Sur la route avec Venus (Rock & Folk n°392, avril 2000)
   
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Découvert il y a tout juste un an au Printemps de Bourges, Venus a depuis enregistré son premier album en Italie, perdu son contrebassiste et entamé un véritable tour de France. Compte rendu d'étapes.

Le decor du Manège ressemble à celui de ce carrousel hallucinatoire dans lequel Hunter S. Thompson, défoncé à l'éther, titube dans "Fear And Loathing ni Las Vegas". Mais la scène se déroule à côté de Perpignan et l'écrivain est remplacé dans le premier rôle par la bande de Belges qui montent. Et qui, depuis qu'on les a laissés dans un hôtel bruxellois, semblent ne pas avoir cessé de tourner. Quand on lui en fait la remarque, Marc, chanteur à belle gueule, acquiesce. Derrière le bar, Thomas (baiterie) et Loïc (tour manager) évacuent le stress d'après concert en faisant défiler sur la platine Beck, Morphine ou Madonna. Inspiré par "Ray Of Light', Thomas improvise une chorégraphie qui surprendrait les fans. Patric (scénographe), terrassé par un virus, capitule. Il vient de s'apercevoir qu'il ne capte plus le son de la conversation mais seulement l'image, son côté visuel a dû prendre le dessus. Tout en honorant la cuisine locale, Marc résume les épisodes précédents dans l'histoire de Venus. "Walter (contnebasse) avait une femme et un gamin. Ses priorités n'étaient plus les mêmes. Il nous a quittés deux jours avant notre tournée italienne. Il a fallu qu'on engage d'urgence un intérimaire, puis nous avons trouvé Pierre." Et Pierre s'en tire bien, tant humainement que musicalement. Marc le décrit comme doté d'une forte personnalité - il y en a déjà quatre au sein du combo - capable de s'effacer le temps de s'adapter. La route les a soudés, Pierre prend ses marques. Un soupçon d'acrimonie plane à l'égard de Walter...

Un vendredi à Perpignan

L'hospitalité méridionale ne serait pas qu'un mythe entretenu par les guides touristiques. A l'heure du goûter et en retard sur le planning, les Venus sortent de table. Ils nous fixent un rendez-vous au Médiator, en plein downtown Perpignan, salle qui ferait honte à quelques hauts lieux parisiens : bonne acoustique, visibilité sons pilier, un bar aux fresques allumées (la bouille de M coincée entre deux légendes du rock). Dans les loges, Patric tente d'endiguer les microbes à coup d'homéopathie et d'aspirine. Un savant dosage de café et de jus d'orange lui rend vie, alors qu'il relate ses aventures au pays du Super 8 (des montages de films familiaux, un deuxième clip en projet). Thomas embarque Pierre pour un baptême du feu du jeu des questions-réponses. Le journaliste du fanzine pose d'ailleurs la vraie question d'emblée: "On va dans un café tranquillou ou coincé du cul ?" Regard bleu perçant, le batteur suggère un mélange des deux et abandonne Marc dans les griffes d'un représentant de la presse nettement moins jovial. La veille, grisé par une victoire sur le public marseillais, le chanteur-guitariste avait accepté de parler après le concert, en pleine descente d'adrénaline. Plus jamais ça, dit-il en se soignant la voix aux Marlboro. La promo achevée, le groupe se scinde entre ceux qui maraudent sur le lieu de leur futur crime et ceux qui rentrent à l'hôtel. "Histoire de prendre ma petite douche psychologique", explique Marc.

Le Médiator, 23h00

Le premier morceau commence alors qu'on débarque dans une salle religieusement calme. Les spectateurs écoutent, ne criant que pour saluer chaque chanson. Les Venus attirent un public à album, en déduit-on. "Royalsucker" les voit se figer en milieu de morceau, statufiés. La salle retient son souffle une demi-minute, jusqu'à ce qu'ils reprennent. La route les a bonifiés, a confirmé les promesses. Plus que jamais, ils manipulent les émotions, des grandes envolées classieuses de "White Star Line" à la passion échevelée de "Ballroom". La scène baigne dans le rose-rouge des projecteurs et le vert des lampadaires. Qui se mettent à pulser comme des strob' pour saluer "She's So Disco". En rappel, l'hommage à un compatriote voit Marc et Christian attaquer "Amsterdam" à la douze-cordes. Alors que les garçons replient le matériel, les deux fans fauchées qu'ils avaient invitées viennent les remercier et sortent, rayonnantes, scène classique de tournée de Venus. Bien qu'insatisfait du concert - lui et ses comparses sont comme des perfectionnistes, en pire - Marc nous apporte de l'alcool qui fait des bulles. Une fois à bord de la R&F-mobile, il parle de la promo, des rencontres agréables qu'elle offre et des scribes qui donnent le frisson, le nez collé dans leur carnet. Il nous demande nos meilleurs souvenirs d'interviews et pousse, au nom de PJ Harvey, un soupir d'extase.

Samedi à Toulouse

Après le concert, vacances pendant dix jours. Christian, Pierre et Thomas fileront en Belgique à l'aurore, Patric a planifié une pause-tourisme en couple et Marc ira rejoindre sa petite amie en Italie. La balance à peine achevée dans un Bikini noyé de pluie, Christian, Marc, Thomas et son harmonium enregistrent une séance acoustique et une interview â la radio. Assise derrière des baies vitrées donnant sur la rue, la version allégée de Venus répète. Dehors, les passants s'arrêtent, une paire de flics tombent sous le charme. Au milieu d'une forêt de PC et sous les éclairages blafards de FR3 Région venu filmer, le trio murmure "Dizzy". Dans un coin, trois jeunes filles contemplent la scène. Elles ont pris en chasse la R&F-mobile depuis le Bikini afin d'apercevoir leur groupe préféré, découvert sur cette même station. Pour leur peine, elles atterrissent sur la liste d'invités. Sur le chemin du retour, Christian s'inquiète de l'hôtel. On lâche que le Blues Explosion y a dormi l'an passé. "Quelle chambre avait Jon Spencer ?" répond-il, avant de propager l'histoire. Et, de nid à VRP, l'Ibis devient Tropicana Motel. La conversation du dîner tourne autour du cinéma, du théâtre, de la photo, hobby des garçons sur la route. Marc demande si quelqu'un a une pellicule noir et blanc à lui passer. "Tente la couleur, propose Patric. C'est un peu comme la réalité." Marc se promet de replacer la réplique à l'occasion. Au dessert, on lance un mot lourd de sens : Bourges. L'an passé, ils y avaient été découverts et, aujourd'hui encore, on leur parle de cette soirée. L'étiquette de révélation de Bourges leur colle aux basques. Marc plaisante, propose d'intituler le prochain album "Révélation" et confie qu'ils éprouvent un pincement au coeur à l'idée de revenir, parmi les têtes d'affiche, sur ce lieu symbolique.

Une nuit au Bikini

Nos quatre showmen et leur scénographe (qui, installé derrière Duke le sonorisateur, vit le concert avec la même intensité que s'il était sur scène) doivent jubiler. Le public danse, sautille, les acclame. Et refuserait presque de les laisser partir. Sitôt le gros du public parti, le Bikini se transforme en club. Bowie, Iggy, les Doors, Placebo ou Radiohead se succèdent. Les Venus se défoulent au baby-foot, Thomas danse et se livre à des pantomimes déjantées. Marc esquisse une imitation d'Iggy Pop au son de "The Passenger" - un titre qu'il reprenait avec un de ses précédents groupes. Sur les coups des trois heures, on abandonne les musiciens en vacances dans le Bikini quasi désert. On les voit mal décoller de leur lit d'ici une paire d'heures et pourtant, le lendemain, ils appelleront pour nous dire qu'ils approchent de Paris. Midi : Marc émerge. On repense aux concerts qui viennent de s'achever, à leur intensité, à leur ambiance si particulière, entre 16 Horsepower (le fanatisme religieux en moins) et Radiohead (version junior). Sans doute un jour, grâce ou à cause de Venus, ils seront légion à jouer avec les silences et les paroxysmes.

Isabelle Chelley

Encadré: So Disco
D'uine rencontre avec Julien Sigalas, à l'Atelier Jeunes Cinéastes de Bruxelles, est née la vidéo de "She's So Disco" que Patric, co-responsable, décrit comme "une métaphore. Je voulais montrer que l'amour repousse toutes les limites. Initialement, on devait voir un couple se bagarrer, mais c'était trop littéral." D'où ce magicien vieillissant qui empale sa femme, lui tire dessus, etc... Cruel, certes, mais pas violent, comme le prétendent les programmateurs choqués.

 
 Notes 
 
Admirez les photos accompagnant cet article dans la Gallery #4.
 
You won't tell me, I know it's hard
To keep your dream alive
Royalsucker
 
 
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