Plus posé, plus inventif que son premier album,
le Venus nouveau conjugue des atmosphères hypnotiques
à un profond travail sur les structures musicales.
Une seconde naissance qui, pour nous, est la bonne.
Le premier album de Venus, il y a quatre ans, était,
à notre avis, un disque trop patchwork, trop piraté
par de multiples influences pour être personnel. Opinion
à contre-courant d'une presse belge ou française
multipliant les superlatifs à l'égard de cette
formation bruxelloise emmenée par Marc A. Huyghens,
chanteur au timbre friable et auteur-compositeur touchant.
Un second round, sous forme de disque live enregistré
au Cirque royal, en compagnie de Musiques Nouvelles, laissait
encore perplexe : Venus lard de luxe ou cochon de ferme
? Entre-temps, l'affaire devient un « succès
commercial », tout au moins au niveau local.
C'est donc avec appréhension et curiosité
que l'on glisse Vertigone dans le lecteur. D'où
vient le nouveau vent Venus ? Après le départ
du batteur Thomas Van Cottom et du présomptueux «
scénographe » Patric Carpentier, l'actuel quatuor
Huyghens/Schreurs/Jacqmin/Butty a formidablement resserré
ses ambitions, optant pour des plages d'une grande richesse
chromatique qui naviguent sur un ton d'une réelle
légèreté aérienne. C'est notamment
le cas du très accrocheur Beautiful Days qui,
d'une bizarre manière, rappelle le talent pop de
Robbie Williams (!) avec ce truc unique de rester en vous
comme un ami qui vous veut du bien. Marc A. Huyghens a beau
écrire des textes parfois vinaigrés sur les
accrochages des relations humaines, le disque donne l'impression
de respirer la vie à pleins poumons et même
de considérer la parano ambiante (Sand Dollar,
consacré à l'Amérique) avec une palette
de couleurs vives. Ce n'est pas un hasard si Venus prend
l'héroïne du magnifique Sue perdue dans Manhattan
pour délivrer une chronique des trémolos urbains
au final plus doux qu'amer (Kallenovsy). Violon,
banjo, mandoline, guitares, orgue, batterie, basse, une
pincée de percus électroniques, du violoncelle,
de la scie musicale (Million Miles Away) et d'autres
instruments encore sont amenés par une douzaine d'invités.
Dans Running at Full Speed, une chorale carolo(*)
introduit le propos, qui est ensuite déployé
par des cordes virevoltantes. Tout cela glisse avec fluidité
dans des morceaux qui ont parfois la couleur du meilleur
« prog-rock » (entre Brian Eno et Genesis période
Gabriel), voire des relents de psychédélisme
bien digérés, tout en appartenant parfaitement
à ce millénaire.
Sans vouloir brouiller les pistes, on peut écrire
que Venus 2003, possible cousin européen d'un Mercury
Rev, explore une veine de « lyrisme apaisé
». C'est que entre-temps, Marc A. Huyghens s'est baladé
entre l'Italie et San Diego et a fait des rencontres musicales
qui agrandissent sa vision du monde. Et, donc, l'interprétation
qu'en fait Venus, qui crée collectivement sa musique.
« Le premier disque avait un cadre plus strict mais
plus expérimental. Pour Vertigone, on se sent
plus à l'aise avec nous-mêmes. J'ai l'impression
que cet album transporte une plus grande fraîcheur
», explique Marc, aux côtés du bassiste
Pierre Jacqmin et du violoniste multi-instrumentiste Christian
Schreurs. Une ambiance détendue accompagne le sentiment
d'avoir réalisé un «disque juste»,
qui fait rêver tout en gardant les pieds sur terre.
Mais l'onirisme de la musique vénusienne ne doit
pas faire oublier la difficulté à exister
véritablement dans un marché du disque «
staracadémisé ». Après la faillite
de son label italien, Venus a signé avec Capitol-France
et un management français, celui qui s'occupe, entre
autres, de la carrière d'Arno. Les chiffres réalisés
à ce jour - 30 000 copies vendues pour les deux premiers
CD - rappellent que l'ampleur du succès est toute
relative et que les membres du groupe, tout en vivant de
leur art, sont très loin du statut de riches pop
stars. Il est, par contre, quasi certain que Vertigone
les place maintenant au rang de véritables créateurs
et qu'il donne envie de passer du temps en sa compagnie.
Le reste est à découvrir prochainement en
concert où le quatuor - augmenté d'un cinquième
musicien - va défendre ses nouveaux vertiges dans
des arrangements adaptés à la scène.
Une expérience ambitieuse qui ouvre de réelles
perspectives internationales. C'est tout le mal qu'on leur
souhaite.
Philippe Cornet
CD Vertigone (Capitol), en magasin le 4 mars. Concerts
le 10 avril aux Halles de Schaerbeek, le 10 mai à
Esch-sur-Alzette, au Grand Duché (+35 2 55 44 93),
et le 24 mai à Mouscron (056 84 03 42)