Mare Nostrum Corsica 

DSP maritime Marseille-Corse 2019-2020 : plus de fret, virtuellement moins de passagers ?
Le Monte d'Oro quittant Marseille, en juin 2018; photo : Nicolas Giovannetti
Le Monte d'Oro de la Corsica Linea quittant Marseille pour Ile Rousse, en juin 2018 ; photo : Nicolas Giovannetti. Plus ancien des cargos mixtes assurant le service public depuis Marseille, il pourrait être remplacé à terme par un navire de plus grosse capacité fret.


En même temps qu'elle renonçait à la reprise des Monte d'Oro et Paglia Orba et qu'elle prolongeait la délégation de service public (DSP) dite "de raccordement" en cours jusqu'à fin septembre 2019, l
a Collectivité de Corse a défini le 27 juillet 2018 le contour précis d'une nouvelle DSP de 15 mois courant d'octobre 2019 jusqu'à fin 2020. Cette nouvelle DSP, dite "courte", qui n'était initialement pas prévue, vise à permettre aux élus de tester en conditions réelles le nouveau système, plus durable, de fréquences et de capacités qui pourrait prévaloir dans la cadre du service public maritime de 2021 à 2030.

Le calendrier voté pour cette nouvelle délégation de service public courte est le suivant :

- lancement de la procédure d'attribution de la DSP de 15 mois : juillet 2018 ;
- remise des candidatures et des offres : octobre 2018 ;
- négociation avec les candidats : décembre 2018 / janvier 2019 ;
- finalisation de la procédure d'attribution du marché au(x) délégataire(s) : mars 2019 ;
- information de la Commission européenne : mars / avril 2019 ;
- choix de l'Assemblée de Corse et notification aux candidats retenus : mars / avril 2019 ;
- notification à la Commission européenne : avril 2019 ;
- début des services : 1er octobre 2019 ;
- fin de la DSP courte : 31 décembre 2020.

Cette DSP courte comporte plusieurs innovations, pour le transport du fret comme pour celui des passagers, examinées plus en détail aux points qui suivent. Elle fait suite à des consultations des opérateurs et des clients des compagnies, menées de février à mai 2018, qui ont amené la Collectivité de Corse à conclure qu'il était nécessaire de maintenir une DSP sur les lignes maritimes entre Marseille et la Corse ainsi que des obligations de service public pour les lignes entre Marseille, Toulon, Nice et la Corse. De manière très schématique, le "nouveau besoin de service public s'oriente principalement vers le transport de marchandises", comme le précise le rapport annexé à la délibération du 27 juillet 2018 sur lequel s'appuie cet article, mais "il existe toujours un besoin de service public qualitatif en matière de transport de passagers". Toutefois, une des principales nouveautés du rapport réside dans le fait qu'en théorie, si tout se passe suivant les principes énoncés par les élus corses, ce service passagers "ne devrait plus être compensé [financièrement] par la Collectivité de Corse, hormis sur la ligne Marseille-Propriano". 


À l'exception de l'Ile Rousse, plus de capacités exigées pour le fret, surtout sur Bastia et Porto Vecchio
Le Vizzavona arrivant à Marseille, en juillet 2018 ; photo : Jean-Pierre Fabre
Le Vizzavona de la Corsica Linea arrivant à Marseille, en juillet 2018 ; photo : Jean-Pierre Fabre. Positionné sur les lignes de Sardaigne et du Maghreb de la compagnie lors de la saison 2017, son importante capacité de transport de fret pourrait s'avérer précieuse pour répondre aux nouvelles prescriptions de l'Assemblée de Corse pour la desserte de l'île.


L'appel d'offres pour cette nouvelle DSP est lancé par lot (chacune des lignes entre Marseille et les 5 ports corses desservis correspondant à un lot), de manière à garantir une équité entre les candidats potentiels. Toutefois, il est expressément mentionné que, comme lors des précédentes délégations, il est possible de soumettre des offres pour l'ensemble des lots (comme le font habituellement Corsica Linea et La Méridionale) et que la Collectivité de Corse "se réserve le droit d'attribuer des marchés combinants les lots ou groupes de lots suivants".

S'agissant du fret, le premier tableau qui suit synthétise les fréquences et les capacités de transport exigées dans le cadre de la DSP courte Marseille-Corse qui prévaut à partir d'octobre 2019 (notée ici "DSP 2019-2020") pour chacun des lots et les compare à celles prévues dans le cadre de la DSP "de raccordement" jusqu'ici en vigueur (notée ici "DSP 2017-2019", celle-ci reprenait les spécifications de la DSP 2016-2017 dite "transitoire" précisées dans cet article thématique).



Source : annexe 1 de la délibération votée par l'Assemblée de Corse le 27 juillet 2018 sur le service public maritime.
Nota : conformément à celles mentionnées dans le rapport, l
es capacités sont exprimées ici dans un seul sens (Corse-continent ou continent-Corse).


En termes de fréquences
, celles-ci sont identiques entre les deux conventions pour chacun des ports de Corse desservis, si ce n'est que des rotations supplémentaires sont désormais institutionnalisées dans le cadre de la DSP 2019-2020 sur Bastia et sur Ile Rousse, à certaines périodes de pointe. Les fréquences sont également identiques en matière de transports de passagers et de fret, ce qui peut sembler discutable compte tenu des contraintes propres à chacun de ces secteurs et du fait, qu'en théorie, hormis sur la ligne Marseille-Propriano, seuls les flux de fret ont désormais vocation à être aidés financièrement par la Collectivité de Corse. Le rapport joint à la délibération adoptée le 27 juillet 2018 par l'Assemblée de Corse justifie ce point "dans la mesure où la plupart des navires qui exploitent des lignes Corse-continent sont des navires mixtes, les contraintes et exigences horaires propres au transport de marchandises se répercutent sur le transport de passagers", ce qui pousse la Collectivité à exiger "la mise en place d'une comptabilité analytique fine et étroitement contrôlée permettant de ventiler la structuration annuelle des coûts entre passagers et fret". Rien ne garantit néanmoins que cet objectif ambitieux pourra être atteint par les compagnies délégataires et que cette ventilation pourra être établie de manière incontestable aux yeux de l'ensemble des acteurs des transports maritimes de la Corse, de façon à éviter des subventions indues de trafics passagers n'ayant pas vocation à être aidés financièrement...

En termes de capacités fret en revanche, les évolutions sont franches par rapport à la DSP précédente. Les capacités minimales exigées sont ainsi globalement accrues de plus de 25%, pour atteindre 1,6 million de mètres linéaires de fret par an dans chaque sens. Tous les ports ne connaissent toutefois pas des évolutions similaires, les plus fortes hausses étant concentrées sur Bastia (+201 200 mètres linéaires de fret annuels, soit +33%) et sur Porto Vecchio (+64 000 mètres linéaires, soit +66%). Les accroissements de capacités pour le transport de marchandises sont moindres sur Ajaccio et Propriano, tandis qu'Ile Rousse voit ses exigences se réduire sensiblement (-13 600 mètres linéaires, soit -21%).

Ces fortes hausses des capacités exigées ne devraient pour autant pas provoquer de bouleversements profonds sur l'ensemble des lignes de Corse desservies au départ de Marseille, les capacités effectives d'ores et déjà mises en oeuvre par la Corsica Linea et La Méridionale étant, dans de nombreux cas, bien supérieures à celles requises par la DSP 2017-2019. Toutefois, elle pourrait inciter ces compagnies à recourir
sur ces lignes à des navires de plus grosse capacité fret, au moins à certaines périodes, comme par exemple le nouveau Vizzavona de Corsica Linea, cantonné jusqu'ici aux lignes de Sardaigne et du Maghreb lors de la saison 2017.

Ces évolutions des capacités requises sont vraisemblablement à rapprocher de la recherche d'une meilleure adéquation de l'offre de transport à la demande des transporteurs, les ports les mieux dotés étant globalement ceux pour lesquels les capacités fret étaient les plus proches de la saturation. Toutefois, la coïncidence entre offre et demande ne semble pas parfaite si l'on se fie aux dernières données (2017) de trafics annuels de marchandises publiées par
l'Observatoire régional des transports de la Corse (ORTC), comme figuré au tableau suivant.


Source : annexe 1 de la délibération votée par l'Assemblée de Corse le 27 juillet 2018 sur le service public maritime et statistiques de l'Observatoire régional des transports de la Corse (ORTC) pour les trafics 2017.
Nota : pour les besoins de la comparaison avec les trafics effectivement constatés, les capacités fret présentées ici le sont
dans les deux sens (Corse-continent et continent-Corse) et apparaissent de ce fait deux fois plus élevées que celles figurées au tableau précédent.


Ce deuxième tableau illustre le fait que les capacités minimales théoriques en matière de fret étaient effectivement proches de la saturation sur Porto Vecchio (81% sur la base des données 2017), mais que cela était moins net pour Bastia, Ajaccio et Ile Rousse (un peu plus de 70% chacun) et encore moins pour Propriano (49%). De ce fait, et sous réserve que l'année 2017 soit représentative du trafic des années futures (ce qui peut sembler une hypothèse raisonnable en première approche, cette année-là n'ayant pas été marqué par des événements sociaux ou exceptionnels particuliers), les taux de saturation des capacités théoriques requises dans le cadre de la nouvelle DSP courte aboutiraient à des taux de remplissage très différents par port. Sous cette réserve, les trafics frets d'Ile Rousse pourraient dès lors être proches de la saturation (92% dans la simulation effectuée en rapprochant les futures capacités exigées du réalisé 2017), tandis que les taux de remplissage théoriques chuteraient sur Bastia et Porto Vecchio de plusieurs dizaines de points, et dans des proportions moindres sur Ajaccio et Propriano. Si la remise à plat des capacités fret exigées induirait donc à court terme des surcapacités sur plusieurs ports insulaires, elle leur redonnerait des marges de croissance à moyen-long terme si ces obligations devaient être pérennisées jusqu'en 2030 (pour mémoire, la croissance des trafics marchandises de la Corse a été rapide ces dernières années, de plus de 19% sur Marseille entre 2012 et 2017 toujours selon l'ORTC, en lien avec le développement démographique et économique de l'île). 



En théorie, moins de capacités requises pour les passagers, sauf sur Propriano
Le Kalliste quittant Marseille, en juin 2018 ; photo : Nicolas Giovannetti
Le Kalliste de La Méridionale quittant Marseille pour Propriano, en juin 2018 ; photo : Nicolas Giovannetti. Jusqu'ici affecté principalement à la ligne Marseille-Propriano, ses capacités passagers sont insuffisantes pour qu'il réponde, tout du moins à lui seul, aux nouvelles prescriptions du service public maritime sur cette ligne.


Le même rapport joint à la délibération votée le 27 juillet 2018 par l'Assemblée de Corse considère "que les compagnies en libre concurrence", à savoir la Corsica Ferries, à titre principal, depuis Toulon et Nice, ainsi la Corsica Linea et La Méridionale depuis Marseille et la Moby Lines depuis Nice "sont en mesure de répondre à la demande globales des utilisateurs particuliers pour la desserte de quatre des cinq ports corses" et qu'il n'existe dès lors "plus de besoin quantitatif de service public entre les ports de Bastia, Ajaccio, l'Ile Rousse et Porto Vecchio". L'offre privée suffirait donc à répondre globalement à la demande des utilisateurs, sauf depuis le port de Propriano (seul des cinq ports cités à ne pas être desservi par la Corsica Ferries, qui assure des liaisons toute l'année avec les quatre autres plate-formes portuaires corses) et sauf dans certains cas particuliers (étudiants, transports sanitaires...). Aussi, le rapport estime-t-il nécessaire de conserver une liaison maritime sécurisée quotidienne entre Marseille et la Corse, pour un flux qu'elle estime à environ 100 000 voyages annuels de résidents. Il en résulte un abaissement drastique des capacités passagers théoriques exigées sur Marseille dans le cadre de la DSP, de 360 000 places par an auparavant à 91 000 dans le cadre de la DSP courte, comme figuré au troisième tableau suivant.

S'agissant de la complémentarité des jours d'escales entre les ports de Porto Vecchio et de Propriano, déjà recherchée lors des trois précédentes délégations de service public mais restée jusqu'ici un voeu pieu, il est de nouveau mollement indiqué que : "les services [de Porto Vecchio] peuvent se faire un jour sur deux en alternance avec Propriano dans une logique d'amélioration de la desserte du sud de la Corse", mais il ne s'agit là que d'un simple conseil, non contraignant. Pourtant, il y aurait une vraie logique à ce que cette complémentarité des deux ports secondaires du sud de la Corse voie le jour et ce d'autant plus désormais qu'une capacité passagers significative n'est requise que sur la ligne Marseille-Propriano, la ligne Marseille-Porto Vecchio pouvant être consacrée très majoritairment au fret et donc être bien moins tributaire du calendrier touristique. En clair, les départs de Marseille pour Propriano pourraient en théorie avoir lieu les lundis, mercredis et vendredis soirs et ceux pour Porto Vecchio trois autres soirs de la semaine, sans qu'il soit désormais plus nécessaire de maintenir la liaison Marseille-Porto Vecchio du vendredi soir la plus prisée des touristes... 


 

Source : annexe 1 de la délibération votée par l'Assemblée de Corse le 27 juillet 2018 sur le service public maritime. Les capacités sont exprimées ici dans un seul sens (Corse-continent ou continent-Corse).


Les capacités de transports de passagers exigées depuis Marseille dans le cadre de la DSP courte sont donc désormais quasiment toutes concentrées sur le port de Propriano, sur laquelle l'offre passagers à offrir depuis Marseille monte à 66 000 places annuelles dans chaque sens, contre 22 800 dans le service public en vigueur jusqu'à fin septembre 2019 (soit +190%). Une telle hausse des capacités à fréquences exigées inchangées (3 allers-retours par semaine sur ce port) pose immanquablement la question des moyens navals affectés à la desserte Propriano-Marseille, le Kalliste de La Méridionale ne suffisant plus - tout du moins à lui seul - à atteindre ce niveau d'offre de transport. Cela pose aussi la question de la complémentarité ou de la substituabilité des ports de Propriano et d'Ajaccio, distants de 68 kilomètres, le rapport de l'Assemblée de Corse précisant que plusieurs acteurs en présence s'opposent sur ce sujet...

Sur les autres ports de Corse, les capacités passagers exigées de et vers Marseille sont en revanche très fortement réduites (de l'ordre de -90%). Cela ne signifie pas pour autant que les capacités réellement mises en oeuvre par les compagnies délégataires le seront aussi dans les faits : les fréquences exigées de transport du fret et des passagers étant identiques, ces deux formes de transport seront très probablement assurées dans la majorité des cas par les mêmes navires. Or, la capacité passagers des navires mixtes a plutôt tendance à s'élever ces dernières années : ajout de nouvelles cabines sur les Pascal Paoli de Corsica Linea et Piana de La Méridionale, mise en service par Corsica Linea d'un cargo mixte de plus grande capacité, le Vizzavona, non seulement pour le fret (2 500 mètres linéaires), mais aussi pour les passagers (près de 800, contre un maximum de 500 à 750 auparavant)... Sauf changements radicaux dans les navires assurant la desserte Marseille-Corse, il est donc très probable que la capacité passagers effectivement mise en oeuvre se maintienne à son niveau actuel, voire s'élève paradoxalement, compte tenu des rotations supplémentaires requises pour le fret sur les ports de Bastia et d'Ile Rousse et des capacités nouvelles exigées sur Propriano ! On aboutirait dans ce cas à l'inverse de l'effet attendu (et souhaité par les élus corses), avec les risques de contestation juridique de la part des opérateurs opérant sur le marché libre que cela pourrait engendrer, car il sera difficile de prouver que ces capacités supplémentaires ne font pas l'objet implicitement de subventions publiques...

Cette organisation de la desserte considère en effet que les transports de passagers et de marchandises de et vers Marseille constituent toutes deux un service public mais que seules les marchandises ont vocation à être subventionnées. Cela constitue aux yeux des observateurs avertis un des principaux points faibles de cette nouvelle délégation de service public, avec la méthodologie d'évaluation des besoins de service public. 
En particulier, Patrice Salini, consultant spécialiste des transports, ancien directeur de Cabinet du secrétaire d'État aux transports (Charles Josselin) et auteur notamment en 2017 du très documenté ouvrage "La tumultueuse histoire de la desserte maritime de service public de la Corse" a publié le 14 août 2018 un avis d'expert dans Corse Matin dans lequel il fustige plusieurs aspects conceptuels de cette nouvelle DSP courte. Prévoyant que "le dispositif va susciter de nombreuses critiques", il conteste notamment la méthode retenue pour évaluer le besoin de service public. L'objectif du test de marché mené par la Collectivité de Corse étant d'estimer s'il existe un besoin de service public "dans des conditions normales de marché", il ne semble pas adéquat de tenter de le mesurer en comparant, comme cela est fait, "la différence entre les flux passagers et fret effectivement constatés et l'offre capacitaire théorique des compagnies hors DSP" puisque cette offre est précisément la résultante du fait qu'il existe aujourd'hui une DSP avec une offre de transport majeure proposée sur Marseille, tout du moins pour le transport des marchandises.



Pour la première fois, des besoins de service public maritime modulés selon les mois
L'arrivée à Marseille du Girolata, en juillet 2018 ; photo : Jean-Pierre Fabre.
L'arrivée à Marseille du Girolata de La Méridionale, en provenance d'Ajaccio, en juillet 2018 ; photo : Jean-Pierre Fabre. D'après les dirigeants de La Méridionale, ce navire ou le Kalliste pourraient être remplacés par un nouveau cargo mixte à l'horizon de la prochaine délégation de service public 2020-2030.


Comme présenté aux deux graphiques suivants, tant pour
les passagers que pour le fret, les besoins de service public tels que mesurés par le rapport ne sont pas identiques d'un mois à l'autre. Aussi, la DSP courte prévoit-elle pour la première fois des modulations selon les mois des capacités de transport pour le fret ainsi que, plus classiquement [1], pour les passagers de et vers Propriano. 



Nota : les capacités sont exprimées ici dans un seul sens (Corse-continent ou continent-Corse).

S'agissant des passagers, les flux exigés sur Bastia et Ajaccio (833 voyageurs par sens et par mois) et sur Ile Rousse et Porto Vecchio (208 par sens et par mois) ne sont pas modulés au mois le mois, vraisemblablement au vu de leurs niveaux extrêmement faibles. En revanche, ceux de la ligne Marseille-Propriano le sont, avec fort logiquement des pics atteints en été (12 400 places par sens en juillet et 14 500 en août) et des creux hors saison (le mois le plus creux étant mars avec 1100 places par sens). Cet accroissement de l'offre estivale de transport présente le risque de susciter des contestations juridiques de la part des opérateurs présents sur le marché concurrentiel - au même titre que ceux du service complémentaire assuré par la SNCM en ferry il y a quelques années - surtout si les ports de Propriano et d'Ajaccio devaient être considérés comme substituables, l'offre de transport de la Corsica Ferries étant déjà abondante sur Ajaccio.


Nota : les capacités sont exprimées ici dans un seul sens (Corse-continent ou continent-Corse).

S'agissant du fret, les flux sont modulés au mois le mois sur l'ensemble des ports de Corse, les variations saisonnières les plus marquées étant dans l'absolu celles observées sur les ports principaux de Bastia et d'Ajaccio. À la différence de la modulation retenue pour les passagers toutefois, l'offre la plus abondante n'est pas exigée en été mais lors des périodes précédant les vacances scolaires : en mars en vue des congés de printemps, en mai-juin, en amont de la saison estivale et en novembre, en préparation des congés de fin d'année.


DSP et OSP sur les lignes maritimes de Corse : quelle compatibilité, quelle tenabilité ?
Pascal Lota et Pascal Paoli à Bastia, en avril 2018 ; photo : Romain Roussel
L'arrivée du Pascal Lota de la Corsica Ferries à Bastia, en avril 2018, devant le Pascal Paoli de la Corsica Linea ; photo : Romain Roussel. L'articulation des lignes de la délégation de service public (DSP) Marseille-Corse avec celles sous obligation de service public (OSP) de et vers Nice et Toulon serait potentiellement fragile.


La délégation de service public sur Marseille continue de cohabiter avec des obligations de service public, plus légères, définies entre Marseille, Toulon, Nice et les ports de Corse pour les compagnies opérant en dehors de cette DSP (voir tableau ci-dessous, qui remplace celui précédemment en vigueur depuis 2013 présenté dans cet article thématique) ; c'est le cas notamment en 2018 de la Corsica Ferries (depuis Toulon et Nice vers Bastia, Ajaccio, l'Ile Rousse et Porto Vecchio) et de la Moby Lines (de Nice vers le seul port de Bastia).



Source : annexe 1 de la délibération votée par l'Assemblée de Corse le 27 juillet 2018 sur le service public maritime
Nota : dans son édition du 28 juillet 2018 relative au vote de ces nouvelles OSP, Corse Matin évoque le fait que les obligations auraient été durcies sur dans le cadre des OSP pour être portées de 1 à 2 rotations par semaine minimum en hiver sur les liaisons entre les ports d'Ajaccio et de Bastia et les ports continentaux. Ce point n'a pu être vérifié par Mare Nostrum Corsica, les amendements adoptés n'ayant pas été mis en ligne sur le site de l'Assemblée de Corse au jour de la rédaction de cet article. Si tel était le cas, cela pourrait remettre en cause l'équilibre prévalant jusqu'ici entre DSP et OSP, les compagnies non subventionnés dans le cadre des OSP (Corsica Ferries à titre principal et Moby Lines à titre secondaire) devant alors assumer à leurs frais une charge de rotations supplémentaires en hiver sur les lignes de Nice.


L'articulation entre DSP et OSP risque de poser de nouveau difficulté. En particulier, Patrice Salini critique dans son article du 14 août 2018 le niveau des nouvelles OSP votées ainsi que l'absence d'interrogation ou d'étude économique relative à des services Ro-Ro purs (navires ne transportant que des marchandises et au plus 12 passagers par voyage) ou à des traversées avec escale, qui auraient permis d'éclairer le débat sur les coûts. 

Pouvoir proposer des traversées avec escale aurait en effet pu constituer une piste intéressante, tout du moins pour les ports secondaires en périodes creuses. Des traversées avec escale auraient en effet potentiellement pu limiter substantiellement le coût de la DSP courte sans porter préjudice à la régularité de la desserte des ces ports, voire en l'améliorant à moindres frais : puisque des navires mixtes sont disponibles tous les jours à Bastia comme à Ajaccio, et pas seulement trois fois par semaine, jusqu'à 14 escales par semaine depuis Marseille auraient en théorie pu être effectuées sur les trois ports secondaires de l'île (Ile Rousse, Propriano et Porto Vecchio), alors que la DSP courte ne prévoit au total que 9 escales hebdomadaires pour ces ports. Elles auraient aussi permis de limiter la pollution émise par les cargos mixtes dans les ports de Corse, en diminuant leur durée moyenne d'escale. En effet, aujourd'hui les navires mixtes de la Corsica Linea et de La Méridionale passent la journée à quai, généralement de 7h du matin à 19h), alors qu'il n'existe pas encore en Corse de possibilité de branchement électrique à quai qui viendrait limiter les émissions polluantes [2], tandis que les ferries de la Corsica Ferries par exemple restent rarement amarrés plus d'une heure à quai... Cela ne devrait donc pas changer dans le cadre de la DSP courte, dont on peut noter que les horaires de départ des navires ont été modifiés à la marge par rapport aux précédentes DSP (ils peuvent désormais partir le soir jusqu'à 20h30 au lieu de 20h jusqu'ici).



En termes de tarifs, la logique suivie par le rapport adopté par l'Assemblée de Corse renoue avec les fondamentaux historiques de la continuité territoriale de 1976  - à ceci près que la référence n'est désormais plus le train, mais la route - puisqu'elle consiste à "se rapprocher du tarif de l'équivalent routier afin de limiter le préjudice de l'insularité". A donc été menée "une estimation du tarif au mètre linéaire de la distance maritime entre la Corse et le continent en supposant qu'elle soit équivalente à la distance terrestre", qui conclut qu'il apparaît opportun :
-
de réduire de nouveau le tarif du mètre de fret, roulant conventionnel de 42,5 euros à 35 euros dans le cadre du régime d'OSP et de 40 euros à 35 euros dans le cadre du régime de la DSP ;
- de maintenir à 20 euros du mètre linéaire les tarifs "export" ou "matière première" et à 15 euros du mètre linéaire le tarif "export plus", tels que définis par la précédente DSP (voir article thématique dédié définissant ces concepts) ;
- de réduire d'environ 25% le tarif résident des passagers et des véhicules sous OSP et sous DSP (ces tarifs passagers résident passeraient de 35 euros à 26 euros hors taxes et ceux de leurs véhicules seraient désormais compris entre 33 et 41 euros selon leur longueur, contre 46 à 56 euros auparavant sous OSP et 44 à 54 euros sous DSP), les tarifs résidents des cabines restant compris entre 45 et 49 euros.

Afin de se prémunir contre la volatilité des coûts des combustibles et de ne faire supporter le surcoût éventuel dû à la hausse du prix du pétrole ni à la Collectivité, ni aux usagers, il est demandé aux compagnies de se couvrir pour l'ensemble de la période de la DSP (octobre 2019 - décembre 2020) contre une remontée de ces cours. Le rapport omet toutefois de préciser que ces opérations de couverture, souscrites auprès d'organismes financiers, ont un coût et que celui-ci sera nécesairement répercuté à la hausse sur les exigences financières des candidats à la DSP. En outre, il faudra sans doute trouver d'autres solutions à terme pour la DSP de 10 ans qui succèdera à la DSP courte, les opérations de couverture ne pouvant, de manière réaliste, pas porter sur des durées aussi longues.

Avant même son attribution aux délégataires, la DSP courte 2019-2020 suscite donc des questionnements de plusieurs natures. Il reste à espérer que ceux-ci ne soient pas aggravés si les lignes à plus fort trafic, potentiellement les plus rentables, devaient continuer d'être les plus subventionnées (selon le rapport annexé au vote de l'Assemblée de Corse du 27 juillet 2018, dans le cadre de la DSP d'octobre 2016 à septembre 2017, sur les 78,8 millions d'euros de subventions versées à Corsica Linea et à La Méridionale, 44,8 millions, soit plus de 56% du total, l'auraient été au titre des seules lignes principales Marseille-Bastia et Marseille-Ajaccio) et ce, alors même que certains opérateurs en présence avaient publiquement indiqué à leur arrivée sur ces dessertes qu'ils pourraient se passer de subventions sur ces liaisons...


Le départ de Marseille du Jean Nicoli de Corsica Linea en juillet 2018 (photo : Jean-Pierre Fabre)
Le départ de Marseille
du Jean Nicoli de Corsica Linea en juillet 2018 (photo : Jean-Pierre Fabre), qui dessert principalement les ports de Porto Vecchio et d'Ajaccio.


--------------------------------------------------------------------------------------
Notes

[1] C'était en particulier le cas dans les délégations de service public plus anciennes (jusqu'à fin 2013, la DSP ayant débuté en 2014 y ayant mis fin), qui prévoyaient un service complémentaire de ferries l'été sur les ports de Bastia, Ajaccio et Propriano au départ de Marseille. Pour mémoire, ces services complémentaires d'été assurés alors par des ferries de la SNCM ont finalement été jugés illégaux par les tribunaux compétents, car entraînant des distorsions de concurrence avec les services non subventionnés de la Corsica Ferries sur la Corse au départ de Toulon et de Nice.

[2] Un tel service est proposé depuis début 2017 à Marseille et La Méridionale y a recours (elle en fait activement la promotion depuis 2018 sur la coque de ses navires qui présentent désormais un logo électrique avec la mention "Je préserve notre planète - Electric Plug-In", voir ci-dessus la photo du Kalliste par exemple). La Corsica Linea devrait en bénéficier aussi d'ici 2019, mais toujours seulement à Marseille, faute d'équipement disponible (courant quai) dans les ports de Corse...


Les photos et analyses présentées sur ce site sont la propriété de leur auteur (Romain Roussel, sauf mention contraire) et ne sont pas libres de droits

- Retour au sommaire des articles thématiques ou à la page principale de Mare Nostrum Corsica  - Haut de page