"Oui, j'ai vieilli"
Après un premier album tièdement accueilli
et le départ de deux musiciens, on croyait ce groupe
belge perdu pour la science. Surprise : "Vertigone"
est un second essai fascinant qui prouve que Radiohead n'est
désormais plus seul au sommet des cimes pop.
Ouf. Enfin sorti. C'est sans doute ce que se diront les
membres de Venus en voyant dans les bacs "Vertigone",
leur deuxième album studio. L'histoire des Belges
pratiquant le rock acoustique nourri de tensions avait pourtant
débuté sous de bons auspices il y a quatre
ans. "Welcome to the modern dancehall"
trouvait son public, qui vint en nombre aux concerts classieux
et hallucinés des quatre musiciens accompagnés
de leur scénographe en charge de l'aspect visuel.
Puis en 2000, "The man who was already dead"
revisite en symphonique les chansons de Venus, leur donnant
une dimension vertigineuse sans les boursoufler. La suite
aurait dû couler de source.
Un groupe, c'est un couple puissance quinze
Nouvel album, tournée, un clip, l'adoration des
filles romantiques, la jalousie des garçons torturés,
quelques Victoires récompensant la bande. Mais Venus
aurait presque déçu en suivant une trajectoire
linéaire. Le groupe disparaît soudain de la
scène musicale. A pein si l'on aperçoit Marc
Huyghens, le chanteur au regard magnétique, se balader
seul avec sa guitare au fil de quelques concerts. Trop d'intensité
aurait-il détruit Venus ? Non. "Vertigone"
arrive un matin sur notre hifi. Un deuxième disque
simplement réussi, empreint d'une sérénité
qui manquait à Venus toujours sur le fil du rasoir,
prêt à se jeter dans le précipice. Il
creuse les mêmes pistes que son prédécesseur
à grands renforts d'ambiances Velvet light, de mélodies
limpides et d'arrangement subtils. Bref, un millésime
raffiné. "Notre tournée s'est achevée
en janvier 2001 à Cannes, raconte Marc, et
on a décidé de prendre un break de six mois.
Je suis parti en Californie avec ma copine. Je n'avais jamais
mis les pieds aux USA. J'ai découvert l'espace, la
nature et une mentalité pas toujours géniale.
On est bien lotis en Europe avec notre système de
protection sociale. Faire de la musique aux USA est beaucoup
plus difficile." Le retour en Europe a tout des
lendemains qui déchantent. "On s'est remis
à écrire de juillet à septembre 2001,
et là, les problèmes ont commencé.
Notre label italien a fait faillite. Thomas, le batteur,
et Patric, le scénographe ont quitté le groupe."
Quand on lui demande ce qui s'est passé, Marc reste
évasif. "Ça m'ennuie d'en parler car
je serais le seul à donner ma version des faits.
Je ne sais plus qui disait qu'un groupe, c'est un couple
puissance quinze. Surtout nous, on fonctionnait à
la tension." Puis lors d'un concert de John Parish,
Marc croise un grand brun qu'il retrouve peu après
à côté de lui dans un train. C'est Jean-Marc
Butty, collaborateur occasionnel de PJ Harvey, ami de Parish
justement, le genre de musicien susceptible de s'entendre
avec les Bruxellois en manque de batteur. "On partageait
certains goûts musicaux, mais aussi une certaine sensibilité,
murmure Jean-Marc dans le magnéto. C'est le cas
de tous les gens avec lesquels je travaille, c'est essentiel
pour moi."
Notre musique est accessible
Avec leur nouvelle recrue, les Venus reprennent la route
du studio. "On a eu de la chance de trouver la bonne
personne au bon moment, reprend Marc. L'expérience
de Jean-Marc fait qu'il a pu intervenir alors qu'on n'avait
pas démarré l'enregistrement ensemble. Une
grande partie des arrangements existaient déjà,
mais il a montré une grande faculté à
comprendre où on voulait aller, à proposer
des idées. Il nous apporte beaucoup et comme il est
très réservé, on l'écoute dès
qu'il parle."
Et la machine repart. Venus finit par signer un contrat
d'artiste chez EMI. Mises en boîte des mois auparavant,
les chansons n'ont pas pris une ride. La dynamique du groupe
a évolué, l'heure est à l'harmonie.
Marc rigole quand on lui dit que sans peroxyde, ni boucles
d'oreille, on le sent plus mature et nature. "Oui,
j'ai vieilli." Il a aussi appris en route. "Je
regrette d'avoir mis 'She's so disco' sur le premier album,
ça été un poids difficile à
gérer. C'était une espèce de jam sur
le mode de la plaisanterie et le morceau a un peu tiré
l'album. J'ai dû le défendre à la télé,
à la radio, alors que j'aurais préféré
le faire avec n'importe quel autre morceau. Ça m'a
servi de leçon. Avec Vertigone, je n'aurai
pas de mauvaise surprise." Quelques jours avant
les Transmusicales de Rennes, au cours desquelles Venus
s'est produit à trois reprises, Marc, Christian (violon),
Pierre (contrebasse) et Jean-Marc se sont enfermés
pour répéter. Ce dernier a volontairement
omis d'écouter le premier album pour ne pas se laisser
influencer. "Ça nous a aidés à
retrouver le plaisir de jouer nos chansons. Il y a un moment
où on en a fait le tour. On ne réussit plus
à trouver un angle neuf qui permet de redécouvrir
le morceau sans abîmer sa qualité. Avant de
retravailler sur le live, je pensais qu'il y aurait des
titres qu'on abandonnerait mais, une fois réarrangés...
Ma façon de chanter a changé. Le côté
crispé ne me convient plus. Nous ne sommes plus des
musiciens maudits, notre musique est accessible. Avant,
on vivait des moments forts sur scène et aussi des
concerts merdiques. Aux Transmusicales, je n'ai jamais éprouvé
autant de plaisir à jouer, on était radieux."
Isabelle CHELLEY