Mare Nostrum Corsica
L'appel d'offres global 2021-2027 des lignes Marseille-Corse infructueux et la perspective d'une compagnie maritime régionale Corse s'éloigne de nouveau !

 Bastia, août 2019 ; photo : Romain Roussel
Des trois compagnies répondant traditionnellement aux appels d'offres sur la Corse, seules La Méridionale et Corsica Linea étaient de nouveau candidates pour la DSP 2021-2027, avec une nouvelle alliance désormais nettement à l'avantage de cette dernière. De gauche à droite sur la photo, prise à Bastia en août 2019 par Romain Roussel, les Pascal Lota (Corsica Ferries), Vizzavona (Corsica Linea) et Piana (La Méridionale).


Un projet de compagnie régionale maritime corse qui a subi bien des soubresauts ces dernières années...

Les chemins pris par le service public maritime de la Corse sont bien souvent plus sinueux qu'annoncés... Alors que le rapport de l'Office des transports de la Corse (OTC) voté par les élus de l'Assemblée de Corse le 15 avril 2016 proposait une expérimentation de deux d'obligations de service public (OSP) sur les lignes Marseille-Bastia et Marseille-Ajaccio d'octobre 2016 à septembre 2018 (voir article thématique dédié), c'est finalement bien une délégation de service public (DSP) maritime qui a été attribuée à Corsica Linea et à La Méridionale sur les lignes de Corse pour la période allant d'octobre 2016 à septembre 2017, comme retracé dans un précédent article thématique.

Il en va de même pour la création de la compagnie régionale maritime Corse, projet porté
de très longue date par les mouvements autonomistes de l'île et qui aurait dû se concrétiser depuis déjà plusieurs années au vu des délibérations prises par cette même Assemblée de Corse. En effet, elle avait adopté fin janvier 2017 un calendrier détaillé de création de la compagnie maritime régionale qui s'échelonnait initialement jusqu'en juin 2019 et qui succédait lui-même à un précédent calendrier prévoyant la mise en place d'une compagnie régionale dès octobre 2017... Dans l'attente de cette création, de nouvelles délégations de service public maritime se sont succédé sur les lignes Marseille-Corse, pour des durées de plus en plus courtes : la DSP dite transitoire, qui s'est achevée en septembre 2017, a laissé la place à une DSP dite de raccordement qui devait s'achever en juin 2019, mais qui a finalement été prolongée jusqu'à fin septembre 2019, laquelle devait ensuite laisser la place jusqu'à la fin 2020 à une DSP dite courte pour faire enfin la jonction avec le système plus pérenne de compagnie régionale à compter de 2021 (voir article thématique dédié) ! Mais c'eut été trop simple et, finalement, la DSP dite courte n'a pu voir le jour en octobre 2019 que sur trois des cinq lignes de service public de Corse (Marseille-Bastia, Marseille-Ajaccio et Marseille-Ile Rousse), toutes attribuées pour la première fois à Corsica Linea, au détriment de La Méridionale (voir article thématique dédié) pour une durée de 15 mois. Pour les deux autres lignes, Marseille-Propriano et Marseille-Porto Vecchio, la consultation a été jugée infructueuse plusieurs fois de suite, si bien que l'appel d'offres à finalement été une première fois relancé (avec un cahier des charges revu, voir article thématique dédié) pour une durée encore plus courte (11 mois), à compter de février 2020, puis une seconde fois (pour 8 mois), à compter de mai 2020, de manière à s'achever en même temps que celui des lignes principales, c'est-à-dire fin 2020.

Donc, à compter de début 2021, la voie semblait libre pour la création de la compagnie régionale maritime dont les contours avaient été tracés par l'
Assemblée de Corse aux session de janvier et d'octobre 2017 et qui devait se caractériser comme suit :
- une société d'économie mixte (SEM) d'investissement, qui avait vocation à être propriétaire des navires de la nouvelle compagnie régionale ;
deux SEMOP (formes juridiques de SEM à opération unique) d'exploitation des lignes de continuité territoriale. Il était prévu que la Collectivité territoriale de Corse (CTC) soit majoritaire dans la SEMOP chargée de desservir, au départ de Marseille, les ports secondaires de l'île (Ile Rousse, Propriano, Porto Vecchio) et minoritaire dans l'autre, en charge de la desserte des ports principaux de Bastia et d'Ajaccio. Le document de préfiguration de ces SEMOP traitait des cinq fondamentaux de ces deux sociétés, à savoir : "la structure capitalistique, les règles de gouvernance, les modalités de contrôle, le pacte d'actionnaires et la dévolution des actifs à la liquidation".

En outre, il avait été annoncé trois autres caractéristiques importantes de ce futur service public maritime, qui avaient déjà été mises en vigueur lors de l'appel d'offres initial de la DSP courte :
- un service public maritime recentré sur le fret (comme le prévoyait le cahier des charges initial de la DSP, suite au "test de marché" conduit par l'OTC) ;
- la durée pressentie de l'exploitation était de 10 années ;
- le choix des sociétés exploitant les lignes de service public devait se faire ligne à ligne et non de manière globale.



Un projet de lignes monobloc et d'une durée plus courte qu'initialement envisagé avait été lancé
Bastia, août 2019 ; photo : Romain Roussel
Deux cargos mixtes de la Corsica Linea, les Vizzavona et Pascal Paoli, passant simultanément la journée à Bastia, en août 2019 ; photo : Romain Roussel. La position hégémonique conférée à Corsica Linea sur le fret insulaire pour la période 2019-2020 sera-t-elle compatible avec la constitution d'une SEM à caractère majoritairement public sur les lignes de Corse à compter de 2021 ?


Pour autant, ce schéma avait subi de nombreux bouleversements depuis lors et va encore en connaître dans les prochains mois. Les changements intervenus en 2018 et 2019 avaient déjà porté sur des caractéristiques très structurantes du projet :

Premier changement de taille : en matière de possession des navires.
La SEM d'investissement avait vocation à devenir propriétaire, avant l'été 2019, de ses deux premiers navires qui devaient être cédés par Corsica Linea pour 10 millions d'euros, les Monte d'Oro et Paglia Orba ; à terme, elle devait englober trois navires (le plan de renouvellement prévoyait tout d'abord la vente du Monte d'Oro en 2022 et son remplacement par une unité neuve propulsée au GNL ; les remplacements de navires suivants sur ces lignes de service public étaient alors envisagés pour 2028 et 2033).

Ces deux premiers navires ont été préalablement expertisés pour en vérifier notamment la valeur (la justice devait se prononcer en amont sur la légalité de cette transaction, contestée par plusieurs syndicats de la compagnie) et, selon Jean-Félix Acquaviva, qui a cédé entre temps sa place à la présidence de l'OTC à Vanina Borromei suite à son élection à l'Assemblée nationale
en juin 2017, ils vaudraient en fait "35 à 40 millions d'euros". Pour autant, malgré cette plus value potentielle, on a appris le 24 avril 2018 que suite à l'expertise menée, l'OTC déconseillait finalement à la Collectivité de Corse le rachat de ces navires. De fait, les élus insulaires ont, à l'unanimité, abandonné ce projet de reprise lors de la session des 26 et 27 juillet 2018, au motif qu'ils ne répondent plus aux standards environnementaux en vigueur en Méditeranée à compter de 2020 (ce qui est le cas actuellement de l'ensemble des navires naviguant sur les lignes de Corse, à l'exception du Vizzavona, doté d'épurateurs de fumée). Cette décision peut sembler très étonnante dans la mesure où ces navires ont été fortement rénovés depuis leur reprise en main par Corsica Linea (en particulier, le Monte d'Oro a subi à l'hiver 2017-2018 une importante remise au norme et réhabilitation de ses espaces communs qui semblent donner toute satisfaction à la compagnie, puisqu'elle a programmé avec celui-ci des rotations supplémentaires sur Marseille-Ile Rousse à l'été 2018). Selon Vanina Borromei, le rapport d'expertise technique était "plutôt défavorable [à la reprise de ces navires par la future compagnie régionale Corse], compte tenu des perspectives et normes environnementales qui seront imposées à l'avenir. Ce qui remet en cause cette réflexion sur ces deux biens de retour" dont Corsica Linea n'était visiblement pas pressé de se séparer, au vu des déclarations réitérées dans la presse de ses dirigeants. Dès le 25 avril 2018, Vanina Borromei déclarait à Corse Matin "que si nous récupérions ces deux navires, nous serions perdants économiquement au regard de l'entretien et de la mise aux normes environnementales. Il vaut peut-être mieux nous diriger vers des navires au gaz naturel liquéfié (GNL) dès maintenant...", ce qui prendra sans doute plusieurs années supplémentaires compte tenu de la nécessité de préciser un cahier des charges compatible avec la desserte et la spécificité des ports de Corse, de pouvoir les financer et d'enfin pouvoir acquérir ou faire construire de tels navires... En attendant, le Paglia Orba de Corsica Linea, jusqu'ici considéré comme obsolète donc aux dires des autorités corses, dessert régulièrement la ligne phare du trafic fret insulaire (Marseille-Bastia), alors même que ce devait être le plus récent Vizzavona qui aurait dû desservir cette ligne, selon ce qui avait été convenu dans le cahier des charges... En effet le Vizzavona est moins adapté au port bastiais du fait de sa grande longueur, ce qui avait semble-t-il échappé à l'Office des transports de la Corse lorsqu'elle a attribué la ligne Marseille-Bastia à Corsica Linea plutôt qu'à La Méridionale.

Le journal Le Marin révélait en outre dès le 7 novembre 2019 plusieurs autres changements majeurs
par rapport au projet initialement voté et qui se sont finalement confirmés lors du vote des élus corses intervenu lors de la session du 28 novembre 2019. Ce vote sur le schéma de transport n'était pas prévu jusqu'ici (en matière maritime, cette session devait être uniquement consacrée à l'attribution des deux dernières lignes du sud Corse jusqu'à fin 2020, qui, à l'inverse ne l'ont pas été...) :

Deuxième changement majeur, il n'y aurait plus deux SEMOP d'exploitation des lignes de service public maritime comme prévu, mais une seule. Cela pose la question de sa gouvernance. Selon cette même source, la SEMOP d'exploitation regrouperait l'ensemble des lignes et serait détenue à une très courte majorité par le secteur public : 50,1 % pour la Collectivité territoriale de Corse (CTC), contre 49,9 % pour le secteur privé. La CTC assurerait la présidence de cette SEMOP, portant le risque d'exploitation des navires qu'elle louerait aux opérateurs privés. Les partenaires privés assureraient quant à eux la gestion opérationnelle de la société et disposeraient d'une minorité de blocage pour les décisions les plus importantes. Sauf rebondissement inattendu, les lignes seraient opérées comme aujourd'hui par sept cargos mixtes, dont quatre positionnés sur les ports principaux de Bastia et Ajaccio afin d'assurer un service de nuit dans chaque sens tous les soirs et les trois autres sur les ports secondaires d'Ile Rousse, Propriano et Porto Vecchio, qu'ils desserviraient sans escale trois fois par semaine dans chaque sens. Il n'y aurait donc pas de nouvelle réflexion sur le mode de desserte combiné des différents ports, qui permettrait pourtant à enveloppe constante d'abiasser substantiellement les tarifs du fret et des passagers transportés...

Troisième changement majeur, le contrat ne serait finalement pas d'une durée de 10 ans, comme envisagé jusqu'ici, mais de 7 ans. Cette modification vient sans doute des échanges intervenus entre temps avec les services de la Commission européenne, qui ont dû juger préférable une durée plus courte de DSP et de la SEMOP afin d'en assurer un meilleure pilotage, notamment financier, par la Collectivité. Si les délégataires préfèrent en général une durée plus longue afin de leur donner plus de visibilité sur leurs investissements, une durée plus courte présente en revanche l'avantage de permettre plus régulièrement une mise en concurrence des opérateurs, ce qui donne plus de souplesse à la Collectivté pour ajuster le cas échéant les fréquences et les tarifs, ainsi que les montants de subventions accordés en fonction de l'évolution du marché.

Quatrième changement majeur, le contrat de service public serait global et non plus ligne à ligne, comme dans le cas de la DSP courte. Ce revirement, s'il se confirmait, serait bien plus porteur de conséquences qu'on pourrait le croire en première approche. Il serait très inattendu, car le fait de proposer désormais un appel d'offres ligne à ligne avait été présenté comme une avancée majeure des derniers appels d'offres maritimes en termes de mise en concurrence des différents opérateurs. En effet, il présentait l'avantage d'ouvrir potentiellement une partie du marché à des compagnies maritimes non présentes jusqu'ici entre Marseille et la Corse, en leur permettant de postuler sur un pied d'égalité pour une seule ou un petit nombre de lignes. Ce ne serait plus possible dès lors que l'appel d'offres serait global, ce qui était le cas autrefois. Cela présenterait le risque d'être perçu comme un retour en arrière, voire comme une atteinte à l'égalité entre postulants, passible de futurs recours en justice devant les instances européennes... Il est toutefois possible d'interpréter cette option comme un signal de l'autorité délégante aux opérateurs Corsica Linea et La Méridionale pour que les compagnies renouent, sous une forme ou sous une autre, un accord de coopération. En effet, leur accord historique hérité de l'ex-SNCM a été rompu lors de la récente DSP courte suite aux vélléités d'expansion de la Corsica Linea. Vélléités couronnées de succès, puisque la compagnie aux bateaux rouges est désormais seule présente sur les lignes entre Ajaccio, Bastia et Marseille, dont La Méridionale est désormais exclue, et qu'il n'y a semble-t-il pas de retour en arrière possible, le nouvel accord scellé pour la période 2021-2027 étant nettement à l'avantage des bateaux rouges (voir plus bas).


Ces changement ont été adoptés par l'Assemblée de Corse avec les seules voies de la majorité (élus nationalistes et autonomistes), mais rien n'a été acté à ce stade sur la société d'investissement, un temps évoquée pour la possession des navires. Il est très probable que les débats sur la future desserte maritime de service public de la Corse soient de nouveau animés et porteurs de nouveaux rebondissements...



Un nouveau partenariat entre Corsica Linea et La Méridionale, nettement à l'avantage de la première
Le Piana à Bastia en août 2019 ; photo : Romain Roussel
Le Piana de La Méridionale, déjà absent depuis octobre 2019 du principal port de l'île pour la desserte duquel il a été conçu, pourrait être affecté à Marseille-Ajaccio dans le cadre du futur partenariat et ne devrait donc vraisemblement plus revenir à Bastia , si ce n'est peut-être lors des périodes d'arrêts techniques de navires de la Corsica Linea... Photo Romain Roussel, prise en août 2019.
 

Les offres officielles des postulants à cette nouvelle DSP longue ont été remises à l'Office des transports de la Corse le 14 février 2020 et la Corsica Ferries n'a finalement plus été candidate, lassée d'être systématiquement écartée même lorsque ses offres sont classées premières par la Collectivité de Corse. Alors que les compagnies délégataires du service public, La Méridionale et Corsica Linea, étaient en grève depuis plusieurs jours, le journal Le Marin révélait une issue possible dès le 23 janvier 2020, confirmée par les deux compagnies dans les jours qui ont suivi. En effet, la Corsica Linea a fait plier La Méridionale, en position de grande faiblesse depuis la perte des DSP transitoire, et obtenu d'elle une proposition de nouveau partenariat bien plus en faveur des bateaux rouges. Le nouvel accord prévoyait que la Corsica Linea déploie cinq navires sur les lignes Marseille-Corse (au lieu de quatre jusqu'à l'automne 2019) et La Méridionale seulement deux (au lieu de trois). Un troisième navire de La Méridionale servirait toutefois de renfort aux cinq autres cargos mixtes des lignes de service public en tant que de besoin et viendrait notamment remplacer ces derniers durant les phases d'arrêts techniques ; le reste du temps, il serait proposé sur le marché de l'affrètement, à charge à La Méridionale de lui trouver de nouveaux armateurs par intermittence... comme elle l'a fait en 2020 pour le Girolata, affrété avec son équipage par la compagnie italienne GNV pour la desserte de la Sicile.

Surtout, preuve du nouveau déséquilibre qui serait ainsi instauré entre les deux partenaires historiques, la Corsica Linea resterait dans ce schéma seule présente sur les liaisons entre Marseille et le port de Bastia. Or, le port de Bastia concentre à lui seul près de la moitié du trafic fet insulaire (844 100 mètres linéaires transportés en 2018 de et vers Marseille selon l'ORTC, pour un total de 1 823 200 sur Marseille-Corse cette même année, soit 46% du total), alors que le partenariat était jusqu'à l'automne 2019 équilibré entre les deux compagnies, avec un bateau chacune sur les ports principaux. Une des principales revendications historiques de La Méridionale (le maintien des deux compagnies à parité sur les ports principaux de Bastia et d'Ajaccio), reprise aussi par le STC de la compagnie aux bateaux bleus depuis le début du conflit social du 9 janvier 2020, ne serait donc pas satisfaite et le personnel bastiais de La Méridionale (13 personnes) devrait se tourner vers la compagnie aux bateaux rouges... En effet, les deux navires de La Méridionale seraient affectés aux ports de Porto Vecchio et d'Ajaccio, ce dernier port restant desservi à parité par les deux compagnies. La Méridionale se retirerait donc également de sa desserte historique de Propriano pour se consacrer à celle, un quart plus longue (246 milles nautiques environ contre 201 milles), de Porto Vecchio. Certes le trafic fret est nettement plus important sur Porto Vecchio que sur Propriano (174 600 mètres linéaires transportés, contre 69 600 en 2018, selon l'ORTC) et offre un potentiel de croissance peut-être supérieur, mais le contexte apparaît peu favorable car les coûts des soutes sont fortement renchéris depuis début 2020 du fait des nouvelles normes environnementales en vigueur en Méditerranée. La Corsica Linea assurerait quant à elle l'ensemble des autres dessertes, avec donc deux navires sur Bastia, un sur Ajaccio, un sur l'Ile Rousse et un sur Propriano.

Sous ces hypothèses, il est possible d'effectuer un calcul théorique des parts de marché prévisionnelles des deux compagnies à l'horizon 2021 et de les comparer à ce qu'elles auraient pu être si l'ancien système de partage des dessertes entre les compagnies en vigueur jusqu'à l'automne 2019 avait été reconduit. En effet, les données des trafics passagers et fret des lignes Marseille-Corse sont publiques : elles ont été publiées par l'Observatoire régional des transports de la Corse pour l'année 2018 (ces données sont actuellement consultables sur le site de la DREAL de Corse, le site de l'ORTC étant indisponible pour des raisons techniques...). Dès lors, en appliquant des proratas par compagnie en fonction du nombre de navires affectés à ces dessertes dans l'ancien schéma et dans le futur schéma envisagé aux trafics réels passagers et fret constatés sur les différentes lignes Marseille-Corse puis en réagrégeant l'ensemble des données par compagnie, on obtient le schéma présenté ci-dessous. 


Source : calculs Mare Nostrum Corsica sur la base des schémas de desserte de la Corse tels que constatés jusqu'à l'été 2019 et envisagés jusqu'alors à partir de 2021. Ces schémas de desserte sont appliqués aux trafics passagers et fret des lignes entre Marseille et les ports de Bastia, Ajaccio, Ile Rousse, Propriano et Porto Vecchio constatés en 2018 par l'Observatoire régional des transports de la Corse. Ainsi, par exemple, pour l'ancien schéma, la moitié des trafics passagers et fret constatés entre Marseille et Bastia sont conventionnellement affectés à chacune des compagnies, tandis que dans le nouveau schéma, l'ensemble de ces trafics sont comptabilisés pour la Corsica Linea. Pour le fret, les valeurs de références retenues pour le calcul sont celles exprimées en nombre de mètres linéaires transportés.



Avec l'ancien schéma de desserte, les parts de marché théoriques (hors mouvements de grève, arrêts techniques de navires et autres phénomènes par nature imprévisibles...) de la Corsica Linea auraient été proches de 56 à 57% en 2021, aussi bien pour les passagers que pour le fret, et celles de La Méridionale se seraient établies à environ 43 à 44 %.

Dans le schéma de desserte projeté jusqu'à l'été 2020 et décrit par le journal Le Marin, les parts de marché de Corsica Linea seraient bien supérieures d'après les calculs de Mare Nostrum Corsica (+12 points de pourcentage pour les passagers, +17 points pour le fret),
principalement du fait du basculement de la totalité du trafic de la ligne Marseille-Bastia à cette compagnie. Symétriquement, les parts de marché de La Méridionale s'en seraient trouvées réduites (de -12 et - 17 points de pourcentage). Corsica Linea serait donc dans cette hypothèse l'acteur dominant des lignes Marseille-Corse, puisqu'elle pourrait représenter en théorie environ 69% des trafics passagers et 73% des trafics fret de cet axe à l'horizon 2021. La Méridionale occuperait alors une place secondaire, avec un peu plus du quart de ces trafics. Les gains de parts de marché de Corsica Linea seraient plus importants pour le fret que pour les passagers car, au départ du port de Marseille, la prépondérance du port de Bastia est proportionnellement plus marquée pour le trafic des marchandises que pour celui des voyageurs. À noter qu'une partie de ces gains de parts de marché a de fait déjà été engrangée par la compagnie aux bateaux rouges, puisque la Corsica Linea est seule à desservir Bastia-Marseille depuis le 1er octobre 2019... De ce fait, le chiffres d'affaires de La Méridionale aurait déjà diminué de 56,6% par rapport à la période comparable de l'année précédente au dernier trimestre 2019, ce qui pose la question de la viabilité de la compagnie. D'après l'étude diligentée au cabinet de conseil Secafi Alpha par l'intersyndicale de La Méridionale le schéma de desserte envisagé jusqu'à l'été 2020 et évalué avant les effets de la crise sanitaire serait néanmoins resté viable pour la compagnie aux bateaux bleus. Toutefois, l'épidémie de coronavirus de 2020 a très fortement assombri les perspectives de moyen terme...

Dans ce scénario de desserte, s'il n'avait pas été précisé quels navires seraient affrétés à quelle desserte, Mare Nostrum Corsica vous proposait ci-dessous une hypothèse plausible, au vu des affectations antérieures des navires lors des précédentes DSP. La principale incertitude pesait sur le choix des navires de La Méridionale potentiellement affectés aux différentes dessertes : il est fait ici l'hypothèse que le navire amiral de la compagnie resterait sur les lignes de Corse, en l'occurence sur le port d'Ajaccio (deuxième port de l'île en termes de trafic fret, avec 638 400 mètres linéaires transportés de et vers Marseille en 2018 selon l'ORTC) et que le Kalliste rejoindrait Porto Vecchio. La première de ces hypothèses a depuis été corroborée par des indiscrétions parues dans Le Marin. Mais La Méridionale pourrait faire un autre choix, comme par exemple celui de faire naviguer le quatrième navire récemment acquis par la compagnie, le Pelagos, sur Porto Vecchio ou encore le Girolata, ou enfin une combinaison de ces navires selon les périodes, comme envisagé par la compagnie aux bateaux bleus dans ses dernières réponses aux appels d'offres de courte durée...


Sources : programmes des compagnies maritimes pour les DSP actuelles et passées ; hypothèses Mare Nostrum Corsica pour la période 2021-2027 sur la base du schéma de desserte envisagé jusqu'à l'été 2020.
Nota : pour la période allant du 1er février au 30 avril 2020, la desserte des ports secondaires du Sud Corse a finalement été attribuée fin janvier 2020 à La Méridionale, seule candidate : durant cette période, le Piana dessert Marseille-Porto Vecchio et le Kalliste, Marseille-Propriano. Pour la période allant du 1er mai au 31 décembre 2020, La Méridionale, seule candidate s'est finalement vu attribuer le marché avec ces mêmes navires.



Des barrières à l'entrée qui auraient finalement conduit à des offres irrecevables de Corsica Linea et La Méridionale pour la Collectivité de Corse car bien plus chères que par le passé pour le même cahier des charges

L'offre menée par Corsica Linea et à laquelle s'est associée La Méridionale serait bien trop coûteuse pour être recevable d'après le rapport de l'Office des transports de la Corse. Cela s'explique logiquement par l'absence de concurrence possible sur Marseille-Corse, du fait de la globalité de l'appel d'offres lancé par la Collectivité de Corse. Ici, le nouveau navire A Nepita de Corsica Linea, à Bastia, en août 2020 (photo : Romain Roussel), qui a desservi la Corse en sus de la programmation prévue.


Le schéma présenté ci-avant ne verra jamais le jour, la présidente de l'Office des transports de la Corse (OTC) Vanina Borromei ayant annoncé dès début septembre que les demandes de compensations financières des compagnies Corsica Linea et La Méridionale seraient bien trop élevées pour être recevables par la Collectivité de Corse. En effet, celles-ci s'élèveraient en moyenne à 110 millions d'euros par an pour la période 2021-2027, contre environ 80 millions d'euros par an actuellement pour le même service ! Aussi, l'Assemblée de Corse, qui a
jusqu'ici toujours accordé l'intégralité des lignes Marseille-Corse au groupement formé de Corsica Linea et La Méridionale, même lorsque la Corsica Ferries a présenté des offres moins coûteuses en subventions, a rejeté ce schéma lors de la session du 25 septembre 2020.

Pourtant, le partenariat étant renoué entre
Corsica Linea et La Méridionale, et celles-ci étant désormais seules candidates, l'issue de l'attribution du marché ne semblait initialement pas faire guère de doute, la Corsica Ferries ayant annoncé qu'elle ne participerait plus à l'exercice, faute que ses offres soient reçues avant la même bienveillance que celles de ses concurrentes... Le fait que les demandes de compensation financière de la Corsica Linea et de La Méridionale soient finalement trop élevées pour la Collectivité de Corse, n'est en fait pas si étonnant au vu de l'importance des barrières à l'entrée mises sur cet appel d'offres du fait de son caractère global, qui met structurellement le groupement de ces deux compagnies ne position de force pour négocier avec la région. Sans compter que pousser au regroupement des offres des deux compagnies comme cela a été fait par la Collectivité a sans doute aussi conduit à limiter encore davantage la concurrence et à faire monter les demandes de compensations financières... Pour des propositions concrètes de Mare Nostrum Corsica pouvant permettre de sortir de cette impasse, voir cet article thématique suggérant une profonde refonte du système de continuité territoriale de la Corse.

Cette décision de l'Assemblée de Corse s'explique peut-être aussi par le fait que les conséquences des suites judiciaires des compagnies qui, à l'image de la Corsica Ferries, ont dû renoncer à postuler à ce nouvel appel d'offres bien trop fermé commencent à faire réfléchir les membres des offices dépendant de la Collectivité de Corse. En effet, celle-ci a récemment dû s'acquitter d'une première tranche de 20 M€ - confirmée en appel par la justice et rendue exécutoire, sur un total d'environ 90 M€ déjà estimés pour la seule période 2007-2013 sachant que d'autres contentieux sont encore en cours de traitement pour les périodes suivantes...- au titre de la concurrence déloyale infligée par le service d'été assuré naguère par les ferries de la SNCM sur Marseille-Corse à sa concurrente aux bateaux jaunes... S'y ajoute aussi les avertissements de la Commission européenne, qui suit de près ce processus et s'interroge désormais publiquement sur leur compatbilité avec les régles du marché intérieur de l'Union. Aussi, le projet de SEMOP envisagé ne verra-t-il sans doute pas le jour, tout du moins pas avant 2025.

De nouveaux rebondissements sont donc encore attendus lors des prochains mois en matière de service public maritime de la Corse pour boucler le futur schéma maritime qui prévaudra entre Marseille et la Corse à compter de 2021 et qui ne devrait donc pas passer, comme initialement attendu, par une compagnie régionale, tout du moins à un proche horizon...


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