Une année d’animations

Introduction
Octobre 2002 Radio Alpilles
Novembre 2002 Colmar
Décembre 2002 Chevreuse 1

Février 2003 Chevreuse 2

Avril 2003 Bretagne

Mai 2003 Narbonne

Juin 2003 Grateloup

Un collège de Colmar.
J’aime bien quand les élèves posent une nouvelle question. Cette fois-ci:
– Existe-t-il des liens entre vos livres?
– Ben d’abord, ils sont tous écrits par le même auteur [Ça, c’est pour les faire rire un peu]. Ensuite, il y a une trilogie, donc trois livres dans lesquels reviennent les mêmes personnages. Et le prochain, Le Roi de l’Autostop, fera le quatrième de la trilogie comme D’Artagnan pour les Trois Mousquetaires. Maurice Garbarz, qui a servi de modèle pour Le Ring de la Mort, apparaît dans Sans Accent et dans Le Roi de l’Autostop [Je leur montre une photo où l’on voit Maurice Garbarz en compagnie de mon père]. La colonie de Mimizan figure dans Mes Enfants, c’est la Guerre et dans Sans accent. Milek Roth, un personnage mineur de Une Nouvelle Vie, Malvina, apparaît aussi dans Kama. Si je me souviens bien, ma copine Katia prononce dans Sans accent la phrase: “Tout est relatif, comme dit Einstein”, qui est le titre de mon livre sur Einstein.
Ils posent aussi les questions habituelles.

Ce qui est embêtant, c’est que la rencontre se passe au milieu du salon du livre de Colmar. On nous a donné trois chaises pour trente élèves, donc ils sont assis par terre. Les haut-parleurs hurlent: “La petite Maud attend ses parents à l’accueil hall 2” et “Le propriétaire de la Renault Clio 647 GY68 a laissé ses phares allumés”. Des badauds s’arrêtent pour nous écouter. Je les interpelle.
– Tu peux poser une question, si tu veux.
– Euh, mais c’est quoi, le sujet du débat?
Une classe a étudié Le Ring de la Mort. Une autre lit Sans Accent dans le cadre d’un travail sur l’autobiographie.
– Mon livre n’est pas une autobiographie. Le narrateur évoque ce qu’il entend et ce qu’il pense quand il est encore dans le ventre de sa mère. Ben ça, je l’ai inventé. Je ne me souviens pas de ce que j’entendais quand j’étais dans le ventre de ma mère. Quand j’étais enfant, mes copains m’appelaient Jean-Jacques Rousseau pour se moquer de moi. Jean-Jacques Rousseau a écrit un livre intitulé Les Confessions. Il prétend que c’est la première autobiographie. Pour la première fois, un homme dit tout sur lui-même. Il n’avait pas prévu que des universitaires s’amuseraient à fouiller les archives deux siècles plus tard pour montrer qu’il ment comme un arracheur de dents dans ses prétendues confessions vraies. Moi, je reconnais que je mens et que j’invente. Je n’ai pas écrit une autobiographie, mais un roman.

Après les rencontres, je suis assis derrière une table avec d’autres auteurs pour la jeunesse. Nous dédicaçons nos livres. Ma voisine de gauche discute avec son éditeur, qui passe par là.
– Celui-ci marche bien, dit-il. Nous en sommes à 200 000 exemplaires.
– Je croyais 150 000.
– C’est que tu n’as pas encore reçu les derniers chiffres. Au total, pour tous les livres, nous dépassons 1 500 000.
– Tu es sûr? J’en étais à 800 000.
Ben moi, je peux diviser par cent. Quand un de mes livres se vend à 1 500 ou 2 000 exemplaires, c’est un best-seller. D’ailleurs une foule énorme assiège le stand de ma voisine, et aussi celui de mon voisin de l’autre côté. Ça se bouscule, ça enfle, ça déborde. Les deux foules se rejoignent et cachent complètement mon propre stand. Eh, poussez-vous!
Une jeune fille courageuse réussit à fendre la foule en jouant des coudes.
– Msieu, j’ai lu tous vos livres. J’adore!
– Merci.
Une nouvelle vie, Malvina, c’est mon livre préféré.
– Re-merci.
– D’ailleurs, vous êtes mon écrivain préféré.
– Attends un peu, tu vas voir comme je rougis…
Ça me console de ne pas vendre un million d’exemplaires. En fait, ça me coupe le sifflet. J’aurais dû répondre, avec la modestie qui est ma principale qualité:
– Mais voyons, ton écrivain préféré devrait être Dickens, ou Proust, ou Kafka…

Eh, chouette, je commence à rencontrer des gens qui ont vu ce site!

Le soir, nous dînons entre auteurs dans un restaurant de Colmar. Ils disent du mal de leurs éditeurs, comme d’habitude, mais moi je ne me plains pas. Je suis très content du mien. Je ne dis pas ça parce qu’il connaît aussi ce site et peut lire ces lignes!
Je suis assis à côté d’une gentille écrivaine qui vend des millions de livres dont l’héroÏne est une jeune danseuse. Elle nous parle de sa petite chienne Petrouchka, qu’elle a laissée chez sa concierge.
– Mon père aimait beaucoup les chiens, lui dis-je. Dans Lonek le hussard, il y a une histoire de chien qui se passe près d’ici. Il a trouvé un chien perdu dans les souterrains de la ligne Maginot et l’a baptisé Béton. En 40, mon père et son régiment doivent se rendre aux Allemands après une bataille sur la Marne. Il laisse Béton à une aubergiste à Celles sur Plaine, de l’autre côté des Vosges. Plus tard, il obtient que son hôpital le réquisitionne et il sort du camp de prisonniers. Il va aussitôt à Celles sur Plaine récupérer son chien. L’aubergiste est soulagée: elle n’avait plus de quoi le nourrir et comptait s’en débarrasser. Dans le roman, Lonek imagine qu’elle comptait le rebaptiser lapin et le mettre au menu de l’auberge.
– C’est horrible! dit la maîtresse de Petrouchka.
– On mange bien du chien en Corée et en Chine.
– Oui, mais toi, Jean-Jacques, tu ne mangerais pas du chien.
– Oh, je ne sais pas. J’aurais envie d’essayer, par curiosité.
C’est alors que je découvre un lien entre mes livres. Dans deux d’entre eux (deux et demi, si je compte ce Béton presque rôti), on mange du chien! Dans Le Paradis du Miel, les deux chimpanzés et le narrateur se régalent en dévorant Arlequin le chien savant. Dans Mes Enfants, c’est la Guerre, Madame Christiane déguste cinq chiots nouveaux-nés. Mon père est mort en 1999, mais il est toujours vivant dans ma tête. Je croque des chiens dans mes livres pour l’embêter.