Moi, moi, moi

ou

Les peu résistibles tentations de l'exhibitionnisme électronique

(vol. 2)

Ça vaut ce que ça vaut

Depuis 1993, je gagne ma vie en traduisant – et, entre autres, de longues années durant, des kilomètres de livres pour le compte des éditions Microsoft-Press France. Je suis responsable d'un nombre absolument invraisemblable de pages accumulées sous des titres divers ayant connu des fortunes diverses (qui vont de Pleins feux sur Office ou Du Code et des hommes à L'Art du code, Au Cœur de Windows 95 et aux volumineux Kits de ressources techniques de tous les systèmes d'exploitation de Microsoft depuis Windows 95, jusques et y compris aux éléphantesques compendiums arc-en-ciel consacrés à Windows 2000). Ceux que ça intéressent peuvent consulter mon CV.
Depuis la disparition de MS-Press France, je me diversifie, comme il faut qu'on dise: du feng-shui aux illustrations botaniques du 18ème siècle, de Turner aux plantes utiles des jardins, du guide de la sexualité féminine aux rares plaisirs de la cuisine portugaise, de la manière d'assembler des sculptures de baudruches en passant par les échecs chinois, jusqu'à la manière distinguée et néanmoins féminine de tailler une pipe, je pisse de la copie de seconde main pour diverses officines papyrogènes.

 
Ça n'est que littérature

Pour mon compte personnel, je gribouille un peu – je réécris surtout d'anciennes écorces. Mes nouvelles – si ce titre s'applique bien aux textes que je rédige – sont désormais presque entièrement orientées vers la diction à haute voix. La ponctuation et la répétition y jouent un rôle de plus en plus important, comme, aussi, l'allongement des phrases. Idéalement, je cherche à susciter un orgasme de mots – à produire ce moment où, dans l'oreille intérieure du lecteur, la «mélodie» ou la cacophonie de la phrase se change en transe lucide, en jubilation – ou déchirement – du son et des sens, sans que ceux-ci ni celui-là soient autres que des éléments de construction de cet effet. Idéalement encore, je cherche sans doute, par le moyen de l'écriture, à passer au silence – à parvenir à cet état de la parole écrite qui suit celui où elle a eu lieu: non le mutisme, mais un déploiement sans limite dans sa propre ouverture à tout son possible, tout son concert déconcertant. Il m'importe peu de publier: je suis d'ailleurs à peu près illisible pour la plupart des clients de librairie, qui trouvent par exemple que Hervé Guibert, Hector Bianciotti, Christine Angot ou Christian Bobin sont des auteurs. C'est pourquoi je place aujourd'hui mes écrivailleries sur la cybertoile, à la disposition de qui les voudra. D'autres suivront, si j'ai l'envie de les écrire.

 
Ça vous chatouille ou -

Depuis vingt-deux ans (eh merde!), je fabrique une traduction des poèmes de Wallace Stevens. L'entreprise a vu le jour à Brooklyn, un soir de tristesse et de neige (encore! ou enfin? tant de réécritures), chez un Assyrien de souche, par les premiers vers de The Man with the Blue Guitar, sur lesquels sont sans effort venus se mouler des octosyllabes français au moment même de la lecture. J'avais alors en tête de soumettre ce seul poème à un éditeur aventureux, en lui proposant d'en accompagner l'édition des aimables gravures que David Hockney avait produites pour ce texte en 1977. De vers en vers, de difficultés en difficultés, je me suis fait happer par ce poète comme on se noie – ou on gagne le ciel. Je le savais difficile – l'un des plus ardus de la littérature américaine, sans aucun doute – mais cette difficulté même m'exaltait et m'aiguillonnait: si je réussissais à le transvaser en français, je parviendrais du même coup à m'approprier la langue anglaise, à y trouver ou y établir un «sol» dont mon installation aux USA m'avait si durement privé. A ainsi commencé la plus forte aventure intellectuelle que j'ai jusque là connue. Tout ce que je suis ou voulais être s'y est trouvé soumis et s'en est vu influencé, au point que je ne sais plus aujourd'hui si mes idées les plus chères, les plus intimes, les plus irréductibles ne me viennent pas de sa fréquentation.

Aujourd'hui, ma traduction, qui ne cesse de croître, même si ce n'est plus que par à-coups, englobe le tout des poèmes de The Collected Poems et déborde peu à peu sur ceux de Opus Posthumous. Elle arrive aussi, peut-être surtout, à cette fin: celle où j'ai de quoi donnner – à mains abondantes, après tant de décennies de refus, d'inquiétude, d'inadéquation, de peur, de restriction, d'effroi, d'insuffisance – un peu de plaisir à ceux qui m'en donnèrent tant.

 

Ce site serait donc bien incomplet et bien mesquin si je n'y saluais et n'y remerciais tous ceux et tout ce à qui je dois de vivre.

 

 

 
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