Une année d’animations

Introduction
Octobre 2002 Radio Alpilles
Novembre 2002 Colmar

Décembre 2002 Chevreuse 1

Février 2003 Chevreuse 2

Avril 2003 Bretagne

Mai 2003 Narbonne

Juin 2003 Grateloup

Les élèves ont lu huit livres de divers auteurs, dont ma vie de Mozart. Ils doivent décerner un prix. Le délai est très court, mais j’accepte pour Mozart.
– Sur les huit, c’est mon préféré, prétend la documentaliste.
– Vous dites ça à tous les auteurs.
– Je n’ai pas pu le dire aux autres, vous êtes le premier à m’appeler.
Je pars dans un des coins les plus reculés de notre beau pays. J’ai demandé un piano. J’ai préparé une suite de petits morceaux permettant de suivre la vie de Mozart à l’oreille.
– Je vais vous jouer le premier morceau officiellement composé par Mozart, un petit menuet écrit à six ans… Ça vous plaît? Maintenant, je vais rejouer le début. Les notes sont proches les unes des autres, parce qu’il avait une petite main. Écoutez ces deux notes: elles sonnent bien ensemble; elles s’appellent toutes les deux do. Un do en bas, un do une octave plus haut. Do ré mi fa sol la si do, gratte-moi la puce que j’ai dans le dos. Ça sonne presque pareil parce que le son du bas vibre exactement deux fois plus lentement que celui du haut. Les vibrations arrivent ensemble un coup sur deux (il y en a peut-être mille par seconde), donc le tympan peut vibrer de manière régulière et plaisante. Mais si je joue do en bas et si en haut, ça casse les oreilles, ça sonne mal. C’est dissonant parce que les vibrations ne sont pas synchronisées et ne tombent jamais ensemble. Le tympan ne sait pas où donner de la tête. Si je passe de la dissonance à la consonance, ouf, ça va mieux! Je rejoue le morceau de Mozart. Écoutez: il y a des passages de la dissonance à la consonance toutes les trois secondes. On appelle ça: résoudre la dissonance. J’imagine bien le petit Mozart fasciné par la conclusion heureuse des affreuses dissonances…
Je joue la Fantaisie en ré, écrite à 25 ans, qui joue un rôle dans mon livre Sans Accent. Ça sonne déjà comme du Mozart, tendre et mélancolique. J’explique aux élèves que cela tient (à mon avis) à l’utilisation de petites séquences chromatiques.
Je montre ensuite comment le contrepoint du vieux Bach déboule d’un seul coup au milieu du rondo K 511, écrit à 30 ans. Le baron Van Swieten, bibliothécaire de la Cour, a invité Mozart à examiner les précieux manuscrits des œuvres de Bach (publiées longtemps après la mort de Mozart). Le contrepoint, c’est la superposition de plusieurs voix, un truc qui vient des monastères. Je joue le début d’une fugue de Bach. Un canon comme Frère Jacques, c’est aussi un bon exemple de contrepoint.
Les derniers morceaux de Mozart s’envolent déjà vers le paradis. Par exemple, l’adagio qu’il a composé pour Mlle Kirchlager, une jeune aveugle qui jouait sur un instrument étrange, l’harmonica de verre – inventé par Benjamin Franklin. La musique, éthérée, ressemble à celle des clochettes dans La Flûte Enchantée. Mozart quitte le monde sur la pointe des pieds…
Ah, le bel exposé! L’ennui, c’est que sur trente élèves, deux ou trois seulement ont lu mon livre, ou disons parcouru mon livre. La documentaliste a inventé un beau conte de fées (“Les élèves qui participeront à la séance ont lu les huit livres en entier”) pour me convaincre de venir.
Comme les élèves n’ont pas lu le livre et n’ont pas l’habitude d’écouter de la musique classique, ils suivent mon récital d’une oreille distraite. Moi, ça me trouble et je peine à poser les doigts sur les bonnes notes… Enfin, nous nous amusons bien quand même. Je tente de leur faire chanter Frère Jacques en canon. Quelle cacophonie! La prof de musique dit qu’ils jouent du pipeau. Elle dit “flûte à bec”, mais ça ne change rien à l’affaire. Je me demande qui a introduit cet instrument ridicule dans les écoles. Parce que ça ne coûte pas cher. Ils feraient mieux d’apprendre à chanter, c’est gratuit.
Ensuite, la documentaliste m’annonce que l’intendant veut payer seulement une demi-journée. Pourtant, j’ai bien précisé au téléphone que la Charte des Auteurs demande que l’on considère le temps “passé par l’auteur en dehors de son domicile”, temps que j’évalue à au moins douze heures. Je reste très aimable, mais je suis fâché en dedans, à cause de mon mauvais caractère.
Bah, en fin de compte je suis plutôt content. Cette conférence-concert, c’est une bonne idée. Pour que ça marche, il faut que les élèves étudient le livre avec leur prof de musique pendant trois ou six mois. Il faut qu’ils écoutent des œuvres de Mozart et de Bach, un peu de chant grégorien (pour l’origine du contrepoint), puis du Wagner et du Richard Strauss (pour la dissolution progressive de la musique dans le chromatisme). Il faut qu’ils chantent Frère Jacques.
Pas plus tard que ce matin (16 avril), j’ai reçu une lettre d’une lectrice de 14 ans. Elle a lu tous mes romans. Après avoir lu les livres sur Mozart et Beethoven, elle a eu envie d’écouter leur musique. Elle a pris goût à la musique classique. “Je suis tombée à genoux devant la splendeur, la profondeur, la sensibilité de l’œuvre de Beethoven”, écrit-elle. “Je vous remercie vivement de cette dimension que vous m’avez offerte grâce à vos livres.”
Ah mais!