Mare Nostrum Corsica
La DSP Marseille-Corse de 22 mois de mars 2021 à décembre 2022 de nouveau largement en faveur de Corsica Linea

 Bastia, août 2020 ; photo : Romain Roussel
La Corsica Linea avait fait des offres séparées sur toutes les lignes maritimes Marseille-Corse, à l'exception de celle d'Ajaccio, partagée avec La Méridionale, très fragilisée depuis son éviction de Bastia en octobre 2019. Ici le Paglia Orba en août 2020 (photo : Romain Roussel) ; navire dont les cheminées ont depuis été modifiées à la suite de l'installation d'épurateurs de fumée aux chantiers de Malte.



Des DSP maritimes Marseille-Corse toujours bâties sur le même type de cahier des charges,
pour un coût par résident insulaire de loin le plus élevé en Méditerranée...


En attendant la création hypothétique d'une
compagnie régionale maritime Corse [1], plusieurs fois repoussée, un énième appel d'offres avait été lancé par l'Office des transports de la Corse, pour la desserte maritime de l'île depuis Marseille. L'appel d'offres portait cette fois sur une période de 22 mois allant de début mars 2021 à fin décembre 2022 et faisait suite à de nombreux autres appels d'offres, pour des durées plus ou moins longues et à l'historique plus ou moins mouvementé au vu des nombreuses annulations et constestations en justice... Ces appels d'offres n'ont en effet pas permis, pour nombre d'entre eux, de garantir une concurrence suffisante entre les compagnies maritimes, ce qui constitue des barrières à l'entrée, ce que n'ont pas manqué de relever tantôt les tribunaux, tantôt la Commission européenne et l'Autorité de la concurrence, qui ont appelé - par écrit dans des documents rendus publics (cf. liens indiqués) - à des réformes en profondeur de ce dispositif. Pour autant, le cahier des charges voté à l'automne 2020 suite aux injonctions de la Commission européenne n'a pas permis de remettre véritablement à plat le dispositif, ni même d'en discuter les véritables fondamentaux, mais seulement de garantir un degré minimal d'ouverture, avec le retour du principe d'attributions "ligne à ligne" et non plus globales, comme cela n'avait été qu'une seule fois le cas par le passé (pour la DSP 2019-2021). Pour le reste, les modifications qui auraient pu être apportées afin d'accroître la compétitivité de ces appels d'offres (présentées en détail dans cet article thématique de Mare Nostrum Corsica) n'ont semble-t-il même pas été évoquées lors des débats de l'Assemblée de Corse...





Sources officielles (rapports successifs de l'Observatoire régional des transports de la Corse votés par la CdC de 2001 à 2020), mises en infographie par Mare Nostrum Corsica ; sigles : SNCM (Société Nationale maritime Corse Méditerranée) ; CMN (Compagnie Méridionale de Navigation, dite La Méridionale) ; CL (Corsica Linea), CF (Corsica Ferries). La nouvelle DSP votée le 25 février 2021 est de nouveau qualifiée de "transitoire".


Pourtant, on aurait pu penser que l'échec de l'attribution des lignes selon le schéma initialement envisagé pour la période 2021-2027 aurait conduit à une remise en question plus profonde du dispositif, ou tout du moins à de vrais questionnements et débats de fond... Rappelons que cette attribution avait en particulier achoppé sur les demandes de compensation financières bien trop élevées de la part du groupement Corsica Linea - La Méridionale : la facture annuelle aurait été 36% plus élevée que les estimations de l'Office des transports de la Corse sur la base de la reconduction du cahier des charges de service public précédemment en vigueur (soit un coût total de 776 millions d'euros pour la période 2021-2027, contre 570 millions d'euros estimés). Il se serait agit - de loin - de la délégation de service public maritime insulaire la plus coûteuse en Europe, l'Italie n'accordant "que" 72 millions d'euros par an jusqu'alors à la Tirrenia pour la desserte de la Sardaigne ! Par résident insulaire, les écarts entre le système de continuité territoriale maritime en vigueur en Corse et les autres dispositifs actuellement en vigueur ou étudiés pour les autres îles méditerranéennes est encore bien plus élevé. En effet, en Italie, pays où des travaux de réflexion de fond et des travaux comparatifs sont menés sur les modèles de continuité territoriale, une récente étude de l'Università degli Studi di Cagliari, parue en janvier 2021 en atteste. Intitulée La continuita territoriale marittima da e per la Sardegna, cette étude de haut niveau vise à simuler le coût de différents systèmes de continuité territoriale (pour le fret et les passagers) qui pourraient être applicables à la desserte maritime de service public de la Sardaigne. Comme le montre le graphique ci-dessous, issu de ces travaux, le système Corse est de loin le plus coûteux de ceux étudiés.


Source :
La continuita territoriale marittima da e per la Sardegna, tableau page 73 de cette étude de l'Università degli Studi di Cagliari, parue en janvier 2021. L'étude rapporte le coût des subventions publiques versées chaque année pour la desserte de service public maritime (110 M€ par an sur les Baléares, 100 M€ sur la Corse et 57 à 99 M€ par an selon la variante mixte fret plus passagers étudiée sur la Sardaigne) à la population de ces îles (1,11 million dans les Baléares, 339 000 en Corse et 1,64 million en Sardaigne). Les données prises en compte dans cette étude sont celles de 2019.

 



Trois compagnies étaient candidates, avec un partenariat Corsica Linea- La Méridionale réduit à la seule ligne d'Ajaccio, La Méridionale ayant définitivement abdiqué sur Bastia
Bastia, février 2019 ; photo : Romain Roussel
Le Piana (ici à Bastia, en février 2019 ; photo : Romain Roussel) va naviguer sur Ajaccio-Marseille, La Méridionale ayant emporté cette ligne avec la Corsica Linea. L'avenir des autres navires de la compagnie ne sera pas sur les lignes de Corse, deux d'entre eux (les Girolata et Pelagos) devant naviguer sur la nouvelle liaison de La Méridionale reliant la France au Maroc (Marseille-Tanger) quand les frontières extérieures de l'UE auront rouvert.


Le rapport de l'Office des transports de la Corse (OTC) a finalement été adopté par les élus corses à la quasi-unanimité le 25 février 2021 (52 voix pour, aucune contre et 11 non participation). Sans aucune surprise, la Corsica Linea se taille la part du lion, La Méridionale remporte les accessits et la Corsica Ferries est de nouveau totalement écartée... A elles deux, les compagnies aux bateaux rouges et celle aux bateaux bleus empochent donc 164 millions d'euros de subventions pour la desserte des 5 lignes prévues avec Marseille pour une durée de 22 mois, ce qui continue de faire de la DSP corse de loin la plus chère des îles de Méditerranée ! Pourtant, l'unanimité des élus se satisfait visiblement de cette solution au vu des déclarations faites lors du vote, qui conforte les choix de service public faits jusqu'ici, envers et contre toutes les critiques de fond venues tant de la Commission européenne (note publiée le 7 août 2020) que de l'Autorité de la concurrence (dans son avis rendu public le 17 novembre 2020), qui n'ont absolument pas été comprises - ni même écoutées ? - dans l'île...

Quelques éléments avaient filtré dans la presse à la date de remise des offres, le 14 décembre 2020 et, deux mois avant l'attribution officielle, Mare Nostrum Corsica publiait déjà le nom des "vainqueurs", ligne par ligne, tant le résultat du vote était prévisible ! Trois compagnies étaient donc de nouveau candidates à cette DSP : la Corsica Linea, La Méridionale et la Corsica Ferries. La Corsica Linea aurait répondu pour les dessertes de Marseille avec l'ensemble des 5 ports de l'île (Bastia, Ajaccio, Propriano,Porto Vecchio et Ile Rousse), en partenariat avec La Méridionale (un bateau chacune) sur le seul port d'Ajaccio et en solo sur chacune des autres lignes. La Méridionale aurait aussi répondu seule sur l'un des autres ports secondaires (Porto Vecchio ou, plus probablement Propriano, où elle est implantée de plus longue date). La compagnie aux bateaux bleus a en revanche totalement abdiqué sur la desserte Marseille-Bastia où elle était présente jusqu'à son éviction par Corsica Linea début octobre 2019 : La Méridionale a fermé courant décembre 2020 son agence bastiaise et n'a plus postulé sur le principal port de l'île, laissait la voie libre à sa concurrente aux bateaux rouges. Sans doute la Corsica Linea n'aurait-elle pas accepté un nouveau micro-partenariat avec La Méridionale sur Ajaccio si cette denrière était venue lui contester son monopole sur Marseille-Bastia, ce qui se serait traduit par un pouvoir de négociation plus fort de l'Assemblée de Corse sur ces deux lignes principales... De fait, certains observateurs attentifs du dossier notent que les offres de ces deux compagnies semblaient cousues de fil blanc et que, compte tenu des outils navals proposés et de montants de compensation financière demandés, les offres de Corsica Linea sur Propriano (qui proposait initialement sur cette ligne le Danielle Casanova, d'après le rapport de l'OTC, alors qu'elle dispose pourtant depuis l'affrètement du A Nepita à l'été 2020 d'un cargo mixte supplémentaire qui aurait parfaitement pu venir en renfort) et de La Méridionale sur Porto Vecchio n'avaient quasiment aucune chance d'être retenues et servaient, semble-t-il, plus d'alibi de compétition entre ces deux compagnies... Ce que ne manqueront sans doute pas de relever les services de la Commission européenne en charge de la concurrence qui suivent ce dossier de près.

La Corsica Ferries avait quant à elle répondu seule sur l'ensemble des 5 ports de l'île, mais ses offres n'ont pas été jugées recevables pour des "raisons techniques", évoque le rapport de l'OTC, la compagnie aux bateaux jaunes ayant été d'emblée écartée de la négociation pour avoir proposé sur la majeure partie des lignes - mais pas sur toutes, point qui a son importance... - des fréteurs purs, comme détaillé à la section suivante. Cette option technique - audacieuse et dans le droit fil des suggestions de la Commission européenne, faites publiquement à l'été 2020 - a été fustigée par les élus, la présidente de l'Office des transports de la Corse, Vanina Borromei, ayant notammé déclaré qu'elle "regrette qu'on en soit encore à se demander si le service public concerne aussi les passagers alors que c'est son essence même". Rappelon toutefois que l'organisation de la desserte maritime de service public de la Corse (en termes de capacité des navires et d'horaires notamment, mais aussi de choix du port de Marseille comme tête de pont continentale) se fait pour autant essentiellement autour de la question du transport du fret...

Les moyens navals mis en oeuvre par les compagnies délégataires reconduites pour la période allant au moins jusqu'à fin 2022 (voir jusqu'à fin juin 2023, une porlongation étant d'ores et déjà envisagée), à savoir Corsica Linea et de La Méridionale, proposent donc sur ces lignes les cargos mixtes déjà en service sur la Corse. Conformément aux hypothèses de Mare Nostrum Corsica, on devrait donc retrouver :
- sur Bastia, deux navires de Corsica Linea, à savoir les Pascal Paoli et
Vizzavona ou le Paglia Orba à certaines périodes ;
- sur Ajaccio,
le Piana de La Méridionale et le A Nepita de Corsica Linea ou le Vizzavona à certaines périodes;
- sur Ile Rousse, le Monte d'Oro de Corsica Linea, affecté à cette desserte depuis de nombreuses années ;
- sur Porto Vecchio, le Jean Nicoli de Corsica Linea, qui effectuait cette desserte jusqu'en octobre 2019 ;
- sur Propriano, le Kalliste de La Méridionale, placé de longue date sur cette ligne.

Les négociations utiles avec ces deux compagnies se sont déroulées tout au long du mois de janvier 2021 et le marché a de nouveau été attribué
par l'Assemblée de Corse de nouveau quelques jours à peine avant sa date de début, prévue normalement le 1er mars 2021, laissant encore très peu de temps aux compagnies retenues pour s'adapter...





Un retour de la Corsica Ferries dans la procédure qui aura au moins permis de montrer qu'un autre système est possible et de partager des éléments étayés de comparaison des coûts...
Bastia, août 2020 ; photo : Romain Roussel
La Corsica Ferries a aussi répondu de nouveau à l'appel d'offres avec une offre novatrice recentrée sur le fret et financièrement très compétitive. Systématiquement écartée jusqu'ici, la compagnie aux bateaux jaunes concourt-elle vraiment sur un pied d'égalité avec ses concurrentes ? Ici, le Mega Express de la Corsica Ferries croise le Pascal Paoli de Corsica Linea à la sortie du port de Bastia (photo Romain Roussel, prise en août 2020).
 

Les offres officielles des postulants à cette nouvelle DSP longue ont été remises à l'Office des transports de la Corse le 14 décembre 2020. La Corsica Ferries y a finalement été candidate, bien qu'elle n'ait jamais été retenue lors des précédents appels d'offres de ce type, dont elle conteste en justice les attributions.

Les mystères des attributions de la ligne Marseille-Propriano

Déjà en 2020, une controverse avait émergé en lien avec l'attribution de la DSP maritime sur la ligne Marseille-Propriano. En effet, l'attribution in fine de la ligne Marselle-Propriano à La Méridionale pour la saison 2020, sur laquelle l'OTC avait initialement classé l'offre de la Corsica Ferries en première position, avait déjà étonné nombre d'observateurs du dossier. Pour mémoire, après négociations, la Corsica Linea demandait alors pour cette desserte une compensation financière de 17,71 millions d'euros pour la période de 11 mois allant de février à décembre 2020, contre 11,98 millions d'euros pour La Méridionale et 8,39 millions d'euros pour la Corsica Ferries selon le rapport de l'OTC. Pour autant, la Collectivité territoriale de Corse (CTC) n'avait alors, sur ces bases, confié aucune ligne, ni à La Méridionale, ni à la Corsica Ferries en janvier 2020 du fait des préconisations de l'OTC !

Sur la ligne Marseille-Propriano, la compagnie aux bateaux jaunes avait proposé le Corsica Marina Seconda. Son offre technique avait - cette fois là - pourtant été jugée tout à fait recevable et, compte tenu de la moindre compensation financière demandée, la compagnie avait fini première avec un score de 86 points sur 100, contre 80 points sur 100 pour La Méridionale et seulement 59 points sur 100 pour la Corsica Linea. C'était la première fois que la Corsica Ferries sortait en première position d'un appel d'offres lancé par l'Assemblée de Corse. Mais, dans une étude qui n'avait pas été annoncée au préalable, fort opportunément confiée à la société Odyssée développement postérieurement à la publication du cahier des charges et au lancement de l'appel d'offres, l'OTC avait finalement décidé de remesurer le besoin de service public qui ressortirait sur ces lignes. Cette étude a révélé que : "que le besoin de service public lié à la desserte, aussi bien du port de Portivechju que celui de Prupià, avait évolué depuis les études à partir desquelles cette consultation a été élaborée et lancée" aux dires du rapport de l'OTC... ce qui n'a rien d'étonnant, les trafics des différents ports de Corse évoluant chaque année : si une telle étude avait aussi été commanditée sur les lignes des ports principaux attribuées à Corsica Linea, de telles variations auraient sans doute aussi été constatées ! A ceci près qu'il est pour le moins surprenant que seules les lignes de Propriano et Porto Vecchio aient fait l'objet d'un tel traitement, de surcroît après le lancement par deux fois à quelques mois d'intervalles d'appels d'offres de courtes durées... Il est d'autant plus étonnnant que les résultats de cette étude n'aient pas non plus remis en cause les spécifications des navires finalement retenus pour ces dessertes lors de l'appel d'offres suivant, les deux navires de La Méridionale retenus fin avril 2020 ayant cette fois été déclarés conformes aux besoins de la DSP, alors même que leur capacité et leurs caractéristiques n'avaient pas du tout évolué...

Cette fois-ci, pour la période 2021-2022, les offres de la Corsica Ferries ont été jugées d'emblée irrecevables sur toutes les lignes. Pour autant, si le rapport de l'OTC indique bien le nom de l'ensemble des navires proposés par les différentes compagnies sur chacune des lignes, ce n'est pas le cas sur celle de Propriano pour l'offre de la Corsica Ferries, sur laquelle le rapport ne précise pas s'il s'agit d'un navire mixte ou d'un fréteur pur. Le rapport se contente en effet d'indiquer que "la Corsica Ferries présente un navire qui ne répond pas aux exigences de passagers et de convoyeurs", au motif semble-t-il que "le candidat ne justifie pas le nombre de cabines disponibles". S'agissait-il effectivement d'un fréteur pur ou bien la compagnie avait-elle proposé de nouveau le Corsica Marina Seconda (ou son jumeau, le Sardinia Vera), ce que pourrait laisser penser le fait que c'est sur cette ligne que les demandes de compensation financières demandées par les différentes compagnies étaient les plus proches (25 M€ sur 22 mois pour La Méridionale, finalement retenue, contre 17 M€ pour la Corsica Ferries) ? Si c'était le cas, pourquoi l'offre de la compagnie aux bateaux jaunes sur Propriano n'a-t-elle pas été jugée recevable ? Si ce n'était pas le cas, pourquoi, l'OTC n'a-t-il pas révélé qu'il s'agissait d'un fréteur pur pour rejeter la recevabilité de l'offre de la Corsica Ferries, comme elle l'a fait sur d'autres lignes ? A ce stade, le mystère reste entier et risque de le rester, l'attribution de la ligne à La Méridionale étant désormais effective...


A la suite de ce traitement qu'elle jugeait discriminatoire, la Corsica Ferries avait annoncé publiquement au printemps 2020 ne plus vouloir postuler aux appels d'offres de service public entre Marseille et la Corse. Elle s'est pourtant ravisée, vraisemblablement à la suite de la concession du caractère ligne à ligne de l'appel d'offres pour 2021-2022. Si elle a finalement été de nouveau écartée, le fait de concourir a permis à la Corsica Ferries d'afficher ce que pourrait être un autre système de service public maritime et de montrer publiquement le champ des économies potentiellement réalisables par la CTC.

De fait, la compagnie aux bateaux jaunes avait proposé cette fois une offre très innovante sur le fond, centrée essentiellement autour de fréteurs purs - à l'exception de la ligne d'Ajaccio et, possiblement, de celle de Propriano où le mystère demeure - comme développé à l'encadré précédent. Plus précisément, avaient été proposés comme navires :

- sur Marseille-Bastia, deux fréteurs purs de grande capacité (2350 à 2500 mètres linéiares de fret) qui auraient été affrétés ou acquis, à savoir les Eliana Marino (propriété de l'armateur italien Moby, qui n'en a plus l'usage sur sa ligne de Malte) et Elisabeth Russ (propriété de l'armateur allemand Ernst Russ, basé à Hambourg et spécialisé dans le transport du fret) ;

- sur Marseille-Ajaccio, le ro-pax Mega Express Four, bien connu des lignes de Corse (sauf semble-t-il des membres de l'OTC, dont le rapport précise que l'offre de la Corsica Ferries sur Ajaccio a été rejetée d'emblée au motif que "
le candidat se contente en effet de mentionner les capacités passagers cabines sans être en mesure d’offrir le minimum de 13 installations couchées et de 9 cabines exigé", alors que ce navire dispose pour mémoire de plus de 250 cabines et peut transporter plus de 1 800 passagers par voyage, ce qui suffisait largement à satisfaire les exigences du cahier des charges pour le transport de passagers sur cette ligne...) et un autre navire dénommé Corsicargo 2, dont on ne peut savoir avec certitude à la lecture du rapport de l'OTC s'il s'agit d'un fréteur pur ou d'un cargo mixte [2] ;

- sur Marseille-Porto Vecchio, le fréteur pur Pauline Russ, jumeau de l'Elisabeth Russ proposé sur Bastia, mais aussi, pour l'anecdote, de l'ex-Corsica Linea Dui, que la Corsica Linea avait affrété au premier trimestre 2016 pour desservir Marseille-Bastia, avant de reprendre les navires de l'ex-SNCM ;

- sur Marseille-Ile Rousse, le Corsicargo 1,
dont on ne peut savoir avec certitude à la lecture du rapport de l'OTC s'il s'agit aussi d'un fréteur pur, d'un cargo mixte et/ou d'un jumeau du Corsicargo 2 proposé sur Ajaccio.

La compagnie aux bateaux jaunes a donc fait une offre cohérente avec la vision de la délégation de service public partagée par la Commission européenne et appelle de ses voeux la fin du subventionnement sélectif du transport de passagers de ses concurrentes entre Marseille et la Corse, qu'elle juge redondant avec son offre de transport de passagers au départ de Toulon, non subventionné. Elle considère que seul le transport du fret devrait faire l'objet de subventions et voit dans le récent jugement du tribunal administratif de Bastia du 7 janvier 2021, pourtant en sa défaveur, des éléments lui laissant espérer que son point de vue pourrait désormais être pris en compte. En effet, ce jugement indique que « le transport maritime des passagers et de leur véhicule ne représentait plus un service d’intérêt économique général à la date à laquelle ont été conclu ces avenants », à savoir à l'été 2019, période sur laquelle portait le jugement. Aussi, la Corsica Ferries se considère-t-elle fondée à soutenir que les compensations accordées par les avenants accordés à ses concurrentes constituent des aides d’État au sens de l’arrêt Altmark de la Cour de justice de l’Union européenne et qu'ils devraient donc faire l'objet de remboursement, ces aides d'Etat étant contraires aux traités fondateurs de l'Union européenne. Et ce, d'autant plus que le choix de retenir la Corsica Ferries plutôt que ses concurrentes aurait permis à la Collectivité de Corse de réaliser de très importantes économies sur la desserte maritime de l'île. Ce fait est illustré au graphique présenté par le directeur de la compagnie, Pierre Mattei, sur son compte LinkedIn (reproduit pour mémoire ci-dessous), qui indique que "la Corsica Ferries était, une fois encore, la mieux disante avec une proposition 60% moins chère, soit une différence de près de 100 millions d'euros sur 22 mois de DSP". Fustigeant le fait "qu'au fil des appels d'offres, les motifs de rejet deviennent de plus en plus créatifs pour éviter de nous attribuer la moindre ligne en DSP" et les "surcompensations" que ce système engendre pour la Collectivité de Corse, il promet de ne pas en rester là...


Source : Corsica Ferries, d'après les propositions faites par la compagnie dans le cadre de l'appel d'offres 2021-2022 et le rapport de l'OTC adopté le 25 février 2021.

De nouveaux épisodes judiciaires sont donc à prévoir dans le dossier de la desserte maritime subventionnée de la Corse, dans un contexte particulièrement tendu depuis que la Cour administrative d'appel de Marseille a confirmé, le 22 février 2021, la condamnation de la Collectivité de Corse à verser 86,3 millions d'euros à la Corsica Ferries, à la suite d'une concurrence jugée illégale du service complémentaire d'été de la SNCM lors de la période 2007-2013. La Collectivité de Corse a immédiatement annoncé sa décision de faire appel devant le Conseil d'Etat, qui lui avait donné raison il y a quelques années - à la surprise générale et contre l'avis du rapporteur public - lors d'une affaire similaire portant sur une délégation de service public période antérieure...


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Notes :

[1] Projet porté de très longue date par les mouvements autonomistes de l'île qui aurait dû en théorie se concrétiser depuis déjà plusieurs années au vu des délibérations prises par l'Assemblée de Corse (voir le projet initial de sociétés d'économie mixtes et les modifications apportées au dispositif, qui ont abouti à l'échec de sa mise en place au 1er janvier 2021).

[2] Il n'est a priori pas possible
non plus de faire le lien entre les Corsicargo 1 et Corsicargo 2 de l'offre de la Corsica Ferries et l'affrètement potentiel du cargo mixte Stena Nova de la compagnie suédoise Stena Line ou de son jumeau, un temps évoqué à l'été 2020 par le site Ferry Shipping News.



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