Avec la sortie de cet album vous semblez refermer le
premier chapitre de Venus ?
J'ai plutôt l'impression du contraire. Cet album
participe des expériences qui enrichissent la vie
d'un musicien, qui lui permettent d'avoir un autre point
de vue. Avec ce concert au Cirque Royal, on a pris des risques.
C'est une des étapes qui va nous amener à
penser autrement. Personnellement, ça a beaucoup
changé ma façon de voir la musique, ces derniers
mois. J'ai l'impression que le procghain album sera très
différent.
A-t-il été difficile de vous adapter à
l'ensemble Musiques Nouvelles ?
Travailler avec un orchestre, ça correspondait à
un désir très ancien, presque un fantasme.
C'est Paul-Henri Wauters, programmateur du festival Les
Nuits Botanique de Bruxelles, qui nous a proposés.
On s'est immédiatement demandé comment on
pourrait rendre un tel projet intéressant pour nous,
pour l'orchestre et pour le public. On nous a parlé
de l'ensemble Musiques Nouvelles. On a rencontré
le chef Jean-Paul Dessy, qui nous a paru suffisamment ouvert
pour travailler à ce projet. On s'est vite aperçu
qu'un groupe et un orchestre c'est deux univers et deux
modes de travail très différents. Les musiciens
de l'ensemble jouent en passant par la lecture, ce qu'on
ne fait jamais. Cela rend le travail à la fois intéressant
et difficile.
Comment avez-vous choisi l'arrangeur ?
Renaud Lhoest avait déjà arrangé cinq
de nos morceaux, pour un précédent concert
avec un quintette à cordes. A l'époque, il
avait seulement greffé ses arrangements sur les nôtres.
Cette fois-ci, on lui a demandé de trouver des arrangements
complètement nouveaux. On lui a confié les
chansons, les textes, en lui disant : « Fais-en ce que
tu veux. » Dans la plupart des cas, il n'a gardé
que le squelette des chansons et les a rhabillées
complètement. Soit en les rallongeant, soit en y
apportant quelques partitions nouvelles. Renaud fait partie
d'Abi Gezint, un groupe de musique yiddish dont l'album
est sorti sur le label de John Zorn, Tzadik. On sent beaucoup
son influence sur nos morceaux. Pour la composition de l'orchestre,
il a principalement mis l'accent sur les vents et les cuivres.
N'avez-vous jamais craint d'être « dépossédés
» de vos chansons ?
Dès les premières réunions au cours
desquelles il nous a fait écouter ce qu'il avait
commencé à composer, on s'est dit : « On
a frappé à la bonne porte. » C'est une
question de confiance. La seule crainte que j'ai eue, c'est
qu'on ait pas assez de temps pour s'adapter à ce
nouveau point de vue. C'est un travail qu'on a fait à
deux cents à l'heure. Une fois qu'on a démarré,
on a foncé sans prendre aucun recul. Immédiatement
après le spectacle, Renaud m'a dit : « Je ne demande
pas mieux que de retravailler avec vous, un jour. J'ai fait
un bon boulot, parce qu'à la base la matière
était là. » Peut-être suffit-il que
la chanson soit bonne pour pouvoir la retravailler avec
un ensemble classique.
Avez-vous jamais douté ?
Les derniers jours de répétition, je me suis
dit : « On n'aurait jamais dû. Est-ce que les musiciens
de l'ensemble vont se donner autant que nous ? Est-ce que
nous en demandons trop ? » L'investissement est complètement
différent. Venus, c'est notre vie, depuis quatre
ans. Tandis qu'eux ont des tas d'autres trucs. J'ai encore
du mal à avoir un point de vue clair, mais je sais
que cela nous a surtout beaucoup ouvert l'esprit. L'album
qui sort aujourd'hui est la trace de ce travail-là.
Je ne le considère pas du tout comme un disque live.
Je ne vois d'ailleurs pas l'intérêt de faire
des live, auxquels je préfère mille fois le
souvenir d'un concert vécu, fût-il éphémère.
Dans notre cas précis, il s'agit d'un concert unique,
très différent de ce qu'on fait habituellement.
Pourquoi le titre The Man Who Was Already Dead ?
L'homme qui était déjà mort, c'est
un peu le fil rouge et le moteur du concert. On se demandait
autour de quoi regrouper les morceaux, et on a parlé
à Renaud de ce titre. On peut y accrocher le thème
de toutes les chansons. Ca peut aller de la petite mort
quotidienne à la remise en question totale. Ca nous
a amené à avoir une grande discussion dans
laquelle chacun s'est livré sur la mort et l'impression
que chacun s'en fait. Et on a gardé ce thème
à l'esprit en travaillant.
Peut-on dire que cette expérience a transformé
le groupe ?
Elle nous a forcé à reconsidérer une
ou deux questions du type « Comment continuer à
s'exprimer de la façon la plus organique possible
en essayant d'aller de l'avant ? ». On a envie de continuer
à prendre des risques, et de nous remettre en question,
quitte à déplaire. Au départ, on prenait
le projet pour une expérience ponctuelle mais elle
a pris beaucoup de place après, dans notre manière
d'envisager la scène. Il faudra voir, à l'avenir.
Mais ce qu'il en restera sera sans doute plus important
que ce qu'on a pu imaginer.
Propos de Marc Huyghens recueillis par Olivier Nuc