Mare Nostrum Corsica 
- La SNCM en pleine tempête... - 

Acte I : décembre 2013 - mai 2014, la gestion de la SNCM par l'équipe de Marc Dufour

Le Danielle Casanova en rade de Toulon, par gos temps, en août 2012 ; photo : Jean-Pierre Fabre.


Sous la menace de condamnations européennes de plusieurs centaines de millions d'euros pour infractions aux règles de la concurrence, la SNCM traverse d'importantes difficultés de trésorerie  


De fortes incertitudes continuent de planer sur l'avenir de la SNCM, en raison notamment de contentieux judiciaires se montant à plusieurs centaines de millions d'euros que la Commision européenne lui demande de rembourser à l'Etat français :

Au total, sans même inclure les risques financiers induits par l'incertitude juridique pesant sur l'attribution de la nouvelle DSP, c'est donc plus de 400 millions d'euros de trop perçus qui pourraient être réclamés à la SNCM. Même s'il est très improbable que la compagnie - ou ses actionnaires - doivent au final s'acquitter d'une telle somme, la Commision européenne veut sans doute ainsi signifier à la France (et aux élus Corses) qu'il n'est désormais plus possible de s'affranchir des règles communes qu'elle a contribué à établir. Si les récentes déclarations du maire de Marseille (qui a demandé à plusieurs reprises à l'Europe "de se taire") risquent de ne pas contribuer à apaiser la situation, il semble toutefois que la France cherche désormais à négocier avec Bruxelles pour trouver une sortie de crise, après avoir dans un premier temps affirmé qu'elle ne demanderait pas le remboursement de ces aides jugées indues.

À noter qu'en réponse à ces menaces, la CGT marins de la SNCM a à son tour porté plainte en décembre 2013 auprès de la Commission européenne, cette fois contre la Corsica Ferries, pour protester contre le système d'aide sociale dont la compagnie a été le principal bénéficiaire entre 2002 et 2013 du fait que sur cette période, cette compagnie a transporté le plus de passagers entre Nice, Toulon et la Corse. La direction de la SNCM, alors dirigée par Marc Dufour, s'est associée à cette plainte et ce, bien qu'elle ait également bénéficié de ce système pour plusieurs dizaines de millions d'euros entre 2002 et 2013. À l'inverse, quoique démentant toute collusion avec la Corsica Ferries, qu'elle qualifie de "campagne de désinformation", La Méridionale n'a pas souhaité quant à elle s'associer à cette plainte. Dans un courrier adressé à la CGT, son PDG, Marc Reverchon, précise en effet que sa compagnie "n'est pas fondée à engager une telle action" et que "vouée à l'échec, elle ne résoudrait rien". Pour mémoire,
le système d'aide sociale a déjà été jugé compatible avec la législation communautaire à deux reprises par les instances européennes lors de l'examen des systèmes de subventionnement des lignes maritimes de Corse. Ironie du sort, rappelons que ce système aurait été instauré à l'initiative de la SNCM qui craignait, au début des années 2000, que l'instauration d'une délégation de service public ne conduise à l'évincer des lignes entre Nice et la Corse... Enfin, pour être tout à fait complets, rappelons que ce dispositif d'aide sociale a été supprimé à compter de 2014 par l'Assemblée de Corse et ce bien qu'il ait conduit à fortement développer le trafic passagers des lignes maritimes de Corse, en permettant aux compagnies de réduire fortement les tarifs d'environ deux tiers des passagers naviguant entre Toulon, Nice et la Corse par rapport à ceux qui étaient en vigueur avant 2002.


Au-delà de la polémique avec la Commission, la tension demeure palpable entre les différents acteurs du dossier SNCM tandis que la perspective d'une commande de nouveaux navires semble finalement s'éloigner en dépit de la signature en mars 2014 d'une lettre d'intention avec les chantiers STX de Saint Nazaire
L'arrivée à Bastia de l'Excelsior, en août 2013 ; photo : Romain Roussel.
En l'absence de décision pour l'heure sur le devenir du Napoléon Bonaparte, l'Excelsior demeure affrété par la SNCM à la compagnie italienne GNV.


En supposant que le conflit ouvert avec la Commission européenne trouve une issue heureuse, il n'en demeure pas moins que la tension semble grande entre les différents acteurs du dossier SNCM. Ainsi, une polémique assez surréaliste a récemment opposé la direction de la SNCM à ses actionnaires ainsi qu'à l'Office des transports de la Corse (OTC), depuis la parution le 18 octobre 2013 d'un article au titre choc "Corse : la SNCM menace de déposer son bilan en novembre" dans le journal Le Monde. Selon cet article, la SNCM aurait menacé de déposer prochainement son bilan en cas de non paiement d'une somme de 50 millions d'euros par la Collectivité territoriale de Corse (et d'une avance de trésorerie de 30 millions d'euros que lui refuserait jusqu'ici sa maison mère, Transdev, cette dernière somme a depuis été réglée), la direction de la SNCM expliquant que ces sommes seraient notamment dues au titre de retards de paiement de l'OTC (6 millions d'euros), de la compensation de la hausse du prix du carburant (pour 23 millions d'euros) et du service complémentaire assuré lors de l'été 2013 (19 millions d'euros) au titre des lignes de Marseille.
Intervenues à la veille de la commercialisation par la SNCM de son programme de rotations pour la saison 2014,ces déclarations, qui auraient pu faire fuir les clients, ont fait l'effet d'un premier pavé dans la mare. Tout d'abord, comme l'a reconnu depuis la direction de la compagnie "l'entreprise n'est pas endettée. Nous disposons d'environ 300 millions d'euros d'actifs" a indiqué dans les médias Marc Dufour, alors président du directoire de la SNCM. Du côté des responsables politiques corses, les réactions critiques ne se sont pas fait attendre, que ce soit de la part du président de l'OTC, Paul Marie Bartoli, ou du président de l'exécutif, Paul Giacobbi. Dans une interview très complète à France 3 Corse le 19 octobre 2013, Paul Giacobbi précise à propos des 50 millions d'euros qui seraient réclamés par la SNCM que c'est "de la fantaisie, c'est même assez scandaleux, c'est une folie" et que cette somme "ne correspond à rien". Dans un argumentaire très construit, il démonte un a un les griefs de la compagnie à l'encontre de la Collectivité territoriale de Corse et précise même que "la loi exige de réclamer les 200 millions d'euros" comme les enjoint de le faire la Commission de Bruxelles et le droit français, mais que la CTC a accepté malgré tout de ne pas le faire - et de risquer des sanctions à ce titre -, l'État ne le lui demandant pas.

Par ailleurs, Paul Giacobbi indique que la CTC "accordé dans d'excellentes conditions à la SNCM" la délégation de service public entre Marseille et la Corse et que "nous aidons la SNCM au quotidien en faisant des avances sur le plan financier" mais que la Collectivité ne peut pas, sauf à faire "des détournements de fonds publics", avancer des sommes à une entreprise qui pourraient être qualifiées d'aides d'État illicites, même si celle-ci est en difficulté du fait de sa gestion. S'agissant des prétendus retards de paiement, "il n'y a pas un centime de retard" précise Paul Giacobbi, ce serait "des inventions pures et simples" et il y aurait à l'inverse "10 millions d'euros d'avance très précisément" dans les versements de la CTC à la SNCM, la Collectivité ne pouvant violer la loi, dans l'attente des décisions de juctice définitives sur cette question, en continuant de verser des subventions au titre du service complémentaire de l'été 2013, déclarées illégales par Bruxelles depuis le printemps dernier. Enfin, s'agissant de la compensation au titre de la hausse des prix du carburant, la SNCM n'aurait demandé en justice que 3,5 millions d'euros et non 23 millions comme indiqué dans la presse, et selon Paul Giacobbi, la compagnie devrait perdre également ce contentieux, le contrat de la DSP 2007-2013 ne prévoyant selon lui ce dédommagemment qu'en cas d'accord de la CTC, accord qu'elle n'aurait jamais donné...

Second pavé dans la mare, le rapport remis le 11 décembre 2013 sur la privatisation de la SNCM et dont le rapporteur n'est autre que Paul Giacobbi, a pointé les ratages de la privatisation de la compagnie intervenue en 2005. Selon ce rapport, la privatisation en question, qualifiée de "gâchis épouvantable", aurait coûté au total plusieurs centaines de millions d'euros aux pouvoirs publics : "sans parler de la cession à un prix critiquable, des parts
détenues par la SNCM dans la société SudCargos, les pertes patrimoniales et financières totales de l'Etat sur la SNCM peuvent être estimées au moins à quatre cents millions d'euros, voire quatre cent cinquante ! " peut-on y lire en conclusion. Et le rapport d'ajouter :
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que le fonds d'investissement Butler Capital Partners (qui avait revendu au groupe Veolia ses parts de la SNCM pour 73 millions d'euros en 2008 alors qu'il les avait acquises trois ans plus tôt pour seulement 13 millions) a été "le seul bénéficiaire financier de cette affaire" ;
- que la société Veolia "qui n'avait guère d'expérience, a voulu faire beaucoup de choses et a finalement effroyablement mal géré" ;
- et que si rien ne peut être reproché à quiconque sur le plan pénal, on peut déplorer d'en être "aujourd'hui au même point qu'en 2001 ou qu'en 2006, s'agissant de la situation de la SNCM" alors "qu'entre-temps des centaines de millions d'euros ont été dépensés sans autre bénéfice que de gagner du temps"...

Dans ce contexte, l'annonce faite mi-décembre 2013 par Marc Dufour, qu'après Butler Capital Partners, deux nouveaux fonds d'investissement (Alandia et FinActive) s'intéresseraient de près à la SNCM et seraient prêts à y prendre des parts si le contentieux avec Bruxelles était réglé, a de quoi faire frémir... Par ailleurs, outre ces holdings, deux armateurs privés suivraient également au dossier. Selon plusieurs médias, l'un d'entre eux serait La Méridionale, l'actuel partenaire de la SNCM, dont le nom est souvent avancé pour exploiter les  "cargos mixtes" de la SNCM (à savoir les navires Pascal Paoli, Jean Nicoli, Monte d'Oro et Paglia Orba, utilisés sur les lignes Marseille-Corse dans le cadre de la délégation de service public)
ou pour en reprendre l'activité. L'autre, dont la nom n'a pas été révélé, mais qui serait un consortium constitué d'un armateur français et d'un autre venant d'Europe du Nord, fait penser au partenariat entre Louis Dreyfus Armateurs et le danois DFDS, qui exploite déjà plusieurs liaisons de ferries en France (Calais-Dover, Le Havre-Portsmouth et Dieppe-Newhaven - cette dernière ligne dans le cadre d'une DSP) sous la marque commerciale DFDS Seaways. Louis Dreyfus Armateurs, qui avait de longue date annoncé l'ouverture d'un service passagers entre Marseille et Tunis sans la concrétiser (le service est, à ce jour, restreint au fret) pourrait être intéressé par le développement des lignes du Maghreb de la compagnie, en supposant là aussi réglé le contentieux avec Bruxelles. Pour autant, Louis Dreyfus Armateurs (LD Lines) aurait démenti s'intéresser au dossier SNCM, alors que Christian Garin, l'ex-directeur du port de Marseille et ancien président du syndicat des armateurs français, précisait qu'avec le soutien du groupe norvégien Siem, il avait bien remis une offre au groupe Veolia en août 2013, mais que celle-ci serait restée sans réponse de la part des actionnaires de la compagnie...

Pour autant, la Collectivité territoriale de Corse (CTC) n'entendait semble-t-il pas s'orienter dans la voie d'une reprise des actifs de la SNCM par un nouveau groupe privé, si l'on en croit le courrier adressé publiquement par Paul Giacobbi au Syndicat des travailleurs Corses (STC) le 18 décembre 2013 et son intervention à l'Assemblée nationale début mai 2014. Celui-ci précisait alors que "la CTC veillera en tout état de cause à ce qu'aucune solution ne se traduise par une nouvelle captation par le secteur privé, aboutissant à bénéficier excessivement de deniers publics". Allant dans le sens des souhaits du syndicat qui prône de longue date la création d'une compagnie maritime régionale corse, il ajoute : "nous estimons que la constitution d'un outil régional de service public de la Corse serait la meilleure solution probablement sous cette forme la société d'économie mixte". Et ce courrier tordait au passage le cou à certaines rumeurs propagées sur internet qui prêtaient à Paul Giacobbi l'intention, en cas de défaillance de la SNCM, de relancer un appel d'offre très réduit, avec seulement deux navires mixtes en sus des trois cargos de La Méridionale. Il y affirmait au contraire que : "la CTC a la volonté de faire valoir ses droits dans le cadre d'une éventuelle procédure collective dans le but de prendre les quatre navires mixtes affectés au service public" tout en jouant l'apaisement en précisant que "cependant, la CTC n'émettra aucun titre et ne lancera aucune procédure qui aboutirait à précipiter le sort de la compagnie".

Au final, il semble qu'on ne puisse espérer d'issue favorable à la situation actuelle de la compagnie que si les actionnaires de la SNCM et les parties concernées (Etat, Commission européenne mais aussi les régions Corse et PACA notamment) parviennent à s'accorder sur un projet viable, qui évite de reproduire les erreurs du passé. Pour l'instant, la société Transdev a indiqué que l'apport de fonds concédé mercredi 18 décembre 2013 (13 millions d'euros) serait le dernier qu'elle accorderait à la SNCM. L'actionnaire majoritaire ayant annoncé son intention de ne pas assister au conseil de surveillance du 20 décembre 2013 qui promettait d'être décisif pour la compagnie (et aurait dû entériner la commande des nouveaux navires), celui-ci a été annulé, l'Etat s'étant aussi désisté, faute de quorum. Plusieurs autres autres conseils de surveillance se sont tenus depuis.
Le conseil de surveillance du 22 janvier 2014 a entériné le plan de compétitivité de la compagnie. Ce n'est que le 18 février 2014 que le sort réservé au navire amiral de la SNCM, le Napoléon Bonaparte, a été révélé par le site Marsactu : le navire, qui n'a toujours pas repris la mer depuis son accident du 28 octobre 2012, a été vendu par la SNCM suite à un accord trouvé avec les assureurs de la compagnie qui l'auraient indemnisée pour 60 millions d'euros (soit dix de plus que prévu, rapporte cette même source). Sa vente en l'état pour la modique somme de 7 millions d'euros a été officialisée lors du conseil de surveillance de la compagnie du 14 avril 2014 et le navire devrait finalement, après réparations, renaviguer pour le compte de la compagnie italienne SNAV (mais pas entre la Corse et le continent, une clause du contrat de cession l'interdisant selon le journal Le Marin). Enfin, le conseil de surveillance du 18 mars 2014, a - sans surprise - désigné les chantiers STX de Saint Nazaire pour la construction des futurs navires (deux commandes fermes et deux autres en option) sous réserve d'entérinement de leur financement. Les chantiers STX de Saint Nazaire, dont les soutiens sont nombreux et qui viennent de signer avec Brittany Ferries pour la construction d'un navire propulsé au GNL, ont donc damé le pion à leurs principaux concurrents (trois autres chantiers ont succesivement été éliminés : les allemands Flensburger et Nordic Yards et l'italien Fincantieri, déjà constructeur du Danielle Casanova). Toutefois, la perspective de cette commande s'éloignerait depuis avec la reprise en main de la compagnie par Transdev, intervenue en mai 2014, qui se dit ouvertement hostile au financement de ces navires...

Reste à régler la question de l'actionnarait de la compagnie. Suite au conflit social intervenu à
la SNCM et à La Méridionale du 1er au 8 janvier 2014, une réunion réunissant plusieurs élus des régions Corse et PACA - qui ne privilégient pas les mêmes options pour la compagnie - s'est également tenue ce même jour au Ministère des transports, afin de préparer les prochaines tables rondes qui devront traiter principalement de ce futur actionnariat. Les élus locaux ont paru assez divisés sur la marche à suivre suite à cette rencontre. En effet, la ville de Marseille, sa communauté urbaine et le Conseil général des Bouches du Rhône ont appelé de leurs voeux une évolution de l'actionnariat et leur entrée possible au conseil de surveillance de la SNCM, mais uniquement à titre symbolique, sans participation financière. Paul Giacobbi a réitéré quant à lui sa proposition déjà écrite au STC lors du dernier blocage du Pascal Paoli, à savoir "de discuter d'une société d'économie mixte (SEM) ou d'une société publique locale qui pourrait louer les navires à la SNCM" dans le cadre de la DSP, rappelant au passage aux élus marseillais que "la loi interdit à une collectivité locale d'être actionnaire d'une société privée" et que "ces solutions ne sont ni légales, ni possibles, donc il faudra bien discuter d'une SEM"... Voilà qui a sans doute donné lieu à des discussions animées lors de la réunion de la mi-mars 2014 organisée sur le sujet auprès du Ministre, qui s'est engagé à faire expertiser la faisabilité des différentes solutions avancées par les élus...

En attendant, le climat demeure très tendu en Corse : 72% des résidents corses interrogés du 16 au 22 janvier 2013 par l'institut de sondage Opinion of Corsica jugent que la grève de la SNCM et de La Méridionale de début janvier 2014 "n'était pas justifiée" tandis que 75% des sondés souhaitent une garantie pour le service public maritime entre Corse et continent, 37% se prononçant pour la création d'une compagnie régionale. Quant au Syndicat des transporteurs corses, il a indiqué qu'il exigeait d'être indemnisé pour le préjudice subi lors des grèves des compagnies SNCM et CMN de 2009 à 2013. Suite à une réunion entre les représentants des compagnies et de l'Office des transports intervenue le 24 février 2014, la SNCM et La Méridionale se sont chacune engagées à faire bénéficier les transporteurs corses de 200 000 euros de billets gratuits pour des transports de fret, à valoir entre le 1er mars et le 31 août 2014. Toutefois, une autre revendication des transporteurs, relative à la non application des suppléments carburants n'a pas été statisfaite et de nouveaux échanges sont à prévoir sur ce sujet après les élections municipales, a prévenu le
Syndicat des transporteurs corses.



Début janvier 2014, faute de service "social et solidaire" des navires de la SNCM et de La Méridionale, la situation est demeurée bloquée pendant 8 jours à Marseille, le fret et les passagers étant acheminés par la Corsica Ferries, sur Toulon
Les Mega Express Five et Mega Express Three de la Corsica Ferries à Toulon, en décembre 2013 ; photo : Jean-Pierre Fabre.
À la demande de la CCI de Haute-Corse et des agriculteurs insulaires, la Corsica Ferries a accru le nombre de ses rotations sur Toulon afin d'acheminer le fret en souffrance.


Pour "permettre de couvrir les besoins de trésorerie estimés nécessaires par l'entreprise pour l'année 2014", l'Etat français a accordé un apport financier supplémentaire de 30 millions d'euros à la compagnie maritime, précise un courrier de Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, au député Patrick Menucci, communiqué le 31 décembre 2013. Cette somme permettrait "surtout de mettre en place les premières mesures de retour à l'équilibre prévues dans le plan d'affaires" et d'envisager dès lors la commande du premier des cargos mixtes de nouvelle génération attendu en 2016.

Les syndicats de la SNCM ont semble-t-il très mal pris ce courrier, car malgré la volonté affichée par le Premier ministre d'alors de "mettre en oeuvre une solution de continuité pour l'entreprise, crédible et pragmatique", le blocage des navires de la SNCM et de La Méridionale a été total du 1er au 8 janvier 2014. La nouvelle DSP Marseille-Corse a donc débuté par un blocage des navires... Même le Piana de La Méridionale, qui avait pourtant été armé par la compagnie avec un équipage non gréviste, n'a pu effectuer ses rotations, car il a été bloqué par des militants CGT à Marseille, rapporte France 3 Corse. Seuls ont pu naviguer encore entre Corse et continent les bateaux de la Corsica Ferries, qui ont "secouru" les vacanciers de Noël bloqués sur l'île (d'après la SNCM, en seulement quatre jours, 6000 personnes auraient été impactées par la grève pour cette seule compagnie, pour un coût supérieur à 1,2 million d'euros) ainsi que les clémentines en souffrance ! En effet, à la demande de la Chambre de commerce et d'industrie de Haute Corse et au grand soulagement des agriculteurs insulaires, la Corsica Ferries a mis en service en seulement 24 heures un navire supplémentaire, le Sardinia Vera, entre Bastia et Toulon pour achemnier le fret qui ne pouvait être transporté à bord de ses Mega Express, permettant ainsi l'exportation de 400 tonnes de fruits !

Par ailleurs, M.Maurizi, qui préside le syndicat professionel des transporteurs de la Corse (SPTC), avait demandé au préfet de Corse, en vain, la réquisition du Piana de La Méridionale pour que soient aussi assurées des traversées avec Marseille. Devant le refus opposé à sa demande, il avait appellé le dimanche 5 janvier 2014 à l'arrêt total du transport de marchandises entre Corse et continent, mais le trafic a finalement repris dès le lundi 6 janvier suite à un accord passé avec la CCI de Haute Corse et la Corsica Ferries pour la mise en place de rotations supplémentaires en Mega Express entre Toulon, Ajaccio et Bastia (les navires faisaient alors un aller-retour de jour en sus de l'habituel aller-retour de nuit). Par courrier aux compagnies délégataires du service public sur Marseille, il aurait également indiqué suspendre le paiement de ses factures à la SNCM et à La Méridionale dans l'attente d'être indemnisé pour le préjudice subi... Il entendait ainsi faire pression sur le Gouvernement et sur les syndicats grévistes pour qu'une solution à ce conflit social soit rapidement trouvée. Outre les pertes de chiffres d'affaires, les compagnies délégataires doivent également s'attendre à des retenues financières de la part de la Collectivité de Corse pour service non rendu (La Méridionale estimerait ces retenues à 30 000 euros par jour pour ses trois navires, à ajouter à ses pertes commerciales de 100 000 euros par jour, rapporte France 3 Corse, la SNCM n'a quant à elle pas communiqué à ce niveau de détail).

A noter que le contrat de la nouvelle délégation de service public maritime Marseille-Corse entrée en vigueur le 1er janvier 2014 - d'un point de vue juridique, si ce n'est dans les faits - prévoit qu'en cas de grève, soit mis en place au cinquième jour de conflit un "service social et solidaire", c'est-à-dire la circulation d'un cargo mixte sur sept sur ces lignes (15% des rotations habituelles), afin d'acheminer les marchandises les plus essentielles et les passagers prioritaires (les résidents corses et les personnes malades notamment, ainsi que les étudiants devant passer un examen...). Pour autant, ce service qui aurait dû entrer en vigueur le dimanche 5 janvier 2014 n'a jamais été mis en place par la SNCM et La Méridionale pendant ce conflit social. Interpellé sur ce sujet par le groupe Corsica Libera, le président de l'Office des transports de la Corse, Paul-Marie Bartoli déclarait déplorer cette situation et appeler à la raison les compagnies délégataires qui ne doivent pas, dit-il, "prendre la Corse et les Corses en otage dans un conflit qui les dépassent". Il a ainsi affirmé à France 3 Corse que "c'est bien le service public qui est en cause et dès lors qu'il n'est plus fiable on peut se poser beaucoup de questions" et "qu'il faut que cette grève cesse rapidement, sinon les choses peuvent dégénérer en Corse".

Dans un interview à Corse Matin du 7 janvier 2014, il précisait même que "le fait de poursuivre la grève peut remettre en cause la délégation de service public. Elle peut être fatale à la DSP", ce qu'il aurait regretté. Jamais le ton d'un représentant de l'exécutif de Corse n'a été aussi dur envers les marins de la SNCM puisque Paul-Marie Bartoli ajoutait même que "s'ils sont prêts à rompre le contrat rapidement, ils n'ont qu'à poursuivre dans cette logique de blocage et de grève". Pour autant, aucune mesure de réquisition de navire n'a été prise, de nouveaux échanges s'étant tenus entre syndicats et Gouvernement dès le lundi 6 janvier (principalement sur le pavillon des navires reliant la Corse au continent français) mais n'ayant pas permis de suspendre la grève. Ce blocage a aussi montré alors pour la première fois que la direction d'alors de la compagnie ne semblait plus tout à fait en phase avec ses actionnaires puisque Marc Dufour, à l'époque président du directoire de la SNCM, avait même écrit au Ministre des transports pour obtenir des clarifications du Gouvernement sur le plan de sauvetage de la compagnie précisant qu'il s'interrogeait "sur les différentes interprétations qui sont faites aujourd'hui de cette notion de plan" et qu'il était dans ces conditions "dans l'incapacité d'expliquer aux représentants des salariés et aux organisations syndicales (...) les orientations des actionnaires de l'entreprise concernant le plan à mettre en oeuvre"...

Par ailleurs, à la demande de la CGT marins de la SNCM, le Gouvernement a d'ores et déjà récrit le projet de décret de la loi du 28 mai 2013 dite de l'Etat d'accueil dont une première mouture avait été soumise mi-décembre 2013 aux partenaires sociaux. La nouvelle version vise à imposer à toutes les compagnies naviguant dans les eaux territoriales françaises "les règles de droit social français issues des dispositions législatives et  réglementaires, ainsi que des stipulations conventionnelles, sur neuf points essentiels en matière sociale (durée du travail, salaire minimum...)." estimées parfois non respectées. Si ce décret ne devrait rien changer à la SNCM et à La Méridionale, déjà sous pavillon français, il est déjà qualifié d'anti-Corsica Ferries qui a fait l'objet d'une campagne de dénigrement constante pendant la durée du conflit qui a immobilisé ses concurrentes. Bien que naviguant sous pavillon italien, la compagnie à tête de maure se targue pourtant d'appliquer les conventions collectives françaises depuis son arrivée sur les lignes intérieures françaises en 1999 et précise, par la voix de son directeur général, Pierre Mattei, interviewé par la radio Corse Alta Frequenza que "l'Italie n'est ni une République bananière, ni un paradis fiscal, ni une zone de non droit social. Les marins qui sont sur nos navires bénéficient d'une protection qui est celle du code du travail italien et ils n'entendent pas du tout qu'on leur impose des règles qui seront même parfois moins intéressantes pour eux. En fait il s'agissait de faire un décret anti-Corsica Ferries probablement pour nous empêcher de travailler ou pour rendre notre travail le plus compliqué possible". Il ajoute que sa compagnie refuse d'être présentée comme responsable "à cause de ce prétendu dumping social qui en fait n'existe pas de la situation dans laquelle s'est mise toute seule par ses dirigeants et par ses actionnaires, la SNCM" et qu'elle se réserve le droit de demander à Bruxelles son interprétation du sujet. En attendant, le projet de décret "Etat d'accueil" a été soumis au Conseil supérieur de la Marine marchande le 20 février 2014 ; il devra être validé par le Conseil d'Etat pour pouvoir être promulgué et devrait normalement entrer en vigueur courant juin 2014.

Un autre fait marquant est le "Corsica Ferries bashing" ambiant qui ne concerne pas là non plus directement la situation de la SNCM, certains médias rapportant que le Gouvernement se serait également engagé à tout faire pour que la Collectivité de Corse récupère auprès de la Corsica Ferries les sommes perçues au titre de l'aide sociale aux passagers - dont accessoirement la SNCM a également bénéficié - entre 2002 et 2013. De tels remboursements mettraient sans nul doute en péril la survie de la Corsica Ferries qui ne pourra quant à elle bénéficier d'aucun soutien public, à l'inverse des deux autres compagnies privées desservant la Corse (
SNCM et La Méridionale). Il conviendrait donc que le climat s'apaise de toutes parts de telle sorte que l'on n'oppose pas en permanence les compagnies les unes aux autres et que l'on ne cherche pas, pour sauver l'une à couler telle ou telle autre, ce qui serait sans doute le pire scénario pour l'île. En effet l'un des atouts de la desserte maritime de la Corse est sa pluralité d'opérateurs, qu'il faut à tout prix préserver, pour éviter de tomber dans des monopoles néfastes pour tous. À noter que dans la période récente, les seuls soutiens de la compagnie aux bateaux jaunes sont venus des acteurs du monde économique (CGPME de Corse et CCI de Haute Corse) qui ont remercié publiquement la Corsica Ferries pour les efforts accomplis en termes de programmation des navires pendant le conflit de la SNCM et de La Méridionale de janvier 2014, ce qui à permis à l'île d'éviter l'asphyxie totale et aux exportateurs de clémentines en particulier de pouvoir néanmoins écouler leur production sur le continent.



Si les avancées obtenues par les syndicats de la compagnie ont permis de mettre fin au conflit social de janvier, la SNCM a connu un nouvel épisode de grève fin mars 2014 tandis que les acteurs du dossier s'opposaient sur le cap à suivre
Détail du ferry Corse de la SNCM, à quai à Bastia, en mai 2013 ; photo : Romain Roussel.
Le Corse est actuellement positionné sur les lignes Nice-Corse et Toulon-Corse de la SNCM, qui seraient des "gouffres financiers" pour la compagnie selon le journal Le Figaro. Selon des cadres de la compagnie interrogés par WK-logistique le 4 juin 2014, les pertes sur ces lignes atteindraient 1,2 millions d'euros par mois.



Après un blocage total de 8 jours au départ de Marseille, la reprise du travail a été effective à la SNCM et à La Méridionale à compter du jeudi 9 janvier 2014. Cette reprise fait suite à d'importantes critiques de la part des responsables de l'Exécutif de Corse (le président de l'Office des transports, Paul-Marie Bartoli étant en droit d'exiger la rupture du contrat de la DSP 2013-2024 pour service non fait et ayant clairement indiqué qu'il appliquerait des retenues conventionnelles pour plus de 1,5 million d'euros) et à une réunion organisée la veille par le Ministre des transports, Frédéric Cuvillier, avec les syndicats des deux compagnies. Celles-ci auraient obtenu des concessions importantes, avec notamment des engagements forts sur le renouvellement de la flotte de la SNCM, qui avait pris du retard, puisqu'il aurait dû en théorie être acté avant la fin 2013. Le relevé de conclusions de la réunion au Ministère des transports précisait en particulier que, s'agissant de ce renouvellement de flotte, "le montage financier devra être présenté au conseil de surveillance de la SNCM au plus tard le 15 avril, de sorte que la commande des deux premiers navires de type ropax puisse intervenir au plus tard le 30 juin 2014". Il avait même été annoncé que la commande des navires aurait pu intervenir lors du conseil de surveillance de la SNCM du 25 février 2014. Toutefois, il n'en a rien été : les actionnaires privés Veolia et Transdev, qui souhaitent se désengager au plus vite de la compagnie, auraient voté contre, rapportait l'AFP, et c'est finalement le vote de l'Etat qui, mettant fin à son abstention de février, a permis d'avaliser la lettre d'intention pour la construction des navires aux chantiers STX de Saint Nazaire. Toutefois, le plan de financement doit encore être finalisé et les actionnaires se mettre d'accord pour que la commande devienne effective, ce qui aurait déjà dû être le cas (la date de la mi-mai 2014 était alors évoquée) mais cette perspective semble désormais s'éloigner.

D'après France 3 Corse, trois plans de financement alternatifs seraient sur la table depuis début mai 2014, même si ceux-ci pourraient encore faire l'objet de discussions - voire d'amendements - suite à la réunion du 12 mai. Selon cette source,
la SNCM resterait, dans les deux premiers cas, l'opérateur des navires, qu'il s'agisse soit d'un financement en direct par la SNCM, soit d'un passage par un crédit-bail organisé par la SNCM ou d'autres opérateurs. En revanche, dans le troisième cas, l'acquisition des navires se ferait via les collectivités territoriales concernées par la DSP et l'armateur en serait le délégataire choisi. Ce dernier scénario se déclinerait en deux options : soit une société d'économie mixte - SEM - alliant collectivité et un opérateur privé, soit une société publique locale SPL, qui serait quant à elle entièrement publique. C'est ce scénario de SEM ou de SPL qui aurait la préférence des rapporteurs, qui souligneraient le peu de réalisme de la première option et la fragilité de la seconde, selon France 3 Corse. La troisième option se rapprocherait semble-t-il du scénario de SEM porté par la Collectivité territoriale de Corse et côté continental, par le seul département des Bouches-du-Rhône ; elle emporterait toutefois le risque d'une réduction du périmètre de la compagnie. Quelle que soit l'option qui sera finalement retenue, les rapporteurs souligneraient par ailleurs les risques d'annulation de l'actuelle DSP, précise France 3 Corse.

Sans attendre cette échéance de mai, les syndicats de la SNCM (sauf le STC) avaient décidé de faire remonter la pression en entamant une nouvelle grève qui a paralysé tous les navires de la compagnie à partir du
26 mars 2014 afin d'exiger la mise en place d'un nouvel actionnariat stable et durable, en vue de garantir l'avenir de la compagnie (à noter que le STC, qui avait quant à lui mené une grève le 24 mars 2014 à La Méridionale, pour des motifs autres  - liés aux conditions d'armement du navire Piana - a finalement trouvé un accord avec la direction). La mer demeure donc agitée dans le canal de Corse, d'autant que la CGPME de l'île a fait part de son "ras le bol" dans un communiqué de presse et en manifestant devant l'Assemblée de Corse en demandant à l'exécutif de Corse s'ils envisageaient des scénarios alternatifs, comme l'affrètement de bateaux afin d'assurer la continuité du service maritime... En attendant, Pierre-Marie Bartoli, excédé par cette deuxième paralysie du trafic Corse-continent de la SNCM en moins de trois mois, est allé très loin dans ses propos, en évoquant dans une interview à France Bleu Corse Frequenza Mora le 28 mars 2014 la possibilité de rompre unilatéralement la DSP maritime si le conflit à la SNCM devait perdurer, avant de semble-t-il modérer ses déclarations et de préciser qu'il ne souhaitait pas qu'on en arrive à une telle rupture, rapportent les médias insulaires. Après 5 jours d'une nouvelle paralysie totale des navires de la compagnie et le blocage de l'accostage d'un navire de croisière à Marseille le dimanche 30 mars par les grévistes de la SNCM, le président d'alors du directoire de la SNCM, Marc Dufour a demandé à l'Etat, via un communiqué de presse, que soit organisée dès le lundi 31 mars une table ronde des actionnaires de la compagnie. Les organisations syndicales de la compagnie ont finalement suspendu leur mouvement de grève le 1er avril 2014, suite aux nouvelles garanties obtenues : l'actionnaire majoritaire Transdev - qui avait alors rencontré les représentants du norvégien SIEM en vue d'une possible cession de ses parts dans la SNCM - s'étant engagé à ne pas lancer de procédure collective tandis que l'Etat devait présenter dès le 4 avril 2014 le plan de financement des nouveaux navires de la SNCM...

La suite de l'article ici : Acte II : juin - octobre 2014, de la prise de fonction d'Olivier Diehl à la fin du moratoire sur le redressement judiciaire de la compagnie
 

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