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Entretient avec Evelyne Rogue

Evelyne Rogue est critique et professeur d'esthétique à la Sorbonne et à l'université de Clermont-Ferrand.
Cet entretient a été publié sur www.artcogitans.com en avril 2004

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Évelyne Rogue : A propos de votre œuvre “ Le sorcier de Navajo ”, je dirai qu’elle se donne à scruter plus qu’à contemple, qu’elle invite le spectateur à lire, déchiffrer plus qu’à regarder, fusse très attentivement. Aussi je me demande s’il ne faut pas la comprendre comme un désir de faire réfléchir le visiteur autant sur la nature de l’image que sa valeur, dans un monde où chacun est, en quelque sorte, manipulé, voire victime plus ou moins consentante d’ailleurs, de ce que j’appellerai un “ monde de l’image dominante ”. Qu’en pensez-vous ?

Thomas Bijon : Je pense effectivement que l’on appartient à un “mode de l’image dominante”, que depuis 50 ans les médias en développement exponentiels véhiculent des plus en plus d’images leur assurant une position dominante tout à fait inédite dans l’histoire de l’humanité. J’ai peur que cela ait pour conséquence de fortes perturbations dans notre capacité à nous construire une identité, à être libre de choisir qui nous voulons être, ce que nous voulons penser, la façon dont nous voulons percevoir.

En effet, je constate que dans le déluge d’images auquel nous sommes soumis, pour la plupart, celles-ci sont au service d’un message : elles illustrent un propos, doivent vendre un produit… Elles ont été conçues pour pénétrer en un éclair notre intellect, faire passer leur message commercial, idéologique, utopiste… toujours prosélyte. De part leur construction, elles violent notre regard qui n’a pas encore eu le temps de les questionner quand, déjà, notre raison a assimilé leur message. L’œil qui, jadis, était un formidable outil d’interrogation du monde, de construction d’identité (de quoi est fait l’espace qui m’entoure -> quel rôle veux-je jouer dans cet espace) est aujourd’hui soumis, relégué au rôle d’orifice par lequel s’introduit la volonté des graphistes, publicitaires, journalistes, artistes, qui utilisent l’image pour nous imposer leur point de vue.

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