Merci d'être Venus (Télérama n°2777 du 4 avril 2003)
     
Texte  
 


Le groupe belge livre un album rare, né sur les routes de l'Ouest

Ballades planantes, voix languide : inspiré par le désert californien, traversé au volant d'une Buick, Venus invente un rock européen.

Il parle depuis une heure, dans un bistrot de Bruxelles : avalanche de mots plutôt désordonnés, longs silences, hésitations. Et puis d'un coup, il lâche la phrase, celle qui éclaire tout : « Ecrire et produire ce qu'on appelle généralement "un bon disque", un truc de qualité, n'était pas du tout mon idée, oh non ; ce que je voulais, c'était enregistrer l'équivalent rock d'un road-movie, appelons ça, disons... (il cherche...) un road-record. »

Un disque de route, donc, ou pour la route, ou... sur la route. Il s'explique, s'étonne lui-même d'avoir trouvé les mots. « En fait, c'est la première fois que j'arrive à mettre un nom sur la nature de ce disque. Jusqu'à ce jour, je ne savais pas comment en parler, comment expliquer son côté si terrien, simple, pour tout dire son côté "modeste". Mais inconsciemment, c'est sans doute ça que j'ai voulu faire : fabriquer une de ces bandes-son à écouter en voiture, un de ces disques qui ne sonnera jamais mieux que dans l'autoradio d'une vieille bagnole américaine. » Il poursuit sur le même thème, la route, l'évasion, le bitume brûlant ; on ne peut plus l'arrêter. « Après la longue promotion de notre premier album, en 2001, j'ai quitté la Belgique pour plusieurs mois, pour changer d'air, direction la Californie. Là-bas, ce que je préfère, c'est louer une grosse Buick, caler la boîte automatique en mode cruise [vitesse de croisière], et rouler dans le désert, pendant des heures. »

Parce que Marc A. Huyghens, le leader de Venus, a beaucoup roulé, beaucoup pensé - beaucoup planché, aussi, sur ses nouvelles chansons, pour les rendre toujours plus sobres, toujours plus belles -, Vertigone est un disque rare, comme suspendu dans le temps, qui enchantera plus d'un conducteur mélomane, californien ou pas. Ballades veloutées, aux arrangements baroques et oniriques (le violon joue un rôle essentiel, le piano électrique aussi), harmonies vocales douces et planantes : la langueur est en vedette d'un bout à l'autre de Vertigone. Ainsi, sur Million Miles away, merveilleuse petite chanson échappée d'un rêve de Thom Yorke (de Radiohead) puis tombée, la bienheureuse, entre les doigts de fée de Marc A. Huyghens. D'autres bijoux, comme l'introductif Happiness, Daystar ou le titre Vertigone, composent un patchwork soyeux, seulement déchiré, de temps à autre, par quelques moments de tension, instants de rock venimeux, cabrures momentanées.

Moins prévisible que sur son premier album Welcome to the modern dancehall (sorti en 1999), Venus sait désormais jouer à fond d'un son qui n'est ni seulement belge (le groupe ne ressemble que de loin à dEUS ou Dead Man Ray, les meilleurs Flamands électriques), ni vraiment d'inspiration britannique, ni tout à fait français - malgré l'arrivée récente du batteur Jean-Marc Butty, excellente recrue déjà entendue chez PJ Harvey ou Jean-Louis Murat. Comme The The ou les Nits à une époque, Venus semble s'être taillé un statut à part dans le rock d'aujourd'hui, devenant une sorte de quintessence du groupe européen, de la même manière que le quartet rock REM (originaire d'Athens, Géorgie) est un peu, à lui seul, un condensé de musique nord-américaine contemporaine.

Vers la fin de l'album - Little Hotel, Sand Dollar, Big Waste Ground, qui tiennent autant de la musique de film que du disque de rock -, Marc A. Huyghens n'est déjà (presque) plus là. Peu à peu, ses chansons échappent au carcan pop couplet-refrain, s'envolent vers un « ailleurs » musical où se sont déjà aventurées les meilleures chansons de Mercury Rev, des Flaming Lips ou de Sparklehorse, autres groupes convertis aux joies de l'évanescence. « Il y a quelques années, je rêvais d'écrire la chanson pop parfaite, reprend Huyghens. Aujourd'hui, je n'y pense plus, tout est dans l'instinctif, dans le viscéral. » Meilleure façon du monde, on le sait, pour écrire des chansons aussi immédiates que Beautiful Days ou Wanda Wultz, deux tubes en puissance « écrits sans effort et venus de je ne sais trop où, peut-être d'un de ces voyages au volant de ma Buick »

Emmanuel Tellier

 
  Notes  
 
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