Découvert
il y a tout juste un an au Printemps de Bourges, Venus a depuis
enregistré son premier album en Italie, perdu son contrebassiste
et entamé un véritable tour de France. Compte
rendu d'étapes.
Le decor du Manège ressemble à celui de ce
carrousel hallucinatoire dans lequel Hunter S. Thompson,
défoncé à l'éther, titube dans
"Fear And Loathing ni Las Vegas". Mais la scène
se déroule à côté de Perpignan
et l'écrivain est remplacé dans le premier
rôle par la bande de Belges qui montent. Et qui, depuis
qu'on les a laissés dans un hôtel bruxellois,
semblent ne pas avoir cessé de tourner. Quand on
lui en fait la remarque, Marc, chanteur à belle gueule,
acquiesce. Derrière le bar, Thomas (baiterie) et
Loïc (tour manager) évacuent le stress d'après
concert en faisant défiler sur la platine Beck, Morphine
ou Madonna. Inspiré par "Ray Of Light', Thomas
improvise une chorégraphie qui surprendrait les fans.
Patric (scénographe), terrassé par un virus,
capitule. Il vient de s'apercevoir qu'il ne capte plus le
son de la conversation mais seulement l'image, son côté
visuel a dû prendre le dessus. Tout en honorant la
cuisine locale, Marc résume les épisodes précédents
dans l'histoire de Venus. "Walter (contnebasse) avait
une femme et un gamin. Ses priorités n'étaient
plus les mêmes. Il nous a quittés deux jours
avant notre tournée italienne. Il a fallu qu'on engage
d'urgence un intérimaire, puis nous avons trouvé
Pierre." Et Pierre s'en tire bien, tant humainement
que musicalement. Marc le décrit comme doté
d'une forte personnalité - il y en a déjà
quatre au sein du combo - capable de s'effacer le temps
de s'adapter. La route les a soudés, Pierre prend
ses marques. Un soupçon d'acrimonie plane à
l'égard de Walter...
Un vendredi à Perpignan
L'hospitalité méridionale ne serait pas qu'un
mythe entretenu par les guides touristiques. A l'heure du
goûter et en retard sur le planning, les Venus sortent
de table. Ils nous fixent un rendez-vous au Médiator,
en plein downtown Perpignan, salle qui ferait honte
à quelques hauts lieux parisiens : bonne acoustique,
visibilité sons pilier, un bar aux fresques allumées
(la bouille de M coincée entre deux légendes
du rock). Dans les loges, Patric tente d'endiguer les microbes
à coup d'homéopathie et d'aspirine. Un savant
dosage de café et de jus d'orange lui rend vie, alors
qu'il relate ses aventures au pays du Super 8 (des montages
de films familiaux, un deuxième clip en projet).
Thomas embarque Pierre pour un baptême du feu du jeu
des questions-réponses. Le journaliste du fanzine
pose d'ailleurs la vraie question d'emblée: "On
va dans un café tranquillou ou coincé du cul
?" Regard bleu perçant, le batteur suggère
un mélange des deux et abandonne Marc dans les griffes
d'un représentant de la presse nettement moins jovial.
La veille, grisé par une victoire sur le public marseillais,
le chanteur-guitariste avait accepté de parler après
le concert, en pleine descente d'adrénaline. Plus
jamais ça, dit-il en se soignant la voix aux Marlboro.
La promo achevée, le groupe se scinde entre ceux
qui maraudent sur le lieu de leur futur crime et ceux qui
rentrent à l'hôtel. "Histoire de prendre
ma petite douche psychologique", explique Marc.
Le Médiator, 23h00
Le premier morceau commence alors qu'on débarque
dans une salle religieusement calme. Les spectateurs écoutent,
ne criant que pour saluer chaque chanson. Les Venus attirent
un public à album, en déduit-on. "Royalsucker"
les voit se figer en milieu de morceau, statufiés.
La salle retient son souffle une demi-minute, jusqu'à
ce qu'ils reprennent. La route les a bonifiés, a
confirmé les promesses. Plus que jamais, ils manipulent
les émotions, des grandes envolées classieuses
de "White Star Line" à la passion échevelée
de "Ballroom". La scène baigne dans le
rose-rouge des projecteurs et le vert des lampadaires. Qui
se mettent à pulser comme des strob' pour saluer
"She's So Disco". En rappel, l'hommage à
un compatriote voit Marc et Christian attaquer "Amsterdam"
à la douze-cordes. Alors que les garçons replient
le matériel, les deux fans fauchées qu'ils
avaient invitées viennent les remercier et sortent,
rayonnantes, scène classique de tournée de
Venus. Bien qu'insatisfait du concert - lui et ses comparses
sont comme des perfectionnistes, en pire - Marc nous apporte
de l'alcool qui fait des bulles. Une fois à bord
de la R&F-mobile, il parle de la promo, des rencontres
agréables qu'elle offre et des scribes qui donnent
le frisson, le nez collé dans leur carnet. Il nous
demande nos meilleurs souvenirs d'interviews et pousse,
au nom de PJ Harvey, un soupir d'extase.
Samedi à Toulouse
Après le concert, vacances pendant dix jours. Christian,
Pierre et Thomas fileront en Belgique à l'aurore,
Patric a planifié une pause-tourisme en couple et
Marc ira rejoindre sa petite amie en Italie. La balance
à peine achevée dans un Bikini noyé
de pluie, Christian, Marc, Thomas et son harmonium enregistrent
une séance acoustique et une interview â la
radio. Assise derrière des baies vitrées donnant
sur la rue, la version allégée de Venus répète.
Dehors, les passants s'arrêtent, une paire de flics
tombent sous le charme. Au milieu d'une forêt de PC
et sous les éclairages blafards de FR3 Région
venu filmer, le trio murmure "Dizzy". Dans un
coin, trois jeunes filles contemplent la scène. Elles
ont pris en chasse la R&F-mobile depuis le Bikini afin
d'apercevoir leur groupe préféré, découvert
sur cette même station. Pour leur peine, elles atterrissent
sur la liste d'invités. Sur le chemin du retour,
Christian s'inquiète de l'hôtel. On lâche
que le Blues Explosion y a dormi l'an passé. "Quelle
chambre avait Jon Spencer ?" répond-il, avant
de propager l'histoire. Et, de nid à VRP, l'Ibis
devient Tropicana Motel. La conversation du dîner
tourne autour du cinéma, du théâtre,
de la photo, hobby des garçons sur la route. Marc
demande si quelqu'un a une pellicule noir et blanc à
lui passer. "Tente la couleur, propose Patric. C'est
un peu comme la réalité." Marc se promet
de replacer la réplique à l'occasion. Au dessert,
on lance un mot lourd de sens : Bourges. L'an passé,
ils y avaient été découverts et, aujourd'hui
encore, on leur parle de cette soirée. L'étiquette
de révélation de Bourges leur colle
aux basques. Marc plaisante, propose d'intituler le prochain
album "Révélation" et confie qu'ils
éprouvent un pincement au coeur à l'idée
de revenir, parmi les têtes d'affiche, sur ce lieu
symbolique.
Une nuit au Bikini
Nos quatre showmen et leur scénographe (qui, installé
derrière Duke le sonorisateur, vit le concert avec
la même intensité que s'il était sur
scène) doivent jubiler. Le public danse, sautille,
les acclame. Et refuserait presque de les laisser partir.
Sitôt le gros du public parti, le Bikini se transforme
en club. Bowie, Iggy, les Doors, Placebo ou Radiohead se
succèdent. Les Venus se défoulent au baby-foot,
Thomas danse et se livre à des pantomimes déjantées.
Marc esquisse une imitation d'Iggy Pop au son de "The
Passenger" - un titre qu'il reprenait avec un de ses
précédents groupes. Sur les coups des trois
heures, on abandonne les musiciens en vacances dans le Bikini
quasi désert. On les voit mal décoller de
leur lit d'ici une paire d'heures et pourtant, le lendemain,
ils appelleront pour nous dire qu'ils approchent de Paris.
Midi : Marc émerge. On repense aux concerts qui viennent
de s'achever, à leur intensité, à leur
ambiance si particulière, entre 16 Horsepower (le
fanatisme religieux en moins) et Radiohead (version junior).
Sans doute un jour, grâce ou à cause de Venus,
ils seront légion à jouer avec les silences
et les paroxysmes.
Isabelle Chelley
Encadré: So Disco
D'uine rencontre avec Julien Sigalas, à l'Atelier
Jeunes Cinéastes de Bruxelles, est née la
vidéo de "She's So Disco" que Patric, co-responsable,
décrit comme "une métaphore. Je voulais
montrer que l'amour repousse toutes les limites. Initialement,
on devait voir un couple se bagarrer, mais c'était
trop littéral." D'où ce magicien vieillissant
qui empale sa femme, lui tire dessus, etc... Cruel, certes,
mais pas violent, comme le prétendent les programmateurs
choqués.