L'offensive
Mackensen [1]
d'octobre 1915 vint détruire ce bel équilibre, et l'entrée
en guerre des Bulgares aux côtes des Centraux ne fit qu'accroître
ce déséquilibre des forces en présence, au profit
des austro-germano-bulgares. Le chemin de croix des Serbes, à
travers les montagnes d'Albanie et du Monténégro, allait
rappeler douloureusement aux opinions publiques Alliées qu'il
existait un autre front, là-bas en Orient, dans des Balkans
qui avait été à l'origine du conflit. La guerre
ne se limitait pas à un affrontement franco-allemand, comme
voulait le croire les grands stratèges qu'ils aient été
Alliés ou Centraux. Ainsi avant de voir les conditions qui
ont amené le peuple serbe à entamer sa pénible
retraite et le Monténégro à déposer les
armes en janvier 1916, j'essayerais den découvrir les
raisons à travers un récapitulatif de la politique alliée
dans les Balkans.
A.
Le front d'Orient et les Alliés
Lorsqu'en août
1914 par le jeu des alliances, l'Europe se retrouve plongée
dans la guerre, tout le monde pense à un conflit cours, dont
la décision interviendra sur le front de l'Ouest, l'engagement
russe n'étant pour les Français qu'un moyen de dégarnir
le front allemand de l'Ouest pour pouvoir remporter la décision.
Les différents états-majors ne possèdent pas
de plan pour les Balkans. De toute façon l'armée austro-hongroise
ne doit faire qu'une bouchée de la Serbie. Il n'est donc pas
nécessaire de lui prévoir une quelconque aide. Mais
ces prévisions ne se réaliseront pas. Le conflit s'enlise
à l'Ouest et les deux petits Alliés balkaniques offrent
une résistance inespérée. Ces changements dans
l'ordre des prévisions auraient dû provoquer un changement
chez les états-majors. Peine perdue, les généralissimes
Kitchener [2]
et Joffre [3]
ne voient toujours que par le front de l'Ouest et se désintéressent
des Balkans.
Les Russes
eux-mêmes n'ont pas de réelle politique dans les Balkans,
si ce n'est le mirage des détroits. Depuis Pierre le Grand
ils sont le seul et unique but de la politique russe dans cette région.
Si elle s'engage aux côtes des Balkaniques en 1878 ou en 1912
c'est dans le but d'affaiblir l'Empire ottoman pour en obtenir des
concessions. Si en 1913 elle opte pour la Serbie contre la Bulgarie,
c'est que celle-ci menace de prendre Constantinople. Son engagement
dans le conflit pour la défense de la Serbie ne peut alors
apparaître que comme un leurre; Constantinople est l'objectif
majeur de son pan slavisme. Sa politique à l'égard des
Balkans durant le conflit ne fait que renforcer cette tendance. Elle
entraîne ses Alliés (Grey et Delcassé [4])
dans son aveuglement. Ainsi dans l'opération des Dardanelles,
dont elle est à l'origine [5],
demande-t-elle à ses alliés de refuser l'aide grecque
dont elle craint les ambitions. Aussi fait-elle parvenir, dans un
mémorandum, aux pays Alliés ses buts de guerre avant
le début de l'opération pour parer à toute initiative
anglaise. Ce mémorandum réclamait en cas de victoire
non seulement Constantinople mais aussi toute la Thrace du Sud. Le
sort de la Serbie était bien loin de ses considérations.
Ainsi les intransigeances
russes avaient conduit la Turquie à la guerre [6]
et la Grèce à rester, pour une longue période
encore, dans la neutralité malgré les propositions de
Venizélos. Quant à la Roumanie, elle était en
but à la même intransigeance (problème de la Bessarabie
[7]).
Restait enfin la Bulgarie. Comme nous l'avons vu, la deuxième
guerre balkanique entre les anciens alliés avait poussé
celle-ci dans les bras de la Triplice, qui voyait là le moyen
de barrer la route a l'impérialisme russe et à l'agitation
serbe. Cependant au moment du début des hostilités,
le roi Ferdinand restait dans l'expectative, attendant le meilleur
moment pour participer au conflit. La Turquie entrée en guerre
aux côtes des Centraux, la diplomatie britannique, bulgarophile,
se tourna naturellement vers la Bulgarie pour l'entraîner du
côté des Alliés. Pour cela l'Entente n'hésita
pas à proposer des avantages territoriaux au détriment
de la Turquie (Thrace) mais aussi au détriment de la Serbie
(Macédoine), alors même que l'Entente était entrée
en guerre pour défendre l'intégrité de ce même
pays. Le sort de la Serbie était donc encore une fois bien
loin des préoccupations de l'Entente. Ces discussions durèrent
jusquau dernier moment alors même que la Bulgarie avait
déjà signé une convention militaire avec les
Centraux le 6 septembre 1915. Ces pourparlers empêchèrent
ainsi la Serbie de mettre fin aux préparatifs Bulgares, en
menant une attaque préventive dans la région de Pirot
[8].
C'était une nouvelle occasion manquée.
Suite aux visées
russes sur les détroits, l'Entente décide de mener une
opération sur les Dardanelles, suivant en cela le plan du chef
de l'amirauté britannique Winston Churchill [9]
contre le plan de Briand [10]
et Lloyd George [11]
qui prévoyait un débarquement à Salonique pour
soutenir les troupes serbes durant leur contre-offensive de la fin
1914, durant laquelle le général Putnik [12]
reprit Belgrade. Cette expédition qui eut lieu de février
1915 à janvier 1916 se révèle être un terrible
échec pour l'Entente. Et le 8 janvier, les membres du corps
expéditionnaire quittent Gallipoli [13],
pour se réfugier à Salonique. En effet, les Alliés
occupent la ville depuis le 3 octobre 1915, suivant en cela les prescriptions
[14]
qui a été limogé de la troisième armée
par Joffre est envoyé à Salonique le 12 octobre, mais
il est sans moyen, et cette décision militaire s'apparente
plus en réalité à une décision politique
[15].
Mais tout ceci arrive trop tard, Sarrail ne peut rien contre l'effondrement
serbe.
B.
La retraite serbe
L'échec
de la politique russophile de Delcassé et la non-prise en compte
du rôle de la Serbie, et du Monténégro dans les
opérations militaires de l'Entente, conduisirent ces deux pays
vers une défaite inévitable. Débarrasser du danger
russe, les puissances centrales pouvaient enfin mettre à bas
la résistance serbo-monténégrine sur leur flanc
sud. Aidés par les incohérences de la politique Alliée,
les Centraux purent à loisir préparer leur offensive.
L'offensive
de von Mackensen avait pour but d'assurer les arrières des
Empires Centraux en intégrant de gré ou de force les
Balkans dans la "forteresse allemande". L'alliance avec la Bulgarie
étant dès lors acquise, cette intégration passait
sur le cadavre de la Serbie. Une fois ce plan appliqué, il
devait permettre à l'Allemagne de se retourner contre la France.
La bataille de Verdun ne fut donc que le prolongement occidental de
cette offensive des Centraux dans les Balkans à la fin 1915.
Le plan prévoyait un vaste mouvement enveloppant contre toutes
les frontières de la Serbie, sauf à l'Ouest sur la Drina
face au Monténégro, car les forces austro-hongroises
étaient affaiblies par les envois de troupes sur l'Isonzo.
Le but de la manuvre était donc de prendre en tenaille
la Serbie et de capturer ainsi son armée.
Les forces
germano-autrichiennes passent donc à l'offensive le 4 octobre
1915 et prennent Belgrade le 9. Cinq jours plus tard la Bulgarie déclare
la guerre à la Serbie et entre en Macédoine. Le 25 Usküb
était prise. Cette victoire bulgare coupe toute possibilité
de retraite vers le Sud en direction de Monastir et Salonique pour
rejoindre les forces Alliées. Celles-ci ne sont d'ailleurs
pas en nombre assez suffisant pour pouvoir venir en aide aux Serbes.
De plus la multiplicité des ordres contradictoires émanant
du ministère de la guerre ne leur permet pas d'agir en toute
clarté. Ainsi le 7 octobre leur demande-t-on de pénétrer
en Serbie pour secourir les Serbes. Trois jours plus tard, un nouvel
ordre, leur demande de ne pas franchir la frontière gréco-serbe.
Le 12, nouvel ordre, l'armée de Salonique doit couvrir la voie
ferrée de Salonique en Serbie, puis le 23, de se lier avec
les Serbes vers Usküb et Veles [16]
tout en restant en contact avec Salonique. Contradictions entre les
différents ordres reçus, manque de moyen matériel
et humain, le général Sarrail ne peut sauver la Macédoine
et se retranche derrière la frontière grecque tandis
qu'à l'Est les Bulgares occupent la Thrace occidentale dans
sa totalité. La Grèce se retrouve donc plonger dans
le conflit malgré sa neutralité, même si l'accord
serbo-grec de juin 1913 prévoyait une alliance défensive
entre les deux pays contre une attaque de la Bulgarie.
La défaite
éclair des Serbes en Macédoine peut s'expliquer par
un manque de prévoyance du côté de l'état-major
serbe. En effet au lieu de concentrer ses forces dans le Sud pour
pouvoir protéger l'axe Morava-Vardar [17],
celui-ci a préféré se battre sur tous les fronts
en dispersant ses armées pour ne pas perdre toute possibilité
de retraite vers Salonique, comme cela avait été prévue.
Par ailleurs ce plan faisait fi du cas du Monténégro
qui serait ainsi resté seul face aux Centraux. Ce changement
de plan qui prévoie maintenant une retraite vers l'Adriatique
à travers l'Albanie et le Monténégro ne pouvait
que soulager le Monténégro mais coûta au peuple
serbe une longue et pénible retraite durant laquelle ils durent
abandonner dans les montagnes tout leur matériel.
Durant cette
première partie de l'offensive des Empires Centraux contre
la Serbie, le Monténégro n'eut que peu à souffrir
des attaques autrichiennes. Ce qui ne retire rien à sa situation
dramatique du point de vue du ravitaillement rendu difficile a la
fois par le blocus autrichien et par la mauvaise volonté des
Italiens et des Britanniques. L'annonce de la venue des Serbes est
donc perçue positivement par la population et par le roi qui
dans son discours de Podgoritza le 29.11.1915, incite la population
à continuer la lutte aux côtes des Alliés qui
ne tarderont pas à venir en aide au royaume [18].
Mais l'arrivée des troupes serbes au Monténégro
n'est pas à la hauteur de ses espérances. Depuis leur
évacuation de Nich le 5 novembre, les Serbes mènent
une difficile retraite sur les routes de montagnes monténégrines.
Ayant dû abandonner leur matériel, ils sont affamés
et démoralisés [19].
De plus, ce ne sont pas seulement les troupes serbes qui arrivent,
mais tout un peuple avec sa masse de réfugiés (aux alentours
de 130 000 réfugiés) ce qui a pour effet d'accroître
encore plus la pénurie alimentaire du Monténégro.
Malgré
ce défaitisme chez les Serbes qui conduit le colonel Pechitch
[20]
a confié à Delaroche-Vernet que "maintenant tout
est fini !" dès le 25 novembre [21],
le moral des Monténégrins reste bon [22].
À partir de ce moment, lorsque les armées serbes eurent
quitté le territoire serbe et abandonné l'Est du Monténégro
(Ipek et Diakovitza [23]),
l'armée monténégrine prend en charge la défense
des troupes serbes qui dorénavant ne se battent plus. Cette
lourde charge revient à la deuxième et troisième
colonne monténégrine [24]
qui jusquau bout protégèrent la retraite de leur
allié comme on leur avait demandé [25].
Mais à partir de décembre, la situation devient de plus
en plus intenable et provoque une crise ministérielle. Le cabinet
Y.Voukotich est remplacé par Lazare Miouchkovitch qui, même
si il est perçu comme austrophile, décide de continuer
la lutte avec l'assentiment de la Skoupchtina [26].
Mais les difficultés de ravitaillement, le choléra et
le défaitisme répandu par les réfugiés
serbes finissent par achever la résistance des Monténégrins
qui le mois suivant s'effondreront sous les coups de butoir de l'armée
autrichienne.
C.
Janvier 1916
La défaite
du Monténégro en ce mois de janvier 1916 marque la fin
de l'existence "territoriale" de cet état indépendant
plus de cinq siècles. Les conditions dans lesquelles eut lieu
cette défaite conduisirent les Alliés à émettre
des doutes sur la loyauté du roi. Ces propos furent repris
à grand renfort de publicité par les unionistes et à
travers eux par le gouvernement serbe. Si le Monténégro
avait été battu, c'est qu'on l'avait trahi. À
cet égard la politique ambiguë du roi durant les deux
derniers mois de sa présence dans son pays ne put que renforcer
le camp de ses détracteurs, aussi bien parmi ses sujets que
parmi ses alliés. Ces reproches portent à la fois sur
le fait que la victoire autrichienne ait été si rapide
et sur la tentative de paix séparée entre l'Autriche-Hongrie
et le Monténégro.
Comme nous
l'avons vu, la situation en ce début janvier devient catastrophique
pour le Monténégro, submergé par les réfugiés
serbes. Pourtant le front monténégrin du Sandjak et
d'Herzégovine résiste toujours aux Centraux et permet
en cela l'évacuation par Scutari du gouvernement serbe et de
son armée. On peut alors juger le rôle pleinement bénéfique
qu'eut dans ces moments pour les Alliés l'occupation de la
ville, par les forces monténégrines en juin 1915 [27].
Occupation qui causa tant de problème pour le Monténégro.
Mais le 8 janvier, le général autrichien, Conrad von
Hötzendorf ordonne l'offensive sur tous les fronts contre le
Monténégro [28],
contre l'avis de von Falkenhayn [29]
pour qui il fallait immobiliser le plus de troupes Alliées
possibles dans cette région, dans le cadre d'une offensive
sur le front de l'Ouest. "Les forces de l'Entente (si elles étaient
expulsées) deviendraient disponibles pour d'autres théâtres
de guerre, les Bulgares ne le seraient plus" [30].
Selon la stratégie serbe, la majorité des forces monténégrines
étaient affectées à la défense de l'aile
gauche de l'armée serbe (deuxième et troisième
colonne soit un total de 35 000 hommes), puis à la protection
de la retraite serbe dans le Sandjak. À cet effet le général
Yankovitch avait dégarni la première colonne qui occupait
le mont Lovtchen qui protégeait la capitale Cettigné.
En octobre 1915 elle ne comprenait donc plus que 7 000 hommes. En
face le 8 janvier le feld-marechald-lieutenant Weber von Webeneau,
commandant de Cattaro, disposait de 25 000 fantassins auxquels s'ajoutaient
la flotte, forte de 14 unités dont quatre croiseurs. Si comme
le prétendront plus tard les unionistes le Monténégro
avait trahi et que la cause du mont Lovtchen était entendue
depuis l'entrevue de Budua entre le prince Pierre et le colonel Hubka,
pourquoi un tel déploiement de force. A-t-on besoin réellement
d'aller chercher les causes de la perte du Lovtchen dans une prétendue
trahison? Incapable de résister le mont Lovtchen est abandonné,
ce qui ouvre aux Autrichiens le chemin de Cettigné et de la
côte (Antivari est prise le 11 et la capitale le 15) [31].
Cette chute a pour conséquence de briser la résistance
monténégrine, ordre est alors donné à
la IIme et IIIme colonne de se replier sur Podgoritza et Scutari.
Mais elles sont à ce moment-là à plus de 100km
de ces points, sur les frontières du vieux Monténégro.
Dans ces conditions,
la continuation de la lutte devient intenable. Le nouveau gouvernement
Miouchkovitch demande au roi de négocier avec les Autrichiens
un armistice le 10 janvier. Devant les exigences autrichiennes, le
roi refuse de poursuivre les négociations [32].
À la suite de ce refus, le gouvernement donne sa démission
que le roi refuse [33].
Le gouvernement est appuyé en cela par les déclarations
du colonel Pechitch et du représentant serbe L. Michailovitch
ainsi que du représentant russe Obnorsky qui poussent le roi
à demander la paix, puisqu'il a refusé les propositions
du gouvernement royal. Ainsi le roi écrit-il le 13 janvier
pour demander la paix, dans le but d'arrêter temporairement
les hostilités et permettre ainsi le regroupement des forces
monténégrines. François-Joseph [34]
se défaussant sur son commandement local, les hostilités
ne s'arrêtent pas. De plus les nouvelles conditions sont inacceptables:
- reddition des troupes serbes se trouvant encore au Monténégro
- remise sans conditions de l'armée monténégrine
- installation de garnisons autrichiennes pendant la durée
du conflit
- remises aux troupes autrichiennes des moyens de communication
- libre passage vers l'Albanie
Nicolas refuse de nouveau de prolonger les négociations devant
la continuation des hostilités. Prenant prétexte de
ces pourparlers le gouvernement serbe accuse le roi de duplicité,
et rappelle le colonel Pechitch. Ce dernier transmet son commandement
au général Y.Voukoutitch en lui assurant de tenir la
route de Scutari.
Le 19 janvier
la cour, le roi, le chef de gouvernement et les différents
représentants diplomatiques quittent Podgoritza pour Scutari.
Ils laissent sur place le prince Mirko, malade, ainsi que trois ministres
(Radoulovitch, Popovitch, et le général Vechovitch)
pour continuer les pourparlers et assurer la retraite de troupes vers
Scutari. Le roi quitte Scutari le 20 pour Brindisi. Mais les troupes
serbes qui devaient tenir Scutari pour permettre la retraite des Monténégrins
quittent la ville pour Durazzo. Ainsi les austro-hongrois qui continuaient
leur progression vers le sud pénètrent-ils sans combat
dans la ville le 21 janvier coupant ainsi toute retraite aux Monténégrins.
Face à cette situation, les membres du gouvernement et les
députés réunis dans la manufacture des tabacs
de Podgoritza décident de dissoudre l'armée en proclamant
que celle-ci devait s'identifier au peuple et donc que les armes cessaient
d'être propriété de l'état.
Le Monténégro
est donc défait, dans des conditions malheureuses qui conduisirent
les Alliés à émettre des doutes sur la volonté
de Nicolas à continuer la lutte. Doutes largement repris et
entretenus par le gouvernement serbe et ensuite par les membres du
Comité Monténégrin pour l'Union Nationale.
Le Monténégro avait trahi la cause Alliée. Mais
que firent ces Alliés pour venir en aide au Monténégro.
Malgré les difficultés de ravitaillement et la situation
de pénurie, A. Radovitch ira jusquà nier l'existence
de cette pénurie qui selon lui ne saurait expliquer la défaite
[35],
les Alliés ne soutiennent pas entièrement le pays. Ainsi
la mission britannique "British Adriatic Mission" commandée
par Harry Lamb qui a en charge de venir en aide aux réfugiés
serbes, à ordre de son gouvernement de ne pas venir en aide
au Monténégro car ce pays est soupçonné
de traîtrise. Il en est de même pour l'Italie. Il faudra
attendre une réunion entre le gouvernement royal monténégrin
et les représentants diplomatiques des pays Alliés le
6 janvier, pour que ceux-ci se décident enfin à venir
en aide au Monténégro. Mais il est déjà
bien tard puisque le 8, c'est l'offensive autrichienne. Que firent
les marines française et italienne qui avaient en charge ce
secteur, contre les attaques de convois de ravitaillement par les
sous-marins ou contre la flotte autrichienne lorsqu'elle participa
aux opérations du 8 et des jours suivants en bombardant le
Lovtchen et la côte.
Tout le monde
s'empressa de parler de trahison [36].
Il était bien évidemment plus facile pour les gouvernements
Alliés, de voir les choses ainsi, plutôt que de reconnaître
leurs erreurs dans la conduite des opérations dans les Balkans.
Erreurs qui avaient amené la Serbie à abandonner son
territoire et le Monténégro à capituler [37].
S'il y a eu trahison, ne peut-on pas parler de la trahison des Alliés
[38].
Le Monténégro fut le seul des Balkaniques à prendre
la défense du peuple serbe [39],
se battant sans arrières pensées [40],
au contraire des Serbes, comme le colonel Pechitch qui dans une polémique
l'opposant à un autre général, dans le journal
serbe la Pravda, avouera avoir placé l'armée monténégrine
dans une situation telle qu'elle était obligée de capituler.
Et qu'il amena le roi à capituler pour le plus grand bénéfice
de la Serbie qui évitait ainsi qu'une armée monténégrine
ne se reforme à Salonique ce qui aurait empêché
par la suite l'union des deux royaumes [41].
Les deux Guerres
Balkaniques qui ont permis au Monténégro d'asseoir son
indépendance grâce à des acquisitions territoriales
ont aussi contribué à affaiblir un royaume déjà
pauvre. L'année de répit entre ces guerres et le début
du premier conflit mondial ne lui permit pas de parfaire son développement.
Ainsi, entre-t-il dans ce nouveau conflit exsangue. Pourtant le Monténégro
résista pendant plus de 18 mois aux offensives des Centraux,
et ce malgré les privations et le peu d'aide qu'il reçut
des pays Alliés. N'ayant que peu d'intérêt pour
ce front, ceux-ci menèrent une politique attentiste, au jour
le jour, aveuglés par des intérêts qui dépassaient
ceux de leurs alliés balkaniques. Cette politique ou non-politique
dans les Balkans eut pour conséquence l'occupation de ces deux
Alliés par les Centraux. Dès lors, il fut plus facile
de rejeter la défaite sur un bouc émissaire; le Monténégro
avait trahi. Cette suspicion des Alliés à l'égard
du Monténégro, fut encouragée par le frère
d'arme serbe qui y voyait enfin là, le moyen de se débarrasser
d'un roi encombrant pour ses projets de Grande Serbie. Cette politique
de déstabilisation du Monténégro trouva toute
son ampleur durant l'exil français du roi Nicolas à
travers les "intrigues monténégrines" entretenues par
l'ancien président du conseil Andriya Radovitch qui dans cette
entreprise pouvait compter sur le gouvernement serbe.