Surtout, le graphique précédent permet de visualiser
l'impact extrêmement fort de la crise récente du secteur,
qui a particulièrement affecté les lignes Sardes :
à partir de 2010, le trafic passagers de l'île a
commencé à décroître
légèrement, puis bien plus fortement en 2011 et en 2012,
avant de rester depuis à des niveaux bien plus bas qu'avant crise - de l'ordre de moins 40%.
Au-delà des
effets la crise économique en général, qui a plus
durement touché l'Italie que la France depuis 2008, plusieurs
causes plus spécifiques au transport ont été
avancées dès l’année 2011 pour expliquer une
telle chute, comme le rappelait Mare Nostrum Corsica dans l'article thématique sur la chute des lignes Sardes :
- le développement de
l’offre aérienne low-cost à destination des îles, qui
concurrence durement le mode maritime. Selon l’Autorità Portuale Nord Sardegna, sur la Sardaigne, l’aérien a progressivement grignoté des parts
de marché même avant le début de la crise : il est passé de 38% en 1987 à 49% dès 2009 - année qui a par ailleurs marqué un record pour les liaisons maritimes entre la Sardaigne et le continent ;
- le renchérissement des
tarifs des compagnies de ferries sur la Sardaigne – bien réel à partir de 2011 mais
moins frappant si l'on raisonne
sur des moyennes. Si les prix ont effectivement nettement augmenté, les
taux de progression spectaculaires à trois chiffres mis en avant par une
association de consommateurs italienne et fortement relayés par les médias sont
aussi à rapprocher d’un phénomène de fin des promotions exceptionnelles – du
type « voiture à 1 euro » héritées du temps - encore proche - où le pétrole
était relativement bon marché. Pour autant, l'Autorité antitrust italienne,
qui avait infligé des amendes à plusieurs
opérateurs privés pour entente illicite visant à
constituer un cartel pour faire augmenter les prix pendant la saison
2011 sur les lignes Sardes a finalement été
déboutée en appel. Ainsi, la Moby qui avait été condamnée à l'amende la plus lourde (5,46 millions d'euros) devant
GNV (2,37 millions), SNAV (0,23 million) et Marinvest, la holding chapeautant GNV-SNAV (43000 euros) a-t-elle finalement été disculpée, comme l'avait été la Corsica-Sardinia Ferries dès la phase initiale d'instruction du dossier ;
- la
restructuration drastique de l'offre des compagnies maritimes, en
difficulté importante au moins jusqu'en 2013 et qui ont
fortement réduit la voilure et le nombre de lignes desservies
(2014 marquerait une certaine embellie au moins en tremes de
résultats financiers des opérateurs suite à
labaisse sensible - mais provisoire ? - des cours du pétrole).
On a ainsi observé des faillites en série : après Di Maio Lines
et Strade Blu, c'est au tour de
Armamento Sardo, spécialisée dans le transport du fret entre Olbia et Marina di
Carrara, de mettre la clef sous la porte fin 2012, tandis que les sociétés régionales Saremar et GoinSardinia
qui ont desservi les lignes Sardaigne-continent respectivement pendant
les étés 2011-2012 et 2013-2014 avec le soutien de la
région ou des socioprofessionnels de l'île - pour tenter
de mettre fin à la cherté des coûts du transport -
ont successivement dû interrompre leurs activités pour des
raisons économiques. Celles qui ont survécu à la
crise italienne en sont souvent sorties amoindries.Ainsi, la SNAV, présente
jusqu'en 2010 sur Civitavecchia-Olbia ne dessert plus du tout la
Sardaigne, son partenaire GNV s'est retiré de l'axe Genova-Olbia en 2013 jusqu'alors très prospère, Moby a dû renoncer à la ligne Genova-Porto Torres suite à la reprise de la Tirrenia, en grande difficulté et privatisée en 2012, ou encore la Sardinia Ferries
a réduit drastiquement à 1 seul navire sa desserte
de la Sardaigne courant 2012 avant de revenir à 2 ferries
depuis, à comparer aux 4 qu'elle alignait sur la Sardaigne
jusqu'en 2008. Au vu de ces renoncements en série à des
pans entiers de leurs activités, jusqu'alors au coeur de leurs
stratégies de développement, il serait très réducteur de conclure que c'est le seul effet d'aubaine induit par la privatisation de l'opérateur public Tirrenia
qui a poussé les opérateurs privés à
relever significativement leurs tarifs sur les lignes Sardes à
partir de 2011.
Pour l'ensemble de ces
raisons, le trafic maritime entre la Sardaigne et le continent est
passé de près de 6,11 millions de passagers par an en
2009 à 3,65 millions en 2013, année qui a marqué
un point bas. Ainsi, depuis 2012, le trafic entre la Sardaigne et
le continent est-il devenu inférieur à celui
observé entre la Corse et le continent, alors qu'il lui
était près de 2 millions supérieur à peine trois années plus tôt ! En faisant le parallèle avec les statistiques de l'Observatoire régional des transports de la Corse,
avec un trafic Corse de près 3,81 millions de passagers en 2014,
le trafic maritime des deux îles est quasiment égal en
2014 (en complétant, pour la Sardaigne, les chiffres
déjà publiés par l'Autorité portuaire du Nord Sardaigne par celles de l'Autorité portuaire de Cagliari,
on retrouve le même chiffre que pour la Corse à moins de
mille passagers près, en faveur de la Sardaigne).
À
l'exception des lignes de Toulon, toutes les lignes maritimes de Corse
refluent, parfois de plus de 20%, de 2009 à 2014
Depuis 2014, la crise à la SNCM a fortement pesé sur le mode maritime et les ferries classiques, comme ici le Méditerranée et le Danielle Casanova, apparaissent particulièrement menacés.
Toutefois, les dynamiques
semblent désormais bien différentes : alors que les
lignes maritimes Sardes montrent de - timides - signes de reprise
depuis 2014 susceptible de se confirmer en 2015 après une
très forte correction initiale, les lignes de Corse semblent
progressivement s'enfoncer dans la crise depuis 2011, année qui
a marqué une rupture de tendance très nette. Jusque
là, les trafics passagers maritimes de Corse, portés par
le très fort développement des lignes régies par
l'aide sociale au départ de Toulon et de Nice avaient permis un
fort développement de l'île. Son plafonnement à
compter de 2010, puis sa suppression,
début 2014, concomitamment à la fin du subventionnement
des ferries sur les lignes de Marseille, ont précipité
les lignes maritimes de Corse dans la crise ainsi que l'envol du trafic aérien, ce avec des conséquences économiques et environnementales jusqu'ici peu évaluées...
Le graphique
suivant permet de visualiser plus finement le retournement des trafics
maritimes en comparant la dernière "année faste" à
la fois pour les lignes Corses et Sardes (2009) à la
dernière année connue (2014). Sans surprise, les chutes
les plus vertigineuses s'observent sur les lignes de ferries entre les
ports du Nord Sardaigne (Olbia, Golfo Aranci et Porto Torres) et le
continent italien (-39,4% de 2009 à 2014). Toutefois, un
deuxième groupe de lignes maritimes en pleine crise peut
être mis en évidence, avec des baisses de plus de 20% sur
la période 2009-2014 : -22,7% entre la Corse et le continent
italien, -20,7% pour l'axe Corse-Nice et -20,4% pour Corse-Marseille,
selon des calculs établis par Mare Nostrum Corsica sur la base des statistiques de l'Observatoire régional des transports de la Corse.
Dans le même temps, seules les lignes de ferries entre la Corse
et la Sardaigne (principalement concentrées entre Bonifacio et
Santa Teresa di Gallura) connaissent une certaine embellie (+6,6%)
après des années difficiles tandis que les lignes entre
la Corse et Toulon progressent plus significativement (+17,3%), en lien
vraisemblablement avec les perturbations des lignes Corse-Marseille
intervenues à plusieurs reprises en 2014 suite à la situation de crise de la SNCM. Toutefois, les ex-lignes régies par l'aide sociale (Corse-Toulon et Nice) stagnent au global, de
2009 à 2014, suite à la disparition de cette aide aux
passagers. Ainsi, le bateau voit sa part nettement refluer sur les
lignes de Corse, avec une baisse globale des lignes maritimes de 10,0%
de 2009 à 2014 (baisse qui atteint même 11,0% si l'on se
concentre sur les seules lignes avec le continent).
À
moins d'une reprise forte et d'une adaptation de la desserte, la fin de
l'ère des ferries nombreux et bon marché ?
Lecture et précisions : la
première semaine d'août a été retenue ici à titre conventionnel car il
s'agit d'une semaine emblématique : la semaine de l'année au cours de laquelle les arrivées en
Corse par voie maritime sont les plus nombreuses.en
caractères hachurés figurent les traversées
supplémentaires programmées pour l'été
2015, courant février par La Méridionale (traversées de jour du Kalliste sur Marseille-Propriano), en avril pour la SNCM (traversées du Danielle Casanova sur Marseille-Ajaccio, Bastia et Prorpiano) et en mai par la Corsica Ferries (traversées du Sardinia Vera
sur Nice & Toulon-Calvi, Ile Rousse et Bastia). Malgré
l'apport substantiel de places que cela représente au total par
rapport à la programmation initiale des compagnies, la
réduction de l'offre par rapport à l'été
2014 est sensible, notamment à Nice et plus encore à
Marseille. À Toulon en revanche, sur la première semaine
d'août, la Corsica Ferries
parvient, grâce à sa programmation supplémentaire,
à combler le vide laissé par le retrait de la SNCM de cette ligne.
Après ce
bilan morose, à quelles évolutions faut-il s'attendre
pour les années à venir ? À très court
terme, les perspectives sont plutôt sombres : suite au
dépôt de bilan de la SNCM
en novembre 2014, plusieurs bateaux de la compagnie ont progressivement
cessé de desservir la Corse, si bien que l'offre maritime
estivale est nettement réduite pour la saison 2015. Par rapport
à 2014, les lignes de Corse devraient compter plusieurs ferries
en moins, ce type de navires apparaissant comme plus compliqué
à rentabiliser que les cargos mixtes et les Mega Express :
- l'Excelsior, affrété jusqu'alors par la SNCM à Grandi Navi Veloci
pour les lignes Marseille-Corse, a été rendu à son
propriétaire et n'est pas remplacé en 2015 ;
- le Corse, employé sur
les lignes Nice-Corse de la SNCM jusqu'en 2014, ne devrait pas
renaviguer en 2015 selon toute vraisemblance, la direction sortante de
la SNCM ayant
décidé de renoncer aux lignes de Nice (pour la
première fois depuis la création de la compagnie, en
1976) et les candidats à la reprise de la compagnie n'ayant
semble-t-il pas manifesté d'intérêt pour ce navire,
mis en service en 1983 ;
- le Méditerranée, qui effectuait les liaisons Toulon-Bastia pour le compte de la SNCM en 2014, est désormais programmé entièrement entre Marseille, Tunis et Alger pour la saison 2015 ;
- quant au Danielle Casanova,
suite au report à l'automne 2015 du processus de reprise, la
direction actuelle de la compagnie a finalement programmé fin
avril quelques rotations supplémentaires de ce navire sur la
Corse en sus de sa programmation actuelle pour l'été
2015 entre Marseille et Tunis. Le Danielle Casanova effectue donc deux à trois allers-retours
hebdomadaires les week-ends de pointe
entre Marseille et la Corse (sur Bastia, Ajaccio ou Propriano
selon les jours). La possibilité de telles programmations
complémentaires aux cargos mixtes de la compagnie avait
été évoquée comme probable, depuis
plusieurs mois, par la direction sortante (Transdev) mais cette possibilité avait jusqu'ici été écartée par le groupe Baja Ferries dirigé
par Daniel Berrebi, qui en cas de reprise de la SNCM,
aurait souhaité souhaité réserver dans un premier temps ce navire aux
lignes du Maghreb pour pouvoir ouvrir par ailleurs avec le Méditerranée une ligne entre Marseille et
Tanger au Maroc. Dans un second temps, à compter de 2016, il envisagerait la cession du Danielle Casanova à Baja Ferries,
si bien qu'il pourrait potentiellement naviguer en mer des
Caraïbes, Baja Ferries ayant obtenu en mai 2015 une des
premières autorisations accordées par le gouvernement
américain pour relier La Havane (Cuba) à Miami, en
Floride !
Compte tenu de cette forte réduction programmée du périmètre de la SNCM sur la Corse et malgré une renforcement plus fort qu'annoncé initialement de l'offre estivale de la Corsica Ferries et de La Méridionale (suite notamment à la mise en service du Mega Andrea en juillet 2015, voir graphique ci-dessus et la page des nouveautés 2015),
il semble difficile de pouvoir envisager autre chose qu'un repli des
lignes maritimes de Corse pour l'été 2015, quand bien
même les lignes ne seraient plus perturbées cette
année par des conflits sociaux (en 2014, les navires de la SNCM
avaient été totalement immobilisés du 24 juin au
10 juillet, ce qui avait beaucoup pesé sur la saison touristique
d'après une étude de l'ORTC).
Aussi, les perspectives pour 2015 apparaissent-elles au global
plutôt négatives pour la Corse en 2015, dont les trafics maritimes
devraient vraisemblablement repasser en dessous de ceux de la
Sardaigne, et ce de manière nettement plus prononcée qu'en 2014.
Il faut donc espérer qu'à moyen terme, les facteurs
positifs l'emportent sur les négatifs, ce qui dépendra de
l'ampleur de la reprise économique et de la capacité des
compagnies présentes à contenir la hausse de leurs
tarifs, qui semble inévitable, non seulement en raison de la
moindre pression concurrentielle, mais aussi en raison de facteurs plus
structurels (rebond à attendre du prix du pétrole,
adaptation des navires aux nouvelles normes anti-pollution à
l'horizon 2020 en Méditerranée - à titre de
comparaison, la Brittany Ferries
a ainsi dépensé environ 15 millions d'euros par navire
pour installer des filtres à particules, ce qui
représente en tout un investissement colossal pour les
opérateurs de ferries -, construction de navires selon les
nouvelles normes de sécurité du "Safe return to port"
qui imposent de dupliquer l'appareil de conduite des bateaux,
coût encore très élevé des chantiers de
construction, en particulier pour les ferries utilisant les nouvelles
technologies de propulsion au GNL...).
La solution pour contrer ces surcoût semble, à l'avenir,
devoir passer par une "massification" du nombre de passagers
transportés par navire, ce qui suppose de pouvoir faire naviguer
des bateaux de plus grande taille - et donc que les infrastructures
portuaires aient été en amont adaptées pour
recevoir des navires de plus de 200 mètres, en particulier
à Nice, à Bastia et à l'Ile Rousse - et que les compagnies puissent les remplir, ce qui laisse
craindre une possible réduction du nombre de rotations et une
plus grande concentration sur les axes principaux de la desserte...