on a essayé d'éviter l'enrobage systématique, le bel emballage qui sonne creux.

Carte Blanche

Qui a eu l'idée de monter ce concert ?
En fait, cette histoire est née d'une rencontre avec Renaud Lhoest. Nous avions surtout envie de donner carte blanche à cet arrangeur hors du commun. Son univers musical est tellement différent du nôtre: il a notamment travaillé avec John Zorn et s'intéresse au concept de la Great Jewish Music, qu'on aime aussi beaucoup. Alors, on lui a dit: "Utilise ta liberté le plus possible, change ce que tu veux et surtout évite de jouer la grandiloquence !" Et Renaud n'est pas parti des bases harmoniques des chansons de Venus, il a juste pris les paroles et est parti de là. Chaque instrument a été choisi par lui sur chaque chanson. Il a commencé à travailler vers le mois de juin pour présenter ce concert trois mois plus tard. Il a donc bossé comme un fou ! Quoi qu'il en soit, le disque de ce concert ne sera à prendre que comme un témoignage de cette soirée avec ses erreurs et ses qualités, c'est tout. Pas comme une machine bien rôdée où les musiques ont été retravaillées en studio.

Les arrangements couvrent un large spectre musical qui va du baroque aux climats les plus contemporains...
En fait, on a trouvé ces similitudes après. Surtout, c'est l'univers de Renaud, il y a mis tout ce qu'il a voulu. Mais comme on a travaillé dans l'urgence, on ne s'est pas posé à chaque fois la question de savoir si c'était bien ou pas... Peut-être dans un mois, on se demandera si telle ou telle chose sonnait juste. La première question était de savoir si on allait réussir à mêler des sonorités rock et classiques.

Quelles chansons vous ont-elles demandé le plus de travail d'adaptation ?
Nous n'avons pas avancé une chanson par rapport à une autre. On a travaillé le spectacle comme un tout. Il y a des choses que l'on a appris sur le tas, notamment avec le trombone, un instrument qui arrive toujours un peu en retard sur le reste de l'orchestre, plein de choses comme cela... Ce qu'il fallait, c'était oublier le groupe, oublier Venus pour un soir ou plutôt fondre Venus dans l'orchestre. En tout cas, c'était différent de Venus, accepter pour une fois de perdre le contrôle du groupe. C'est une étape et je ne sais pas encore si cela aura une influence sur le prochain album. Surtout, je crois que Venus osera certaines choses qui ne nous avaient même pas effleuré l'esprit il y six mois.

Si c'était à refaire...
Cela va se refaire mais il y a toute une organisation à gérer. La seule frustration que je peux avoir, c'est justement que cette soirée soit unique. C'est comme au théâtre: il y a la générale puis les représentations. Là, c'était la générale. Tout ce que nous souhaitons, c'est d'évoluer au sein du spectacle, le faire bouger, éviter certaines erreurs que j'ai pu faire... Alors, on travaille dans le sens où on présenterait le spectacle en tournée. C'est sûr, on se dit qu'à la vingtième fois, le spectacle serait partait.

 
  Notes  
 
Admirez les photos accompagnant cet article dans la Gallery #4.
 
You won't tell me, I know it's hard
To keep your dream alive
Royalsucker
 
 
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