Rien n'y aura fait. Ni
la baisse drastique du
montant de l'aide et son plafonnement à compter de 2010, ni
le renforcement de ses procédures
de contrôle dans le droit fil des préconisations
de la
Cour des comptes,
ni la mobilisation de la
Corsica
Ferries
- principale bénéficiaire du dispositif car
principal
transporteur de passagers entre la Corse, Toulon et Nice -
via sa
pétition qui a rassemblé plus de 14 500
signatures et ses
diverses actions en justice pour défendre ce
système. L'
Assemblée
de Corse
a décidé le 28 octobre 2012 la suppression du
dispositif d'aide sociale
à compter du 1
er janvier 2014,
prenant ainsi le contre-pied de l'avis de l'
Autorité de la
concurrence voire même le risque que la
Commission européenne
- dont M. Paul-Marie Bartoli, le président de l'
Office des transports de la Corse,
a déclaré sur
France 3 Corsele
26 septembre 2012 qu'il était "insensible aux pressions" -
ne vienne au final remettre en question le nouveau schéma
directeur. Pour bien comprendre les enjeux, les tenants et aboutissants
d'une telle décision, il est nécessaire de faire
un
retour en arrière afin de cerner les motivations qui avaient
présidé à l'instauration de ce
mécanisme et
celles qui ont conduit à l'abroger.
L'instauration d'un dispositif d'aide sociale sur les lignes maritimes
entre Toulon, Nice et la Corse à compter du 1er janvier
2002 s'est faite
par analogie avec un système analogue mis en place un peu
auparavant par l'Assemblée
de Corse
dans le secteur aérien sur les lignes dites de "bord
à
bord", c'est-à-dire les liaisons entre les
aéroports
insulaires et les villes côtières
françaises (Nice,
Marseille). Au début des années 2000, il
était
envisagé de lancer une délégation de
service
public maritime (DSP) pour les lignes Nice-Corse (en sus de celles de
Marseille), sur lesquelles opérait
déjà de longue
date la SNCM
et, depuis l'été 1996, la Corsica Ferries
(à l'aide de NGV, puis, à compter de 19991,
également avec des ferries classiques). Toutefois, le risque
souligné alors par certains observateurs était
que
l'appel d'offres au départ de Nice, auquel
s'intéressait
alors, entendait-on dans les médias, tant la Corsica Ferries que
divers opérateurs de ferries italiens ou grecs à
bas coûts, ne soit pas remporté par la SNCM.
Les subventions étant, dans le cadre des DSP,
attribuées de manière exclusive au vainqueur de
l'appel
d'offres, un tel scénario aurait de facto conduit
à un évincement de la SNCM des lignes
Nice-Corse.
Devant ce risque, les élus corses ont finalement2
préféré opter pour un
système plus ouvert
et moins coûteux dit de l'aide sociale au passager
transporté, dans lequel chaque compagnie qui respecte des
obligations de plafonnement des tarifs et de fréquence
minimale
de desserte tout au long de l'année peut
bénéficier d'une aide de la Collectivité
en échange d'une baisse des tarifs maritimes pour
certaines catégories de passagers. Auparavant, seuls les
délégataires du service public maritime -
à savoir La
Méridionale au départ de Marseille
et la SNCM
au départ de Marseille et de Nice - percevaient des
subventions en
contrepartie des obligations de service public maritimes et
pratiquaient des tarifs réduits, souvent jugés
peu avantageux par les
usagers de ces lignes (ainsi, la réduction de type "famille
nombreuse" était,
en pratique, généralement inférieure
à 30% du prix du passage piéton).
De 2002
à 2009, la
réduction permise par l'aide sociale était bien
supérieure puisqu'elle atteignait 15 € par personne et par
traversée,
soit une part substantielle du prix du billet : jusqu'à 75%
du prix hors taxes proposé par la Corsica Ferries
(le tarif le plus bas de la compagnie avait ainsi
été
ramené à 5 € hors taxes début
2002) ; dans un
souci d'économie, son montant unitaire a
été
ramené à 12 € par la Collectivité
territoriale de Corse à compter de 2010 et la
somme
globale distribuée à ce titre a
été
plafonnée à 16 millions d'euros par an (7
millions
d'euros sur les lignes de Nice et 9 millions d'euros sur celles de
Toulon, voir le premier bilan de ces ajustements dressé fin 2011 à la page
spéciale).
En outre, l'aide concernait des catégories bien plus larges
qu'auparavant (jusqu'à 65% des voyageurs de ces lignes)
puisqu'elle incluait tous les passagers dits sociaux
qui empruntaient les lignes Toulon-Corse et Nice-Corse ou vice-versa de
la Corsica Ferries,
de la Moby Lines3
et de la SNCMet
ce, quelle que soit la période de l'année au
cours de laquelle s'effectuait le voyage. Au vu de l'important
progrès qu'elle a représenté pour les
millions de passagers transportés, il serait inexact
d'écrire, comme certains, qu'il s'agissait là d'une aide
venant aider les compagnies pour qu'elles accordent des tarifs
réduits comparables à ceux pratqiués par toutes
les compagnies du monde...
Plus précisément,
les personnes concernées par cet avantage tarifaire
étaient les jeunes (moins de 25 ans), les
étudiants (moins de 27 ans), les
seniors (plus
de 60 ans), les familles (un
ou deux parents voyageant avec au moins un enfant mineur), les
personnes handicapées ou invalides
et leur accompagnateur éventuel et les résidants
corses (ces réductions ne sont
accordées que sur présentation de
pièces
justificatives). À noter que ce n'est que depuis 2002 que
les
résidents corses ont
bénéficié
d'une réduction à ce titre du tarif
passagers sur
ces lignes, et ce, quelle que soit la compagnie choisie par les
voyageurs4.
Le Mega Express Four
de la Corsica Ferries
dessert la Corse depuis sa mise en service
en novembre 2006. Il a été le
troisième navire de type Mega à
être positionné par la compagnie aux bateaux
jaunes sur les lignes de
Nice et de Toulon, alors régies par l'aide sociale, et a
notamment permis de développer les liaisons avec le port
d'Ajaccio.
Le
déploiement de l'aide sociale a, on l'a vu,
créé
un choc à la baisse sur les tarifs des compagnies maritimes
au
départ des ports de Nice et de Toulon pour la Corse et a, en
particulier, accompagné le développement de la Corsica Ferries sur
ces lignes, qui y a déployé un nombre croissant
de navires de type Mega
Express
au vu du succès commercial remporté. Ce
succès
sans précédent de la compagnie aux bateaux jaunes
qui a
engendré un fort développement des flux de
transport
(voir analyse détaillée au point suivant) a
focalisé l'attention sur le dispositif d'aide sociale qui a
commencé à susciter des controverses, voire des
jalousies, souvent injustifiées :
- certains médias ont tout d'abord
rapporté qu'il était reproché
à la Corsica
Ferries
de déduire une trop grande part de cette aide de ses tarifs
(ce
qui répondait pourtant à l'objectif
assigné
à une telle aide, qui était bien de diminuer
significativement le coût du passage pour les passagers
sociaux,
objectif que n'avaient auparavant que
très imparfaitement
atteints les dispositifs précédents !) avant de
finalement
arguer du fait que l'aide allouée ne correspondait pas
exactement à celle reçue par les passagers pour
justifier
le "rabotage" du dispositif décidé fin 2009 ;
- il a également
été affirmé, sans analyse solide, que
le
dispositif d'aide sociale n'était pas adapté
à la
Corse car il irait à l'encontre de l'étalement de
la
saison touristique : selon ses détracteurs, il aurait
renforcé les pointes saisonnières de trafic sur
les
lignes entre la Corse, Nice et Toulon au détriment des flux
en
période creuse et aurait ainsi favorisé un
"écrémage" du trafic maritime. Il aurait en outre
nui aux
lignes de service public au départ de Marseille en
"asséchant" sa clientèle la plus lucrative,
c'est-à-dire celle transportée en saison. Ces
assertions
ne résistent pas à une analyse
sérieuse des flux
de transports, comme l'a montré il y a plusieurs
années
déjà Mare
Nostrum Corsica dans sa réponse à
cette idée fausse en
comparant les flux transportés en 2006 à ceux
de 2001. Plus récemment, une analyse de la saisonnalité
des trafics maritimes publiée à l'automne 2013 sur le
site de l'Observatoire régional des transports de la Corse
vient confirmer ce fait : elle montre qu'avec seulement 62% des
passagers annuels transportés en saison estivale, c'est une
ligne régie par l'aide sociale (Bastia-Toulon) et non une
ligne régie par la DSP qui en 2012 est la moins
saisonnière de toutes les lignes continent-Corse ;
- il a aussi été dit - et répété, à tort - que
l'aide sociale ne profitait pas à la Corse mais en fait au
tourisme sarde : des touristes souhaitant passer leur vacances en
Sardaigne auraient "profité" de l'avantage ainsi
concédé en prenant leur billet vers la Corse au
départ de Nice ou de Toulon avant de poursuivre directement
leur
route vers la Sardaigne, via
Bonifacio, sans apporter de subsides à l'économie
Corse.
Outre que ces touristes auraient dans ce cas au minimum payé
deux fois dans chaque sens la taxe sur les transports à la
région Corse, cette affirmation est totalement absurde au vu
des
évolutions des flux de transport observées sur
la période. Dès 2009, Mare Nostrum Corsica
a montré, dans sa réponse à
cette autre idée fausse,
que l'extrême atonie des flux de passagers entre la Corse et
la
Sardaigne décrédibilisait totalement cette
thèse. Et si la Corsica Ferries
faisait bien la promotion de la ligne Bonifacio-Santa Teresa dans ses
horaires estivaux (où elle proposait, par ailleurs et de
manière totalement indépendante, des promotions sur ses
lignes continent-Corse et Italie-Corse), c'était sans aucun
doute pour contrer commercialement la Moby Lines
qui proposait - et propose toujours - aux italiens résidant dans
la péninsule italienne de se rendre en Sardaigne en traversant
la Corse ;
- il a ensuite été dit - et
écrit par la Cour
des comptes
notamment - que le dispositif d'aide sociale coûtait beaucoup
plus cher que prévu et souffrait d'une insuffisance de
contrôle - ce qui, en première analyse, est vrai,
car
l'analyse initiale du coût du dispositif menée par
la Collectivité
de Corse
n'avait pas pris en compte l'effet d'entraînement de
ce
dispositif sur les trafics maritimes et qu'il n'était pas
prévu de procédure administrative lourde de
justification
du nombre de passagers effectivement transporté par
les
compagnies. Toutefois, au vu des catégories très
larges
de passagers aidés, le plafonnement du montant total d'aide
à 65% de passagers mis en place dès
l'origine ne laissait
vraisemblablement que peu de place à des abus, de l'aveu
même de l'ancien président de l'Office des transports de la Corse,
Antoine Sindali. En tout
état de cause, un contrôle renforcé sur
base de
justificatifs a été mis en place suite
à la
réforme du dispositif de fin 2009, ce qui permet
d'ôter
tout doute à ce sujet.
Surtout, ce type de
raisonnement,
purement comptable, ne pouvait, par nature, pas intégrer
d'analyse de bouclage économique global du dispositif :
si l'aide sociale coûtait plus cher
que prévu, c'est
qu'elle engendrait davantage d'activité touristique
qu'attendu,
y compris hors saison, et qu'elle constituait donc un important
levier de développement pour la Corse. Cet argument n'a semble-t-il pas
été retenu, car lors de la réduction
drastique et
du plafonnement des montants d'aide sociale à 16
millions d'euros instauré à compter de 2010, seul
le
volet
"dépenses directes" pour la Collectivité semble avoir
été pris en compte. Outre les
retombées directes
en termes de taxe sur les transport, auraient gagnées
à
être intégrés au raisonnement les
fortes retombées
indirectes en termes de dépenses des touristes
supplémentaires que l'abaissement des tarifs des transport
permettait de générer (comme rappelé par l'ORTC dans ses analyses, il est prouvé que
contrairement à une idée reçue, les séjours
issus du transport maritime sont plus longs et donc plus
rémunérateurs que ceux issus du transport aérien).
Une analyse plus
approfondie
qui se serait appuyée sur l'ensemble des données
en la
possession
de l'Agence du tourisme
de la Corse
aurait vraisemblablement montré, qu'au global, l'aide
sociale
rapportait incomparablement plus à la Corse qu'elle ne lui
coûtait...
Si ce
raisonnement économique complet n'a pas non plus été
mené par l'Autorité
de la concurrence5, celle-ci a
conclu sans ambiguïté en février 2012
à la supériorité
du dispositif d'aide sociale -
dont elle préconisait la
généralisation à
l'ensemble des lignes, y compris celles de Marseille - sur celui de la
délégation de service public. Cet argumentaire a
été publiquement très
critiqué tant par les
dirigeants de la SNCM que
par ses syndicats qui préconisaient, à l'inverse,
une
généralisation de la
délégation de service
public maritime au port de Toulon dans l'espoir que celle-ci soit
attribuée à leur compagnie (La Méridionale
n'ayant pas manifesté de volonté de desservir la
Corse depuis Toulon en sus de ses lignes de Marseille). De fait, la CGT marins de la SNCM
qui a porté plainte en décembre 2013 pour réclamer
le remboursement des sommes versées dans le cadre de l'aide
sociale, n'a semble-t-il pas accepté que cette aide puisse
bénéficier aussi aux passagers de la Corsica Ferries,
qui ont pourtant, on l'a vu,
bénéficié par ce canal de forts gains de
pouvoir d'achat gràce à ce système entre 2002 et
2013.
Au
final, plus qu'à une véritable critique de fond
du
système, la décision de supprimer l'aide
sociale
à compter de 2014 semble plus répondre
à une
logique de recherche d'économies directes de la part de la
Collectivité
territoriale de Corse (qui
a, au passage, économisé davantage sur l'aide sociale -
16 millions d'euros par an - que sur la DSP accordée au duo
SNCM-La Méridionale, comme illustré dans cet
article thématique) et à une logique d'équilibrage des efforts
à
consentir entre compagnies, cette disparition étant
concomitante de celle des subventions du service
complémentaire sur Marseille assuré en
périodes de
pointe par les seuls ferries de la
SNCM.
Ironie du sort, fin décembre 2013 soit un an après le vote de l'
Assemblée de Corse mettant fin à l'aide sociale, on pouvait encore lire sur la page de présentation des transports maritimes de l'
Office des transports de la Corse que : "La situation de concurrence sur Nice ainsi que le fait que
sur Toulon n’existait pas de véritable service public ont
conduit, lors de l’examen du dispositif à mettre en place,
à partir de 2002, à sortir ces lignes de l’appel
d’offres et d’instituer un système d’aide
sociale aux passagers transportés déjà
pratiqué en aérien, les catégories visées
représentant près des deux-tiers du trafic total (jeunes,
vieux, familles et résidants dans l’île)." et que
"ce système, qui permet la concurrence, est en fait
mieux adapté pour la résolution du trafic de pointes
car plus incitatif pour les compagnies payées en fonction du
trafic réalisé, alors que dans la procédure
d’appel d’offres, elles peuvent se contenter de respecter
les mesures de capacités prévues au cahier des charges
même si celles-ci s’avèrent insuffisantes devant la
demande". Preuve de plus, s'il en était encore nécessaire, que ce
système a souvent été décrié
à tort et reconnaissance du caractère bénéfique de l'installation à
Toulon de la
Corsica Ferries
au début des années 2000, qui a créé un
véritable service public vers la Corse qui n'était
auparavant assuré par aucune autre compagnie...
En termes d'évolution du trafic passagers maritime, on peut
conclure schématiquement que le dispositif d'aide sociale au
passager transporté mis en oeuvre à compter de
2002 sur
les lignes entre Toulon, Nice et la Corse a accompagné la
montée en charge des lignes au départ du port
Varois sans
nuire au trafic des autres ports. Et ce, quoiqu'en disent certains
observateurs du dossier, qui n'ont semble-t-il pas suffisamment
analysé les chiffres du trafic maritime de la Corse. Cette
analyse se déduit du
rapprochement des flux de transports tels que mesurés par l'
Observatoire régional
des transports de la Corse (ORTC)
et de considérations relatives aux évolutions de
l'économie du transport maritime sur la période
2001-2012.
En première approche, si l'on compare les chiffres de
l'année 2012 (en fait, de l'année mobile
arrêtée à fin septembre) à
ceux de
l'année 2001, dernière année
précédant la mise en oeuvre du dispositif, les
évolutions du trafic passagers sont les suivantes : +57% sur
les
lignes Corse-continent français et -17% sur les lignes
Corse-continent italien, avec toutefois de fortes variations d'un port
français à l'autre, comme illustré au
tableau
ci-dessous.
Source : calculs Mare Nostrum Corsica
sur la base de données ORTC
; pour 2012 : année mobile à fin
septembre.
Pour chaque port continental français,
l'évolution est
nettement positive sur la période, qu'il
bénéficie
(cas de Toulon et Nice) ou non (cas de Marseille) du régime
de
l'aide sociale.
Toutefois, il est trompeur de raisonner sur cette
période car des changements substantiels sont intervenus
depuis
2010 et viennent fausser l'analyse :
- la dispositif de l'aide sociale a été
substantiellement
revu à la baisse depuis 2010 (de plus de 20%, voir article
thématique)
et est plafonné quelles que soient les évolutions
du
trafic tandis qu'auparavant, les sommes allouées par la Collectivité
territoriale de Corse épousaient la croissance
du trafic passagers ;
- depuis 2010, les subventions dont
bénéficie la SNCM
sur les lignes Marseille-Corse dans le cadre de la
délégation de service public (DSP) ont
progressé
très significativement. Comme en attestent les statistiques
de l'Office des
transports de la Corse (OTC), au
titre des seules lignes Marseille-Corse, la SNCM
a ainsi perçu 84,5 millions d'euros en 2010 (soit
près de
8 millions d'euros de plus qu'en 2009 !) alors que dans le même
temps les obligations de service public étaient
allégées (suppression de 108
traversées en
périodes de pointe). Cela a contribué
à permettre
à la compagnie de pratiquer une politique tarifaire
nettement
plus agressive sur les lignes de Marseille dans un contexte
marqué par la hausse des cours du carburant ;
- dans le même temps, une recomposition des lignes
en Méditerranée est intervenue : d'une part, la SNCM
a réduit significativement sa présence sur les
lignes
France-Algérie et France-Tunisie et à largement
réaffecté les navires qui les desservaient
à ses
lignes de Corse, au départ de Marseille puis de Toulon
à
compter de 2012 (et ce quoique la CGT de la compagnie ait dénoncé les déficits que la politique commerciale de la SNCM a généré sur cet axe hors DSP). D'autre part, depuis 2011, la crise touche
très durement
l'économie italienne et le trafic des ferries au
départ
de la péninsule - vers la Corse et, plus encore, vers la
Sardaigne - a entrainé des à-coups en
matière de desserte (arrivée de la Moby Lines
sur les lignes de Toulon en avril 2010 et retrait dès
février
2011, d'où le pic de trafic du port Varois
enregistré en
2010) ;
- enfin, le port de Nice a imposé aux compagnies SNCM et Corsica Ferries
des réductions de plages horaires de desserte à
compter
de 2010 et des baisses de capacité depuis 2011 (retrait d'un
navire pour chacune des compagnies en saison) pour limiter les
nuisances dues au trafic automobile, le port azuréen
étant situé au coeur de la vieille ville.
Pour toutes ces raisons, qui ont induit des évolutions assez
erratiques des trafics passagers depuis deux ans,
accompagnées
d'une chute des lignes italiennes et d'un net rebond des lignes
marseillaises qui ne sont ni l'une ni l'autre concernées par
le
dispositif d'aide sociale, il apparaît plus pertinent de
centrer
l'analyse sur la période 2001-2009, comme figuré
en
dernière colonne du tableau. Cette période
correspond en
effet à la fois à celle d'une application "non
bridée" du dispositif d'aide sociale et à une
conjoncture du secteur des ferries en
Méditerranée
occidentale plus stable.
Sur cette période, le trafic du port de
Nice a augmenté d'environ 20% : quoique
bien inférieure
à celle constatée sur Toulon, cette augmentation
est
d'autant plus remarquable que le trafic Nice-Corse avait
déjà pratiquement triplé entre 1995 et
2001
(passant d'environ 300 000 voyageurs par an à
près de 800
000) suite à l'entrée en service des NGV (voir
article
sur la
navigation
rapide).
En dépit du retrait progressif des NGV et de la
réduction sensible de la fréquence des dessertes
qui s'en
est suivie, le trafic du port azuréen a donc fait mieux que
se
maintenir sur la période, sans doute en grande partie
grâce à l'abaissement sensible du prix de billets
permis
par l'aide sociale. Rappelons qu'entre 2001 et 2002, le billet de base
hors taxe pour un passager empruntant les navires de la
Corsica Ferries est
ainsi passé de 20€ à 5€
hors taxes et que
la compagnie aux bateaux jaunes a été la
première
à déduire les 15 euros d'aide du prix de ses
billets, la
SNCM,
qui n'en déduisait jusque-là qu'une partie,
étant
alors contrainte de s'aligner en revoyant à
la baisse ses
tarifs réduits début 2002. Ironie du
sort, la baisse
sensible des tarifs de la
Corsica
Ferries permise
par l'aide sociale a alors donné lieu à
des
accusations de dumping alors que la remontée des tarifs
provoquée à partir de 2011 par les effets
conjugués de la révision à la baisse
de l'aide aux
compagnies et de la remontée des cours des combustibles a
été tout autant fustigée ! En bref, à la
lecture de certains médias, il semble de bon ton de critiquer la
Corsica Ferries, et ce qu'elle monte ou qu'elle baisse ses tarifs !
Sur cette même période 2001-2009, le
véritable
phénomène vient de la progression spectaculaire
du trafic
passagers du port de Toulon (+184%). Avant l'arrivée de la
Corsica Ferries en
décembre 2000, le trafic du port était
confidentiel
(moins de 100 000 passagers par an de 1997 à 1999) et bien
peu
d'observateurs croyaient en ses chances de développement :
alors
que dix mois sur douze, aucune navire ne reliait la Corse à
Toulon, on ne s'interrogeait pas alors sur le besoin d'un
éventuel service public maritime sur cet axe ! Pourtant, le
port
de Toulon n'était alors desservi
qu'occasionnellement en
haute saison par quelques navires de la
SNCM
suivant une programmation irrégulière qui
répondait davantage à une logique de
délestage du
port de Marseille en cas de nécessité ou de
rattrapage
des retards éventuels des navires en fin de week-ends. C'est
la
Corsica Ferries
qui a misé sur le port Varois et y a
développé
pour la première fois des lignes à
l'année en y
affectant des navires spécialement conçus pour
cette
desserte, les
Mega
Express.
Grâce à leur vitesse (jusqu'à 29 noeuds
en service
pour les plus rapides), ceux-ci ont l'avantage de naviguer de jour
comme de nuit, par tous les temps, et de réaliser chacun
jusqu'à 3 rotations par 24 heures sur les lignes
françaises, ce qui n'avait jamais été
le cas pour
des navires de cette taille auparavant. Ils ont également la
possibilité d'embarquer en sus des passagers et de leurs
véhicules une quantité non négligeable
de
remorques motorisées, ce qui a permis à la
compagnie aux
bateaux jaunes de développer
ex nihilo
un trafic fret non négligeable entre Toulon et la Corse
(plus de
20% de parts de marché dès 2009). On notera que
c'est ce
développement spectaculaire tant des trafics passagers que
du fret,
permis par ces innovations et largement accompagné
par la
réduction tarifaire permise par l'aide sociale au passagers,
qui
a conduit ses concurrents -
Moby
dans un premier temps en 2010,
SNCM
en 2012 - à investir à leur tour le port Varois.
Paradoxalement, alors que les dessertes entre Toulon et la Corse n'ont
cessé de se développer sous le régime
de l'aide
sociale, il semble que cette croissance ait également
amené en Corse le débat sur la question d'un
service
public maritime au départ de Toulon alors que les
règles
de concurrence rappelées par la
Commission européenne
semblent plutôt considérer qu'un besoin de service
public
devrait plutôt se justifier par une carence de service de la
part
des opérateurs privés...
Enfin, il faut noter que sur la période 2001-2009, les
trafics
des ports réputés "en concurrence" avec le
dispositif
d'aide sociale - que ce soit Marseille ou les ports italiens - ont
continué de se développer (+7% sur le premier,
+12% au
global pour les seconds). De même, et on tord là aussi le
cou à une idée reçue : l'analyse des chiffres du
fret
montre que la montée en charge du port de Toulon n'a pas
provoqué l'effondrement redouté au
départ de
Marseille, loin s'en faut : les statistiques de l'
ORTC
montrent que le tonnage net de marchandises sur les lignes de service
public Marseille-Corse est passé de 1 044 000 tonnes en 2001
à 1 087 000 tonnes en 2009, soit une hausse de plus de 4%.
L'analyse s'arrête ici à l'année 2009,
pour les
raisons évoquées plus haut, mais ses conclusions
ne
seraient absolument pas remises ne cause si celle-ci était
prolongée au-delà. À titre d'exemple, les
données de l'
ORTC
montrent que les trafics du port de
Marseille avec la Corse - tant en termes de passagers que de fret -
sont supérieurs en 2011 à ce
qu'ils étaient en 2009 (et donc, par voie de
conséquence, en 2001).
On ne peut donc pas valablement conclure
à une "cannibalisation" des lignes entre Marseille, l'Italie
et
la Corse par le dispositif d'aide sociale mis en place sur Nice et
Toulon, qui semble au contraire avoir
généré de
nouveaux flux de transport tant pour les passagers que pour le fret,
attirant une clientèle qui jusque-là ne se
rendait pas -
ou pas aussi souvent - en Corse et facilitant les
déplacements
des insulaires grâce au tarif
résident.