Mare Nostrum
Corsica
L'appel
d'offres global 2021-2027 des lignes Marseille-Corse infructueux
et la perspective d'une compagnie maritime régionale Corse
s'éloigne de nouveau !
Des trois compagnies
répondant traditionnellement aux appels d'offres sur la Corse, seules La Méridionale et Corsica Linea étaient
de nouveau candidates pour la DSP
2021-2027, avec une nouvelle alliance désormais nettement
à l'avantage de cette dernière. De gauche à droite
sur la photo, prise à Bastia en août 2019 par Romain Roussel, les Pascal Lota (Corsica Ferries), Vizzavona (Corsica Linea) et Piana (La Méridionale).
Un projet de compagnie régionale maritime corse qui a subi bien des soubresauts ces dernières années...
Les chemins pris par le
service public maritime de la Corse sont bien souvent plus sinueux
qu'annoncés... Alors que le rapport de l'Office des transports de la Corse (OTC) voté par les élus de l'Assemblée de Corse le 15 avril 2016 proposait une expérimentation de deux d'obligations de service public (OSP) sur les lignes Marseille-Bastia et Marseille-Ajaccio d'octobre 2016 à septembre 2018 (voir article thématique dédié), c'est finalement bien une délégation de service public (DSP) maritime qui a été attribuée à Corsica Linea et à La Méridionale sur les lignes de Corse pour la période
allant d'octobre 2016 à septembre 2017, comme retracé
dans un précédent article thématique.
Il en va de même pour la création de la compagnie régionale maritime Corse, projet porté de très longue date par
les mouvements autonomistes de l'île et qui aurait dû
se concrétiser depuis déjà plusieurs années
au vu des délibérations prises par cette même Assemblée de Corse. En effet, elle avait
adopté fin janvier 2017 un calendrier
détaillé de création de la compagnie maritime
régionale qui s'échelonnait initialement jusqu'en juin
2019 et qui succédait lui-même à un
précédent calendrier prévoyant la mise en place
d'une compagnie régionale dès octobre 2017... Dans
l'attente de cette création, de nouvelles
délégations de service public
maritime se sont succédé sur les lignes Marseille-Corse, pour
des durées de plus en plus courtes : la DSP dite transitoire, qui s'est achevée en septembre 2017, a laissé la place à une DSP dite de raccordement
qui devait s'achever en juin 2019, mais qui a finalement
été prolongée jusqu'à fin septembre 2019,
laquelle devait ensuite laisser la place jusqu'à la fin 2020
à une DSP dite courte pour faire enfin la jonction avec le système plus pérenne de compagnie régionale à compter de 2021 (voir article thématique dédié) ! Mais c'eut été trop simple et, finalement, la DSP dite courte
n'a pu voir le jour en octobre 2019 que sur trois des cinq lignes de
service public de Corse (Marseille-Bastia, Marseille-Ajaccio et
Marseille-Ile Rousse), toutes attribuées pour la première
fois à Corsica Linea, au détriment de La Méridionale (voir article thématique
dédié) pour une durée de 15 mois. Pour les deux
autres lignes, Marseille-Propriano et Marseille-Porto Vecchio, la
consultation a été jugée infructueuse plusieurs fois de suite, si bien que l'appel
d'offres à finalement été une première fois relancé (avec un cahier des charges revu, voir article thématique dédié) pour
une durée encore plus courte (11 mois), à compter de
février 2020, puis une seconde fois (pour 8 mois), à
compter de mai 2020, de manière à s'achever en même
temps que celui des lignes principales, c'est-à-dire fin 2020.
Donc, à compter de début 2021, la voie semblait libre
pour la création de la compagnie régionale maritime dont
les contours avaient été tracés par l'Assemblée de Corse aux session de janvier et d'octobre 2017 et qui devait se caractériser comme suit :
- une société d'économie mixte (SEM) d'investissement, qui avait vocation à être propriétaire des navires de la nouvelle compagnie régionale ;
- deux SEMOP (formes juridiques de SEM à opération unique)
d'exploitation des lignes de continuité territoriale. Il était prévu que la Collectivité territoriale de
Corse (CTC) soit majoritaire dans la SEMOP chargée de
desservir, au départ de Marseille, les ports secondaires de
l'île (Ile Rousse, Propriano, Porto Vecchio) et minoritaire dans
l'autre, en charge de la desserte des ports principaux de Bastia et
d'Ajaccio. Le document de préfiguration de ces SEMOP traitait des cinq
fondamentaux de ces deux sociétés, à savoir : "la
structure capitalistique, les règles de gouvernance, les
modalités de contrôle, le pacte d'actionnaires et la
dévolution des actifs à la liquidation".
En outre, il avait été annoncé trois autres
caractéristiques importantes de ce futur service public
maritime, qui avaient déjà été mises en
vigueur lors de l'appel d'offres initial de la DSP courte :
- un service public maritime recentré sur le fret (comme le prévoyait le cahier des charges initial de la DSP, suite au "test de marché" conduit par l'OTC) ;
- la durée pressentie de l'exploitation était de 10 années ;
- le choix des sociétés exploitant les lignes de service public devait se faire ligne à ligne et non de manière globale.
Un projet de lignes monobloc et d'une
durée plus courte qu'initialement envisagé avait été lancé
Deux cargos mixtes de la Corsica Linea, les Vizzavona et Pascal Paoli,
passant simultanément la journée à Bastia, en
août 2019 ; photo : Romain Roussel. La
position hégémonique conférée à Corsica Linea sur le fret insulaire pour la période 2019-2020 sera-t-elle compatible avec la constitution d'une SEM à caractère majoritairement public sur les lignes de Corse à compter de 2021 ?
Pour autant, ce schéma avait subi de nombreux bouleversements
depuis lors et va encore en connaître dans les prochains mois.
Les changements intervenus en 2018 et 2019 avaient déjà
porté sur des caractéristiques très structurantes
du projet :
Premier changement de taille : en matière de possession des navires. La
SEM d'investissement avait vocation à
devenir propriétaire, avant l'été 2019, de ses
deux premiers navires
qui devaient être cédés
par Corsica Linea pour 10 millions d'euros, les Monte d'Oro et Paglia Orba ; à terme, elle devait englober trois navires (le plan de renouvellement prévoyait tout d'abord la vente du Monte d'Oro en 2022 et son remplacement par une unité neuve propulsée au GNL ; les remplacements de navires suivants sur ces lignes de service public
étaient alors envisagés pour 2028 et 2033).
Ces deux premiers navires ont
été préalablement expertisés pour en
vérifier notamment la valeur (la justice devait se prononcer en
amont sur
la légalité de cette transaction, contestée par
plusieurs syndicats de la compagnie) et, selon Jean-Félix
Acquaviva, qui a cédé entre temps sa place à la présidence de l'OTC à Vanina Borromei suite à son élection à l'Assemblée nationale en juin 2017,
ils vaudraient en fait "35 à 40 millions d'euros". Pour autant,
malgré cette plus value potentielle, on a appris le 24 avril
2018 que suite à l'expertise menée, l'OTC déconseillait finalement à la Collectivité de Corse le
rachat de ces navires. De fait, les élus insulaires ont,
à l'unanimité, abandonné ce projet de reprise lors
de la session des 26 et 27 juillet 2018, au motif qu'ils ne répondent plus aux standards environnementaux
en vigueur en Méditeranée à compter de 2020 (ce
qui est le cas actuellement de l'ensemble des navires naviguant sur les
lignes de Corse, à l'exception du Vizzavona,
doté d'épurateurs de fumée). Cette décision
peut sembler très étonnante dans la mesure où ces navires ont
été fortement rénovés depuis
leur reprise en main par Corsica Linea (en particulier, le Monte d'Oro
a subi à l'hiver 2017-2018 une importante remise au norme et
réhabilitation de ses espaces communs qui semblent donner toute
satisfaction à la compagnie, puisqu'elle a programmé
avec celui-ci des rotations supplémentaires sur Marseille-Ile Rousse
à l'été 2018). Selon Vanina Borromei, le rapport
d'expertise technique était "plutôt défavorable [à
la reprise de ces navires par la future compagnie régionale
Corse], compte tenu des perspectives et normes environnementales qui
seront imposées à l'avenir. Ce qui remet en cause cette
réflexion sur ces deux biens de retour" dont Corsica Linea
n'était visiblement pas pressé de se séparer, au
vu des déclarations réitérées dans la
presse de ses dirigeants. Dès le 25 avril 2018, Vanina Borromei déclarait à Corse Matin "que si nous récupérions ces deux
navires, nous serions perdants économiquement au regard de
l'entretien et de la mise aux normes environnementales. Il vaut
peut-être mieux nous diriger vers des navires au gaz naturel
liquéfié (GNL) dès maintenant...", ce qui prendra
sans doute plusieurs années supplémentaires compte tenu
de la nécessité de préciser un cahier des charges
compatible avec la desserte et la spécificité des ports
de Corse, de pouvoir les financer et d'enfin pouvoir acquérir ou
faire construire de tels navires... En attendant, le Paglia Orba de Corsica Linea,
jusqu'ici considéré comme obsolète donc aux dires
des autorités corses, dessert régulièrement la
ligne phare du trafic fret insulaire (Marseille-Bastia), alors
même que ce devait être le plus récent Vizzavona
qui aurait dû desservir cette ligne, selon ce qui avait
été convenu dans le cahier des charges... En effet le Vizzavona
est moins adapté au port bastiais du fait de sa grande longueur,
ce qui avait semble-t-il échappé à l'Office des transports de la Corse lorsqu'elle a attribué la ligne Marseille-Bastia à Corsica Linea plutôt qu'à La Méridionale.
Le journal Le Marin révélait
en outre dès le 7 novembre 2019 plusieurs autres
changements majeurs par rapport au projet
initialement voté et qui
se sont finalement confirmés lors du vote des
élus corses intervenu lors de la session du 28 novembre 2019. Ce
vote sur le schéma de transport n'était pas prévu
jusqu'ici (en matière
maritime, cette session devait être uniquement consacrée
à l'attribution des deux dernières lignes du sud Corse
jusqu'à fin 2020, qui, à l'inverse ne l'ont pas
été...) :
Deuxième
changement majeur, il n'y aurait plus deux SEMOP d'exploitation des
lignes de service public maritime comme prévu, mais une seule.
Cela pose la question de sa gouvernance. Selon cette même source,
la SEMOP d'exploitation regrouperait l'ensemble des lignes et serait
détenue à une très courte majorité par le
secteur public : 50,1 % pour la Collectivité territoriale de
Corse (CTC), contre 49,9 % pour le secteur privé. La CTC
assurerait la
présidence de cette SEMOP, portant le risque d'exploitation des
navires qu'elle louerait aux opérateurs privés. Les
partenaires privés assureraient quant à eux la gestion
opérationnelle de la société et disposeraient
d'une
minorité de blocage pour les décisions les plus
importantes. Sauf rebondissement inattendu, les lignes seraient
opérées comme aujourd'hui par sept cargos mixtes, dont
quatre positionnés sur les ports principaux de Bastia et Ajaccio
afin d'assurer un service de nuit dans chaque sens tous les soirs et
les trois autres sur les ports secondaires d'Ile Rousse, Propriano et
Porto Vecchio, qu'ils desserviraient sans escale trois fois par
semaine dans chaque sens. Il n'y aurait donc pas de nouvelle
réflexion sur le mode de desserte combiné des
différents ports, qui permettrait pourtant à
enveloppe constante d'abiasser substantiellement les tarifs du fret et
des passagers transportés...
Troisième
changement majeur, le contrat ne serait finalement pas d'une
durée de 10 ans, comme envisagé jusqu'ici, mais de 7 ans.
Cette modification vient sans doute des échanges intervenus entre temps avec
les services de la Commission européenne,
qui ont dû juger
préférable une durée plus courte de DSP et de la
SEMOP afin d'en assurer un meilleure pilotage, notamment financier, par
la
Collectivité. Si les délégataires
préfèrent en général une durée plus
longue afin de leur donner plus de visibilité sur leurs
investissements, une durée plus courte présente en
revanche l'avantage de permettre plus régulièrement une
mise en concurrence des opérateurs, ce qui donne plus de
souplesse à la Collectivté pour ajuster le cas
échéant les fréquences et les tarifs, ainsi que
les montants de subventions accordés en fonction de
l'évolution du marché.
Quatrième
changement majeur, le contrat de service public serait global et non
plus ligne à ligne, comme dans le cas de la DSP courte.
Ce revirement, s'il se confirmait, serait bien plus porteur de
conséquences qu'on pourrait le croire en première
approche. Il serait très inattendu, car le fait de proposer
désormais un appel d'offres ligne à ligne avait
été présenté comme une avancée
majeure des derniers appels d'offres maritimes en termes de mise en
concurrence des différents opérateurs. En effet, il
présentait l'avantage d'ouvrir potentiellement une partie du
marché à des compagnies maritimes non présentes
jusqu'ici entre Marseille et la Corse, en leur permettant de postuler
sur un pied d'égalité pour une seule ou un petit nombre
de lignes. Ce ne serait plus possible dès lors que l'appel
d'offres serait global, ce qui était le cas autrefois. Cela
présenterait le risque d'être perçu comme un
retour en arrière, voire comme une atteinte à
l'égalité entre postulants, passible de futurs recours en
justice devant les instances européennes... Il est toutefois
possible d'interpréter cette option comme un signal de
l'autorité délégante aux opérateurs Corsica Linea et La Méridionale
pour que les compagnies renouent, sous une forme ou sous une autre, un
accord de coopération. En effet, leur accord historique
hérité de l'ex-SNCM a été rompu lors de la récente DSP courte suite aux vélléités d'expansion de la Corsica Linea.
Vélléités couronnées de succès,
puisque la compagnie aux bateaux rouges est désormais seule
présente sur les lignes entre Ajaccio, Bastia et Marseille, dont La Méridionale est
désormais exclue, et qu'il n'y a semble-t-il pas de retour en
arrière possible, le nouvel accord scellé pour la
période 2021-2027 étant nettement à l'avantage des
bateaux rouges (voir plus bas).
Ces changement ont été adoptés par
l'Assemblée de Corse avec les seules voies de la majorité
(élus nationalistes et autonomistes), mais rien n'a
été acté à ce stade sur la
société d'investissement, un temps évoquée
pour la possession des navires. Il
est très probable que les débats sur la future desserte
maritime de service public de la Corse soient de nouveau animés
et porteurs de nouveaux rebondissements...
Un nouveau partenariat entre Corsica Linea et La Méridionale, nettement à l'avantage de la première
Le Piana de La Méridionale,
déjà absent depuis octobre 2019 du principal port de
l'île pour la desserte duquel il a été
conçu, pourrait être affecté à Marseille-Ajaccio dans le cadre
du futur partenariat et ne
devrait donc vraisemblement plus revenir à Bastia , si ce n'est peut-être lors des
périodes d'arrêts techniques de navires de la Corsica Linea... Photo Romain Roussel, prise en août 2019.
Les offres officielles des postulants à cette nouvelle DSP longue ont été remises à l'Office des transports de la Corse le 14 février 2020 et la Corsica Ferries
n'a finalement plus été candidate, lassée d'être
systématiquement écartée même lorsque ses
offres sont classées premières par la Collectivité de Corse. Alors que les compagnies délégataires du service public, La Méridionale et Corsica Linea, étaient en grève depuis plusieurs jours, le journal Le Marin
révélait une issue possible dès le 23 janvier
2020, confirmée par les deux compagnies dans les jours qui ont
suivi. En effet, la Corsica Linea a fait plier La Méridionale,
en position de grande faiblesse depuis la perte des DSP transitoire, et
obtenu d'elle une proposition de nouveau partenariat bien plus en
faveur des bateaux rouges. Le nouvel accord
prévoyait que la Corsica Linea déploie cinq navires sur les lignes Marseille-Corse (au lieu de quatre jusqu'à l'automne 2019) et La Méridionale seulement deux (au lieu de trois). Un troisième navire de La Méridionale
servirait toutefois de renfort aux cinq autres cargos mixtes des lignes
de service public en tant que de besoin et viendrait notamment
remplacer ces derniers durant les phases d'arrêts techniques ; le
reste du temps, il serait proposé sur le marché de
l'affrètement, à charge à La Méridionale de lui trouver de nouveaux armateurs par intermittence... comme elle l'a fait en 2020 pour le Girolata, affrété avec son équipage par la compagnie italienne GNV pour la desserte de la Sicile.
Surtout, preuve du nouveau déséquilibre qui serait ainsi
instauré entre les deux partenaires historiques, la Corsica Linea resterait dans ce schéma
seule présente sur les liaisons entre Marseille et le port de Bastia. Or, le port de Bastia
concentre à lui seul près de la moitié du
trafic fet insulaire (844 100 mètres linéaires
transportés en 2018 de et vers Marseille selon l'ORTC, pour un total de 1 823 200 sur Marseille-Corse cette même année, soit 46% du total), alors que le partenariat
était jusqu'à l'automne 2019 équilibré
entre les deux compagnies, avec un bateau chacune sur les ports
principaux. Une des principales revendications historiques de La Méridionale (le maintien des deux compagnies à parité sur les ports principaux de Bastia et d'Ajaccio), reprise aussi par le STC
de la compagnie aux bateaux bleus depuis le début du conflit
social du 9 janvier 2020, ne serait donc pas satisfaite et le personnel bastiais de La Méridionale (13 personnes) devrait se tourner vers la compagnie aux bateaux rouges... En effet, les
deux navires de La Méridionale
seraient affectés aux ports de Porto Vecchio et d'Ajaccio, ce dernier port
restant desservi à parité par les deux compagnies. La Méridionale
se retirerait donc également de sa desserte historique de
Propriano pour se consacrer à celle, un quart plus longue (246
milles nautiques environ contre 201 milles), de Porto Vecchio. Certes
le trafic fret est nettement plus important sur Porto Vecchio que sur
Propriano (174 600 mètres linéaires transportés,
contre 69 600 en 2018, selon l'ORTC) et offre un potentiel de croissance peut-être supérieur, mais le
contexte apparaît peu favorable car les coûts des soutes sont
fortement renchéris depuis début 2020 du fait des
nouvelles normes environnementales en vigueur en
Méditerranée. La Corsica Linea
assurerait quant à elle l'ensemble des autres dessertes, avec
donc deux navires sur Bastia, un sur Ajaccio, un sur l'Ile Rousse et un
sur Propriano.
Sous ces hypothèses, il est possible d'effectuer un calcul
théorique des parts de marché prévisionnelles
des deux compagnies à l'horizon 2021 et de les comparer à
ce qu'elles auraient pu être si l'ancien système de
partage des dessertes entre les compagnies en vigueur jusqu'à
l'automne 2019 avait été reconduit. En effet, les
données des trafics passagers et fret des lignes Marseille-Corse
sont publiques : elles ont été publiées par l'Observatoire régional des transports de la Corse
pour l'année 2018 (ces données sont actuellement consultables sur le site de la DREAL de Corse, le site de l'ORTC
étant indisponible pour des raisons techniques...). Dès lors,
en appliquant des proratas par compagnie en fonction du nombre de
navires affectés à ces dessertes dans l'ancien
schéma et dans le futur schéma envisagé aux
trafics réels passagers et fret constatés sur les
différentes lignes Marseille-Corse puis en
réagrégeant l'ensemble des données par compagnie,
on obtient le schéma présenté ci-dessous.
Source : calculs Mare Nostrum Corsica
sur la base des schémas de desserte de la Corse tels que
constatés jusqu'à l'été 2019 et
envisagés jusqu'alors à partir de 2021. Ces schémas de desserte sont appliqués aux trafics
passagers et fret des lignes entre Marseille et les ports de Bastia,
Ajaccio, Ile Rousse, Propriano et Porto Vecchio constatés en
2018 par l'Observatoire régional des transports de la Corse.
Ainsi, par exemple, pour l'ancien schéma, la moitié des
trafics passagers et fret constatés entre Marseille et Bastia
sont conventionnellement affectés à chacune des
compagnies, tandis que dans le nouveau schéma, l'ensemble de ces
trafics sont comptabilisés pour la Corsica Linea.
Pour le fret, les valeurs de références retenues pour le
calcul sont celles exprimées en nombre de mètres
linéaires transportés.
Avec l'ancien schéma de desserte, les parts de marché
théoriques (hors mouvements de grève, arrêts
techniques de navires et autres phénomènes par nature
imprévisibles...) de la Corsica Linea auraient été proches de 56 à 57% en 2021, aussi bien pour les passagers que pour le fret, et celles de La Méridionale se seraient établies à environ 43 à 44 %.
Dans le schéma de desserte projeté jusqu'à l'été 2020 et décrit par le journal Le Marin, les parts de marché de Corsica Linea seraient bien supérieures d'après les calculs de Mare Nostrum Corsica (+12 points de pourcentage pour les passagers, +17 points pour le fret), principalement
du fait du basculement de la totalité du trafic de la
ligne Marseille-Bastia à cette compagnie. Symétriquement,
les parts de marché de La Méridionale s'en seraient trouvées réduites (de -12 et - 17 points de pourcentage). Corsica Linea serait donc dans cette hypothèse l'acteur dominant des lignes Marseille-Corse, puisqu'elle pourrait représenter en théorie environ 69% des trafics passagers et 73% des trafics fret de cet axe à l'horizon 2021. La Méridionale occuperait alors une place secondaire, avec un peu plus du quart de ces trafics. Les gains de parts de marché de Corsica Linea
seraient plus importants pour le fret que pour les passagers car, au
départ du port de Marseille, la prépondérance du
port de Bastia est proportionnellement plus marquée pour le
trafic des marchandises que pour celui des voyageurs. À noter
qu'une partie de ces gains de parts de marché a
de fait déjà été engrangée par la
compagnie aux bateaux rouges, puisque la Corsica Linea est seule à desservir Bastia-Marseille depuis le 1er octobre 2019... De ce fait, le chiffres d'affaires de La Méridionale
aurait déjà diminué de 56,6% par rapport à
la période comparable de l'année précédente
au dernier trimestre 2019, ce qui pose la question de la
viabilité de la compagnie. D'après l'étude
diligentée au cabinet de conseil Secafi Alpha par l'intersyndicale de La Méridionale le schéma
de desserte envisagé jusqu'à l'été 2020 et
évalué avant les effets de la crise sanitaire serait
néanmoins resté
viable pour la compagnie aux bateaux bleus. Toutefois,
l'épidémie de coronavirus de 2020 a très fortement
assombri les perspectives de moyen terme...
Dans ce scénario de desserte, s'il n'avait pas été précisé quels navires
seraient affrétés à quelle desserte, Mare Nostrum Corsica
vous proposait ci-dessous une hypothèse plausible, au vu des
affectations antérieures des navires lors des
précédentes DSP. La principale incertitude pesait
sur le choix des navires de La Méridionale potentiellement affectés aux différentes dessertes : il
est fait ici l'hypothèse que le navire amiral de la compagnie
resterait sur les lignes de Corse, en l'occurence sur le port d'Ajaccio
(deuxième port de l'île en termes de trafic fret, avec 638
400 mètres linéaires transportés de et vers
Marseille en 2018 selon l'ORTC) et que
le Kalliste
rejoindrait Porto Vecchio. La première de ces hypothèses
a depuis été corroborée par des
indiscrétions parues dans Le Marin. Mais La Méridionale pourrait
faire un autre choix, comme par exemple celui de faire naviguer le
quatrième navire récemment acquis par la compagnie, le Pelagos, sur Porto Vecchio ou encore le Girolata,
ou enfin une combinaison de ces navires selon les périodes,
comme envisagé par la compagnie aux bateaux bleus dans ses
dernières réponses aux appels d'offres de courte
durée...
Sources : programmes des compagnies maritimes pour les DSP actuelles et passées ; hypothèses Mare Nostrum Corsica pour
la période 2021-2027 sur la base du schéma de
desserte envisagé jusqu'à l'été 2020.
Nota : pour la
période allant du 1er février au 30 avril 2020, la
desserte des ports secondaires du Sud Corse a finalement
été attribuée fin janvier 2020 à La Méridionale, seule candidate : durant cette période, le Piana dessert Marseille-Porto Vecchio et le Kalliste,
Marseille-Propriano. Pour la période allant du 1er mai au 31
décembre 2020, La Méridionale, seule candidate s'est finalement vu attribuer le marché avec ces mêmes navires.
Des barrières à l'entrée qui auraient finalement conduit à des offres irrecevables de Corsica Linea et La Méridionale pour la Collectivité de Corse car bien plus chères que par le passé pour le même cahier des charges
L'offre menée par Corsica Linea et à laquelle s'est associée La Méridionale
serait bien trop coûteuse pour être recevable d'après le rapport de l'Office des transports de la Corse. Cela s'explique logiquement par l'absence de concurrence possible
sur Marseille-Corse, du fait de la globalité de l'appel d'offres
lancé par la Collectivité de Corse. Ici, le nouveau navire A Nepita de Corsica Linea,
à Bastia, en août 2020 (photo : Romain Roussel), qui a
desservi la Corse en sus de la programmation prévue.
Le schéma présenté ci-avant ne verra jamais le jour, la présidente de l'Office des transports de la Corse (OTC)
Vanina Borromei ayant annoncé dès début septembre
que les demandes de compensations financières des compagnies
Corsica Linea et La Méridionale seraient bien trop
élevées pour être recevables par la
Collectivité de Corse. En effet, celles-ci
s'élèveraient en moyenne à 110 millions d'euros
par an pour la période 2021-2027, contre environ 80 millions
d'euros par an actuellement pour le même service ! Aussi, l'Assemblée de Corse,
qui a jusqu'ici toujours accordé
l'intégralité des lignes Marseille-Corse au groupement
formé de Corsica Linea et La Méridionale, même lorsque la Corsica Ferries a
présenté des offres moins coûteuses en subventions,
a rejeté ce schéma lors de la session du 25 septembre
2020.
Pourtant, le partenariat étant renoué entre Corsica Linea et La Méridionale,
et celles-ci étant
désormais seules candidates, l'issue de l'attribution du
marché ne semblait initialement pas faire guère de doute,
la Corsica Ferries ayant annoncé qu'elle ne participerait plus
à l'exercice, faute que ses offres soient reçues avant la
même bienveillance que celles de ses concurrentes... Le fait que
les demandes de compensation financière de la Corsica Linea et de La Méridionale soient finalement trop élevées pour la Collectivité de Corse,
n'est en fait pas si étonnant au vu de l'importance des
barrières à l'entrée mises sur cet appel d'offres
du fait de son caractère global, qui met structurellement le
groupement de ces deux compagnies ne position de force pour
négocier avec la région. Sans compter que pousser au
regroupement des offres des deux compagnies comme cela a
été fait par la Collectivité a sans doute
aussi conduit à limiter encore davantage la concurrence et à
faire monter les demandes de compensations financières... Pour des propositions concrètes de Mare Nostrum Corsica pouvant permettre de sortir de cette impasse, voir cet article thématique suggérant une profonde refonte du système de continuité territoriale de la Corse.
Cette décision de l'Assemblée de Corse s'explique peut-être aussi par le fait que les
conséquences des suites judiciaires des compagnies qui, à l'image de la Corsica Ferries,
ont dû renoncer à postuler à ce nouvel
appel d'offres bien trop fermé commencent à faire
réfléchir les membres des offices dépendant de la Collectivité de Corse. En
effet, celle-ci a récemment dû s'acquitter d'une
première tranche de 20 M€ - confirmée en appel par
la justice et rendue exécutoire, sur un total d'environ 90
M€ déjà estimés pour la seule période
2007-2013 sachant que d'autres contentieux sont encore en cours de
traitement pour les périodes suivantes...- au titre de la
concurrence déloyale infligée par le service
d'été assuré naguère par les ferries de la SNCM sur Marseille-Corse à sa concurrente aux bateaux jaunes... S'y ajoute aussi les avertissements de la Commission européenne,
qui suit de près ce processus et s'interroge désormais
publiquement sur leur compatbilité avec les régles
du marché intérieur de l'Union. Aussi, le projet de
SEMOP
envisagé ne verra-t-il sans doute pas le jour, tout du moins
pas avant 2025.
De nouveaux rebondissements sont donc encore attendus lors
des prochains mois en matière de service public maritime de
la Corse pour boucler le futur schéma maritime qui
prévaudra entre Marseille et la Corse à compter de 2021
et qui ne devrait donc pas passer, comme initialement attendu, par une
compagnie régionale, tout du moins à un proche horizon...
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