Mare Nostrum Corsica
Nouveau cap pour le service public maritime de la Corse depuis l'automne 2016, qui devrait voir la création prochaine de nouvelles entités régionales maritimes

Le Mega Express Five longeant le Cap Corse devant Capraï en juillet 2014 ; photo : Romain Roussel
Les élus corses n'ont pas voté d'obligations de service public (OSP) sur les lignes Marseille-Bastia et Marseille-Ajaccio, comme proposé par la Corsica Ferries depuis de longues années et, un temps, par Corsica Linea (avant qu'elle ne reprenne l'ex-SNCM et ne change de discours...), mais une procédure rénovée de délégation de service public provisoire sur l'ensemble des lignes Marseille-Corse.



Une compensation annuelle de service public réduite de plusieurs dizaines de
millions d'euros sur Marseille-Corse en 2016

Si rien n'a changé quant aux obligations de service public (OSP) au départ de Toulon et Nice vers la Corse qui avaient déjà fait l'objet d'une redéfinition fin 2013 suite à leur annulation en justice, le dispositif qui a succédé à la délégation de service public maritime (DSP) entre Marseille et la Corse à compter d'octobre 2016 est un autre dispositif transitoire de DSP pendant une période de un an, englobant l'ensemble des cinq lignes habituelles de la continuité territoriale : Marseille-Bastia, Ajaccio, Ile Rousse, Propriano et Porto Vecchio. Cette période transitoire devrait laisser le temps aux opérateurs - et en particulier à Corsica Linea - de se réorganiser en attendant la mise en place d'un dispositif plus pérenne qui ne reprendra finalement pas le principe des OSP généralisées sur les lignes principales de Bastia et d'Ajaccio. En fait, un seul opérateur, la Corsica Ferries, a fait d'offre en ce sens mais le projet de la compagnie aux bateaux jaunes n'a pas été retenu par l'Office des transports de la Corse (OTC) : il prévoyait soit d'axer la desserte sur le port de Toulon - au lieu de Marseille - si la desserte devait commencer dès octobre 2016, soit de repousser la date de la nouvelle convention à avril 2017, ce qui n'a pas été accepté par l'OTC ; en outre les capacités fret proposées n'étaient pas suffisantes sur Bastia, d'après le rapport remis à l'Assemblée de Corse le 28 juilet 2016... 

Pour mémoire, le nouveau dispositif remplaçant la DSP 2014-2023 votée fin 2013 mais rendue caduque en raison de son annulation en justice (annulation intervenue en mars 2015 en plein processus de reprise de la SNCM) afait l'objet de nombreuses séances préparatoires avant son vote le 30 septembre 2016. L'Assemblée de Corse, décisionnaire en la matière, s'est réunie plusieurs fois entre les 25 et 26 février et les 12 et 13 juillet 2016 pour étudier cette question et a été saisie de plusieurs rapports sur cette desserte. 

Le premier de ces rapports, adopté à l'unanimité en février 2016, précisait les modalités de service public et les compensations financières pendant la période transitoire qui courait jusqu'en octobre 2016 et règlait le litige qui opposait les compagnies concessionnaires (La Méridionale et, par subdélégation depuis la fin de la SNCM, la compagnie Corsica Linea-MCM, ex-Maritima Ferries - qui lui a succédé) au sujet des compensations des surcoûts du combustible sur la période passée. Il aboutissait à ajuster à la baisse les montants des compensations financières par rapport aux 96 millions d'euros annuels de référence définis jusqu'ici (montants qui couvraient en partie les surcoûts inhérents à l'ancienne organisation de la SNCM et qui se fondaient sur des coûts des combustibles près de deux fois supérieurs à ceux constatés désormais suite à l'effondement des cours du pétrole). Le compte d'exploitation prévisionnel de La Méridionale joint en annexe de ce rapport, indiquait que cette compensation globale (allant à La Méridionale et à sa subdélégataire) avoisinerait en 2016 les 78 millions d'euros annuels, soit une réduction de 24% par rapport aux sommes que la Collectivité territoriale de Corse (CTC) devait initialement débourser, comme figuré sous le graphique ci-dessous. Plus précisément, les sommes versées en compensation du service public au départ de Marseille seraient passées de 63,9 à 47,1 millions en 2016 pour l'ex-SNCM (-26%) pour 4 navires et de 40,3 à 31,6 millions pour La Méridionale (-22%) pour 3 navires.


Nota Bene : depuis la publication de ce rapport, la MCM a été absorbée par Corsica Linea et les subventions 2016 des deux compagnies de nouveau revues à la baisse.

Le rapport précisait par ailleurs qu'il avait d'ores et déjà été convenu avec La Méridionale (qui gèrait en 2016 le compte combustible pour l'ensemble de l'exploitation, c'est-à-dire pour les 7 navires mixtes employés entre Marseille et les ports corses de Bastia, Ajaccio, Ile Rousse, Propriano et Porto Vecchio) que 60% de l'excédent du poste combustible dégagé au 31 décembre 2015 du fait de la baisse des cours du pétrole soit reversé à l'Office des transports de la Corse (OTC). Les 40% restants resteraient dans le mécanisme d'amortissements des cours pour pallier toute remontée éventuelle et ne pourraient être restitués à l'OTC qu'à l'échéance de la convention, le 1er octobre 2016. Aussi, les économies pour la CTC devraient-elles au final dépasser les 26 millions d'euros sur l'enveloppe maritime en 2016. Selon un article du 15 avril 2016 de WK transport logistique, l'enveloppe aurait effectivement fait l'objet d'une nouvelle réduction, puisqu'elle avoisinerait finalement les 68 millions d'euros pour 2016 (Corsica Linea et La Méridionale confondues). De fait, une délibération adopté par l'Assemblée de Corse le 27 mai indique que plusieurs avenants auraient été conclus depuis le mois de janvier 2016 et que "au final, s'agissant des comptes consolidés de la délégation [...], le montant de la contribution est ramené à 54,7 millions d'euros à fin septembre, contre 57,5 millions au titre de l'avenant 2" et "qu'à titre de comparaison, le montant ramené sur neuf mois dans le cadre des comptes initiaux de la DSP aurait abouti à un versement de 65,2 millions d'euros". À noter que le rapport adopté en mai 2016 précise que les 54,7 millions de sunventions sur neuf mois intègrent l'affrétement temporaire du Monte d'Oro par La Méridionale pour assurer la ligne Marseille-Ile Rousse en lieu et place de Corsica Linea, et ainsi faciliter vis-à-vis de la Commission européenne la validation de la discontinuité juridique entre la SNCM et Corsica Linea, même si cela ne change rien en pratique pour les passagers...

Le contenu d'un autre rapport, également débattu fin février 2016, intitulé "État des réflexions engagées en vue de la mise en place d'une compagnie maritime régionale", restait évasif sur le contenu de ladite compagnie mais donnait des éléments de calendrier et posait les premiers jalons de ce que pourrait être le service public maritime de la Corse à compter d'octobre 2016. S'agissant de la compagnie régionale à proprement parler, ce même rapport notait que "son calendrier de création, est désormais très contraint" et propose aux élus de vote le principe que celle-ci puisse "au moins être créée (statuts votés en Assemblée) d’ici la fin de l’été [2016] pour répondre aux futures DSP". Il a finalement été significativement amendé en séance (dans le sens où l'étude de la création de la compagnie régionale ne représenterait plus qu'une piste parmi d'autres, même si c'est toujours celle privilégiée par la majorité territoriale) et été adopté le 25 février 2016 avec les seules voix de la majorité nationaliste (soit 24 sur 51), les autres groupes s'abstenant en grande majorité et quelques élus votant contre ce projet (François Tatti, Paul-Marie Bartoli, l'ex-président de l'OTC, et les élus du groupe communiste). 



Le rapport de l'OTC voté le 15 avril 2016 proposait une expérimentation de 2 ans d'OSP sur Marseille-Bastia et Marseille-Ajaccio d'octobre 2016 à septembre 2018 mais il y aura finalement une DSP sur ces lignes jusqu'à l'automne 2017 !
 
Le Piana de la Méridionale et le UN RoRo au port du Brégaillon en décembre 2015 ; photo : Jean-Pierre Fabre.
Le port du Brégaillon (ici sur une photo de Jean-Pierre Fabre, prise en décembre 2015) aurait été mis à contribution dans le cas où le service public maritime de la Corse aurait délaissé le port de Marseille pour celui de Toulon, ce qui ne devrait finalement pas être le cas, une proposition en ce sens de Corsica Ferries n'ayant pas été retenue...

Sans surprise, le rapport adopté en février 2016 notait aussi que la consultation publique sur la desserte maritime de l'île, lancée en décembre 2015 par la précédente majorité territoriale "a abouti à une répartition des positions des compagnies entre 2 opérateurs proposant le recours à des OSP (Corsica Ferries et Corsica Linea) et 2 opérateurs privilégiant la DSP (CMN et MCM - l'ex-SNCM)". Aussi, actant le fait qu'aucun modèle de desserte ne recueillant l'unanimité des opérateurs en présence, il en tirait les conséquences en conculant que : "il est donc souhaitable de tester la réalisation d’OSP non compensées et généralisés sur les ports de Bastia et Ajaccio (les ports secondaires n’étant manifestement pas viables sans compensation), selon le dispositif suivant". Dès lors, dans ce schéma, finalement écarté, les dessertes des ports principaux de l'île n'auraient plus été subventionnées : cela aurait représenté une rupture majeure par rapport à l'ancien système, à deux titres :

- Tout d'abord, dans ce schéma, l'attribution des lignes ne se serait plus faite à un délégataire exclusif (ou à un pool de délégataire, comme c'était le cas jusqu'en décembre 2015 avec la SNCM et La Méridionale) mais à tout opérateur présent sur les lignes et satisfaisant les conditions de desserte et de régularité du trafic. 

- Ensuite, cela aurait représenté des économies très importantes pour la CTC, les compensations financières au titre de ces deux ports de Bastia et d'Ajaccio étant jusqu'alors chiffrées au total à 53,5 millions d'euros par an en moyenne annuelle sur 2014-2023 dans la précédente DSP, soit un peu plus de la moitié de la dépense totale jusqu'ici consacrée par la Corse au maritime !

A été réaffirmé le fait qu'en termes de port continental, il y aurait un "recours à Marseille uniquement"... ce qui a été confirmé par le cahier des charges du future mode de desserte définitif qui succèdera à la DSP provisoire à l'automne 2017 et sera voté par les élus corses avant la fin 2016. Avant de finalement se rapprocher du port de Marseille, le président de l'OTC, Jean-Félix Acquaviva, avait pourtant fait des déclarations au journal Le Marin le 19 février 2016 précisant que si la CTC était empêchée de réaliser son projet de compagnie régionale sur la base du rapprochement entre Corsica Linea et la MCM (voir article dédié), elle réfléchirait à toutes éventualités "qui pourraient passer par le choix d'autres ports que Marseille", sans doute Toulon, voire des ports italiens (la CTC souhaitant dans le même temps développer une continuité territoriale européenne vers la Toscane et la Sardaigne notamment). Cette éventualité est désormais totalement écartée.

Les capacités minimales prévues pour le service public transitoire de un an à compter de l'automne 2016 sont de 11 000 passagers mensuels (par sens) sur Marseille-Ajaccio et de 12 500 passagers sur Marseille-Bastia et non pas l'inverse, comme indiqué semble-t-il par erreur dans le rapport adopté en février 2016 (ce périmètre aurait en effet été défini suite à la consultation publique menée en novembre-décembre 2015, dans les deux cas). Pour le fret, traditionnellement plus important sur la plate-forme bastiaise, les capacités minimales exigées sont de 49 900 mètres linéaires par mois (et par sens) sur Bastia et de 36 600 mètres linéaires sur Ajaccio. Comparés aux niveaux requis précédemment dans le cadre de la DSP 2014-2023, très excédentaires en termes d'offre de transport par rapport aux niveaux de trafics portuaires constatés, ces niveaux marqueraient une réduction des surcapacités, de l'ordre de 20% en moyenne, comme illustré au tableau suivant (tableau des capacités annuelles minimales exigibles, sens aller-retour confondus).

Nota Bene : calculs Mare Nostrum Corsica à partir des rapports de l'OTC du 27 mai 2016 et du 5 octobre 2012,
sur la base de l'hypothèse que les capacités indiquées dans le rapport de 2016 s'entendent sur la base d'un seul sens de desserte.

D'après WK transport logistique, la consultation de deux mois des opérateurs pour savoir si ces capacités doivent être assurées en DSP ou en OSP n'aurait eu lieu que pour mettre l'exécutif de Corse à l'abri des poursuites judiciaires qui ont émaillé les précédents exercices d'attribution des DSP maritimes corses jusqu'ici ; celle-ci n'aurait finalement rien donné d'autre que l'offre de Corsica Ferries évoquée plus haut et finalement écartée fin juillet 2016, malgré les améliorations apportées courant juin par la compagnie maritime, qui n'auraient pas été suffisantes d'après le rapport de l'OTC soumis aux élus corses. Elle aurait seulement visé à montrer à la Commission européenne que le système des OSP ne serait pas financièrement viable pour un opérateur non subventionné [1], même sur les lignes principales (Marseille-Bastia et Marseille-Ajaccio) compte tenu des tarifs contraignants imposés. De fait, le président de l'OTC Jean-Félix Acquaviva, cité par cette revue en ligne courant avril 2016 indiquait déjà publiquement : "nous doutons que les OSP remplissent les critères nécessaires à la spécificité des trafics et des attentes tarifaires", tout en ajoutant que les horaires des navires ne figureraient pas parmi les critères, contrairement à ce qui prévalait lors des appels d'offres précédant (ce qui laisserait davantage de liberté aux compagnies pour proposer des schémas de desserte novateurs). Pour autant, Jean-Félix Acquaviva a déclaré dans une interview à la radio Alta Frequenza le 28 mai qu'il cherchait à négocier avec les compagnies délégataires le fait que les navires mixtes puissent accoster dès 6h du matin (au lieu de 7h dans le cas général jusqu'ici) pour éviter les problèmes de circulation en ville, constatés notamment à Bastia et Ajaccio...

En termes de régularité de la desserte, les obligations de la future desserte de service public pourraient être les mêmes que dans la DSP transitoire (voir détails dans l'article thématique dédié) et les opérateurs présents devraient desservir ces lignes toute l'année sans interruption. 



L'Assemblée de Corse a entériné le 6 septembre 2016 le nouveau schéma des transports maritimes conçu par l'OTC, portant création de nouvelles entités maritimes régionales corses et la cession par Corsica Linea de deux navires à ces sociétés d'ici octobre 2017 !

Les Mega Express Three de la Corsica Ferries et Jean Nicoli aux nouvelles couleurs de Corsica Linea, en avril 2016 à Ajaccio (photo : Jean-Pierre Fabre).


Les opérateurs n'ayant pas apporté de réponse jugée satisfaisante en termes de schéma de desserte par OSP en avril-mai 2016, l'Assemblée de Corse a voté une nouvelle DSP transitoire d'un an entre Marseille et la Corse, le 30 septembre 2016 et l'a attribuée au groupement Corsica Linea / La Méridionale

S'agissant des ports dits secondaires (Ile Rousse, Propriano et Porto Vecchio, celui de Calvi étant désormais fermé aux ferries), sujet d'inquiétude déjà pointé par Mare Nostrum Corsica dans un précédent article et dont la desserte "ne serait manifestement pas viable sans compensation" précise le rapport de l'OTC, le recours à la DSP était acquis dès le début de la procédure, mais sous certaines conditions ("en distinguant chaque port par une procédure propre de mise en concurrence"), sans doute vues avec la Commission européenne, pour éviter tout litige futur. La fréquence de desserte de ces ports, va rester au minimum tri-hebdomadaire depuis Marseille pendant la période transitoire, comme par le passé ; en revanche, à ce stade rien n'est prévu concernant les éventuelles lignes intra-communautaires évoquées... En tout état de cause, en sus du service public usuel des ports secondaires de Corse, la Corsica Ferries s'est d'ores et déjà positionnée à l'année sur Porto Vecchio et notamment au départ de Toulon pour l'automne-hiver 2016-2017, en y programmant une desserte régulière en Mega Express.

Enfin, s'agissant du projet de création d'une compagnie régionale porté par l'exécutif de Corse, Le Marin rapportait dès le 30 juin 2016 des propos de Jean-Félix Acquaviva sur le nouveau schéma, inspiré de l'exemple écossais, qui "prévoit la mise en place d'une société d'investissement et de deux sociétés d'exploitation sous forme de Semop, société d'économie mixte à objet prioritaire, une port les ports principaux (Bastia et Ajaccio), l'autre pour les ports secondaires". Alors que la société d'investissement serait majoritaire publique, les Semop pourraient être à composante privée plus ou moins élevée ; celle desservant les ports secondaires - dont la desserte est structurellement déficitaire - devrait en particulier être majoritairement détenue par la CTC, contrairement à celle dévolue à la desserte de Bastia et d'Ajaccio, qui resterait majoritairement privée. C'est bien ce schéma d'organisation des opérateurs de transport avec deux Semop d'exploitation et une société d'investissement qui est décrit dans les documents de l'ORTCet qui a été adopté par les élus corses le 6 septembre 2016, date qui restera sans doute dans l'histoire comme celle du feu vert donné à la création d'une compagnie maritime régionale corse (même de plusieurs, en l'occurence, quoique les navires pourraient de fait être ensuite loués aux opérateurs déjà existants...), projet porté de très longue date par le STC.

Le projet de compagnie régionale s'était pourtant heurté pendant plusieurs mois à certaines réticences de plusieurs actionnaires de Corsica Linea qui n'entendaient pas céder les navires de l'ex-SNCM (tout juste repris à très bas coût par la MCM suite à la décision du tribunal de commerce de Marseille de novembre 2015). Pour autant, les choses ont progressivement avancé. Corse Matin du 25 mai 2016 rapportait déjà que le consortium souhaitait arriver à un compromis avec la CTC consistant à détacher deux navires pour la desserte de ports de l'île - à préciser - dans le cadre d'une compagnie semi-publique régionale (une Semop). Plus récemment, le représentant de la Corsica Linea, François Padrona, a déclaré souhaiter concentrer davantage sa desserte sur les axes principaux du fret, à savoir Marseille-Bastia et Marseille-Ajaccio avec les subventions de la DSP et ne plus toucher si possible les ports secondaires de l'île "qu'en haute saison pour délester le réseau routier"... Interrogé par France 3 Corse le 30 août 2016, il prend ainsi l'exemple d'une liaison Marseille-Porto Vecchio pour laquelle au mois de février, "pour 5 000 euros de recettes on a un coût de 140 000 euros, ce n'est un bénéfice que pour les compagnies pétrolières et la pollution que l'on génère".

La CTC, qui avait clairement annoncé souhaiter reprendre la main sur "la gestion de l'outil naval" dans sa totalité, avait mis la pression sur ce dossier. Jean-Félix Acquaviva s'était montré très clair et ferme, déclarant dans Corse Matin le 25 mai 2016 que les membres de l'exécutif n'étaient pas là "pour satisfaire les exigences des entreprises" et que "s'ils gardent leurs navires, nous leur demanderont de les enlever de nos quais. Ils devront utiliser leurs navires ailleurs, à leurs coûts et à leurs frais" ! S'agissant du prix d'achat des navires par la CTC, là aussi, il précisait à l'encontre des opérateurs La Méridionale et Corsica Linea : "soit ils font les travaux de maintenance des navires et ils vaudront 40 millions d'euros, soit ils ne les font pas et ce sera 15 millions", ce qui témoignait d'échanges assez âpres en vue de la constitution de la compagnie régionale... 

Au final, on a appris le 29 juillet 2016 que Corsica Linea acceptait de céder ses deux navires mixtes les plus anciens, les Monte d'Oro et Paglia Orba, à la Collectivité territoriale de Corse, pour un prix total de 10 millions d'euros. À noter que ce prix a été établi avant une expertise sur le terrain de ces navires. Toutefois, leur valeur réelle pourrait être un peu supérieure, sous réserve d'une "visite physique" des navires, puisqu'une première évaluation théorique effectuée par le cabinet BRS Group, citée par les documents de travail de l'OTC, évalue le Monte d'Oro à "10 à 20 millions d'euros" et le Paglia Orba "entre 20 et 22 millions d'euros". 

En revanche, à ce jour, La Méridionale n'aurait pas donné suite au projet de cession d'une partie de ses navires à la CTC et ce alors même que l'exécutif de Corse semblait plutôt tabler sur une flotte régionale de trois navires, au vu des projets de renouvellement envisagés. Si le transfert des Monte d'Oro et Paglia Orba a bien été validé par les élus corses le 6 septembre 2016, il ne serait effectif qu'à l'horizon du début de la future desserte de service public de dix ans, c'est-à-dire début octobre 2017. Sur son compte Facebook, Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de Corse, précise le 29 juillet 2016 que : "le budget de coût de maintenance (14 millions d'euros) et de grosses réparations (10 à 12 millions d'euros) est prévu, intégré à la dotation de continuité territoriale que gère la CTC. Au lieu de verser ces sommes, comme c'était le cas jusqu'à aujourd'hui, à des opérateurs privés extérieurs à la Corse, celles-ci seront attribuées à la future société d'investissement propriété des navires ou gérés directement par l'office des transports. Cette maîtrise permet en outre de réaliser des économies en évaluant les coûts d'entretien au plus juste ou en faisant jouer la concurrence de manière saine. Une économie de 25 à 30% est réalisable sur ces budgets tout en assurant l'entretien".

En outre, autre nouveauté susceptible de créer des emplois sur l'île, il évoque également "la structuration d'une filière économique sera aussi envisagée pour optimiser les retombées économiques et sociales pour l'île (emplois qualifiés, notamment pour les jeunes ; projet monté en synergie avec le lycée maritime, les CFA, enseignement professionnel et enseignement supérieur)".

Les rapports de l'OTC adoptés le 6 septembre prévoient que les deux navires ainsi acquis par la CTC puissent être mis à la disposition du ou des futures délégataires du service public, a priori, l'un pour les ports principaux de l'île (le Paglia Orba, qui dessert déjà aujourd'hui Marseille-Ajaccio), l'autre pour les ports secondaires (le Monte d'Oro, qui dessert jusqu'ici Marseille-Ile Rousse). Enfin, un renouvellement des navires est envisagé à terme puisque le Monte d'Oro
"pourrait, selon la programmation de gestion de la flotte proposée par l'exécutif, être mis en reprise en 2021. Le plan de financement présenté permettrait d'envisager l'acquisition de 3 navires hybrides neufs (non polluants) qui pourraient être construits entre 2022 et 2033" précise-t-il. De fait, les documents de l'OTC adoptés le 6 septembre 2016 envisagent deux schémas possibles de remplacement des navires, qui seront définitivement arrêtés dans les prochains mois : le premier dans lequel les navires coûteraient respectivement 80, 95 et 130 millions d'euros, le second dans lequel ils coûteraient chacun 100 millions d'euros. Les calendriers de renouvellement envisagés sont en revanche identiques dans les deux scénarios, puisque le premier navire serait attendu pour 2022, le deuxième pour 2028 et le troisième pour 2033, quoique les schémas de financement envisagés diffèrent selon les cas (emprunt sur 30 ans, mobilisations de ressources annexes...). En tout état de cause, le contentieux entre l'OTC et les compagnies sur la propriété des navires est désormais clos, le document adopté par les élus corses le 30 septembre 2016 le reconnaissant explicitement sous réserve du transfert effectif des Paglia Orba et Monte d'Oro à la nouvelle compagnie corse à l'automne 2017.

Trois navires de la continuité territoriale au port de Marseille en juillet 2016 ; photo : Jean-Pierre Fabre
Marseille devrait garder la primauté pour le fret avec la Corse, comme sur cette photo de Jean-Pierre Fabre prise en juillet 2016 ; de gauche à droite, les navires mixtes Kalliste, Girolata - devant la tour CMA-CGM - et Pascal Paoli



L'Assemblée de Corse devra encore adopter le cahier des charges de la future desserte de service public pérenne maintenant que La Méridionale et Corsica Linea ont été désignés pour la DSP provisoire faisant le relai jusqu'en octobre 2017


Le futur cahier des charges de la desserte de service public maritime pour la période de 10 ans à compter d'octobre 2017 reste encore à fixer. Selon Jean-Félix Acquaviva, président de l'OTC, les élus corses devraient débattre en octobre prochain du "pacte d'actionnaire, les statuts et le contenu de la délégation de service public avec notamment les tarifs dans un même document" pour lancer l'appel d'offres en novembre 2016 et laisser aux opérateurs intéressés jusqu'en mars 2017 pour répondre, le choix de la Collectivité de Corse étant attendu pour juin 2017 en vue d'une application effective de la nouvelle desserte à compter d'octobre 2017, en même temps que la mise en place des compagnies régionales. Celle-ci - qui pourrait ne pas prendre formellement la forme d'une DSP du fait de la création des entités régionales - laisse pour le moment place à une DSP provisoire d'un an (octobre 2016-septembre 2017) dont le cahier des charges a été adopté le 27 mai 2016, afin d'assurer le service public des lignes Marseille-Corse. Les délégataire de la DSP transitoire d'un an - La Méridionale et Corsica Linea - ont été désignés le 30 septembre 2016, c'est-à-dire la veille de son entrée en vigueur !

Pour la suite, les conséquences concrètes de la division du marché en deux sociétés d'exploitation (l'une pour les ports principaux, l'autre pour les ports secondaires) et en une société propriétaire des navires ainsi que de la cession de deux navires de Corsica Linea aux futures entités régionales corses restent encore à ce stade difficiles à apprécier et nécessiteront sans doute de nouveaux éclaircissements dans les prochains mois. La question du nombre de navires se pose en particulier, puisque trois navires sont évoqués comme objectif à terme pour les futures entités régionales corses alors que seuls deux navires leur reviennent suite à l'accord passé avec Corsica Linea et que le contentieux sur la propriété des navires (qui ne seront finalement pas considérés comme des biens de retour) est clos...

Par ailleurs, Jean-Felix Acquaviva a annoncé qu'il souhaitait également avancer courant 2017 à la fois sur la cohérence les dispositifs de service public aérien et maritime sur les passagers, ainsi que sur la mise en place d'une continuité territoriale entre la Corse, la Sardaigne et l'île d'Elbe.


En sus de ses lignes corses sous DSP, la Corsica Linea devrait continuer à desservir le Maghreb au départ de Marseille, mais Daniel Berrebi, candidat éconduit à la reprise de l'ex-SNCM, s'est déclaré toujours intéressé par ces lignes et ouvert à un partenariat avec la compagnie aux bateaux rouges. Photo prise à Marseille en août 2016 par Guillaume Leandri (Danielle Casanova à gauche, Elyros d'Algérie Ferries à l'arière plan à droite).

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Note :

[1] Si les offres des opérateurs consultés s'étaient avérées satisfaisantes, des OSP auraient pu être votées à l'été 2016, avec des conditions de fréquence et de maximum tarifaires à respecter, mais aucune subvention n'aurait été versée en contrepartie (à l'image de ce qui se pratique déjà sur les lignes Toulon-Corse et Nice-Corse). Plus précisément, les OSP auraient donné lieu à des fréquences moins contraignantes que la DSP jusqu'ici en vigueur sur ces lignes (un minimum de 2 allers-retours par semaine serait exigé par opérateur sur chacune de ces lignes, alors que l'ex-SNCM et La Méridionale en assuraient jusqu'ici 3,5 chacune en moyenne, le service étant quotidien et réparti à parité). Cela n'aurait pourtant pas signifié nécessairement une réduction de la desserte dans la mesure où l'attribution des lignes n'étant plus exclusive, des opérateurs nouveaux auraient pu se positionner (comme c'était déjà le cas de Corsica Linea en début d'année 2016 avant qu'elle ne fusionne avec l'ex-SNCM, à la différence notable qu'aucun opérateur présent ne percevrait désormais de subvention pour ces lignes...) ;

Si le schéma d'OSP sur Marseille s'était avéré viable, le recours aux OSP plutôt qu'à la DSP aurait en outre posé un problème nouveau, celui de la "répartition des fréquences" entre opérateurs dans l'hypothèse où plusieurs compagnies non partenaires auraient décidé d'opérer simultanément sur Marseille-Ajaccio ou Bastia (comme c'était le cas sur cette ligne de janvier à début mars 2016 avec le tandem MCM / La Méridionale d'une part et Corsica Linea d'autre part) ; l'organisation de la desserte aurait donc dû prévoir une "possibilité pour l’OTC de répartir les opérateurs sur les jours permettant d’assurer les fréquences et capacités voulues". Par ailleurs, comme précisé dès février 2016, ces OSP auraient été "définies pour une durée de deux ans, avec un nouvel appel à opérateur chaque année", mais ce schéma est définitivement écarté. La crainte de voir diminuer la capacité fret et de voir les compagnies délégataires du service public devoir affronter un nouveau plan social l'a donc semble-t-il emporté sur la volonté de réaliser des économies encore plus conséquentes sur l'enveloppe de continuité territoriale. 


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