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Lettre à Michel Maffesoli
Paris le 27/01/05

Cher Mr Maffesoli,

Je suis un artiste émergent qui utilise des outils de création numérique.
Je me permet d'attirer votre attention sur mon travail, parce que je viens de lire vos articles disponibles sur le site du CEAQ (pour ce qui est de vos livres, leur lecture est programmée : dès que j'aurai terminé "l'Art au banc d'essaie" de Rochlitz je m'attaque à votre "Le rythme de la vie. Variation autour de l'imaginaire postmoderne.") et j'ai relevé de nombreux points communs entre vos thèmes de recherche et les différentes considérations qui fondent mes travaux artistiques, et ce, notamment dans "Raves extatiques", "De la Postmédiévalité à la Postmodernité", "Considérations épistémologiques sur la fractalité" et "Dionysos Redivivus". J'ai pensé que, peut-être, mes travaux pourraient vous intéresser et surtout, je suis moi, très intéressé par le regard que vous pourriez porter sur mon travail.

Je connaissait votre nom, mais je n'ai découvert vos travaux que par le biais de vos écrits sur la culture techno. En effet, à 34 ans cela fait plus de 16 ans que je beigne dans cette culture qui a une influence importante sur le court de ma vie. La découverte à Ibiza en 1988 de la House music est à l'origine de mes choix artistiques en terme de recherche formelle. Cette music m'a ouvert aux capacités créatives des technologies numériques et c'est sous son influence que j'ai cessé toute pratique picturale classique pour explorer les nouveaux territoires imaginales rendu accessibles par l'ordinateur. Cette influence se voit clairement aujourd'hui, après plus d'une décennie de recherche formelle, dans l'expression de ma technique artistique que je désigne par le terme de "sampling photographique" – mais aussi : "collage numérique" ou "images-antidotes" celui le point de vue adopté -.

Mon processus créatif est le suivant : je commence par photographier des paysages, urbains ou naturels, de retour à l'atelier, je choisit une photo qui servira de matière première à l'œuvre en gestation, je la scanne, la fait pivoter pour la mettre au format portrait, la coupe en deux puis la fractalise, c'est à dire que je dissocie ses éléments constitutifs pour n'avoir plus à ma disposition un monde construit sur des lignes solides et intangibles mais un monde éclaté composés de morceaux indépendants : les samples de la photo d'origine.
Ces samples sont ensuite utilisés dans une composition d'abord conduite par un soucie d'harmonie (équilibres précaires, répétitions, fausses symétries…) puis conduite par la recherche d'une vision afin d'aboutir à la représentation d'un portrait figurant l'esprit du lieux photographié.
Si, comme vous le dites dans "Raves extatiques" : " La leçon du phénomène techno consiste à rappeler que nous sommes des morceaux de la nature et que nos obscurités ressemblent, étrangement, aux siennes", vous conviendrez qu'en dehors de mes emprunts aux techniques de composition de la musique techno, ma pratique consiste aussi en l'application - ou la démonstration ? - des leçons du phénomène techno.

Travaillant sur des séries, j'obtient ainsi des galeries de portraits racontant des histoires qui sont autant de chapitres à une mythologie personnelle révélée par ma pratique artistique. J'encourage mes spectateurs à chercher eux aussi, par la contemplation de mes images, les histoires que peuvent leur raconter ses portraits et découvrir ainsi leur mythologie personnelle. Peut-on reconnaître ici la trace du "bricolage mythologique" que vous désignez comme étant la marque de la postmodernité ?
Dans "Raves extatiques", vous notez que "l’accent mis sur le présent éternel permet d’arrêter le temps". Pour que mes portraits puissent raconter leurs histoires, il est nécessaire de ralentir la lecture de l'image, presque jusqu'à arrêter le temps, afin que leur révélation ne soit pas imposée – il ne s'agit pas pour moi de raconter ma propre mythologie – mais qu'elle soit recherchée – je met en place le contexte favorable à cette révélation qui est en réalité le fait du lieux photographié -.

Je n'ai pas découvert de façon fortuite la nécessité d'arrêter le temps : celle-ci m'a été apprise par Carlos Castaneda à travers son étude de certaines pratiques chamaniques de l'ancien Mexique. Il se trouve en effet, que parallèlement à ma découverte de la culture techno, j'ai fait l'expérience en 1992 de l'exploration du stellaire intérieur - pour reprendre la formule de Michaux - suite à l'ingestion de champignons hallucinogènes.
Cette expérience, que je n'ai jamais renouvelé depuis, est fondatrice de tout mon système conceptuel : elle m'a conduit à considérer l'importance des sens dans nos rapports au monde, à revoir le rôle de la raison, à m'intéresser aux connaissances oubliées telles que celles possédées par les Chamans et par là même à jeter un œil critique sur la notion de progrès. Je rejette aujourd'hui radicalement l'idée d'un progrès linéaire pour ne considérer qu'une croissance prenant la forme d'une spirale, où plus exactement la forme d'une multi-spirale : chaque élément de l'unicité étant soumis à un cycle propre.
C'est pourquoi, dans ma pratique artistique je m'oppose à la tabula rasa voulue par les avants gardes, pourquoi j'étudie le rôle social de l'artiste du paléolithique, des peintres de sables Navajo ou Aborigènes et que j'envisage mon art à la lumière de l'étude de Andrée Breton : "l'Art magique". Et comme il ne s'agit pas de retourner aux pratiques artistiques ancestrales mais bien de parcourir une spirale, mon utilisation des technologies numériques symbolisent la volonté de réaliser une "synergie de phénomènes archaïques et du développement technologique" (De la "Postmédiévalité" à la Postmodernité).

J'espère, avec cette lettre, avoir sut capter votre attention et que vous prendrez le temps de découvrir mon travail sur mon site Internet : www.tomb-photo.com.
J'espère ensuite que cela vous donnera l'envie de voir les œuvres en vrai lors d'une visite d'atelier ou au salon d'art contemporain de Montrouge dans lequel je vais exposer début Mai.

Pour finir, je m'appuierai sur un extrait de "Dionysos Redivivus" : "On peut dire qu'à l'image de certains moments de l'antiquité, ce qui caractérise au mieux la post-modernité est le lien s'établissant entre l'éthique et l'esthétique." pour vous encourager, si vous ne le connaissez pas déjà, à lire le livre manifeste de Stephan Barron, paru chez l'Harmattan : "Technoromantisme".

 

Réponse de Michel Maffesoli
Paris le 29/01/05

Cher ami ,
merci de votre lettre . Vous m'excuserez de ne pas vous répondre longuement , car je suis trés pris ces temps-ci , mais je voulais vous dire d'un mot que votre travail me semble du plus haut intérêt. Je vais consulter votre site .
Mon dernier livre "Le Rythme de la vie" (ed La table Ronde ) est une forme de synthèse sur cette piste : archaïsme/technologie. Parlons en un jour de vive voix.

Amicalement ,

M.maffesoli

Les prochains" Rendez-vous de l'imaginaire" que je dirige à l'Espace Paul Ricard ( 9 rue Royale,8em) auront lieu sur la critique du Progrés , le 18 février (18h30) avec H.Reeves, et le 18 mars .

 

Epilogue
Paris le 18/02/05

Par retour du courrier je réponds à M. Maffesoli que j'assisterai à la conférence du 18 février et que ce sera l'occasion de se rencontrer.
Le jour dit, je me présente à la conférence à peu près préparé : j'ai lu une bonne moitié de son nouveau livre et puisque l'interlocuteur est un scientifique, je me suis aussi plongé dans les commentaires des travaux de Lupasco qui en 1930 établit une nouvelle logique tenant compte des découvertes de la physique quantique : la logique contradictoire qui fait intervenir le tiers inclus et induit la notion de niveaux de réalités. Ces travaux me semblent d'autant plus intéressant que Maffesoli a écrit un texte sur la vitalité du chiffre trois, texte qui ne fait pas référence directement à Lupasco bien qu'on y voit apparaître des conceptions et une terminologie commune.

J'attend fébrilement la fin de la conférence et après avoir longuement tourné autour du monsieur, je profite d'un instant où il est libre pour me présenter. Il ne se rappel pas immédiatement de moi, ce qui est normal pour une personne comme lui qui doit être sans cesse sollicité, et lorsqu'il me remet en mémoire, j'entame la conversation.
A cet instant, je suis un peu déstabilisé par le manque d'attention qu'il me porte : il ne m'écoute guerre et regarde partout autour de lui – sans doute pour voir s'il n'a pas à sa portée un interlocuteur plus… valorisant ? – Je marque une pose de quelques secondes dans mon discours pour lui permettre de se concentrer sur notre échange mais au lieu de cela, le grand homme en profite pour me suggérer de prendre un verre, je me tourne alors vers le bar qui était dans mon dos et la seconde suivant, lorsque je me retourne pour savoir s'il m'accompagnait M. Maffesoli s'était eclipsé.