Amateurs
de rock pop à sensation " Made in Belgium ", réjouissez-vous
! Voici une petite chronique du concert que Venus a donné
à la Cigale le 15 mars dernier [2000], suivie d'une interview
dans les coulisses de Patric Carpentier et de Pierre Jacqmin,
respectivement scénographe et contrebassiste du groupe.
Pop-opéra
On a pu voir sur scène les quatre musiciens, percussionniste,
violoniste, chanteur et contrebassiste, baignés de lumières
rouges et vertes, une atmosphère voulue par Patric Carpentier,
le scénographe de la formation. On a pu également se rendre
compte " live " de leur talent à diffuser l’émotion en acoustique,
une sorte de version " en négatif " des prestations de Yann
Tiersen. Marc Huygens, le chanteur à l’étrange silhouette
qui évoque irrésistiblement le David Bowie de la fin des
années 70, y a alterné les explosions de violence contrôlée
(trop contrôlée peut-être ?) et les moments d’émotion pure.
Une occasion de sentir une énergie et un talent indéniables,
communs à la plupart des groupes belges, même si l’on a
pu regretter par moment un certain manque de spontanéité,
de laisser-aller salutaire, qui freinent parfois (oh ! presque
rien !) la force qui émane de la musique de Venus, lors
de la reprise en anglais d’Amsterdam de Jacques Brel par
exemple. Le public parisien a néanmoins apprécié à sa juste
valeur, c’est à dire en s’égosillant jusqu’à l’extinction
de voix, ce groupe singulier, vraiment original, qui réconcilie
sur scène Radiohead, le Velvet Underground et l’opéra-cabaret
selon Kurt Weill.
Beauté excentrique
Tout le monde le sait, les blagues belges sont de mauvais
goût. Enfin, surtout depuis que ce tout petit pays s’est
mis à produire une flopée de groupes aussi remarquables
que Deus, Zita Swoon, Soulwax ou même Arid. De l’autre côté
de la frontière nord, les Français, décidément moins heureux
dans leur tentative de produire des groupes labellisés "
pop ", s’interrogent, et pas qu’une fois ! L’apparition
de Venus, groupe de rock pop purement acoustique, au mois
de novembre dernier, en laissa d’ailleurs plus d’un perplexe
dans l’hexagone. Le violon, grinçant, entêtant, la contrebasse
frappée et la voix de Marc Huygens, ténue et dramatique
produisent, dès le premier titre, une impression bizarre.
On ressent, tout au long de l’album, Welcome to the modern
dance hall, un sentiment curieux, à mi-chemin entre l’exaltation
et la crainte vague car la musique de Venus semble toujours
à la limite de la rupture. Sur certains morceaux comme Out
of breath, on retient effectivement son souffle, prêt à
tout entendre, pressentant l’explosion qui se fait attendre
et qui finit par vous déchirer salutairement les oreilles.
C’est que Venus, beauté excentrique, " Venus en fourrures
" qui a dérobé le violon de John Cale, aime à ménager ses
effets pour mieux séduire son monde et joue accessoirement
la comédie. She’s so disco, ludique et dérisoire, elle s’agite
sur un mélange de rythmique disco et de violonade country
en compagnie d’un Serial Killer. Soudain enjouée, elle entonne
une vraie Pop Song, simplement irrésistible, qui ferait
presque penser aux tout premiers morceaux de Divine Comedy.
Qu’à cela ne tienne, la déesse est habile séductrice et
n’a de cesse de brouiller les pistes. Tour à tour tendre
ou violente, elle murmure de curieuses ballades d’amour,
masochiste, alors qu’un xylophone s’égrène doucement (Don’t
say you need love), délicate et poétique (I’m the ocean,
Lisa little racket) ou franchement sexuelle et destructrice
sur un titre comme Perfect Lover. Chaque morceau est pour
Venus et ses musiciens l’occasion de jouer aux montagnes
russes avec les sentiments de l’auditeur, de le déstabiliser
avec une théâtralité rarement égalée qui atteint son paroxysme
pendant White Star Line. Hasard de la création ou intention
à demi avouée, Venus dissimule sa sincérité par une extrême
recherche musicale. Pour toutes ces raisons, on peut adorer
ou refuser de se laisser prendre à ce curieux mélange car
Venus est une belle fleur sombre et vénéneuse qui pousse
dans les zones les moins éclairées du cœur.
Caroline B.