Intention

Véhiculées par les médias en constante croissance, la plupart des images sont au service d’un message : elles illustrent un propos, doivent vendre un produit. Elles ont été conçues pour pénétrer en un éclair notre intellect, faire passer leur message commercial, idéologique, utopiste… toujours prosélyte. Elles violent le regard qui n’a pas encore eu le temps de les questionner quand, déjà, la raison a assimilé leur message.

L’œil qui, jadis, était un formidable outil d’interrogation du monde, de construction d’identité (de quoi est fait l’espace qui m’entoure -> quel rôle veux-je jouer dans cet espace) est aujourd’hui soumis, relégué au rôle d’orifice par lequel s’introduit la volonté des graphistes, publicitaires, journalistes, artistes, qui utilisent l’image pour nous imposer leur point de vue.
Dans ces conditions, comment conserver sa liberté de voir ?

Ma réponse consiste en la pratique d’images-antidotes : des images qui ne se donnent pas, dans lesquelles il faut aller chercher les signes qui en permettent la lecture, des images qui stimuleraient l’imagination du regardeur plutôt que d’être l’expression de l’imagination du créateur

A l’origine de ces images, il y a une photographie.
Une fois numérisées, je vais dissocier les signes qui en permettent la lecture : un élément d’architecture sera par exemple dissocié en éléments devenus indépendants tels que sa couleur, sa texture, ses ombres…
Ces éléments sont ensuite dupliqués, déplacés, entassés sur des couches successives dans une composition où la photo est transmutée en peinture, où les symboles qui accéléraient la lecture questionnent maintenant l’entendement, où le regard n’est plus enfermé dans un cheminement de lecture unique mais où il saute d’une texture à une couleur, d’une couleur à une forme dans une multitude de combinaisons possibles, chaotiques.

Une fois finie dans l’espace virtuel, l’image est matérialisée, elle devient tableau.
J’imprime mes images à l’atelier Bordas sur du papier Arches très texturé et une encre muséale longue conservation faisant penser à de la gouache.
Encadrée, accrochée, éclairée, je regarde ensuite mes images-antidotes et teste leur force imaginative. Dans la plupart, j’y vois des visages : portraits de l’esprit du lieu photographié. Et, si après cela je donne un titre à mes tableaux ce n’est pas pour imposer aux regardeurs ma vision du sujet mais pour les inviter à aller chercher, dans ces tableaux qui sont à première vue abstraits, leur propre interprétation.