Entretient avec Evelyne Rogue
Evelyne Rogue est critique et professeur d'esthétique à la Sorbonne et à l'université de Clermont-Ferrand.
Cet entretient a été publié sur www.artcogitans.com en avril 2004
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Évelyne Rogue : En travaillant sur le thème de l’image et sur la notion d’image en tant que telle aussi, vos créations ne seraient-elles pas un moyen détourné, métaphorique aussi, de faire prendre conscience à l’homme d’aujourd'hui que le risque est grand et le jour proche aussi (peut-être) où il sera totalement prisonnier du temps de l’image, un temps aussi fugace qu’éphémère, et illusoire surtout ?
Thomas Bijon : Pas tout-à-fait, mon objectif n’est pas de dénoncer ou de faire prendre conscience mais d’agir. Avec mes tableaux, je propose un moyen de résister, individuellement, à la progression du temps de l’image et tente de réintroduire une dimension spirituelle qui fait défaut dans notre société.
Il me semble que c’est là le Grand Œuvre de l’art, ce que Tàpies souligne lorsqu’il dit que : “l’expérience intime de la réalité profonde, scucité par certaines analogies, certaines images, certains symboles traditionels, est un fait commun à la nature humaine, au cerveau humain, à beaucoup de cultures, et remonte très loin. Grâce à cette expérience – il n’est pas inutile d’y insister -, on peut imprimer à la conscience et aux actes humains un caractère en quelques sortes sacré et rituel qui accentue les sentiments de solidarité avec les êtres, de respect pour les valeurs altruistes et envers l’ensemble de l’univers. C’est pourquoi cela est vital pour l’humanité. Sans cette expérience, toutes nos créations reposeraient sur des sables mouvants. Nos vies ne trouveraient aucun sens et nous ne saurions pas comment fonder la moindre valeur. Et l’on sait que l’expérience de la réalité profonde se manifeste davantage dans l’ordre sensible des formes matérielles de l’art que dans l’ordre purement mental ou conceptuel” (discours prononcé lors de la cérémonie de réception comme membre honoraire de la Real Académia de Bellas Artes de San Fernando, 2/12/90).
J’ai peur que dans le contexte d’un “Art à l’état gazeux” ce Grand Œuvre ne soit plus réalisable et mes créations sont une tentative de retour à un Art concentré sur sa fonction la plus noble.
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