Mare Nostrum Corsica
Liaisons maritimes Nice-Corse : le grand plongeon annoncé pour 2019 !
Nice, avril 2018 ; photo : Romain Roussel
En 2019, les Mega Express de la Corsica Ferries restent seuls en lice entre Nice et la Corse avec quelques ferries classiques de la compagnie aux bateaux jaunes
Ici, le Mega Express, à l'escale à Nice en avril 2018 (photo : Romain Roussel).



Un trafic passagers du port de Nice toujours aussi concentré sur Bastia, malgré la diversification récente des dessertes 

Avec un trafic de 682 200 passagers vers la Corse en 2018 [1] selon l'Observatoire régional des transports de la Corse (ORTC), le port de Nice ne se place plus qu'en troisième position pour la desserte de l'île, loin derrière Toulon (1 392 300 passagers de et vers la Corse sur la même période) et, désormais, juste derrière Marseille (687 400 passagers), pour la première fois depuis 2013. 

Le port azuréen possède pourtant un avantage géographique important pour la desserte de l'île de beauté : c'est le port français le plus proche des côtes corses (la distance la plus courte actuellement desservie, vers Ile Rousse, ne représente que 98 miles nautiques au départ de Nice). Les traversées des ferries entre Nice et la Corse sont donc plus courtes que celles assurées depuis Toulon : les plus rapides sont assurées en 4h05 en Mega Express de la Corsica Ferries, contre 5h30 minimum depuis Toulon et 10h minimum depuis Marseille à bord des ferries de la Corsica Linea. Autre atout, le positionnement géographique du port de Nice permet aussi d'assurer de nombreuses traversées de jour : c'est avantageux à la fois pour les passagers qui n'ont pas à louer une cabine et pour les compagnies, qui peuvent ainsi assurer des rotations accélérées en été. Ainsi, les jours de pointe, les Mega Express les plus rapides de la Corsica Ferries assurent, à pleine vitesse, jusqu'à 4 traversées par 24h entre Nice et la Corse. 

Dès lors, historiquement, les traversées niçoises des ferries ont souvent privilégié les destinations les plus proches, c'est-à-dire celles de et vers la Haute Corse : après la Balagne, le port corse le plus proche est Bastia, situé à environ 124 miles nautiques (soit 5h de traversée en Mega Express), tandis qu'Ajaccio est un peu plus éloigné (132 miles). Ainsi, en 2018, Bastia concentre à lui seul près de 60% du trafic passagers niçois, loin devant la Balagne (21,6% pour Ile Rousse), Ajaccio (13,6%) et Porto Vecchio (6,5%). À noter que ce dernier port a, en quelque sorte, pris le relai de celui de Calvi en tant que quatrième escale Corse au départ de Nice depuis 2016. Avec près de 45 000 voyageurs sur une année mobile, Porto Vecchio représente à peu près les mêmes volumes de trafic passagers annuels avec Nice que Calvi, desservi par la Corsica Ferries jusqu'à la fermeture administrative de ce port le 12 août 2016.

Le trafic maritime Nice-Corse est en régression en 2018 pour la seconde année consécutive (-2,7% sur les neuf premiers mois de l'année, toujours selon l'ORTC) dans un contexte général de stagnation des trafics des ferries (-0,2% au global sur la Corse sur les neuf premiers mois de 2018 et, plus précisément, +0,2% sur les lignes reliant le continent français à la Corse sur cette même période). Au-delà de ses limites structurelles en termes de capacités d'accueil[2], ce recul progressif du port de Nice semble assez largement imputable à différentes décisions prises ces dernières années, pour la plupart en Corse. Il devrait s'accentuer fortement en 2019 au vu de la faiblesse de la programmation annoncée par les compagnies présentes sur la desserte continent-Corse. 


Un trafic passagers portuaire niçois fortement affecté par diverses orientations prises ces dernières années


Après avoir atteint leur apogée en 2010 (pour un historique plus approfondi de la desserte Nice-Corse, se reporter à cet article thématique plus ancien), avec plus de 926 400 passagers d'après l'ORTC, les liaisons maritimes Nice-Corse ont eu tendance à régresser ces dernières années. Ce recul est plus prononcé encore que celui du mode maritime en général, de plus en plus concurrencé par l'aérien. Au-delà des soubresauts qu'ont connu les compagnies présentes à Nice, cette évolution négative reflète pour beaucoup les conséquences de décisions prises en matière d'organisation de la desserte maritime de la Corse.

Tout d'abord, les années 2010-2011 marquent une vraie charnière dans l'histoire des liaisons maritimes entre Nice et la Corse avec à la fois :

- un encadrement des horaires des bateaux au port de Nice, afin de minimiser les nuisances sonores pour les riverains, le port étant situé au coeur de la vieille ville. Ainsi, le matin, les navires ne peuvent en théorie - sauf exception - arriver avant 6h du matin, ni repartir avant 7h ; le soir, ils ne peuvent arriver après 22h30, ni repartir après minuit, ce qui fait très juste en termes d'horaires pour des ferries faisant un aller-retour dans la journée depuis Nice vers Bastia ou Ajaccio. Depuis 2011, les autorités portuaires niçoises sont allées encore plus loin en réduisant drastiquement le nombre d'autorisations d'escales de navires (à 300 pour juillet-août), ce qui a entraîné mécaniquement cette année-là une réduction sensible de la desserte de la Corsica Ferries et de la SNCM et le retrait de deux navires des lignes de Corse (respectivement, les Corsica Serena Seconda et NGV Liamone II). Ce niveau de 300 escales maximum était contraignant à l'époque où les NGV assuraient de nombreuses rotations entre Nice et les différents ports de Corse et lorsque le trafic passagers du port de Toulon n'était pas aussi développé qu'aujourd'hui (voir article thématique sur ce sujet) mais ne l'est plus du tout aujourd'hui : en 2019, le prévisionnel provisoire des compagnies à fin décembre 2018 fait état de moins de 100 rotations de ferries au total sur Nice en juillet-août !

- la réduction de l'aide sociale au passager transporté (à 12 euros par passage au lieu de 15 précédemment) sur les lignes Nice-Corse et le plafonnement de son coût annuel par la Collectivité territoriale de Corse à un niveau inférieur à celui dépensé jusqu'alors (à 16 millions d'euros par an, contre plus de 20 millions antérieurement), ce qui a provoqué une forte hausse des tarifs des compagnies maritimes à partir de 2011, les compagnies ne pouvant assumer seules ce surcoût dans un contexte marqué alors par un nouvelle hausse des coûts du carburant.

L'ensemble de ces décisions, aggravées par la suppression totale du dispositif d'aide sociale au passager transporté à compter de 2014 (suite à un vote de la Collectivité territoriale de Corse), et les difficultés croissantes rencontrées à l'époque par la SNCM ont brisé la dynamique du port azuréen. Cela a conduit à une réduction de l'offre de transport et du nombre de passagers transportés sur Nice, dont le trafic est repassé sous les 750 000 voyageurs annuels en 2014. Placée alors en redressement judiciaire, la SNCM a même pris la décision historique de se retirer totalement du port de Nice à compter du printemps 2015, pour la première fois depuis sa création en 1976 ! À ce jour, la Corsica Linea, qui lui a succédé depuis, n'a pas décidé d'y revenir, préférant concentrer ses activités sur Marseille et cibler davantage son coeur de métier sur le transport du fret (que le port de Nice ne peut que difficilement accueillir). En 2015, les capacités supplémentaires mises en oeuvre au dernier moment par la Corsica Ferries pendant l'été (par redéploiement notamment du Corsica Marina Seconda, puis du Sardinia Vera au mois d'août suite à l'achat du Mega Andrea) ne sont pas tout à fait parvenues à maintenir le trafic total du port, retombé alors à un peu moins de 700 000 passagers, soit un niveau quasi-identique à celui de 1999 !

Plus récemment, on aurait pu croire en 2016 à un avenir meilleur pour le port de Nice suite à la diversification des dessertes de la Corsica Ferries (ouverture d'une ligne vers Porto Vecchio, avec prolongement sur Golfo Aranci en Sardaigne) et à l'arrivée de la Moby Lines, en remplacement de la SNCM. Toutefois, la fermeture administrative du port de Calvi, décidée par la mairie au pied levé et dans l'indifférence générale quelques jours à peine sa prise d'effet début août 2016, a généré des pertes de trafic réelles dès l'année 2017 pour le port azuréen (et pour les ports et commerces de Balagne, pris dans leur ensemble...).  Cette fermeture faisait suite à l'absence d'adaptation des aménagements du port de Calvi pour accueillir les passagers et véhicules devant embarquer dans des conditions de sécurité normales ; elle est d'autant plus dommageable
que ce port constituait le point gégographiquement le plus proche de Nice (93 milles nautiques)...

Surtout, la navette de nuit 
[3] mise en place par la Moby Lines n'a pas connu le succès escompté. Assurée dans un premier temps en 2016 par le Moby Zazà, ce ferry a connu un grave incendie le 13 août 2016 peu avant son arrivée au port de Nice, qui n'a heureusement pas fait de victimes. Les dommages subis par le navire ont néanmoins contraint la compagnie à suspendre cette liaison jusqu'au 9 décembre de cette année. Reprise en 2017 par un autre ferry en provenance de mer Baltique, le Moby Dada, fruit de l'acquisition par la Moby de parts majoritaires dans la société russe St Peter's Line, la liaison de nuit n'a pas plus rencontré de succès commercial, les voyageurs au départ de Nice ayant généralement une préférence pour les traversées de jour qui leur permettent d'économiser le prix d'une cabine. Aussi, la Moby Lines a-t-elle complètement revu ses horaires pour la saison 2018 et testé un navette low cost sur Nice-Bastia à l'aide de deux ferries de jour plus anciens, les Moby Vincent et Moby Kiss, qui partageaient leurs escales entre les lignes Nice-Bastia et Livorno-Bastia. Cela permettait assez astucieusement à la compagnie d'effectuer un aller-retour de jour sur chacune de ses liaisons à des horaires commercialement vendeurs [4], la relative lenteur de ses ferries (surtout comparée à la vitesse des Mega Express de la Corsica Ferries, qui mettaient 2h30 de moins environ pour effectuer la traversée Nice-Bastia) étant alors atténuée par cette alternance d'une ligne plus longue (celle de Nice) avec une ligne plus courte (celle de Livorno). Toutefois, le service Nice-Bastia de la Moby a connu en pratique de nombreuses difficultés opérationnelles durant l'été 2018 en raisons d'incidents techniques survenus à plusieurs reprises, qui ont provoqué notamment des retards importants et récurrents pour les passagers et quelques annulations de traversées.

Même si la navette de jour a transporté plus de monde que celle de nuit - qui plafonnait à environ 70 000 passagers en 2017 - la Moby Lines n'est pas parvenue à dépasser la barre symbolique des 100 000 passagers par an sur Nice-Bastia en 2018, alors qu'il lui en aurait fallu entre 150 000 et 200 000 pour rentabiliser la ligne dans un contexte de renchérissement du coût des soutes, selon Fabien Paoli, son directeur régional pour la Corse. Aussi, dans un contexte de durcissement des obligations de service public (OSP) imposées aux compagnies entre Toulon, Nice et les ports de Corse, la Moby a-t-elle décidé de ne pas reconduire la desserte Nice-Bastia en 2019 et de fermer ainsi sa seule ligne franco-française. Le vote par la Collectivité territoriale de Corse relatif à ces OSP, en marge de la définition du cahier des charges de la DSP courte 2019-2020, semble donc avoir contribué à faire reculer la desserte maritime alors que son intention était au contraire de l'accroître en hiver : les obligations requises sont en effet passées de une à deux rotations hebdomadaires minimum en hiver, ce qui s'est avéré non soutenable pour les compagnies concernées (en l'occurence la Corsica Ferries - qui a porté l'affaire en justice - et la Moby Lines, qui a donc décidé de se retirer...). En effet, celles-ci ne perçoivent aucune compensation financière sur ces lignes de Toulon et de Nice depuis la disparition de l'aide sociale en 2014, alors même que le trafic hivernal y est très réduit, surtout sur Nice (pour mémoire, seules demeurent subventionnées les lignes Marseille-Corse assurées jusqu'ici par la Corsica Linea et La Méridionale).

Bastia, juillet 2018 ; photo : Romain Roussel
Présente à Nice depuis la saison 2016, la Moby Lines se retire de Nice à compter du mois de janvier 2019. Ici, le Moby Kiss, qui desservait en alternance ce port avec le Moby Vincent durant l'été 2018, au large de Bastia en juillet 2018 (photo : Romain Roussel).



Un programme estival 2019 fortement revu à la baisse qui rend très probable une chute des trafics passagers du port de Nice 
  
Lecture : alors que 57 traversées étaient programmées sur la ligne Nice-Bastia, toutes compagnies confondues, en août 2018, ce nombre est passé à 23 en août 2019.


L'année 2019 s'annonce donc comme bien morose au port de Nice, avec un programme prévisionnel provisoire - tel que communiqué à fin décembre par les compagnies - bien plus réduit que par le passé. Outre le retrait de la Moby qui fait perdre de nombreuses traversées sur Nice-Bastia, la Corsica Ferries a semble-t-il décidé de se concentrer surtout sur les ports de Toulon et Savona pour sa desserte estivale 2019 de la Corse. Même si des traversées supplémentaires devraient vraisemblablement être programmées d'ici l'été, le différentiel par rapport à 2018 est au global si élevé qu'il ne pourra être comblé. À titre d'illustration, au cours du mois d'août, seules 59 traversées sont programmées en ferry de Nice vers les quatre ports Corses desservis (Bastia, Ile Rousse, Ajaccio et Porto Vecchio), contre 131 toutes compagnies confondues en 2018 (chiffres calés sur la programmation commercialisée par les compagnies à fin décembre 2018) ! L'évolution ne serait pas plus favorable en juillet, où la réduction des rotations sur Nice-Ajaccio et Nice-Porto Vecchio serait encore plus drastique que la relative stabilité observée en août et où la fréquence des rotations sur Nice-Ile Rousse serait elle aussi fortement réduite. La perte apparaît donc au final assez considérable, si bien que le trafic du port de Nice risque fort de plonger en 2019 ! Même si le taux de remplissage des navires s'améliore, le trafic annuel du port de Nice avec la Corse pourrait potentiellement revenir à environ 500 000 passagers si aucune capacité supplémentaire n'est déployée d'ici là.

À titre secondaire, s'agissant de la desserte de la Sardaigne depuis le continent français, la Corsica Ferries donne là aussi la priorité au Var en 2019, avec un renforcement de la fréquence des liaisons entre Toulon et Porto Torres, tandis que celles assurées depuis Nice vers Porto Torres et vers Golfo Aranci sont plutôt en retrait. Seule petite compensation pour le port de Nice, quelques traversées sont programmées à l'été 2019 au départ de la Côte d'Azur avec la nouvelle escale sicilienne de la compagnie aux bateaux jaunes (Trapani), sans toutefois que cela puisse compenser la réduction de la desserte opérée par ailleurs...

Nice, juillet 2018 ; photo : Romain Roussel
La mise en service du Pascal Lota de la Corsica Ferries en 2017 (ci-dessus, à Nice en juillet 2018 ; photo : Romain Roussel) a permis de diversifier les destinations proposées au départ du port de Nice - relié en saison à la Sardaigne depuis 2016 et aussi à la Sicile à compter d'avril 2019 - mais pas de compenser la désaffection des lignes maritimes de Corse.

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Note :
[1] Données en année mobile à fin septembre 2018, c'est-à-dire sur 12 mois cumulés, d'octobre 2017 à septembre 2018 inclus.

[2] À l'instar de Bastia, Nice ne peut accueillir qu'exceptionnellement des navires de grande taille comme le Mega Express Three, qui fait plus de 210 mètres de long, et le port, situé en pleine ville, manque de linéaires de quais et est difficilement accessible aux ferries par mauvais temps sous certaines conditions de houle. Des projets sont néanmoins à l'étude pour rescinder le poste à quai le long de la jetée du port de Nice et accueillir des navires de grande longueur. Leur réalisation, si elle est finalement actée, prendra toutefois plusieurs années.  

[3] Plus précisément, aussi bien en 2016 qu'en 2017, les navires de la Moby assuraient la liaison Nice-Bastia de nuit dans le sens de plus grande affluence (c'est-à-dire, l'été - jusqu'à la mi-août - de nuit de Nice vers Bastia, puis de nuit de Bastia vers Nice jusqu'à la fin de la saison) et de jour dans l'autre sens. Les horaires de la Moby rappelaient en cela ceux des ferries de la SNCM sur Marseille-Corse, qui appliquaient traditionnellement un schéma similaire de desserte.

[4] Les horaires avec départ du continent le matin pour la Corse (en l'occurence, départ de Nice à 8h pour Bastia) et retour de Corse en milieu de journée (à 13h30 de Bastia pour Nice dans le cas de la Moby durant l'été 2018) sont généralement les horaires de jour qui rencontrent le plus grand succès commercial. Là encore, ces horaires ressemblaient à ceux pratiqués autrefois par la SNCM avec l'Esterel et le Corse, avant la mise en service des NGV en 1996 et, plus généralement, à ceux quasi-systématiquement adoptés par la Moby au départ des ports italiens vers Bastia au début des années 1990.


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