Tous
les goûts sont dans la nature de Venus, le quintette
belge qui monte. Y compris celui, très prononcé,
pour les excursions spectaculaires et sonores hors des sentiers
battus.
En recevant l'album de ce nouveau groupe belge, son nom
avait immédiatement évoqué les coups
d'archet lancinants de John Cale, le timbre monotone de
Lou Reed et des histoires de sadomasochisme faisant rimer
outré avec cliché. Mais une fois ingurgité
par le lecteur laser, "Welcome To The Modem Dancehall"
n'avait de commun avec le Velvet Underground qu'un violon,
une tension permanente et sourde servant de fil rouge entre
les morceaux. Une semaine après cette prise de contact
sonore, on retrouve les cinq Venus à Bruxelles, le
temps d'un festival au coeur du jardin botanique local.
Entre un lampadaire de guingois et des lampes pas mieux
posées sur un mobilier de récupération,
ils naviguent au milieu des ambiances : acoustique à
la Louise Attaque en plus harmonieux, cabaret déglingué,
pop dansante limite disco le temps d'un morceau plus frivole
que les autres. Jusqu'à ce fameux riff de violon,
ce rythme entêtant, ces images de cuissardes noires,
de femme-enfant brandissant un fouet. Eh oui, ils ont osé.
Ils s'en tirent même haut l'archet. Bien fait pour
eux.
Venus en fourrure
"J'avais l'idée de cette reprise depuis longtemps
en tête, mais j'hésitais, confesse Marc Huyghens,
voix et guitare du quintette. J'ai filé le CD à
Walter (contrebasse) qui l'a repassé à Patric
(scénographe) et ainsi de suite. 'Venus In Furs'
résume bien Venus, il nous colle à la peau
à cause du violon. Et il y a ce risque de tomber
à côté de la plaque car c'est délicat
de s'approprier une chanson. J'ai peiné sur le chant,
j'étais intimidé par Lou Reed. Notre reprise
est fidèle mais honnête. On a surtout restitué
l'atmosphère." Le maître mot est lâché
: les Venus ont une gueule d'atmosphère. Qu'ils entretiennent
en intégrant dans leurs rangs Patric Carpentier,
acteur et metteur en scène, chargé de leur
présentation visuelle. "Les scénographies
sont survenues dans un souci d'être nous-mêmes,
de ne pas chercher à plaire, tout en gardant une
image forte. Il ne s'agit pas d'un décor, on dispose
des oblets sur scène afin d'attirer l'attention du
public, qu'il regarde jouer les musiciens. C'était
aussi dans un but pratique au départ : on a joué
dans des bars, les éclairages étaient souvent
mauvais ou non existants. J'essaye que cet univers ne soit
pas trop esthétique cependant. Hier, pendant que
j'installais une toile, le régisseur est venu me
signaler qu'elle était légèrement décalée
vers la droite. Je ne m'en étais pas rendu compte
mais le l'ai laissée telle quelle. Il ne faudrait
pas que ce soit volontairement bancal non plus, ce serait
une autre forme d'esthétisme." Une signature
qu'on retrouvera dans la future vidéo des cinq, co-réalisée
par Patric, armé de sa caméra Super 8 dont
il parle, des trémolos dans la voix. "Je bouffe
de la pellicule périmée et le résultat
est extraordinaire et imprévisible. Tantôt
flou, tantôt surexposé." Mine de rien,
la scène musicale belge bouillonne d'inventivité.
Les antihéros de pitoyables histoires drôles
sont devenus demi-dieux du rock indé, ces dEUS, Soulwax
ou Zita Swcon dont les noms surgissent dans les conversations
de groupes anglo-saxons, bien en peine de situer la Belgique
sur une carte de géo. Analyse de Marc: "C'est
une scène intéressante, à cause de
la digestion partîculière des cultures de nos
voisins, faite par un petit pays sans passé musical
à la base. On est influencés par tout ce qui
est anglais mais aussi par les Français, les Allemands,
Kurt Weill, Berlin. Dans Venus, on mélange Brecht
et le style tzigane. Ainsi que la britpop et le blues."
On n'avait donc pas halluciné ce moment où
Marc s'était mué en Tom Waits, se déchaînant
sur des percussions ferrailleuses, l'oeil allumé,
perdu dans un délire improvisé et jubilatoire.
Cabaret et disco
On ne répétera jamais assez que Venus a été
taillée pour le spectacle, au sens large du terme.
"Avant Venus, explique Marc, Christian (violon) et
moi avions travaillé sur un projet plus traditionnel,
plus électrique. On a enregistré une démo
et écrit une vingtaine de morceaux. Un label y a
cru, un producteur aussi et on a mis la machine en route.
On a réservé un studio et, un mois avant,
plus d'argent et tout est tombé à l'eau. Résultat
: je me suis mis à me foutre encore plus de toutes
les contingences et j'ai décidé de faire mon
truc. Arrive Patric qui montait un spectacle et nous propose
d'en jouer la musique live. J'ai alors suggéré
à Christian de se remettre au violon. On a essayé
des tas de musiciens et on a vu tout se mettre en place
dès qu'on a trouvé Walter et Thomas (batterie)."
Grands déstructurateurs et briseurs d'harmonie -
pour mieux les reconstruire - Patric et Marc ont relâché
la tension sur "She's So Disco", une plage qui
porte bien son nom. "Thomas a eu l'idée d'un
morceau disco. On s'est pris au jeu, on a exploré
le lexique du genre et utilisé des mots comme hot,
stereo, radio, brothers and sisters... L'important c'est
qu'il y ait du sexe. " Et le chanteur d'ajouter "Le
texte est tout de même glauque : un tueur flingue
les filles qui dansent bien. On a un peu dérapé."
Isabelle Chelley