Actes-Sud
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Alors que je me trouve en
France en 1992, j'approche divers éditeurs avec mon travail de traduction
de Wallace Stevens — m'étant renseigné, trois ans plus tôt, sur les
droits du poète en France, j'avais appris qu'ils étaient
libres. Les résultats sont parfois grotesques: Gallimard m'affirme ainsi
publier déjà trop de poètes américains [sic!] et me demande de lui
dénicher plutôt des romanciers inédits. D'autres déclinent — dont Le
Seuil, mais en me félicitant pour la qualité de mes traductions;
plusieurs autres n'ont pas même la courtoisie de répondre; Corti
regrette de ne pas s'intéresser à la littérature américaine (ils ont
depuis drôlement changé leur fusil d'épaule).
On m'informe enfin un jour que ce sont les éditions Actes-Sud qui
détiennent en fait les droits sur les Collected Poems depuis 1989
— et qu'elles ont chargé Bernard Noël de
fournir une traduction. Ce dernier, au terme de divers échanges et de
brèves rencontres d'une grande courtoisie, se désiste en ma faveur et
fait part de sa décision à l'éditeur.
Commence une ahurissante
série de mésaventures qui va perdurer pendant plus de 10 ans et n'est
d'ailleurs peut-être pas encore achevée.
En date du 7 décembre 1994, Actes-Sud, par
la voix d'une directrice de collection, prend à mon égard «l'engagement
moral» (tels furent les termes employés, et maintes fois repris par la
suite) de publier ma traduction. Une difficulté se lève: Knopf refuse
d'accorder l'exclusivité des droits sur The Collected Poems et
cette question doit au préalable être réglée — Actes-Sud refusant ne
pas en disposer. Je demande à cette personne un accord plus tangible:
elle se récrie qu'entre «gens civilisés» de telles mesures ne sont pas
utiles, son «engagement moral» constituant une garantie suffisante. Il
me paraît alors, devant une parole qui m'est donnée avec une telle
emphase, que toute insistance de ma part serait offensante. Cette
directrice ayant déterminé — et je reprends là encore ses termes —
que «nous allions faire affaire», elle me demande d'accroître ma
traduction: Actes-Sud, explique-t-elle, présumant pouvoir à terme
disposer des droits sur la totalité de The Collected
Poems, elle entend faire paraître un volume aussi complet que
possible. Je me mets immédiatement au travail, la tenant informée de mes
progrès.
Au terme de quelques mois elle m'apprend abruptement que le recueil The
Auroras of Autumn (dont sont issus
plusieurs de mes ajouts) n'est plus entre les mains d'Actes-Sud (une
étrange série de manœuvres le fait atterrir en, ahem, Belgique et
publier en janvier 1995 sous le titre — si, si! — de L'Aurore boréale
avec, pour illustration de couverture, je n'invente rien: «Dernière
vision de Tahiti» — mais voyez plutôt la bibliographie),
et qu'elle n'entend par ailleurs pas faire figurer dans le recueil
l'ensemble The Man with the Blue Guitar, au prétexte qu'il a
déjà été traduit (dans un
ouvrage dont elle reconnaît pourtant la médiocrité). Une telle
décision ampute mon travail d'un tiers de ses textes environ. Je reprends
néanmoins ma tâche, communiquant par lettre ou téléphone presque
mensuellement avec elle (ainsi qu'avec le représentant en France de
Knopf) afin de savoir si l'imbroglio des droits a reçu une solution. Mon
dernier véritable entretien avec elle date du mois d'octobre 1996, date
à laquelle elle me déclare que «l'affaire Stevens» est pour elle close
et qu'Actes-Sud n'est plus intéressé par la publication d'une
traduction. Me jugeant évidemment «moralement engagé» moi-même avec
ses éditions, je lui demande de me rendre ma liberté et de me permettre
d'aller trouver d'autres éditeurs. Elle s'y refuse énergiquement, sans
me donner de raisons; la parole donnée conservant à mes yeux toute sa
valeur, je m'abstiens de toute démarche.
Durant ces divers entretiens, il m'est demandé si j'accepterais que ma
traduction (même si je suis aussitôt assuré que, traducteur effectif
des textes, j'aurais à ce titre le droit de refuser les suggestions
soumises) soit revue par Bernard Noël ou Anne Minkowski — du fait,
comme la directrice me le répète et me le rappelle à tue-tête, que je
ne suis «personne».
Ces personnes monnayant sans doute leur expertise à plus haut prix que
celui que ces éditions entendent débourser, c'est en fait à une anonyme
«stagiaire» que revient la tâche de revoir mon travail. J'ai dans mes
archives toutes les pages que cette personne a ainsi tachées — c'est
édifiant et, dans le domaine de l'orthographe entre autres, inventif.
Le 15 janvier 1997, de
passage à Paris, je téléphone au représentant français
de Knopf. J'apprends que l'épineuse question des droits a été résolue
— mais qu'Actes-Sud a engagé un autre traducteur. J'en appelle
immédiatement la fameuse directrice, avec laquelle j'ai un bref entretien
au cours duquel elle foule sans la moindre gêne aux pieds (qu'elle avait,
à l'en croire, «sur le seuil») des engagements dont, si elle en
reconnaît bien l'existence, elle s'arroge sans autre forme de procès le
droit de se «dédire». Elle me demande de la rappeler le lendemain:
êtes-vous surpris d'apprendre que, malgré mes appels répétés durant
la semaine qui suit, mon passage dans son bureau, les messages que je
laisse sur son répondeur et, sur un papier, entre les mains d'une de ses
collaboratrices, je ne peux la joindre? L'ignominie de son comportement ne
l'a toutefois pas gênée pour faire depuis de ce nom déshonoré celui
d'une maison d'édition.
J'obtiens au téléphone quelques jours plus tard la traductrice
désignée pour subroger le «personne» que je suis, Anne Wade Minkowski
(voir la bibliographie) et l'informe de
la forfaiture d'Actes-Sud, lui demandant de faire montre de quelque
solidarité à mon endroit ou, à tout le moins, d'émettre une
protestation auprès d'Actes-Sud. Cette dame se contente de me rappeler
qu'elle est, elle, «traductrice littéraire professionnelle» (je
comprends que je ne suis même pas une crotte de chien paraplégique,
galeux et sans doute pédophile), que j'ai été bien sot d'accorder la
moindre foi aux protestations éthiques de la directrice littéraire
d'Actes-Sud (je suppose qu'elle-même ne respire pas sans s'être munie
d'un contrat visé par six avocats au moins) et qu'elle a «priorité»
sur moi au vu que son intérêt pour WS est plus ancien que le mien
puisqu'il date de 1991 (je lui rappelle que j'ai publié mes premières
traductions de WS en France en 1986: elle me raccroche presque au nez). |
PO&SIE
et Circé
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Ma propre traduction
comportant donc de larges extraits de The Auroras of Autumn dès
lors frappés d'inutilité aux yeux d'Actes-Sud, j'envoie ces derniers à
diverses revues — avec l'aval du représentant de Knopf. PO&SIE se
montre très vivement intéressé et, après avoir pensé les publier en
décembre 1996, dans un numéro entièrement consacré à Wallace Stevens,
les intègre pour finir en tête de son numéro anniversaire (n° 80, 2ème
trimestre 1997) où je les accompagne, à la demande des éditeurs de la
revue, d'un bel article de F. Kermode un peu tiré par les cheveux (sur
les non rapports entre Hölderlin, Heidegger et Stevens) et d'un choix de
lettres du poète (voir la page bibliographie
de ce site pour de plus amples détails).
C'est à cette publication que je dois d'avoir traduit, dans la version
française L'Ange nécessaire, de The Necessary Angel de
Wallace Stevens, les deux poèmes de l'auteur qui y figurent et le poème
de Marianne Moore qui forme le sujet d'un des articles.
Les éditions Circé, chez
qui ce livre voit le jour, me demandent alors de traduire le recueil Questions
of Travel, Brazil, d'Elizabeth Bishop; elles envisagent aussi de me
commander la traduction de l'anthologie de poèmes de Mark Strand
récemment parue aux USA. Dans la foulée, je me lance, toujours pour
elles, dans un travail qui me tient depuis longtemps à cœur: la
traduction de la première version (1855) de Leaves
of Grass, de Walt Whitman. Pendant quelques mois, je me laisse
bercer par la sotte illusion que je suis admis dans la cour des «grands»
et des «personnes» à considérer qu'Actes-Sud m'avait en son temps
accusé de ne pas être.
Il faudra cependant assez vite déchanter: malgré mes interrogations
réitérées (la dernière date de l'été 2005), le travail sur Bishop
(un auteur qui figura au programme de l'agrégation d'anglais jusqu'en
2005), que j'ai remis à Circé en février 1997, s'il m'est
scrupuleusement réglé, ne verra pas le jour, pour des raisons
que je devine maintenant: là encore, c'est sûr, je ne suis personne —
ou la personne que je suis en embête d'autres. La traduction de Whitman
n'est heureusement pas soumise à un copyright à rallonge ni
thésaurisée par d'impérialistes susceptibilités: je la publie
donc ici pour tous.
Ceux qu'intéressent mon travail sur les textes de Bishop ainsi bloqués
(l'entier de son recueil Questions of Travel), ou qui voudraient
accéder à une traduction en français de ces poèmes, n'ont qu'à
m'envoyer un courriel. Il leur
parviendra sous seing privé au titre de copie personnelle. |
The Wallace
Stevens Journal
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Au début de l'année 2000,
je reçois un courriel aussi enchanteur qu'inattendu. Le responsable du
numéro spécial de THE WALLACE
STEVENS JOURNAL consacré à
l'écho international du poète — qui a vu les versions précédentes de
ce site — me demande de lui faire parvenir quelques traductions de
poèmes qu'il compte intégrer à cette publication, pour représenter ce
qui se fait de mieux en France sur le sujet. Celles-ci voient le jour à
l'automne 2001 (WSJ, vol. 25, n° 2, 25th Anniversary Issue;
International Perspectives on Wallace Stevens,
Fall 2001). Loin des coteries et des conneries, je n'aurais pu rêver
consécration plus exaltante ni plus choisie. |
Le Nouveau
Recueil
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Sur intervention d'une mienne
amie, quelques autres traductions de ma main paraissent à peu près en
même temps dans la revue de Jean-Michel
Maulpoix (Le Nouveau recueil, n° 60, septembre-novembre 2001,
Champ Vallon, Seyssel).
Il y a tout à croire que ce
seront les derniers fragments de mon travail à connaître l'encre des
imprimeries et les présentoirs des libraires: un autre éditeur ayant
voulu publier ma traduction du recueil Transport
to Summer (des Collected Poems), l'agence représentant
Knopf en France — après l'avoir laissé lanterné pendant plus d'un an
— a fini par lui répondre que
-
vue l'insuffisance de la
somme qu'il proposait pour les droits du livre (alors qu'il l'avait
une première fois doublée), sa demande n'avait même pas été transmise
aux USA;
-
elle ne pensait pas que
mes traductions fussent «acceptables» pour un public français
(comme elle n'en dispose pas, ce jugement aussi abrupt qu'injustifié
se fonde sur ce qu'il vous plaira d'imaginer, de croire, de déduire
ou de recouper).
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