Mare Nostrum Corsica 

Après celles de Sardaigne, les lignes de Corse à la recherche d'un nouveau souffle ?

Le Mega Express Three manoeuvrant dans le port de Livorno, vu du Mega Smeralda, en août 2014 ; photo : Romain Roussel
Le port de Livorno, en Toscane, est un important noeud de transport à la fois pour les lignes de Corse et de Sardaigne


Pour bien comprendre l'ampleur de la contraction du trafic passagers maritime qui affecte depuis plusieurs années les lignes maritimes de ferries en Méditerranée occidentale, Mare Nostrum Corsica a dressé ci-après un parallèle entre les évolutions observées en Sardaigne et en Corse. Comme illustré au graphique suivant, outre un trafic maritime très concentré sur la saison touristique, les lignes de ferries Sardes et Corses présentent des caractéristiques communes : en particulier la prédominance très nette d'un des ports de l'île sur les autres (Olbia en Sardaigne, Bastia en Corse) et la présence de deux autres ports concentrant la quasi-totalité du reste du trafic passagers maritime (Porto Torres et Golfo Aranci dans le cas Sarde, auxquels correspondent respectivement à peu près les trafics maritimes d'Ajaccio et d'Ile Rousse pour ce qui est de la Corse), les autres ports de ces îles n'enregistrant que des trafics passagers très faibles (Cagliari en Sardaigne a surtout une vocation fret et n'a pu être véritablement relancé en matière de passagers malgré les souhaits exprimés par le PDG de la Moby lors de la reprise de la Tirrenia en 2012, tandis que Porto Vecchio, Propriano et Calvi sont à la peine en Corse - voir article thématique sur les "ports secondaires" de Corse).


Un décrochage brutal pour la Sardaigne en 2011-2012, une crise plus rampante en Corse ?
En 2012, le trafic passagers des ports de Corse a doublé celui des ports de Sardaigne suite à l'effondrement de ces derniers.
Nota : le graphique se concentre sur les échanges avec le continent et ne prend pas donc en compte les lignes corso-sardes (qui seraient, en toute logique, comptabilisées des deux côtés).



Surtout, le graphique précédent permet de visualiser l'impact extrêmement fort de la crise récente du secteur, qui a particulièrement affecté les lignes Sardes : à partir de 2010, le trafic passagers de l'île a commencé à décroître légèrement, puis bien plus fortement en 2011 et en 2012, avant de rester depuis à des niveaux bien plus bas
qu'avant crise - de l'ordre de moins 40%.

Au-delà des effets la crise économique en général, qui a plus durement touché l'Italie que la France depuis 2008, plusieurs causes plus spécifiques au transport ont été avancées dès l’année 2011 pour expliquer une telle chute, comme le rappelait Mare Nostrum Corsica dans l'article thématique sur la chute des lignes Sardes :

- le développement de l’offre aérienne low-cost à destination des îles, qui concurrence durement le mode maritime. Selon l’Autorità Portuale Nord Sardegna, sur la Sardaigne, l’aérien a progressivement grignoté des parts de marché même avant le début de la crise : il est passé de 38% en 1987 à 49% dès 2009 - année qui a par ailleurs marqué un record pour les liaisons maritimes entre la Sardaigne et le continent ;

- le renchérissement des tarifs des compagnies de ferries sur la Sardaigne – bien réel à partir de 2011 mais moins frappant si l'on raisonne sur des moyennes. Si les prix ont effectivement nettement augmenté, les taux de progression spectaculaires à trois chiffres mis en avant par une association de consommateurs italienne et fortement relayés par les médias sont aussi à rapprocher d’un phénomène de fin des promotions exceptionnelles – du type « voiture à 1 euro » héritées du temps - encore proche - où le pétrole était relativement bon marché. Pour autant, l'Autorité antitrust italienne, qui avait infligé des amendes à plusieurs opérateurs privés pour entente illicite visant à constituer un cartel pour faire augmenter les prix pendant la saison 2011 sur les lignes Sardes a finalement été déboutée en appel. Ainsi, la Moby qui avait été condamnée à l'amende la plus lourde (5,46 millions d'euros) devant GNV (2,37 millions), SNAV (0,23 million) et Marinvest, la holding chapeautant GNV-SNAV (43000 euros) a-t-elle finalement été disculpée, comme l'avait été la Corsica-Sardinia Ferries dès la phase initiale d'instruction du dossier ;

- la restructuration drastique de l'offre des compagnies maritimes, en difficulté importante au moins jusqu'en 2013 et qui ont fortement réduit la voilure et le nombre de lignes desservies (2014 marquerait une certaine embellie au moins en tremes de résultats financiers des opérateurs suite à labaisse sensible - mais provisoire ? - des cours du pétrole). On a ainsi observé des faillites en série : après Di Maio Lines et Strade Blu, c'est au tour de Armamento Sardo, spécialisée dans le transport du fret entre Olbia et Marina di Carrara, de mettre la clef sous la porte fin 2012, tandis que les sociétés régionales Saremar et GoinSardinia qui ont desservi les lignes Sardaigne-continent respectivement pendant les étés 2011-2012 et 2013-2014 avec le soutien de la région ou des socioprofessionnels de l'île - pour tenter de mettre fin à la cherté des coûts du transport - ont successivement dû interrompre leurs activités pour des raisons économiques. Celles qui ont survécu à la crise italienne en sont souvent sorties amoindries.Ainsi, la SNAV, présente jusqu'en 2010 sur Civitavecchia-Olbia ne dessert plus du tout la Sardaigne, son partenaire GNV s'est retiré de l'axe Genova-Olbia en 2013 jusqu'alors très prospère, Moby a dû renoncer à la ligne Genova-Porto Torres suite à la reprise de la Tirrenia, en grande difficulté et privatisée en 2012, ou encore la Sardinia Ferries a réduit drastiquement à 1 seul navire sa desserte de la Sardaigne courant 2012 avant de revenir à 2 ferries depuis, à comparer aux 4 qu'elle alignait sur la Sardaigne jusqu'en 2008. Au vu de ces renoncements en série à des pans entiers de leurs activités, jusqu'alors au coeur de leurs stratégies de développement, il serait très réducteur de conclure que c'est le seul effet d'aubaine induit par la privatisation de l'opérateur public Tirrenia qui a poussé les opérateurs privés à relever significativement leurs tarifs sur les lignes Sardes à partir de 2011.

Pour l'ensemble de ces raisons, le trafic maritime entre la Sardaigne et le continent est passé de près de 6,11 millions de passagers par an en 2009 à 3,65 millions en 2013, année qui a marqué un point bas. Ainsi, depuis 2012, le trafic entre la Sardaigne et le continent est-il devenu inférieur à celui observé entre la Corse et le continent, alors qu'il lui était près de 2 millions supérieur à peine trois années plus tôt ! En faisant le parallèle avec les statistiques de l'Observatoire régional des transports de la Corse, avec un trafic Corse de près 3,81 millions de passagers en 2014, le trafic maritime des deux îles est quasiment égal en 2014 (en complétant, pour la Sardaigne, les chiffres déjà publiés par l'Autorité portuaire du Nord Sardaigne par celles de l'Autorité portuaire de Cagliari, on retrouve le même chiffre que pour la Corse à moins de mille passagers près, en faveur de la Sardaigne).




À l'exception des lignes de Toulon, toutes les lignes maritimes de Corse refluent, parfois de plus de 20%, de 2009 à 2014
L'arrivée du Danielle Casanova à Bastia en août 2013 et le Méditerranée à quai ; photo : Romain Roussel
Depuis 2014, la crise à la SNCM a fortement pesé sur le mode maritime et les ferries classiques, comme ici le Méditerranée et le Danielle Casanova, apparaissent particulièrement menacés.



Toutefois, les dynamiques semblent désormais bien différentes : alors que les lignes maritimes Sardes montrent de - timides - signes de reprise depuis 2014 susceptible de se confirmer en 2015 après une très forte correction initiale, les lignes de Corse semblent progressivement s'enfoncer dans la crise depuis 2011, année qui a marqué une rupture de tendance très nette. Jusque là, les trafics passagers maritimes de Corse, portés par le très fort développement des lignes régies par l'aide sociale au départ de Toulon et de Nice avaient permis un fort développement de l'île. Son plafonnement à compter de 2010, puis sa suppression, début 2014, concomitamment à la fin du subventionnement des ferries sur les lignes de Marseille, ont précipité les lignes maritimes de Corse dans la crise ainsi que l'envol du trafic aérien, ce avec des conséquences économiques et environnementales jusqu'ici peu évaluées...

Le graphique suivant permet de visualiser plus finement le retournement des trafics maritimes en comparant la dernière "année faste" à la fois pour les lignes Corses et Sardes (2009) à la dernière année connue (2014). Sans surprise, les chutes les plus vertigineuses s'observent sur les lignes de ferries entre les ports du Nord Sardaigne (Olbia, Golfo Aranci et Porto Torres) et le continent italien (-39,4% de 2009 à 2014). Toutefois, un deuxième groupe de lignes maritimes en pleine crise peut être mis en évidence, avec des baisses de plus de 20% sur la période 2009-2014 : -22,7% entre la Corse et le continent italien, -20,7% pour l'axe Corse-Nice et -20,4% pour Corse-Marseille, selon des calculs établis par Mare Nostrum Corsica sur la base des statistiques de l'Observatoire régional des transports de la Corse. Dans le même temps, seules les lignes de ferries entre la Corse et la Sardaigne (principalement concentrées entre Bonifacio et Santa Teresa di Gallura) connaissent une certaine embellie (+6,6%) après des années difficiles tandis que les lignes entre la Corse et Toulon progressent plus significativement (+17,3%), en lien vraisemblablement avec les perturbations des lignes Corse-Marseille intervenues à plusieurs reprises en 2014 suite à la situation de crise de la SNCM. Toutefois, les ex-lignes régies par l'aide sociale (Corse-Toulon et Nice) stagnent au global, de 2009 à 2014, suite à la disparition de cette aide aux passagers. Ainsi, le bateau voit sa part nettement refluer sur les lignes de Corse, avec une baisse globale des lignes maritimes de 10,0% de 2009 à 2014 (baisse qui atteint même 11,0% si l'on se concentre sur les seules lignes avec le continent). 



Entre le continent et la Corse, seules les lignes de Toulon ont vu leur trafic passagers croître de 2009 à 2014




À moins d'une reprise forte et d'une adaptation de la desserte, la fin de l'ère des ferries nombreux et bon marché ?

Lecture et précisions :
la première semaine d'août a été retenue ici à titre conventionnel car il s'agit d'une semaine emblématique : la semaine de l'année au cours de laquelle les arrivées en Corse par voie maritime sont les plus nombreuses.en caractères hachurés figurent les traversées supplémentaires programmées pour l'été 2015, courant février par La Méridionale (traversées de jour du Kalliste sur Marseille-Propriano), en avril pour la SNCM (traversées du Danielle Casanova sur Marseille-Ajaccio, Bastia et Prorpiano) et en mai par la Corsica Ferries (traversées du Sardinia Vera sur Nice & Toulon-Calvi, Ile Rousse et Bastia). Malgré l'apport substantiel de places que cela représente au total par rapport à la programmation initiale des compagnies, la réduction de l'offre par rapport à l'été 2014 est sensible, notamment à Nice et plus encore à Marseille. À Toulon en revanche, sur la première semaine d'août, la Corsica Ferries parvient, grâce à sa programmation supplémentaire, à combler le vide laissé par le retrait de la SNCM de cette ligne.

Après ce bilan morose, à quelles évolutions faut-il s'attendre pour les années à venir ? À très court terme, les perspectives sont plutôt sombres : suite au dépôt de bilan de la SNCM en novembre 2014, plusieurs bateaux de la compagnie ont progressivement cessé de desservir la Corse, si bien que l'offre maritime estivale est nettement réduite pour la saison 2015. Par rapport à 2014, les lignes de Corse devraient compter plusieurs ferries en moins, ce type de navires apparaissant comme plus compliqué à rentabiliser que les cargos mixtes et les Mega Express :
- l'Excelsior, affrété jusqu'alors par la SNCM à Grandi Navi Veloci pour les lignes Marseille-Corse, a été rendu à son propriétaire et n'est pas remplacé en 2015 ;
- le Corse, employé sur les lignes Nice-Corse de la SNCM jusqu'en 2014, ne devrait pas renaviguer en 2015 selon toute vraisemblance, la direction sortante de la SNCM ayant décidé de renoncer aux lignes de Nice (pour la première fois depuis la création de la compagnie, en 1976) et les candidats à la reprise de la compagnie n'ayant semble-t-il pas manifesté d'intérêt pour ce navire, mis en service en 1983 ;
- le Méditerranée, qui effectuait les liaisons Toulon-Bastia pour le compte de la SNCM en 2014, est désormais programmé entièrement entre Marseille, Tunis et Alger pour la saison 2015 ;
- quant au Danielle Casanova, suite au report à l'automne 2015 du processus de reprise, la direction actuelle de la compagnie a finalement programmé fin avril quelques rotations supplémentaires de ce navire sur la Corse en sus de sa programmation actuelle pour l'été 2015 entre Marseille et Tunis. Le Danielle Casanova effectue donc deux à trois allers-retours hebdomadaires
les week-ends de pointe entre Marseille et la Corse (sur Bastia, Ajaccio ou Propriano selon les jours). La possibilité de telles programmations complémentaires aux cargos mixtes de la compagnie avait été évoquée comme probable, depuis plusieurs mois, par la direction sortante (Transdev) mais cette possibilité avait jusqu'ici été écartée par le groupe Baja Ferries dirigé par Daniel Berrebi, qui en cas de reprise de la SNCM, aurait souhaité souhaité réserver dans un premier temps ce navire aux lignes du Maghreb pour pouvoir ouvrir par ailleurs avec le Méditerranée une ligne entre Marseille et Tanger au Maroc. Dans un second temps, à compter de 2016, il envisagerait la cession du Danielle Casanova à Baja Ferries, si bien qu'il pourrait potentiellement naviguer en mer des Caraïbes, Baja Ferries ayant obtenu en mai 2015 une des premières autorisations accordées par le gouvernement américain pour relier La Havane (Cuba) à Miami, en Floride !

Compte tenu de cette forte réduction programmée du périmètre de la SNCM sur la Corse et malgré une renforcement plus fort qu'annoncé initialement de l'offre estivale de la Corsica Ferries et de La Méridionale (suite notamment à la mise en service du Mega Andrea en juillet 2015, voir graphique ci-dessus et la page des nouveautés 2015), il semble difficile de pouvoir envisager autre chose qu'un repli des lignes maritimes de Corse pour l'été 2015, quand bien même les lignes ne seraient plus perturbées cette année par des conflits sociaux (en 2014, les navires de la SNCM avaient été totalement immobilisés du 24 juin au 10 juillet, ce qui avait beaucoup pesé sur la saison touristique d'après une étude de l'ORTC). Aussi, les perspectives pour 2015 apparaissent-elles au global plutôt négatives pour la Corse en 2015, dont les trafics maritimes devraient vraisemblablement repasser en dessous de ceux de la Sardaigne, et ce de manière nettement plus prononcée qu'en 2014.

Il faut donc espérer qu'à moyen terme, les facteurs positifs l'emportent sur les négatifs, ce qui dépendra de l'ampleur de la reprise économique et de la capacité des compagnies présentes à contenir la hausse de leurs tarifs, qui semble inévitable, non seulement en raison de la moindre pression concurrentielle, mais aussi en raison de facteurs plus structurels (rebond à attendre du prix du pétrole, adaptation des navires aux nouvelles normes anti-pollution à l'horizon 2020 en Méditerranée - à titre de comparaison, la Brittany Ferries a ainsi dépensé environ 15 millions d'euros par navire pour installer des filtres à particules, ce qui représente en tout un investissement colossal pour les opérateurs de ferries -, construction de navires selon les nouvelles normes de sécurité du "Safe return to port" qui imposent de dupliquer l'appareil de conduite des bateaux, coût encore très élevé des chantiers de construction, en particulier pour les ferries utilisant les nouvelles technologies de propulsion au GNL...). La solution pour contrer ces surcoût semble, à l'avenir, devoir passer par une "massification" du nombre de passagers transportés par navire, ce qui suppose de pouvoir faire naviguer des bateaux de plus grande taille - et donc que les infrastructures portuaires aient été en amont adaptées pour recevoir des navires de plus de 200 mètres, en particulier à Nice, à Bastia et à l'Ile Rousse - et que les compagnies puissent les remplir, ce qui laisse craindre une possible réduction du nombre de rotations et une plus grande concentration sur les axes principaux de la desserte...



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